Imputer, reprocher, demander réparation. une sociologie de la

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doi: 10.1684/sss.2015.0205
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Sciences Sociales et Santé, Vol. 33, n° 2, juin 2015
Imputer, reprocher,
demander réparation. une sociologie
de la plainte en matière médicale
Janine Barbot*, Myriam Winance**, Isabelle Parizot***
Résumé. L’article étudie les plaintes des patients (ou de leurs proches)
qui s’estiment victimes de préjudices liés à l’activité médicale. Sur la
base d’un corpus de courriers adressés au dispositif de règlement amiable
créé par la loi du 4 mars 2002, nous analysons les trois opérations
critiques qui structurent la plainte : imputer des dommages à des soins,
reprocher des pratiques ou des conduites inappropriées et formuler des
demandes en matière de réparation. Au travers de ces opérations
critiques, nous mettons en évidence les manières par lesquelles les plaignants construisent des modes de raisonnement et de mise en cause,
mobilisent des horizons d’attentes vis-à-vis des soins et conçoivent les
* Janine Barbot, sociologue, Cermes3 – Centre de recherche, médecine, sciences,
santé, santé mentale, société (CNRS-UMR 8211, INSERM-U988, EHESS, université
Paris-Descartes), site CNRS, 7, rue guy Môquet, 94801 Villejuif Cedex, France ;
[email protected]
** Myriam Winance, sociologue, Cermes3 – Centre de recherche, médecine, sciences,
santé, santé mentale, société (CNRS-UMR 8211, INSERM-U988, EHESS, université
Paris-Descartes), site CNRS, 7, rue guy Môquet, 94801 Villejuif Cedex, France ;
[email protected]
*** Isabelle Parizot, sociologue, CMH – Centre Maurice Halbwachs (CNRS, ENS,
EHESS), Équipe de recherche sur les inégalités sociales (ERIS), 48, boulevard
Jourdan, 75014 Paris, France ; [email protected]
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JANINE BARBot, MyRIAM WINANCE, ISABELLE PARIZot
possibilités d’apaisement des souffrances qu’ils leur attribuent. Nous
identifions ainsi différentes sources d’ajustement et de désajustement
entre ces perspectives profanes de la plainte et le travail effectué par le
dispositif.
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Mots-clés : plaintes, accidents médicaux, dispositif d’indemnisation,
responsabilité, solidarité.
Depuis les années 1970, aussi bien aux États-Unis qu’en Europe, la
question de l’accroissement réel ou supposé des plaintes des patients (ou
de leurs proches) suscite des débats particulièrement vifs. Certains travaux
ont mis en avant la montée en puissance de patients « procéduriers » ou
« vindicatifs » et ont critiqué les comportements « consuméristes » qui
affecteraient de façon négative les pratiques médicales ou les coûts du
système de santé (1). De nombreuses recherches ont, au contraire, mis
l’accent sur les difficultés rencontrées par les personnes pour faire valoir
les dommages liés aux soins, en raison des rapports de domination propres
au secteur médical et des asymétries de statuts et de compétences qui s’y
exercent au détriment des patients et de leurs familles (2). Des études ont
montré, dans le contexte états-unien principalement, le faible taux de
recours des patients au regard de la réalisation effective d’évènements
délétères et la sous-représentation parmi les plaignants des patients les
plus vulnérables (3).
Des travaux de sciences sociales se sont, par ailleurs, développés
autour de l’analyse de la plainte considérée comme un outil permettant
d’évaluer le fonctionnement des structures hospitalières, d’améliorer la
qualité des soins et le dialogue entre médecins et malades, ou de prévenir
(1) Pour une revue critique des études portant sur la « médecine défensive » et les réactions des professionnels de santé face à la « judiciarisation des soins », voir Barbot et
Fillion (2006). Pour un exemple des analyses de plaintes sous l’angle du « consumérisme médical », voir Peneff (2000).
(2) Pour une mise en perspective de ces travaux, voir notamment Mulcahy (2003).
(3) Ce sont, par exemple, les grandes enquêtes de Localio et al. (1991) et Burstin et al.
(1993).
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SoCIoLogIE DE LA PLAINtE EN MAtIÈRE MÉDICALE
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la survenue de risques médicaux et sanitaires (4). Dans ce cadre, des typologies ont pu être dressées pour rendre compte de l’ampleur et la nature
des réclamations adressées aux services de soins, en termes de secteurs
concernés ou de motifs d’insatisfaction. Notre article propose, quant à lui,
d’effectuer deux déplacements. Nous aborderons la plainte formulée par
le patient (ou par ses proches) quand il s’adresse à une instance « tierce »,
en dehors du colloque singulier avec son médecin ou des établissements
de soins (5). Nous aborderons également de plus près le travail effectué
par le patient (ou par ses proches) pour faire valoir qu’il est (ou a été)
affecté, empêché ou diminué par un événement lié aux soins, et le plus
souvent pour demander que quelque chose soit fait en retour (6). Cet
article propose ainsi d’aborder la pratique de la plainte, au carrefour des
différentes opérations critiques que les personnes mettent en œuvre quand
elles s’adressent, par courrier, à un dispositif national dédié à l’indemnisation des accidents médicaux.
Cadre d’analyse
Notre analyse tirera parti de la discussion de deux grands ensembles
de travaux qui ont porté sur la plainte en dehors du domaine médical :
ceux qui se sont intéressés à l’analyse de plaintes écrites dans différents
contextes d’énonciation, et ceux qui ont porté sur la formation des recours
devant un tiers judiciaire. Dans le premier ensemble, les travaux ont mis
en évidence deux grandes figures de la plainte : la dénonciation et la
supplique. L. Boltanski, depuis une sociologie de la critique, a étudié un
corpus de lettres adressées au journal Le Monde (1979-1981) visant à
dénoncer publiquement des situations d’injustice. Il montre comment ces
(4) Voir, par exemple, les travaux anglo-saxons de Lloyd-Bostock et Mulcahy (1994),
Nettleton et Harding (1994) et Mulcahy (2003) ; pour la France, de Vernejoul et al.
(1999), Amar et Minvielle (2000), Quinche (2001) et Amalberti et al. (2007). Pour la
Belgique, voir Cantelli (2011) sur le « travail politique » mené par différents acteurs
hospitaliers pour transformer les « troubles » exprimés par les patients en actions de
prévention.
(5) Dans cette même perspective concernant les plaintes individuelles, voir Parizot et
Morgny (2007).
(6) Une telle démarche a pu être entreprise dans les travaux qui ont porté sur les
plaintes des victimes dans le cadre de grands drames collectifs, en lien avec des mobilisations associatives. Pour les cas du sang contaminé ou de l’hormone de croissance,
voir Barbot et Fillion (2007), Fillion (2008) et Barbot et Dodier (2010, 2015).
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JANINE BARBot, MyRIAM WINANCE, ISABELLE PARIZot
dénonciations doivent satisfaire à des contraintes de dé-singularisation du
cas et de montée en généralité pour être jugées « normales » — c’est-àdire lorsque, partant d’un cas particulier, les plaintes entendent acquérir la
légitimité nécessaire pour accéder à l’opinion publique et constituer une
cause (Boltanski et al., 1984). La supplique répond, quant à elle, à des
contraintes différentes. Prenant appui sur les courriers adressés au Fonds
d’urgence sociale en 1998, D. Fassin (2000) a analysé la manière dont les
personnes répondent à l’« injonction politique de se raconter » dans le but
de se voir attribuer une aide financière. En analysant le style, le registre et
les arguments utilisés, l’auteur identifie deux figures rhétoriques principales de la supplique : la nécessité (basée sur la démonstration comptable
de l’insuffisance des ressources par rapport aux besoins) et la compassion
(basée sur le pathos et l’appel à l’émotion face aux malheurs) (7). toutes
deux renvoient, selon l’auteur, aux composantes morales de la politique
moderne de la pitié ; elles répondent ce faisant à sa logique qui impose aux
pauvres un exercice de « subjectivation » pour endosser la figure de l’assisté–autonome, capable d’exprimer ses besoins et de former des attentes
(Fassin, 2000).
Le deuxième ensemble de travaux s’inscrit dans la lignée des propositions de W. Felstiner, R. Abel et A. Sarat, notamment dans leur article
intitulé « Naming, Claiming, Blaming » (1980). Ces travaux se sont intéressés aux recours aux dispositifs judiciaires, en proposant un cadre d’analyse des différentes étapes par lesquelles les personnes ordinaires
transforment leurs expériences de dommages en griefs et leurs griefs en
litiges. Si seule une infime partie des expériences dommageables donne
lieu à des litiges, c’est parce que les personnes doivent pour cela franchir
plusieurs étapes. La première consiste à prendre conscience de l’existence
d’offenses : d’inaperçues, celles-ci doivent devenir perçues. La seconde
consiste à attribuer ces offenses à la faute d’un individu ou d’une entité
sociale (c’est la formation du grief ou reproche). Dans la troisième étape,
il s’agit de réclamer à l’offenseur quelque chose en retour. Cette approche
de la plainte a permis notamment de ré-ouvrir la question des inégalités
sociales d’accès à la justice jusqu’alors abordée, très partiellement, par
une sociologie du droit centrée sur le fonctionnement des institutions judiciaires et peu attentive aux expériences des personnes qui mobilisent le
(7) Deux autres figures rhétoriques sont également identifiées par Fassin, la justice et
le mérite, bien plus rarement mobilisées dans les courriers étudiés. Dans son étude des
lettres de détresse adressées à la Fondation Abbé Pierre, F. Chateauraynaud (1996)
identifiait la présence de quatre « logiques » ou « régimes » : l’appel au secours, l’accusation/dénonciation, le recours administratif et le témoignage ou récit de vie.
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droit (8). Les auteurs ont insisté sur l’importance des dimensions cognitives et morales associées à la plainte.
Ces deux ensembles de travaux mettent en évidence l’importance du
travail normatif effectué par les plaignants quand ils s’adressent à un
dispositif requérant un certain degré de formalisation de la plainte (9). En
recourant à l’étude des plaintes écrites, les premiers ont dégagé l’existence
de figures rhétoriques dominantes, dont l’expression est indissociable des
anticipations formées par leurs auteurs quant à leurs conditions de réception dans des dispositifs dédiés, l’un à la dénonciation des situations d’injustice, l’autre aux situations de détresse sociale. Les écrits des plaignants
témoignent alors de leurs capacités, plus ou moins étendues, à construire
des plaintes, plus ou moins réussies, visant à s’ajuster aux contraintes de
« normalité » ou de « moralité » pesant sur leur demande. Nous ne chercherons pas, quant à nous, à identifier une ou plusieurs figures typiques de
la plainte dans le domaine médical, mais à procéder à une décomposition
analytique des courriers, attentive à la diversité de ce que font les gens
(10). Dans cette perspective, nous privilégierons une analyse en termes
d’opérations critiques qui place le regard sur les modalités par lesquelles
les personnes qui s’adressent à un dispositif de règlement amiable dédié à
l’indemnisation des dommages liés à l’activité médicale sont conduites à
évaluer un état de santé, à chercher à l’expliquer, et à envisager des solutions pour y remédier. Si notre travail fait ainsi directement référence à la
trilogie « Naming, Claiming, Blaming » de Felstiner et al. (1980), nous ne
l’abordons pas comme eux en termes de phases successives, comme un
enchaînement logique qui conditionne la trajectoire des plaignants vers le
procès (et le dispositif judiciaire). Les opérations critiques que nous
étudions sont repérées à travers l’analyse des énoncés produits par les
patients, à un moment donné dans un contexte d’énonciation particulier.
Les plaintes sont adressées ici à un dispositif hybride, extra-judiciaire,
articulant de façon inédite mise en cause et appel à la solidarité, et laissant
une assez grande liberté d’énonciation aux personnes qui y recourent.
(8) Dans une perspective institutionnelle, la sociologie du droit portait généralement
l’attention sur la dernière phase, à travers le problème de l’accessibilité des tribunaux.
(9) Sur une utilisation de la notion de travail normatif, voir Barbot et Dodier (2015).
(10) Une perspective du même ordre a été proposée par C. Durand (2014) qui s’est
intéressé aux « opérations rhétoriques de mobilisation et d’atténuation du droit » dans
les doléances adressées par les prisonniers au Contrôleur général des lieux de privation
de liberté.
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Méthode
JANINE BARBot, MyRIAM WINANCE, ISABELLE PARIZot
Nos analyses s’appuient sur un corpus d’une centaine de plaintes
déposées entre 2003 et 2009 auprès du dispositif de règlement amiable des
accidents médicaux, des infections nosocomiales et des affections iatrogènes créé par la loi du 4 mars 2002. Ce dispositif a pour caractéristique
de mettre en œuvre deux régimes d’indemnisation des victimes :
- l’indemnisation au titre de la responsabilité, lorsqu’une faute a été
commise dans les soins et qu’il appartient à l’auteur d’en prendre en
charge les conséquences ;
- l’indemnisation au titre de la solidarité nationale, accordée en réponse à
des malheurs, en l’absence de faute : l’indemnisation des dommages
graves et anormaux consécutifs aux soins sera alors prise en charge sur
le budget de l’assurance-maladie.
Les personnes qui s’adressent au dispositif n’ont donc pas à construire a priori leur plainte sous l’angle d’une mise en responsabilité ou
d’un appel à la solidarité nationale. Pour être indemnisées, elles ne sont
pas tenues d’identifier de mauvaises pratiques, comme c’était généralement le cas avant 2002.
La loi du 4 mars 2002
Une reconfiguration
de l’indemnisation des victimes d’accidents médicaux
Avant 2002, les personnes s’estimant victimes d’un accident médical
devaient s’adresser aux tribunaux ou tenter un face-à-face direct avec le
professionnel ou l’établissement de santé concerné (et son assureur).
Dans la grande majorité des cas, il leur revenait d’apporter la preuve de
l’existence d’une faute, liant soins et dommages. La loi du 4 mars 2002
a introduit deux innovations majeures :
- elle a créé un droit à l’indemnisation pour les victimes d’accidents
médicaux « non fautifs » (dits « aléas » thérapeutiques), sous réserve de
conditions particulières d’anormalité et de gravité des dommages ;
- elle a mis en place une voie de règlement amiable (reposant sur des
commissions régionales composées en référence au principe de la
démocratie sanitaire) destinée à traiter les plaintes concernant les accidents aussi bien « fautifs » que « non fautifs », sous réserve des mêmes
conditions.
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Cette loi a été adoptée dans un contexte marqué par une crise de la réparation caractérisée, d’une part, par la montée en puissance d’associations
de victimes revendiquant une meilleure prise en charge des situations de
catastrophes individuelles consécutives aux soins (indépendamment de
toute faute ou lorsque le caractère fautif d’un acte était difficile à établir)
et, d’autre part, par les menaces récurrentes des assureurs des professionnels de se retirer du marché de la responsabilité médicale face à la
propension croissante des juges à assouplir les critères de qualification de
la faute au bénéfice des victimes les plus atteintes. Dans ce contexte, la
loi de 2002 a réalisé un compromis : sans bouleverser les règles de la
responsabilité médicale et son marché, elle a ouvert un droit à l’indemnisation des victimes les plus touchées, au titre de la solidarité nationale. En
proposant une expertise médicale gratuite pour les plaignants et une
procédure rapide d’examen des demandes, le dispositif de règlement
amiable devait permettre de limiter les recours aux tribunaux et de
réduire les inégalités sociales d’accès des victimes à l’indemnisation. En
dix ans, ce dispositif a reçu plus de 35 000 demandes concernant les
secteurs de soins public et privé. Il constitue un lieu central d’expression
des plaintes relatives aux soins en France (11).
L’accès aux données a été organisé dans le cadre d’une convention
de partenariat scientifique conclue entre l’Institut national de la santé et de
la recherche médicale (INSERM) et l’office national d’indemnisation des
accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (oNIAM) (12). Nous avons travaillé sur des courriers anonymisés,
déposés sur l’ensemble du territoire national.
(11) Concernant l’étude de ce dispositif, nous renvoyons notamment à gibert et al.
(2011) et Barbot et al. (2014) pour des comparaisons internationales mettant en
évidence ses spécificités, Martin (2006) et gibert (2009) pour une mise en perspective
des enjeux du dispositif, et Laude et al. (2012) pour une analyse statistique de l’évolution des litiges concernant les activités des professionnels de santé dans les différentes voies de recours ouvertes aux victimes.
(12) L’oNIAM est un établissement public administratif de l’État créé par la loi du 4
mars 2002 avec pour missions principales la gestion des moyens de fonctionnement
des commissions décentralisées et la mise en œuvre de l’indemnisation des personnes
au titre de la solidarité nationale.
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JANINE BARBot, MyRIAM WINANCE, ISABELLE PARIZot
Les courriers ont été sélectionnés afin de les diversifier au regard de
plusieurs critères. Le premier renvoie au statut du rédacteur de la plainte.
Celle-ci a pu être rédigée en effet par la victime elle-même ou bien par
l’un de ses proches — généralement lorsque la victime est décédée ou
mineure, mais aussi lorsqu’elle est incapable de s’exprimer ou a décidé
(ou accepté) qu’un proche la représente. ont été exclues du corpus les
personnes qui se sont adressées au dispositif par l’intermédiaire d’un
avocat : nous voulions en effet étudier les plaintes telles que formulées par
les personnes directement concernées (le plus souvent des « profanes »
vis-à-vis des savoirs médicaux et juridiques) et non formatées par des
professionnels du droit (13). Nous avons aussi veillé à ce que les plaintes
soient également réparties en fonction des quatre grands types d’issues
qu’elles ont pu rencontrer dans le dispositif : recevoir un avis positif d’indemnisation, au titre de la solidarité ou au titre de la faute, et voir sa
demande rejetée, avant ou après expertise médicale. Il ne s’agissait pas,
dans le cadre de cet article, de chercher à établir un lien direct entre les
formes d’énonciation des plaintes et leurs issues dans le dispositif, mais
d’éviter les biais qui pourraient être liés, en l’absence de stratification, à
une sur-représentation des plaintes dont l’issue a été négative (14). En
étudiant ce corpus, nous avons fait émerger, d’un point de vue qualitatif,
les contrastes pertinents dans les formes d’énonciation de la plainte, à
travers les différentes manières dont les plaignants sont susceptibles de
mener les trois opérations critiques qui consistent à imputer des
dommages à des soins, à reprocher des conduites inappropriées et à en
demander réparation. L’analyse nous a conduites également à interroger
in fine les conditions d’ajustement/désajustement des plaintes aux
contraintes spécifiques mises en œuvre par le dispositif.
(13) Néanmoins, comme l’a également montré C. Durand (2014), cela n’exclut pas
qu’indépendamment du recours à un professionnel du droit, les « profanes » soient
amenés, dans l’écriture de leur plainte, à mobiliser de différentes manières le « droit »
ou « leurs droits ».
(14) En effet, les demandes déposées dans le dispositif de règlement amiable sont,
dans les deux tiers des cas, rejetées (avant ou après avoir fait l’objet d’une expertise
médicale). Un tiers d’entre elles débouche sur un avis positif d’indemnisation.
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Contexte et formats d’énonciation de la plainte
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Il existe deux pré-requis pour le dépôt d’un dossier devant le dispositif de règlement amiable. Dans le formulaire administratif qui doit être
renseigné à l’appui de toute demande, les plaignants doivent fournir des
informations concernant, d’une part, les « soins » qui leur ont été
dispensés et qu’ils estiment être à l’origine d’un « dommage », en identifiant la (ou les) séquence(s) de soins qui va (ou vont) faire l’objet d’un
examen. Les plaignants doivent, en outre, informer la commission sur la
nature des préjudices ou dommages consécutifs à ces soins. Sur cette
même base, la forme et le contenu des demandes adressées s’avèrent
extrêmement variables.
Certains plaignants procèdent à une identification purement formelle
des soins et des dommages. Ce sont généralement les plaintes les plus
courtes, dans lesquelles le plaignant indique, dans le formulaire, les dates,
les soins et les coordonnées des professionnels ou des établissements de
santé mis en cause (« opération de la cataracte », « pose d’une prothèse
de la hanche », « séance de chimiothérapie », par le « professeur x », dans
l’« établissement Y ») ; puis, il mentionne brièvement les dommages qu’il
estime avoir subi (« suite à cette opération chirurgicale, je me suis
retrouvé aveugle », « paraplégie », « déficit neurologique grave et
profond » ou encore « je n’ai plus de vie sociale », etc.). Ces plaignants
peuvent produire à l’appui de leur dossier de nombreuses pièces portant
sur les soins mis en cause (compte rendu d’hospitalisation, d’intervention
chirurgicale, examens biologiques, lettre d’adresse d’un médecin à un
autre, etc.) ou émanant de diverses instances jugées pertinentes pour
traiter leur cas (avis de la Commission technique de reclassement professionnel/Cotorep, lettre de licenciement d’un employeur, lettre de soutien
d’un proche, etc.). Ces pièces sont néanmoins livrées à l’examen de la
commission sans que le plaignant n’ait estimé utile (ou n’ait été en capacité) de leur donner un sens dans un récit plus circonstancié.
D’autres s’engagent, en revanche, dans un véritable travail argumentatif, adjoignant au formulaire de demande, comme ils sont encouragés à
le faire, des explications et des commentaires libres. Dans cette posture, le
plaignant cherche à donner du sens à la plainte : en orientant la lecture des
pièces (par exemple, dans un récit chronologique qui construit des enchaînements autour d’évènements), en traduisant un diagnostic (« tétraplégie ») en un ensemble d’incapacités et de limitations fonctionnelles, de
pertes de revenus et de dépenses nouvelles, de dépendances familiales et
économiques, de souffrances physiques et morales, passées et présentes,
etc. Ce travail peut être produit aussi bien dans des commentaires courts
que dans des lettres de plusieurs feuillets ajoutées au formulaire. La
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JANINE BARBot, MyRIAM WINANCE, ISABELLE PARIZot
plainte peut alors être focalisée sur l’un des pré-requis de la demande
(soins ou dommages), comme elle peut articuler les deux aspects. Dans
leurs énoncés, les plaignants déploient l’une, l’autre ou l’ensemble des
trois opérations critiques distinguées.
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Imputer
Examinons, tout d’abord, l’opération critique qui consiste dans la
plainte à imputer des dommages à des soins. Hormis les simples cas
d’identification formelle, de nombreux plaignants s’emploient à construire le lien entre dommages et soins. Dans un dispositif où la démonstration de la faute n’est plus le point de passage obligé vers
l’indemnisation, deux modes de raisonnement ont pu être repérés : celui
de la défaillance et celui de la complication.
Le raisonnement en termes de défaillance
Les plaignants emploient souvent les termes d’erreurs, de fautes
médicales, de négligences, de retards ou de maladresses. Leurs plaintes
reposent alors sur la mise en avant de pratiques anormales considérées
comme directement à l’origine d’un dommage. La responsabilité d’un
auteur est engagée, ou du moins suggérée, que cet auteur soit précisément
désigné (le chirurgien, l’anesthésiste, la sage-femme) ou qu’il soit évoqué
comme un acteur global ou une organisation (l’hôpital, les médecins, etc.).
Dans ce mode de raisonnement, les notions d’anormalité des pratiques et
d’évitabilité du dommage sont éminemment liées : si les pratiques avaient
été normales, les dommages auraient été évités. Ce lien entre pratique
anormale et survenue du dommage peut lui-même procéder de deux
entrées différentes.
Ce mode de raisonnement peut être conduit par ancrage des
défaillances dans des situations de soins : la personne revient alors sur les
circonstances de la mauvaise interprétation d’une radio, du défaut de prescription d’un traitement, de la maladresse d’un chirurgien, etc. L’ancrage
des défaillances dans les soins suppose une identification des actes ou des
séquences de soins en cause, que cette identification soit présentée, par le
plaignant, comme le fruit d’une observation in situ ou comme le produit
d’une reconstruction a posteriori. Dans certains cas en effet, les plaignants
écrivent avoir été les « témoins » de défaillances, parfois même avoir
exprimé un trouble au cours des soins, et tenté d’en infléchir le déroule-
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ment. D’autres expliquent que ce n’est qu’après la survenue du dommage
qu’ils ont réalisé l’existence d’une pratique anormale qu’ils s’attachent
rétrospectivement à décrire. C’est le cas, notamment, lorsque l’existence
de pratiques anormales a été révélée par un tiers, à travers par exemple les
propos tenus par des médecins consultés après la réalisation du dommage
et rapportés dans la plainte comme suggérant ou pointant précisément les
défaillances de leurs confrères.
Ce raisonnement peut également être conduit par déduction, lorsque
l’existence de pratiques anormales est présumée, qu’elle découle du
constat même de l’existence d’un dommage jugé anormal. La survenue
d’un dommage est alors, aux yeux des plaignants, nécessairement liée à
une défaillance (elle en constitue la preuve) sans qu’il leur soit utile/
possible d’en identifier les circonstances ni de décrire plus précisément
une séquence de soins jugée problématique. tel accident vasculaire cérébral débouchant sur une paraplégie « n’aurait jamais dû avoir lieu », telle
infection de prothèse (ayant nécessité de nombreuses reprises chirurgicales) est « inadmissible », telle atteinte ne saurait être considérée comme
la seule manifestation de la fatalité, ni comme la simple réalisation d’un
risque. Certains de ces plaignants expriment parfois leur déception, leur
indignation ou leur sidération en évoquant une attente globale vis-à-vis du
système de santé que la survenue d’un dommage est justement venue entacher. Ils mobilisent alors souvent des énoncés qu’ils jugent légitimes et
partagés par tous concernant les soins : « on ne rentre pas à l’hôpital pour
en sortir avec un microbe » ; « on va voir le médecin pour être soigné, pas
pour mourir », etc.
Ce mode de raisonnement par la défaillance peut présenter des
degrés variés de mise en cause morale. Dans certains cas, le degré reste
faible : les défaillances humaines ou organisationnelles qui sont relevées
sont peu moralisées. Dans d’autres cas, en revanche, le degré de moralisation est beaucoup plus fort : les plaignants font clairement part de reproches et d’incriminations.
Le raisonnement en termes de complication
Il n’est pas nécessaire d’identifier une défaillance dans les soins pour
leur imputer des dommages et s’estimer légitime d’en demander réparation. En effet, des plaignants adoptent un autre mode de raisonnement :
par la complication. Ils abordent alors le lien entre dommages et soins
sous l’angle de l’identification de processus causaux ou de la construction
d’enchainements temporels. Ces processus ne sont pas imputés à une
défaillance humaine ni organisationnelle. La plainte n’engage aucune
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attribution morale du dommage à un auteur précisément désigné ou à une
entité globale. Dans ce mode de raisonnement, deux entrées ont été là
aussi repérées : les complications peuvent être précisément identifiées et
ancrées dans le déroulement des soins, tout comme leur survenue peut être
simplement déduite de la perception d’un basculement de la condition du
malade.
Quand les complications sont précisément identifiées, les plaignants
reprennent souvent les termes d’un diagnostic qui leur a été donné par le
professionnel de santé directement impliqué ou par un autre. Ils évoquent
la survenue au cours de la prise en charge d’une « algodystrophie », d’un
« syndrome du cyclope », la formation d’un « hématome », etc. Certains
se situent à distance des soins : ils nomment la complication en tant
qu’appui objectif susceptible de justifier leur demande auprès du dispositif, sans chercher à témoigner d’une compréhension plus poussée de leur
parcours de soins. Ils restent en extériorité. S’ils ne préjugent pas l’existence de défaillances, ils ne semblent pas non plus l’écarter. D’autres plaignants semblent, au contraire, adopter une posture plus intégrée au
déroulement des soins (15). Ils en décrivent précisément les différentes
étapes (enchaînements parfois complexes de soins et de complications).
Quelques-uns présentent même leur demande comme le résultat d’une
concertation avec le médecin auteur de l’acte mis en cause. Dans ce cas,
en excluant explicitement toute défaillance, la demande est présentée
comme d’autant plus « légitime » qu’elle répond à la suggestion de ce
médecin ou qu’elle est faite avec son soutien.
Quand les plaignants n’identifient pas les complications aussi précisément, ils peuvent simplement déduire leur existence d’un basculement
perceptible de la condition du malade. Dans certains cas, c’est sur la base
d’une comparaison « avant/après » les soins (de styles de vie, de capacités
et d’incapacités) que le plaignant impute des dommages aux soins. La
victime ne peut plus, contre toute attente, vivre une « vie normale ». Elle
se voit limitée dans son travail ou dans ses loisirs, contrainte à des ré-interventions successives et non prévues initialement, etc. Dans d’autres cas,
les plaignants mettent en avant la survenue d’un évènement dans les
soins : à un moment particulier, quelque chose s’est passé qui permet
d’établir que les soins ont causé le dommage. Cet évènement peut avoir
été vécu et éprouvé corporellement par la victime pendant les soins : c’est
un « évanouissement », une « sensation de brûlure », une « douleur insupportable au moment de la piqûre », etc. Il peut aussi avoir été perçu à
(15) Concernant la distinction entre extériorité et intégration, voir Barbot et Dodier
(2000).
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travers les réactions d’un tiers (« un moment de panique » chez la sagefemme, la manifestation d’une inquiétude du médecin face à l’état du
malade, etc.), interprétées comme signifiant que « quelque chose »
d’anormal était arrivé. Certains invoquent ainsi l’idée de « soins qui ont
mal tourné » sans précisément identifier les mécanismes en cause et sans
suggérer l’existence de défaillances.
Reprocher
La deuxième opération critique mise en œuvre dans ces plaintes
consiste à formuler des reproches à l’encontre des acteurs de santé. Ces
reproches peuvent découler directement de l’opération critique précédente, comme ils peuvent s’avérer plus diversifiés et se détacher du simple
processus d’imputation. Ils renvoient à deux grands horizons d’attentes
vis-à-vis des soins : une attente d’habilitation du patient ou de ses proches
comme acteurs d’un parcours de soins et une attente de bienfaisance à
l’égard du patient.
La privation de capacités à agir
Depuis l’horizon de l’habilitation du patient ou de ses proches
comme acteurs des soins, plusieurs types de reproches portent sur la privation de leur capacité à agir. L’information occupe ici une place centrale.
Elle est considérée, dans de nombreux courriers, comme l’outil qui aurait
permis, au patient ou à ses proches, de pouvoir infléchir le cours des
évènements : soit en amont, en « évitant » la survenue du dommage, soit
en aval, en « intégrant » plus facilement le dommage réalisé. Dans le
corpus étudié, nous avons ainsi distingué quatre types de privation de
capacités à agir.
Les deux premiers se situent en amont de la réalisation du dommage
et renvoient à la notion d’évitabilité du dommage. Il s’agit, tout d’abord,
de la privation d’une capacité à choisir les soins, dans la logique du
consentement. Les plaignants reprochent ainsi le plus souvent à leur
médecin de ne pas les avoir « mieux » informés sur les risques liés aux
soins et, par conséquent, de les avoir privés de la capacité d’accepter ou
de refuser les soins. En évoquant les « risques », les plaignants se réfèrent
généralement aux « résultats » de l’opération et à leurs conséquences
pratiques. Ils empruntent rarement le langage spécialisé du droit ou de la
gestion des risques en médecine : la balance risques/bénéfices ou l’exis-
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tence d’alternatives thérapeutiques. Ils mettent en avant le fait qu’ils
jugent l’état physique préalable aux soins préférable à l’état actuel, et que
c’est le risque d’obtenir ce résultat qui, s’il avait été connu, les aurait
conduits à refuser les soins en cause. À la lumière de la survenue du
dommage, ces plaignants réévaluent sous l’angle de la nécessité (voire de
l’absolue nécessité) le bien fondé des soins dispensés — considérant par
exemple qu’ils auraient choisi, s’ils avaient été informés d’une telle éventualité, de « continuer à souffrir » plutôt que de se « retrouver en fauteuil
roulant ». Des plaignants reprochent également, bien que plus rarement,
la privation d’un choix liée à la méconnaissance des compétences de
l’opérateur ou des caractéristiques du lieu de soins. La question n’est pas
tant de savoir si la victime (ou son proche) aurait accepté ou refusé tel ou
tel traitement, mais « où » et « à qui » elle se serait adressée. C’est après
la survenue du dommage qu’ils disent avoir pris conscience de l’importance de ces éléments. tel plaignant, par exemple, s’est rendu compte
après-coup que son chirurgien « pratiquait peu ce type d’opération ». La
survenue du dommage constitue selon lui « la preuve qu’il ne savait pas
faire ». Il écrit qu’il se serait adressé à un spécialiste chevronné si une
information concernant l’expérience limitée de l’opérateur lui avait été
donnée.
Au-delà de cette privation dans le choix des soins initiaux, des plaignants évoquent un deuxième type de privation : celle de leurs capacités
à réagir dans le déroulement même des soins. Ils disent avoir manqué
d’information sur « la conduite à tenir » face à l’apparition de symptômes
nouveaux ou à la dégradation d’un état de santé. Ces plaignants estiment
qu’ils auraient dû être mieux équipés pour affronter un problème et
prendre les décisions plus ajustées, en tant qu’acteurs des soins. Ce
reproche est au cœur de tensions morales importantes, tout particulièrement quand les plaintes émanent de proches qui expriment un sentiment
de culpabilité (ou de culpabilisation par autrui) quand le regard est porté
sur le rôle qu’ils auraient eux-mêmes joué dans le déroulement des soins
et leur issue malheureuse. Les plaignants formulent alors de fortes
critiques sur les termes (jugés flous) par lesquels les professionnels leur
auraient, pour ainsi dire, délégué la tache d’être vigilants, sans leur en
donner les moyens. C’est, par exemple, le cas de cette mère qui reproche
au service des Urgences de l’avoir « renvoyée chez elle » avec des
« propos rassurants » sur l’état de son nourrisson (aujourd’hui décédé)
sans avoir explicité les critères qui devaient l’amener à revenir au plus vite
en cas d’aggravation.
En aval de la réalisation du dommage, on trouve d’autres types de
reproches concernant la privation d’une capacité à agir. Ces reproches ne
renvoient plus à l’idée d’une évitabilité du dommage initial mais à celle
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de sa meilleure intégration. Là encore la question de l’information donnée
avant ou après la réalisation du dommage est centrale. Ainsi, certains plaignants écrivent qu’une meilleure information préalable sur les risques leur
aurait permis de limiter les conséquences du dommage en leur donnant la
possibilité de s’y préparer. Ils réinscrivent alors les soins dans l’ensemble
plus large des activités qu’ils doivent coordonner (travail, famille, projets,
etc.) et estiment qu’ils auraient dû être mis en capacité d’anticiper le
bouleversement de ces activités, et de mettre en place de meilleurs agencements. tel patient, par exemple, ne se plaint pas de ne pas avoir été
informé du risque de survenue d’une complication particulière mais de
son corollaire, le risque de ne pas pouvoir « reprendre son travail les jours
suivant » l’intervention. Si ce risque-là avait été connu, il aurait pu éviter
les difficultés auxquelles il s’est trouvé confronté, en organisant autrement
son parcours de soins. Au-delà des aspects organisationnels, les plaignants
peuvent mettre également l’accent sur les aspects psychologiques de cette
préparation. Ils critiquent alors l’insuffisance d’information sur les risques
liés aux soins qui, en les laissant construire des « espoirs infondés », les a
conduits à « un profond désarroi » face à des résultats inattendus. Sans
renoncer à l’intervention ou à l’acte de soins concerné, ils estiment qu’ils
l’auraient abordé dans un tout autre état d’esprit — évitant ainsi les souffrances liées à la « déception » ou à la « désillusion ».
D’autres plaintes concernent des informations qui ne peuvent être
données qu’après la survenue du dommage — des explications circonstanciées qui leur permettraient de mieux comprendre « ce qui s’est passé »
et là encore d’y réagir de façon appropriée. C’est le cas par exemple des
informations sur les « conditions » d’un décès. Certains proches présentent le décès (de leur mari/femme, père/mère ou enfant) comme « inattendu ». D’autres, au contraire, tout en jugeant ce décès « inévitable »
compte-tenu d’un état de santé très dégradé, disent ne pas comprendre
« pourquoi » le décès est intervenu « à ce moment-là » des soins. Dans
l’un et l’autre cas, l’incompréhension de ce qui s’est passé, accompagnée
parfois (mais pas systématiquement) d’une suspicion de défaillance, est
source de souffrance et d’inapaisement. Des « questions sans réponse
trottent dans nos têtes » écrit une plaignante dont le père est décédé brutalement au décours d’une opération qu’elle pensait bénigne. C’est le cas
également quand le manque d’explication sur les circonstances de la
survenue d’un handicap empêche la victime ou ses proches de l’intégrer,
voire de mobiliser les réseaux de soins adaptés pour prolonger le parcours
de soins.
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Le défaut de bienfaisance
Les reproches formulés peuvent renvoyer à un deuxième horizon
d’attentes vis-à-vis des soins : celui de la bienfaisance à l’égard du patient.
Cette bienfaisance est pensée comme une obligation des professionnels de
santé d’agir pour le bien de la personne malade, en mettant en œuvre les
compétences techniques et les valeurs morales qui sont (ou devraient être)
associées à la profession médicale. Certains plaignants reprochent des
pratiques qu’ils estiment « déviantes » : telle conduite est ainsi jugée
« indigne d’un médecin », ou faisant « honte à la profession médicale »,
tel chirurgien jugé incompétent « ne mérite pas d’exercer » ou a enfreint
« le serment d’Hippocrate », etc. Pour d’autres, le reproche porte sur des
pratiques qui, bien que considérées comme fréquentes (donc ni déviantes
ni marginales), n’en constituent pas moins des atteintes à la bienfaisance
telle qu’elle devrait selon eux s’imposer dans l’activité médicale. Ils
dénoncent alors l’incurie ou la maltraitance ordinaire auxquelles ils ont été
confrontés.
Quand un défaut de moralité est évoqué, les plaignants peuvent
procéder dans leurs courriers à de véritables opérations de dévoilement
des comportements perfides dont ils estiment avoir été victimes. Les
défaillances techniques (le geste raté, l’erreur de diagnostic, etc.) et les
mauvaises pratiques peuvent être alors associées à des caractéristiques
psychologiques des professionnels de santé, par exemple à leur « arrogance », leur « irresponsabilité » ou leur « lâcheté ». Ces caractéristiques
sont parfois considérées comme directement à l’origine du dommage, à
travers l’« entêtement dans l’erreur », le « manque de clairvoyance », etc.
Une plaignante, dont le mari est décédé d’un cancer de la prostate,
reproche ainsi à son médecin le temps perdu avant le diagnostic, sa « focalisation » sur un premier diagnostic erroné, son immobilisme et son aveuglement devant la dégradation rapide de son état de santé. D’autres
reproches concernent les comportements du professionnel une fois le
dommage survenu : « cacher ses erreurs », « nier sa responsabilité » ou
« rester sourd et aveugle à la douleur ». Ces comportements sont vécus
comme le signe que l’intérêt et le bien-être du patient ne sont plus au cœur
des soins. Ils peuvent être associés à une stratégie délibérée du professionnel d’échapper à toute mise en cause, ou à son incapacité psychologique à « admettre » ou simplement à émettre l’hypothèse qu’il aurait pu
faire une erreur (à se « remettre en question », à « descendre de son
piédestal », etc.). Ces comportements peuvent être dénoncés comme étant
eux-mêmes générateurs de nouveaux dommages. Un plaignant explique
ainsi que le chirurgien qui l’a opéré a refusé longtemps d’« accorder foi »
à ses inquiétudes devant l’aggravation de l’état de sa main, et qu’il a dû
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consulter un autre chirurgien pour « lui faire reconnaître les faits ». Il
écrit : « [le chirurgien] aurait reconnu tout de suite son erreur et remédié
à cet état, le temps d’arrêt de travail, les frais engagés, la douleur de la
main ainsi que les désagréments causés auraient certainement été moindres ». Le plaignant ne formule pas son reproche comme un défaut de
diagnostic des complications liées à l’opération, mais comme un défaut de
reconnaissance d’une erreur qui sinon aurait pu être rectifiée. Les plaignants sont d’autant plus virulents qu’ils estiment que le professionnel
mis en cause, incapable de reconnaître les faits et de prendre en compte
l’expression de la douleur du patient, a de surcroît cherché à les « culpabiliser » en imputant leurs demandes à des dispositions psychologiques ou
psychiatriques. Un plaignant écrit avoir été traité de « douillet », un autre
s’être vu reprocher par son chirurgien de « trop s’écouter ». Une mère dit
avoir été accusée d’être « trop angoissée » et de « surinvestir » son enfant,
avant que l’alerte qu’elle exprimait concernant la dégradation de son état
de santé ne soit finalement prise en compte.
Certains plaignants dénoncent des comportements qui relèvent,
selon eux, moins d’individus déviants au regard de la profession que de
pratiques de maltraitance ordinaire (16). Ils critiquent notamment la
hiérarchisation implicite des malades et le défaut d’humanité qui en
découle. La valeur mobilisatrice du malade aux yeux des professionnels
de santé dépend, selon eux, de critères d’intérêt médical, d’âge et d’état de
santé. Deux situations de soins sont le plus souvent évoquées. tout
d’abord, certains dénoncent le travail de tri qui s’opère entre les malades
à l’accueil aux Urgences. Ils expriment le dédain, décrivent l’attente interminable auxquels ils estiment avoir été confrontés. Ces situations, génératrices de souffrances et parfois de dommages importants, ne sont pas ici
imputées aux dysfonctionnements d’un service ou d’un hôpital, ni à la
négligence caractérisée d’un professionnel bien identifié. Elles sont
pensées comme indissociables d’un mode de raisonnement et de fonctionnement plus généralement partagé dans l’institution médicale, qui conduit
à déprécier certains malades. La plainte semble alors poursuivre trois
types d’objectifs : dénoncer le processus de tri et son illégitimité au regard
d’attentes sociétales d’égalité de traitement, réintégrer ces attentes dans
l’horizon des soins, faire reconnaître rétrospectivement la « vraie » valeur
de la victime. Ainsi, par exemple, une plaignante décrit les lenteurs dans
la prise en charge de son mari, victime d’un AVC — lenteurs qui ne lui
(16) Nous employons le terme maltraitance ordinaire dans un sens plus restreint que
celui utilisé par Compagnon et ghadi (2010) qui regroupe quant à lui un ensemble de
pratiques plus larges que nous avons préféré distinguer (défaut d’information, etc.).
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ont laissé « aucune chance de s’en sortir » : « Mon mari avait 82 ans, je
ne veux pas écrire ce que j’en pense […] Je précise que malgré ses 82 ans
mon mari marchait sans canne, et son cerveau fonctionnait parfaitement,
pour moi son tort, c’est son âge » (17). Des plaignants ont évoqué également, au sein même des services de soins, le désinvestissement par les
médecins et les équipes soignantes des malades dont l’état de santé
s’avère très dégradé. Certains dénoncent ainsi le fait qu’un de leurs
proches, en raison du peu d’intérêt/d’attention qu’il suscitait, aurait été
laissé dans ses excréments des heures durant, ignoré ou abandonné à son
sort. Une plaignante explique que son mari est décédé après avoir été
victime d’une « perforation intestinale » pendant une coloscopie. Elle ne
pointe aucune faute de l’opérateur dans ce qu’elle présente volontiers
comme la survenue d’une complication, l’état de son mari étant déjà jugé
très précaire avant l’intervention. En revanche, elle s’indigne de la
manière dont il a été pris en charge lors de ses derniers jours : « on ne le
rasait pas, et on ne le lavait pas ». C’est cette expérience-là qui motive sa
plainte. Certaines expériences ont été vécues comme un changement
problématique de la valeur mobilisatrice du malade. Une plaignante
retrace ainsi la courte vie de sa fille comme le basculement d’un excès à
un défaut de valeur médicale. Les médecins ont tenu « coûte que coûte »
à prolonger une grossesse difficile pour « faire naître » très prématurément une enfant présentant des séquelles majeures. Née par la « volonté
médicale » d’accorder une valeur à sa vie, l’existence de l’enfant n’a
ensuite été que souffrances — des souffrances amplifiées par la confrontation à un univers hospitalier peu mobilisé autour de sa prise en charge.
Les parents estiment avoir subi les violences du monde médical : en leur
imposant une vie à laquelle ils auraient pu renoncer, puis en abandonnant
l’enfant qu’ils ont été eux-mêmes « forcés à aimer ».
Demander réparation
La vocation du dispositif est principalement d’organiser l’indemnisation des victimes. Néanmoins, lorsque les plaignants s’adressent au
dispositif sans l’intermédiaire d’un avocat susceptible de formater leur
demande dans les catégories du droit, ils formulent des demandes de répa(17) Des travaux en sciences sociales ont montré comment, effectivement, un tri des
malades peut s’opérer aux Urgences, notamment en fonction de l’âge (Dodier et
Camus, 1994).
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ration qui ne sont pas réductibles à la seule logique indemnitaire. on peut
ainsi distinguer trois grands types de demandes : des demandes de
compensation financière des dommages que la victime ou ses proches
estiment avoir subis, des demandes de sanction d’un ou de plusieurs
responsables mis en cause dans la procédure, des demandes de réhabilitation et de neutralisation des souffrances morales infligées ou en cours.
Des demandes de compensation financière
Les demandes de compensation financière, formulées de diverses
manières, mettent en avant (plus ou moins) précisément le décompte de
prestations non prises en charge par la sécurité sociale, de frais liés à un
nouvel état de santé, de pertes de revenus divers, etc. Ces comptes peuvent
être présentés sous la forme de listes de dépenses et de manques à gagner
considérés comme consécutifs aux dommages imputés aux soins. Les
conséquences susceptibles d’être prises en compte sont plus ou moins
étendues. tel plaignant demande uniquement la prise en charge des
quelques dépassements d’honoraires liés à la ré-intervention rendue
nécessaire par la survenue d’une complication. tel autre que lui soient
remboursées également les séances de psychothérapie de sa femme —
celle-ci ayant été très angoissée de voir l’état dans lequel il se trouvait
après les soins, tel autre encore la prise en charge des frais liés au placement de sa mère en maison de retraite médicalisée, puisque qu’il ne peut
plus « s’en occuper » depuis qu’il a perdu la mobilité de son genou malgré
l’intervention chirurgicale destinée à le réparer, tel autre enfin une
compensation qui prenne en compte le manque à gagner lié à son incapacité à bricoler et à valoriser sa maison comme il l’aurait souhaité. La
manière de cerner la nature et l’étendue des conséquences indemnisables
de l’acte de soins diffère ainsi largement selon les plaintes.
Si les demandes d’indemnisation sont parfois présentées comme
relevant du simple rétablissement des équilibres financiers et matériels, et
exprimées sous la forme de réclamations comptables, elles peuvent également être explicitement associées à un horizon plus large. Certains présentent ainsi l’indemnisation comme une manière de répondre à la survenue
de « malheurs », au changement de situation ou de statut de la victime ou
de ses proches. Leurs demandes sont alors formulées comme des besoins
« d’aide d’urgence », ou de prise en charge d’un handicap ou d’une incapacité de travail. Elles exposent les difficultés à faire face ou à maintenir
en l’état le quotidien, du fait de la reconfiguration des économies familiales et professionnelles consécutive aux soins mis en cause (liée à la
maladie, au veuvage, etc.). Les plaignants attendent la reconnaissance de
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ces changements, permanents ou transitoires, lesquels appellent selon eux
l’octroi d’un statut, d’une attention particulière ou d’un geste de compassion à l’égard des victimes d’accidents médicaux. D’autres formulent
leurs demandes de compensation financière comme une manière également de « faire payer » l’auteur du dommage. Le décompte est porté
explicitement à la charge d’un responsable nommément désigné. C’est
alors au carrefour des demandes de compensation financière et de sanction
que la plainte prend tout son sens.
Des demandes de sanction
Certaines personnes, en s’adressant au dispositif, demandent qu’une
sanction soit infligée à l’auteur supposé du dommage. Comme nous
venons de le mentionner, la demande de sanction peut être étroitement
associée à une demande de compensation financière. Le plaignant semble
demander que cette compensation sorte de la « poche » du responsable —
même si, ce faisant, il ne tient pas compte des mécanismes assurantiels qui
en réalité prennent en charge les condamnations pécuniaires des assurés
au titre de la responsabilité hospitalière ou de la responsabilité civile
professionnelle. Un plaignant impute ainsi à son chirurgien les dépassements d’honoraires d’une opération qu’il considère comme « ratée ».
Néanmoins, la demande de sanction peut renvoyer à une attente d’un
autre ordre que celle de la compensation financière. Certains patients
attendent que le responsable reconnaisse ses fautes et soit confronté aux
« torts » qu’il a causés. Le responsable ne pourra ainsi être « sourd » aux
souffrances exprimées dans la procédure. Parfois, il devra même « passer
aux aveux » ou « demander pardon » à la victime et à ses proches. Quand
la demande de pardon n’est pas formulée dans le cadre d’un colloque
singulier comme un geste de reconnaissance (d’un perpétrateur à l’égard
de sa victime), mais qu’elle procède de l’intervention d’un tiers (une autorité, un dispositif) en capacité de l’imposer, elle peut ainsi être assimilée
à une sanction. Un plaignant explique qu’à travers sa demande, il inflige
déjà une sanction au responsable en levant l’impunité dont celui-ci croyait
bénéficier (et dont les médecins bénéficieraient en général). En le mettant
en cause, il le contraint à « répondre de ses actes » devant un tiers : en
l’occurrence, la commission qui va évaluer ses pratiques dans le cadre
d’une procédure dédiée à cet effet. L’expression de la plainte comme
sanction est particulièrement forte quand les plaintes comportent un fort
degré d’attribution morale. Une plaignante expose ainsi dans sa demande :
« Je veux que toutes les personnes complices de ce drame avouent leurs
négligences… je veux qu’elles aient le courage de me dire qu’elles ont
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commis des erreurs, qu’elles auraient dû procéder d’une autre manière.
(…) TOUTES personnes commettant des erreurs aussi graves et irréversibles doivent répondre de leurs actes ; TOUTES ! Personne n’a le droit
de passer outre ! ».
Les plaignants peuvent enfin appuyer leur demande de sanction sur
plusieurs justifications. Une justification purement vindicative, dans
laquelle la sanction apparaît comme l’exigence morale « d’un retour » sur
ce qui « a été fait » à la victime elle-même — la sanction est considérée
comme devant être prononcée pour la victime, et à la juste mesure de ce
qu’elle a souffert. Une justification altruiste, dans laquelle le plaignant
tient à manifester qu’il n’attend « rien pour lui », que « rien ne lui
rendra » ce qu’il a perdu ou n’effacera ce par quoi « il est passé », mais
que sa plainte doit être un outil de prévention « pour que ça ne se reproduise plus », voire une mesure de salubrité publique consistant à empêcher
un « médecin dangereux » d’exercer. Une justification militante, dans
laquelle le plaignant entend participer au maintien ou au rétablissement
d’un ordre social, en luttant contre l’impunité des professionnels ou des
structures de santé, ou contre la prétention du monde médical à décider,
selon des critères qui lui sont propres, la valeur de l’humain. Dans certains
cas, la demande de sanction associe plusieurs de ces justifications.
Des demandes de réhabilitation
Enfin, des demandes de réparation sont formulées depuis un troisième horizon, celui de la réhabilitation par l’apaisement des souffrances
morales des victimes ou de leurs proches. Différentes souffrances morales
sont régulièrement évoquées : la dégradation de l’estime de soi, le sentiment d’injustice, l’expérience du mépris, l’incapacité à faire son deuil, etc.
Certains plaignants recherchent ainsi l’apaisement, en relation étroite avec
les demandes d’indemnisation ou de sanction déjà évoquées. La dégradation de l’estime de soi est souvent présentée comme liée aux conditions
d’existence postérieures au dommage, et sa restauration comme dépendante de l’amélioration de la vie matérielle de la victime ou de ses
proches. Il s’agit de pouvoir mener une « vie décente », de vivre dans la
« dignité ». Les plaignants mettent également l’accent sur la souffrance
morale provoquée par un état de dépendance ou d’isolement, un sentiment
d’impuissance ou d’inutilité. Ils veulent, à travers la compensation financière et les aides (matérielles ou humaines) qu’elle autorise, que soient
restaurées leurs qualités de « personne humaine » (« autonome », « indépendante », « capable de faire des projets », etc.). D’autres présentent la
reconnaissance des fautes ou l’aveu des mauvais traitements comme un
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moyen d’apaiser les souffrances liées au sentiment d’injustice, ou à l’expérience du mépris dont ils estiment avoir souffert pendant ou après les
soins. L’engagement de la procédure est parfois aussi présenté comme un
devoir moral vis-à-vis d’un proche disparu. La plaignante qui considère
que le décès de son mari est lié au manque de valeur qu’on lui a accordé
aux Urgences, en raison de son grand âge, attend que soit rétablie, par la
procédure et la sanction des responsables, la valeur du disparu. Ce combat
prolonge celui de son mari dans les soins — elle le présente comme un
combat qu’elle se doit d’engager au nom du défunt et qui, une fois mené
à son terme, l’autorisera à « faire son deuil ». Cette expression peut être
utilisée dans plusieurs sens : accepter le « décès du proche », accepter un
« handicap » ou un « changement d’état », « renoncer » à sa vie antérieure, etc. Dans tous les cas, les plaignants expriment que leur besoin
d’« aller de l’avant » est empêché par quelque chose que la procédure
devrait régler : l’absence d’une explication claire sur les circonstances ou
les causes d’un drame, la non-reconnaissance des souffrances traversées
ou infligées, etc. Certains disent attendre de la procédure une forme de
clôture sur les faits, qui permette d’éviter le ressassement, les interrogations et les doutes générateurs de souffrances.
Discussion
L’objectif de cet article était de mettre en évidence le travail
normatif mis en œuvre par les personnes qui s’adressent au dispositif de
règlement amiable pour faire valoir l’existence de préjudices liés aux
soins. Nous avons privilégié une démarche visant la décomposition analytique de trois opérations critiques susceptibles d’être mises en œuvre dans
la plainte. Il s’agissait d’analyser ce que font les plaignants lorsqu’ils
émettent leurs demandes et d’accéder à la compréhension fine de leurs
énoncés, quel que soit leur poids dans le corpus étudié. Au terme de l’analyse, nous reviendrons sur ces trois opérations critiques et sur leur forme
d’intrication au sein de la plainte, sur le fondement et la nature des
contrastes observés entre plaignants, et sur l’intérêt d’une telle décomposition analytique des courriers pour penser in fine les situations d’ajustement/désajustement des plaintes aux contraintes spécifiques liées à un
dispositif adossé au droit de la responsabilité médicale.
L’opération qui consiste à imputer un dommage à des soins relève de
processus cognitifs et moraux particulièrement complexes. En effet, en
comparaison avec les accidents de la route ou du travail, par exemple
(pensés sous le modèle dominant du choc traumatique), l’activité médi-
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cale s’exerce souvent sur un corps déjà « malade » ou atteint de troubles
susceptibles d’évoluer pour leur propre compte (18). Les notions d’« accident médical », de « causalité », de « gravité » ou d’« anormalité » des
pratiques ou des dommages, qui se trouvent aujourd’hui au cœur des
différents régimes d’indemnisation mis en œuvre par le dispositif, sont le
fruit de constructions médicales, juridiques et administratives qui ont
suscité (et suscitent encore) de nombreuses controverses dans les milieux
spécialisés. L’étude a distingué deux types de raisonnements par lesquels
les plaignants, qui recourent au dispositif sans l’intermédiaire d’un avocat,
pensent la relation entre dommages et soins : défaillance versus complication. Le premier est caractérisé par une attribution morale des dommages
à un responsable et par les notions d’anormalité des pratiques et d’évitabilité des dommages. Le second s’appuie sur l’idée d’une anormalité des
dommages par rapport à un résultat escompté, sans remise en cause de la
qualité des pratiques médicales. on observe, d’une part, qu’à l’intérieur
même de ces modes de raisonnement, les plaignants mobilisent des
compétences et des appuis très hétérogènes : certains témoignent d’une
extériorité vis-à-vis des soins (ils s’appuient, par exemple, sur des certitudes morales pour évoquer des défaillances — « il n’y a pas de
dommages sans faute » — ou sur la perception de basculements dans la
condition de malade), d’autres sont davantage en prise avec les soins. on
observe, d’autre part, que si la création législative du régime d’indemnisation reposant sur l’« aléa » a ouvert pour les personnes ne souhaitant pas
intenter une action « contre » leur médecin une voie de recours non
conflictualisée, rares sont les plaignants qui s’appuient sur un soutien de
leur médecin pour faire valoir l’existence d’un accident médical « non
fautif ». Les acteurs de santé directement concernés par les actes dommageables semblent être rarement investis dans l’orientation des plaignants
vers le dispositif. on peut faire l’hypothèse que le maintien d’un régime
de responsabilité basé sur la recherche d’une faute reste dissuasif et/ou
que ces acteurs n’ont pas intégré comme ligne de travail l’accompagnement des victimes vers la réparation.
L’opération critique qui consiste à formuler des reproches à l’encontre de professionnels ou d’établissements de santé peut être étroitement intriquée à la précédente : dans un même énoncé, des défaillances
peuvent être imputées et reprochées à un auteur. Néanmoins, on a pu constater, tout d’abord, que les reproches peuvent également porter sur des
(18) J. Stavo-Debauge (2012) souligne également les difficultés rencontrées par les
personnes atteintes de troubles musculo-squelettiques pour imputer leurs dommages
au travail, indépendamment du cadre de « l’accident », en distinguant les processus
propres au vieillissement des corps de l’usure liée au travail.
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pratiques qui, sans avoir causé le dommage initial, ont contribué à créer
des souffrances, en quelque sorte additionnelles, et considérées quant à
elles comme évitables. Ainsi, il n’est pas rare que des plaignants, estimant
que leurs dommages procèdent de la survenue de complications, formulent des reproches sur les comportements qui ont contribué à leur rendre
le dommage inacceptable. Ce sont ces comportements qui sont à l’origine
de la plainte et qui justifient selon eux que quelque chose soit fait en
« retour ». on observe alors un désajustement entre le travail que fera le
dispositif (en recherchant, pour une séquence de soins identifiée, à établir
un lien de causalité direct entre un dommage et un fait générateur) et celui
de ces personnes qui invoquent, au cœur de la plainte, une expérience de
soins dommageables. En regroupant les reproches au sein de deux horizons d’attentes (habilitation des patients versus bienfaisance à leur égard),
l’étude souligne, en outre, la complexité du travail normatif effectué par
les plaignants vis-à-vis des soins. Ainsi, par exemple, le « défaut d’information » habituellement répertorié dans les typologies des « objets » de la
plainte recoupe une pluralité de postures des plaignants, que la notion de
privation de capacité à agir permet de mieux éclairer. Au-delà du manque
d’information sur les risques ou sur les alternatives thérapeutiques, formalisé par le droit, les personnes invoquent les multiples appuis dont elles
ont manqué (avant, pendant ou après les soins) pour tenter d’éviter un
dommage ou de mieux l’intégrer.
Enfin, l’analyse met en évidence les différentes manières par
lesquelles les plaignants, en se saisissant d’un dispositif construit principalement sur une compensation indemnitaire, formulent de fait des
attentes de réparation de natures très variées. Ces attentes sont généralement pensées par les institutions comme relevant de dispositifs différents :
les procès civils et les dispositifs de règlement amiable visent l’indemnisation des victimes selon leurs préjudices ; les procès pénaux ou les juridictions disciplinaires, en premier lieu la sanction de coupables ; les
dispositifs psychologiques ou thérapeutiques, la reconstruction de la
personne. Néanmoins dans leurs écrits au dispositif de règlement amiable,
on constate, tout d’abord, que les plaignants peuvent exprimer la pluralité
des attentes qui permettraient de les sortir de l’épreuve qui les affectent.
on peut faire l’hypothèse que, pour certains, ceci témoigne d’une méconnaissance de ce que le dispositif est effectivement destiné à faire. on peut
également penser que les personnes, engagées dans une visée de réparation, ne « distribuent » pas leurs attentes entre différents dispositifs mais
que tout est parfois susceptible de se jouer, en même temps, quel que soit
le dispositif mobilisé, et indépendamment des frontières de la réparation
tracées par les institutions. on constate, par ailleurs, la porosité des différentes attentes formulées. L’indemnisation par exemple, tout autant qu’un
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moyen de « compenser » les conséquences d’un dommage, peut être
présentée par les plaignants comme un moyen de « faire payer » un
coupable, au sens propre comme au figuré ; son montant est alors perçu
comme devant être calculé à la hauteur de la faute commise. Le titre
auquel l’indemnisation sera attribuée peut donc avoir une importance :
l’obtention d’une indemnisation au titre de l’aléa pourra ainsi susciter un
trouble chez les personnes attendant une indemnisation-sanction dans le
cadre d’une attribution morale de responsabilité concernant des
défaillances, voire parfois les orienter vers les tribunaux. Enfin, alors que
le calcul de l’indemnisation par le dispositif repose sur la distinction juridique entre préjudices « patrimoniaux » (perte de gains et de salaires et
dépenses nouvelles directement liées aux dommages, qui relèvent d’équivalences monétaires) et préjudices extra-patrimoniaux (préjudices esthétique, moral, ou d’agrément, notamment), les plaignants ne construisent le
plus souvent pas leurs attentes d’indemnisation en référence à cette
distinction. Ils définissent leurs propres critères pour opérer des équivalences monétaires en explorant, selon des chaînes de causalité plus ou
moins étendues, les dommages susceptibles d’être compensés. on entrevoit ici les multiples sources de désajustement entre les techniques indemnitaires mises en œuvre par le dispositif et les formes de rationalité
développées par les plaignants pour penser une indemnisation « ajustée ».
Ce découpage analytique permet ainsi d’accéder à une compréhension des éléments d’ajustement et de désajustement entre plaintes et dispositif. Il peut également constituer une grille d’analyse utile pour repérer de
façon systématique les différentes dynamiques de la plainte. Nous avons
en effet mis en évidence les opérations critiques mobilisées par les plaignants, telles qu’elles peuvent être saisies à un moment donné dans un
contexte d’énonciation spécifique et via l’examen de supports (les courriers) qui présentent leurs propres limites (notamment en termes de capacité épistolaire des patients). Nous ne considérons pas, pour autant, que
ces opérations critiques constituent des étapes d’un processus linéaire
déterminant la trajectoire de la plainte. Les plaintes se forment et se transforment par la succession des confrontations des plaignants avec des
acteurs et des dispositifs qui participent à la reconfiguration de leurs expériences des soins et de la plainte concernant les soins. Certaines confrontations peuvent mettre fin à la plainte ou, au contraire, la relancer autour
de nouveaux agencements des opérations critiques ainsi mobilisées.
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Remerciements
Ce travail a bénéficié du soutien de l’office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections
nosocomiales (oNIAM), de l’Institut de recherche en santé publique
(IRESP) et de la Haute autorité de santé (HAS). Il n’aurait pu se faire sans
l’apport logistique d’I. Cailbault dans l’organisation de l’enquête et le traitement des données. Nous remercions également V. thérin pour sa participation à la collecte des courriers.
Liens d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en
rapport avec cet article.
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ABSTRACT
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Attributing, blaming, demanding repair.
A sociology of medical complaint
the article examines complaints made by patients (or their families) who
consider they have been victims of medical injury. Using a corpus of
letters addressed to the out-of-court settlement mechanism created under
the law dated 4th March 2002, we analyse the three critical operations
that make up the complaint: attributing the injury to the care received,
blaming inappropriate practice or conduct, making a request for repair.
We use these critical operations to highlight the ways in which plaintiffs
construct lines of reasoning and blame, mobilize expectations regarding
care and conceive possibilities for alleviating the attributed suffering. We
question the different sources of adjustment and maladjustment between
these lay perspectives and the way the mechanism handles complaints.
RESUMEN
Imputar, culpar, solicitar reparación.
Sociología de las denuncias en el campo de la medicina
El artículo examina las denuncias de los pacientes (o de sus familiares)
que se consideran víctimas de daños y perjuicios asociados a la actividad
médica. En base a un corpus de cartas dirigidas al mecanismo de solución
amistosa establecido por la Ley de 4 de marzo de 2002, analizamos las
tres operaciones fundamentales que estructuran la denuncia : imputar
daños a la atención, reprochar prácticas o conductas inapropiadas, hacer
peticiones en materia de reparación. A través de estas operaciones
críticas, destacamos las formas en que los demandantes construyen
modos de razonamiento y de cuestionamiento, movilizando horizontes de
expectativas en relación a los cuidados y concibiendo las posibilidades de
alivio del padecimiento que les atribuyen. Así, identificamos diferentes
fuentes de ajuste y desajuste entre estas perspectivas profanas de la
denuncia y el trabajo realizado por el dispositivo.
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