DOI : 10.1684/med.2015.1311
VIE PROFESSIONNELLE
Dehbia
Cherif-Allain1
Clarisse Pinel1
Remi Fargier1
David Tan2
Francis
Abramovici3
Bruno Lepoutre4
1Médecin
généraliste, Chef
de clinique, Université
Paris 7
2SOS Médecins
3Médecin
généraliste, 77400
Lagny
4Département
de médecine générale,
Université Paris 7
dehbiacherifallain
@gmail.com
Mots clés :
étudiants ; médecins
généralistes ;
exercice
professionnel
Échanges entre professionnels
Dans son numéro de janvier 2015, la rédaction de la revue Médecine publiait un édi-
torial de début d’année posant la question : « va la médecine générale ? ».
Poser cette même question à un petit groupe de jeunes médecins généralistes nous a
alors semblé nécessaire. Nous publions ici le résultat des échanges de ce petit groupe,
sélectionné sur la base du volontariat.
Abstract:
In the January 2015 issue, the editors of Medicine Journal published an editorial/Column earlier this year asking
the question: “Where is general practice going?”
We thought that asking the same question to a small group of young GPs then seemed necessary. What we
publish here is the result of the exchanges of this small group, selected on a voluntary basis.
Key words: students; general practitioner; professional practice
Où va la médecine générale
vue par les jeunes ?
Contexte
Le paysage médical français a fortement évolué ces
dernières années. Le nombre de médecins généralis-
tes installés est en recul constant et les prévisions ne
sont pas optimistes. Les territoires en zones déficitai-
res ne cessent d’augmenter. Le milieu rural est forte-
ment touché mais les zones urbaines ne sont pas
épargnées, notamment l’Île-de-France [1]. À cette dé-
sertification médicale s’ajoute la perte d’attrait pour
l’exercice libéral des jeunes médecins, avec un en-
gouement toujours croissant pour le salariat. Le projet
de loi de modernisation du système de santé français
prévoit des modifications dont le tiers payant généra-
lisé. Cette mesure phare du projet a été vivement cri-
tiquée par le corps médical. Dans ce contexte de dé-
sertification médicale, de modification du mode
d’exercice et de réforme du système de santé,
comment les jeunes médecins envisagent-ils la mé-
decine générale de demain ?
Méthode
Analyse d’un groupe de parole de jeunes médecins
généralistes. Ces 4 jeunes médecins généralistes réu-
nis en janvier 2015, au siège de l’UNAFORMEC, et
animés par 2 membres du comité de rédaction de la
revue étaient : 2 internes en stage ambulatoire de ni-
veau 1 chez le praticien, un médecin généraliste exer-
çant pour SOS médecins et un médecin récemment
installé en tant que collaborateur.
La discussion a été animée grâce à un Metaplan [2].
METAPLAN : Dispositif d’affichage de confronta-
tions et de classement de propositions d’un groupe
à propos d’un thème donné.
Objectif : Favoriser la réflexion et l’expression indi-
viduelle, provoquer leurs interactions.
Intérêt : Méthode simple à mettre en œuvre permet-
tant de dépasser les blocages et les inhibitions dans
un groupe. Le métaplan permet d’afficher, de
comparer, de hiérarchiser, d’améliorer l’argumenta-
tion et de faire une synthèse éventuelle voire une
production. Il facilite l’expression du ressenti, le dé-
veloppement de l’écoute et de la communication.
Les questions portaient sur 3 domaines et les répon-
ses devaient tenir en quelques mots sur un carton de
couleur correspondant aux questions (figure 1).
« Quels sont » :
Vos espoirs (carton rose) ?
Votre vision politique (carton vert) ?
Votre stratégie d’entrée dans la vie professionnelle
de la médecine générale (carton blanc) ?
468 MÉDECINE décembre 2015
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Figure 1. [[légende à nous fournir]].
Résultats
Médecine générale : pourquoi ?
L’image positive que les jeunes médecins avaient de leur
propre médecin généraliste, ou la découverte de la pratique
lors du stage chez le praticien ont été parmi les moteurs de
choix de cette spécialité : « j’ai souhaité devenir MG en
voyant le côté varié de ce que faisait mon médecin traitant,
mon idole » ; « Choix de la MG au concours : image du mé-
decin de famille que j’avais d’un MG » ; « Au début je voulais
faire médecine pour faire pédiatre, mais assez vite ça m’a
paru assez répétitif » ; « Le choix de MG s’est fait pour la
diversité et le désir de voir ce que c’était en ville (je n’avais
pas d’image de mon MG que j’avais très peu vu), le stage
de niveau 1 a été la découverte » ; « ma MG faisait plein de
choses et ça m’avait plu, ce côté varié de la MG crèche, fac,
etc. ».
La diversité des rôles mais aussi des modes et des domai-
nes d’exercices de la médecine générale sont autant d’argu-
ments qui ont poussé ces jeunes médecins à choisir la mé-
decine générale : « Le plaisir de voir les gens qui vont bien
par nos soins ; les revoir ; la prise en charge globale, des
pathologies aiguës, des pathologies chroniques, des gens qui
ne vont pas bien et d’autres qui vont très bien »;«Ne pas
me cantonner à un seul domaine »;«Côté diversité et voir
aussi des gens qui vont bien. Les enfants »;«Ça me botte
de faire de l’éducation thérapeutique »; «Le plaisir du
suivi ».
Le fait de pouvoir exercer une activité libérale à temps
complet, à temps partiel, en parallèle d’une autre activité était
également un argument. « On est son propre patron, on fait
ce qu’on a envie ».
La diversité des pathologies, des patients et de leur état
de santé, du suivi au long cours attirait la majorité des jeunes
médecins entretenus.
Quel parcours professionnel envisagent-ils
après la fin du cursus ?
Aucun des jeunes médecins interrogés ne veut s’installer
directement à la fin de ses études. Ils souhaitent avoir une
expérience avant l’installation, qu’elle soit libérale sous la
forme d’un remplacement puis d’une collaboration, ou bien
salariée : hôpital, crèche... « Ne pas m’installer tout de suite
au cabinet, mais ensuite m’installer pour la vie de famille » ;
« Faire des remplacements pour devenir collaboratrice puis
s’installer » ; « Passer du remplacement à la collaboration
puis projet qui se concrétise ».
Ou encore une expérience à l’étranger. Le Canada serait
attrayant pour la qualité de son système de santé, la place
centrale du médecin traitant. « Le Québec me plairait bien
car c’est une autre culture, et je souhaite le faire maintenant ;
pour la place centrale du MT qu’ils ont ; de la pratique à l’hô-
pital qu’ils conservent, en restant au même niveau que les
autres médecins » ; « Ensuite projet dans la MG et revenir
en France en ville ».
Pour le médecin travaillant à SOS médecins, l’absence de
suivi des patients, la résolution d’un problème aigu, l’absence
d’horaires de bureau des consultations étaient autant d’argu-
ments pour ce mode d’exercice : « On n’est pas libre de faire
ce qu’on veut face au patient, on est soumis au désir des
patients en ville ; Une grande partie de la MG c’est un suivi
469décembre 2015MÉDECINE
VIE PROFESSIONNELLE
Échanges entre professionnels
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au long cours, le renouvellement des traitements ça m’attire
pas ; ce que je fais c’est régler un souci qu’il faut régler à
l’instant ; en rentrant chez moi je suis libéré de ce poids. Les
horaires de bureau de la médecine de ville ne me convien-
nent pas, et je ne les ai pas chez SOS. Travailler la nuit me
libère la journée pour faire autre chose. Et j’ai un sas de dé-
compression dans la voiture ».
L'exercice professionnel idéal
Le travail de groupe est une évidence pour ces jeunes
médecins. C’est le point le plus fort qui ressort de ces échan-
ges. Ils souhaitent travailler à plusieurs dans un même cabi-
net et avec les autres professionnels de santé sur un terri-
toire : spécialistes et paramédicaux, ville et hôpital.
Les maisons de santé avec leur pluri-professionnalité décloi-
sonnent l’exercice solitaire, permettent une prise en charge
globale et commune des patients avec les autres profession-
nels dans un même lieu, avec des temps d’échanges heb-
domadaires sur des patients ou des situations complexes.
Elles seront le lieu d’une coordination des soins entre infir-
mières et médecins (à titre d’exemple) mais aussi de grou-
pes d’échange de pratiques, d’actions de formation médicale
continue avec intervention d’experts.
Un logiciel métier unique, commun à l’ensemble des pro-
fessionnels de santé serait l’outil idéal pour exercer une mé-
decine optimale. Ce dossier patient unique serait consulté et
alimenté par les professionnels de santé prenant en charge
le patient. Les données une fois saisies, ne pourraient pas
être modifiées, et pourraient être partagées sur un réseau
entre la ville et l’hôpital.
Pour le médecin de SOS cet autre aspect de la médecine
qu’il pratique est nécessaire car les MG sont absents ou dé-
bordés, mais l’organisation du futur travail en groupe devra,
pour une vraie continuité de soins, permette qu’une structure
comme SOS intervienne moins.
Les consultations ne seront pas leur unique exercice. Ils
souhaitent avoir une autre activité : urgentiste, médecins
de crèche, de PMI, médecin coordinateur, enseignant à la
faculté de médecine pour sortir du rythme des consultations.
Cela leur permettra de ne pas être blasé par leur métier et
de pouvoir se protéger de l’épuisement professionnel.
Ils souhaitent également une valorisation de leur métier de
généraliste : par le clinicat de médecine générale « notre for-
mation à l’hôpital nous donne envie de transférer ce modèle
à la médecine ambulatoire, d’exercer avec d’autres, de trans-
mettre, d’enseigner » ; par la pratique de l’éducation théra-
peutique « Prise en charge globale et valorisation de l’Édu-
cation thérapeutique ; l’éducation thérapeutique demande
une valorisation ».
À la question posée par les animateurs du groupe « Quelle
serait votre souhait de quantité de travail pour quelle
rémunération ? » l’optimal pour ces médecins serait entre
35 et 45 heures hebdomadaires pour un revenu net autour
de 7 000 e(minimum souhaité 6 000 epour 35 heures et
pour 45 heures entre 7 000 et 10 000 e).
L'exercice professionnel : le devenir
Les médecins étaient attachés au paiement à l’acte mais
le paiement à l’acte seul ne pourra perdurer pour plusieurs
raisons. Il existe un risque de dérive : faire plus d’acte pour
gagner plus d’argent mais surtout le paiement à l’acte n’est
plus adapté pour la prise en charge des patients ayant des
pathologies chroniques. Ces prises en charge requièrent du
temps. Pour cela il faudrait la création de forfaits en fonction
des pathologies. À telle pathologie correspondrait tel forfait.
Le médecin recevrait une somme annuelle et pourrait voir le
patient autant que nécessaire et passer le temps nécessaire
pour assurer une prise en charge optimale.
Concernant le tiers payant généralisé, les avis étaient di-
vergents. Certains étaient favorables d’autres y étaient op-
posés. Pour les médecins réfractaires l’argument principal
était la dévalorisation de l’acte et du travail du médecin. Le
deuxième argument était que les patients devaient connaître
le coût des soins et qu’ils soient sensibilisés à l’intérêt
commun.
Pour ce qui est des visites à domicile, elles sont pour ces
médecins le cœur de la médecine générale. Mais tous s’ac-
cordaient sur le fait que les visites à domicile ne sont pas
rentables et sont chronophages. Une revalorisation du mon-
tant de la visite serait nécessaire ou la création d’un forfait
en fonction des pathologies du patient. Au-delà de la revalo-
risation de l’acte se posait la question du devenir de la visite.
Avec la désertification médicale, les médecins généralistes
ont de plus en plus de travail et n’ont pas le temps ou l’envie
de se déplacer. Pour le médecin de SOS en particulier l’exer-
cice est exclusivement à domicile et il témoigne : « je préfère
me déplacer au chevet du patient, la relation est différente
quand je vais chez les gens, le médecin est attendu ».
De ce constat se posait premièrement la question de la coor-
dination du travail avec les infirmières, et de la délégation
de tâches. Les infirmières pourraient faire une première éva-
luation et prendre en charge le patient en fonction du pro-
blème. Deuxièmement se posait la question de la place et
du travail en partenariat avec SOS Médecins. Ces derniers
pourraient se déplacer pour une semi-urgence puis organiser
avec le médecin traitant une visite programmée.
Ces jeunes médecins étaient favorables au partage de tâches
avec les paramédicaux à condition que ce partage soit réflé-
chi et que toutes les tâches d’éducation, de prévention ne
soient pas déléguées aux paramédicaux.
Enfin à l’ère du tout numérique, du matériel connecté, de
la télémédecine, qu’en est-il des logiciels experts, ces logi-
ciels avec lesquels les patients peuvent lister leurs symptô-
mes et avoir un diagnostic, ces cabines où la pression arté-
rielle des patients peut être prise par un automate et où une
prise de sang peut être effectuée avec le rendu de résultats
en quelques minutes ? Pour ces jeunes médecins, il faut évi-
ter d’en arriver à cette médecine qui déshumanise les rela-
tions. Une machine peut poser un diagnostic mais elle ne
peut être à l’écoute, elle ne peut rassurer, conseiller, créer
du lien social. De plus ces systèmes seraient inégalitaires
car ils seraient réservés aux patients ayant les moyens de se
les payer. S’ils redoutent l’arrivée des logiciels experts ils
expriment qu’il y a deux classes de patients, certains pouvant
gagner du temps avec ces systèmes et d’autres qui ont be-
soin de parler et continueront à consulter leur médecin. La
connaissance du patient, le ressenti du médecin font qu’il y
a un grand risque que la machine fasse moins bien que le
médecin.
470 MÉDECINE décembre 2015
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Ces jeunes médecins s’accordent tous sur le fait que les
patients sont de plus en plus exigeants. Tout leur est dû, de
suite. Les individus sont de moins en moins reconnaissants
et les cabinets sont le reflet de la société.
Néanmoinslasociétéestdeplusenplusconnectéeet
consumériste. Les personnes comparent pour acheter des
objets. Les patients pourront comparer les médecins et
seront de moins en moins fidèles et attachés à leur médecin.
Conclusion
Exercer la médecine générale est un choix volontaire pour
les jeunes médecins. La diversité des fonctions, des modes
et lieu d’exercices mais également des pathologies, des pa-
tients et de leur état de santé sont autant d’arguments qui
poussent les jeunes médecins sur le chemin de la médecine
générale. L’exercice libéral attire toujours mais cet exercice
est souhaité pluri-professionnel, dans des structures comme
les maisons de santé.
Les jeunes médecins s’imaginent travailler différemment, en
partenariat avec les autres acteurs médicaux et paramédi-
caux de leur territoire. Et ils se voient également être payés
différemment. Le paiement à l’acte ne peut disparaître mais
il ne peut perdurer seul. Des systèmes de forfaits doivent
voir le jour.
Les médecins de demain seront des médecins connectés,
avec un logiciel métier unique à tous les professionnels de
santé afin de garantir une prise en charge optimale des pa-
tients. Les médecins de demain seront certes comme les
patients des personnes connectées mais ils garderont la pri-
mauté de l’humain et de la relation d’écoute et d’échange
indispensable à notre métier.
Liens d’intérêts : les auteurs déclarent n’avoir aucun lien
d’intérêt en rapport avec l’article.
Références :
1. Conseil National de l’Ordre des Médecins. Atlas de la démographie médicale en France. Situation au 1er janvier 2015.
2. Duroux G. Comment animer un groupe en pédagogie active. In La formation médicale continue. Principes, organisation, objectifs, méthodes et évaluation. Sous la direction de
P. Gallois. Paris: Flammarion; 1997.
La médecine générale vue par les jeunes
hLes jeunes médecins, une fois diplômés, souhaitent, avant de s’installer, acquérir une expérience quel qu’en soit le cadre,
libéral (remplacements puis collaboration) ou salarié (hôpital, collectivités), voire une expérience à l’étranger.
hLes jeunes médecins souhaitent travailler à plusieurs dans un même cabinet et avec les autres professionnels de santé au
sein de maisons de santé pluri professionnelles qui décloisonnent l’exercice solitaire et permettent une prise en charge
globale et commune des patients entre professionnels dans un même lieu, avec des temps d’échanges hebdomadaires
sur des patients ou des situations complexes. Elles seront le lieu d’une coordination des soins mais aussi de groupes
d’échange de pratiques, d’actions de formation médicale continue.
hLe paiement à l’acte exclusif n’est plus adapté pour répondre à un certain nombre de situations telles que notamment la
prise en charge des pathologies chroniques ou l’éducation thérapeutique.
471décembre 2015MÉDECINE
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