VIE PROFESSIONNELLE Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 25/05/2017. Dehbia Cherif-Allain1 Clarisse Pinel1 Remi Fargier1 David Tan2 Francis Abramovici3 Bruno Lepoutre4 1 Médecin généraliste, Chef de clinique, Université Paris 7 2 SOS Médecins 3 Médecin généraliste, 77400 Lagny 4 Département de médecine générale, Université Paris 7 dehbiacherifallain @gmail.com DOI : 10.1684/med.2015.1311 Mots clés : étudiants ; médecins généralistes ; exercice professionnel Échanges entre professionnels Dans son numéro de janvier 2015, la rédaction de la revue Médecine publiait un éditorial de début d’année posant la question : « Où va la médecine générale ? ». Poser cette même question à un petit groupe de jeunes médecins généralistes nous a alors semblé nécessaire. Nous publions ici le résultat des échanges de ce petit groupe, sélectionné sur la base du volontariat. Abstract: In the January 2015 issue, the editors of Medicine Journal published an editorial/Column earlier this year asking the question: “Where is general practice going?” We thought that asking the same question to a small group of young GPs then seemed necessary. What we publish here is the result of the exchanges of this small group, selected on a voluntary basis. Key words: students; general practitioner; professional practice Où va la médecine générale vue par les jeunes ? Contexte Le paysage médical français a fortement évolué ces dernières années. Le nombre de médecins généralistes installés est en recul constant et les prévisions ne sont pas optimistes. Les territoires en zones déficitaires ne cessent d’augmenter. Le milieu rural est fortement touché mais les zones urbaines ne sont pas épargnées, notamment l’Île-de-France [1]. À cette désertification médicale s’ajoute la perte d’attrait pour l’exercice libéral des jeunes médecins, avec un engouement toujours croissant pour le salariat. Le projet de loi de modernisation du système de santé français prévoit des modifications dont le tiers payant généralisé. Cette mesure phare du projet a été vivement critiquée par le corps médical. Dans ce contexte de désertification médicale, de modification du mode d’exercice et de réforme du système de santé, comment les jeunes médecins envisagent-ils la médecine générale de demain ? Méthode Analyse d’un groupe de parole de jeunes médecins généralistes. Ces 4 jeunes médecins généralistes réunis en janvier 2015, au siège de l’UNAFORMEC, et 468 MÉDECINE décembre 2015 animés par 2 membres du comité de rédaction de la revue étaient : 2 internes en stage ambulatoire de niveau 1 chez le praticien, un médecin généraliste exerçant pour SOS médecins et un médecin récemment installé en tant que collaborateur. La discussion a été animée grâce à un Metaplan [2]. METAPLAN : Dispositif d’affichage de confrontations et de classement de propositions d’un groupe à propos d’un thème donné. Objectif : Favoriser la réflexion et l’expression individuelle, provoquer leurs interactions. Intérêt : Méthode simple à mettre en œuvre permettant de dépasser les blocages et les inhibitions dans un groupe. Le métaplan permet d’afficher, de comparer, de hiérarchiser, d’améliorer l’argumentation et de faire une synthèse éventuelle voire une production. Il facilite l’expression du ressenti, le développement de l’écoute et de la communication. Les questions portaient sur 3 domaines et les réponses devaient tenir en quelques mots sur un carton de couleur correspondant aux questions (figure 1). « Quels sont » : – Vos espoirs (carton rose) ? – Votre vision politique (carton vert) ? – Votre stratégie d’entrée dans la vie professionnelle de la médecine générale (carton blanc) ? VIE PROFESSIONNELLE Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 25/05/2017. Échanges entre professionnels Figure 1. [[légende à nous fournir]]. Résultats Médecine générale : pourquoi ? – L’image positive que les jeunes médecins avaient de leur propre médecin généraliste, ou la découverte de la pratique lors du stage chez le praticien ont été parmi les moteurs de choix de cette spécialité : « j’ai souhaité devenir MG en voyant le côté varié de ce que faisait mon médecin traitant, mon idole » ; « Choix de la MG au concours : image du médecin de famille que j’avais d’un MG » ; « Au début je voulais faire médecine pour faire pédiatre, mais assez vite ça m’a paru assez répétitif » ; « Le choix de MG s’est fait pour la diversité et le désir de voir ce que c’était en ville (je n’avais pas d’image de mon MG que j’avais très peu vu), le stage de niveau 1 a été la découverte » ; « ma MG faisait plein de choses et ça m’avait plu, ce côté varié de la MG crèche, fac, etc. ». – La diversité des rôles mais aussi des modes et des domaines d’exercices de la médecine générale sont autant d’arguments qui ont poussé ces jeunes médecins à choisir la médecine générale : « Le plaisir de voir les gens qui vont bien par nos soins ; les revoir ; la prise en charge globale, des pathologies aiguës, des pathologies chroniques, des gens qui ne vont pas bien et d’autres qui vont très bien » ; « Ne pas me cantonner à un seul domaine » ; « Côté diversité et voir aussi des gens qui vont bien. Les enfants » ; « Ça me botte de faire de l’éducation thérapeutique » ; « Le plaisir du suivi ». – Le fait de pouvoir exercer une activité libérale à temps complet, à temps partiel, en parallèle d’une autre activité était également un argument. « On est son propre patron, on fait ce qu’on a envie ». – La diversité des pathologies, des patients et de leur état de santé, du suivi au long cours attirait la majorité des jeunes médecins entretenus. Quel parcours professionnel envisagent-ils après la fin du cursus ? – Aucun des jeunes médecins interrogés ne veut s’installer directement à la fin de ses études. Ils souhaitent avoir une expérience avant l’installation, qu’elle soit libérale sous la forme d’un remplacement puis d’une collaboration, ou bien salariée : hôpital, crèche... « Ne pas m’installer tout de suite au cabinet, mais ensuite m’installer pour la vie de famille » ; « Faire des remplacements pour devenir collaboratrice puis s’installer » ; « Passer du remplacement à la collaboration puis projet qui se concrétise ». – Ou encore une expérience à l’étranger. Le Canada serait attrayant pour la qualité de son système de santé, la place centrale du médecin traitant. « Le Québec me plairait bien car c’est une autre culture, et je souhaite le faire maintenant ; pour la place centrale du MT qu’ils ont ; de la pratique à l’hôpital qu’ils conservent, en restant au même niveau que les autres médecins » ; « Ensuite projet dans la MG et revenir en France en ville ». – Pour le médecin travaillant à SOS médecins, l’absence de suivi des patients, la résolution d’un problème aigu, l’absence d’horaires de bureau des consultations étaient autant d’arguments pour ce mode d’exercice : « On n’est pas libre de faire ce qu’on veut face au patient, on est soumis au désir des patients en ville ; Une grande partie de la MG c’est un suivi MÉDECINE décembre 2015 469 VIE PROFESSIONNELLE Échanges entre professionnels au long cours, le renouvellement des traitements ça m’attire pas ; ce que je fais c’est régler un souci qu’il faut régler à l’instant ; en rentrant chez moi je suis libéré de ce poids. Les horaires de bureau de la médecine de ville ne me conviennent pas, et je ne les ai pas chez SOS. Travailler la nuit me libère la journée pour faire autre chose. Et j’ai un sas de décompression dans la voiture ». Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 25/05/2017. L'exercice professionnel idéal – Le travail de groupe est une évidence pour ces jeunes médecins. C’est le point le plus fort qui ressort de ces échanges. Ils souhaitent travailler à plusieurs dans un même cabinet et avec les autres professionnels de santé sur un territoire : spécialistes et paramédicaux, ville et hôpital. Les maisons de santé avec leur pluri-professionnalité décloisonnent l’exercice solitaire, permettent une prise en charge globale et commune des patients avec les autres professionnels dans un même lieu, avec des temps d’échanges hebdomadaires sur des patients ou des situations complexes. Elles seront le lieu d’une coordination des soins entre infirmières et médecins (à titre d’exemple) mais aussi de groupes d’échange de pratiques, d’actions de formation médicale continue avec intervention d’experts. – Un logiciel métier unique, commun à l’ensemble des professionnels de santé serait l’outil idéal pour exercer une médecine optimale. Ce dossier patient unique serait consulté et alimenté par les professionnels de santé prenant en charge le patient. Les données une fois saisies, ne pourraient pas être modifiées, et pourraient être partagées sur un réseau entre la ville et l’hôpital. – Pour le médecin de SOS cet autre aspect de la médecine qu’il pratique est nécessaire car les MG sont absents ou débordés, mais l’organisation du futur travail en groupe devra, pour une vraie continuité de soins, permette qu’une structure comme SOS intervienne moins. – Les consultations ne seront pas leur unique exercice. Ils souhaitent avoir une autre activité : urgentiste, médecins de crèche, de PMI, médecin coordinateur, enseignant à la faculté de médecine pour sortir du rythme des consultations. Cela leur permettra de ne pas être blasé par leur métier et de pouvoir se protéger de l’épuisement professionnel. – Ils souhaitent également une valorisation de leur métier de généraliste : par le clinicat de médecine générale « notre formation à l’hôpital nous donne envie de transférer ce modèle à la médecine ambulatoire, d’exercer avec d’autres, de transmettre, d’enseigner » ; par la pratique de l’éducation thérapeutique « Prise en charge globale et valorisation de l’Éducation thérapeutique ; l’éducation thérapeutique demande une valorisation ». – À la question posée par les animateurs du groupe « Quelle serait votre souhait de quantité de travail pour quelle rémunération ? » l’optimal pour ces médecins serait entre 35 et 45 heures hebdomadaires pour un revenu net autour de 7 000 e (minimum souhaité 6 000 e pour 35 heures et pour 45 heures entre 7 000 et 10 000 e). L'exercice professionnel : le devenir – Les médecins étaient attachés au paiement à l’acte mais le paiement à l’acte seul ne pourra perdurer pour plusieurs 470 MÉDECINE décembre 2015 raisons. Il existe un risque de dérive : faire plus d’acte pour gagner plus d’argent mais surtout le paiement à l’acte n’est plus adapté pour la prise en charge des patients ayant des pathologies chroniques. Ces prises en charge requièrent du temps. Pour cela il faudrait la création de forfaits en fonction des pathologies. À telle pathologie correspondrait tel forfait. Le médecin recevrait une somme annuelle et pourrait voir le patient autant que nécessaire et passer le temps nécessaire pour assurer une prise en charge optimale. – Concernant le tiers payant généralisé, les avis étaient divergents. Certains étaient favorables d’autres y étaient opposés. Pour les médecins réfractaires l’argument principal était la dévalorisation de l’acte et du travail du médecin. Le deuxième argument était que les patients devaient connaître le coût des soins et qu’ils soient sensibilisés à l’intérêt commun. – Pour ce qui est des visites à domicile, elles sont pour ces médecins le cœur de la médecine générale. Mais tous s’accordaient sur le fait que les visites à domicile ne sont pas rentables et sont chronophages. Une revalorisation du montant de la visite serait nécessaire ou la création d’un forfait en fonction des pathologies du patient. Au-delà de la revalorisation de l’acte se posait la question du devenir de la visite. Avec la désertification médicale, les médecins généralistes ont de plus en plus de travail et n’ont pas le temps ou l’envie de se déplacer. Pour le médecin de SOS en particulier l’exercice est exclusivement à domicile et il témoigne : « je préfère me déplacer au chevet du patient, la relation est différente quand je vais chez les gens, le médecin est attendu ». De ce constat se posait premièrement la question de la coordination du travail avec les infirmières, et de la délégation de tâches. Les infirmières pourraient faire une première évaluation et prendre en charge le patient en fonction du problème. Deuxièmement se posait la question de la place et du travail en partenariat avec SOS Médecins. Ces derniers pourraient se déplacer pour une semi-urgence puis organiser avec le médecin traitant une visite programmée. Ces jeunes médecins étaient favorables au partage de tâches avec les paramédicaux à condition que ce partage soit réfléchi et que toutes les tâches d’éducation, de prévention ne soient pas déléguées aux paramédicaux. Enfin à l’ère du tout numérique, du matériel connecté, de la télémédecine, qu’en est-il des logiciels experts, ces logiciels avec lesquels les patients peuvent lister leurs symptômes et avoir un diagnostic, ces cabines où la pression artérielle des patients peut être prise par un automate et où une prise de sang peut être effectuée avec le rendu de résultats en quelques minutes ? Pour ces jeunes médecins, il faut éviter d’en arriver à cette médecine qui déshumanise les relations. Une machine peut poser un diagnostic mais elle ne peut être à l’écoute, elle ne peut rassurer, conseiller, créer du lien social. De plus ces systèmes seraient inégalitaires car ils seraient réservés aux patients ayant les moyens de se les payer. S’ils redoutent l’arrivée des logiciels experts ils expriment qu’il y a deux classes de patients, certains pouvant gagner du temps avec ces systèmes et d’autres qui ont besoin de parler et continueront à consulter leur médecin. La connaissance du patient, le ressenti du médecin font qu’il y a un grand risque que la machine fasse moins bien que le médecin. VIE PROFESSIONNELLE Échanges entre professionnels Ces jeunes médecins s’accordent tous sur le fait que les patients sont de plus en plus exigeants. Tout leur est dû, de suite. Les individus sont de moins en moins reconnaissants et les cabinets sont le reflet de la société. Néanmoins la société est de plus en plus connectée et consumériste. Les personnes comparent pour acheter des objets. Les patients pourront comparer les médecins et seront de moins en moins fidèles et attachés à leur médecin. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 25/05/2017. Conclusion Exercer la médecine générale est un choix volontaire pour les jeunes médecins. La diversité des fonctions, des modes et lieu d’exercices mais également des pathologies, des patients et de leur état de santé sont autant d’arguments qui poussent les jeunes médecins sur le chemin de la médecine générale. L’exercice libéral attire toujours mais cet exercice est souhaité pluri-professionnel, dans des structures comme les maisons de santé. Les jeunes médecins s’imaginent travailler différemment, en partenariat avec les autres acteurs médicaux et paramédicaux de leur territoire. Et ils se voient également être payés différemment. Le paiement à l’acte ne peut disparaître mais il ne peut perdurer seul. Des systèmes de forfaits doivent voir le jour. Les médecins de demain seront des médecins connectés, avec un logiciel métier unique à tous les professionnels de santé afin de garantir une prise en charge optimale des patients. Les médecins de demain seront certes comme les patients des personnes connectées mais ils garderont la primauté de l’humain et de la relation d’écoute et d’échange indispensable à notre métier. Liens d’intérêts : les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article. Références : 1. Conseil National de l’Ordre des Médecins. Atlas de la démographie médicale en France. Situation au 1er janvier 2015. 2. Duroux G. Comment animer un groupe en pédagogie active. In La formation médicale continue. Principes, organisation, objectifs, méthodes et évaluation. Sous la direction de P. Gallois. Paris: Flammarion; 1997. La médecine générale vue par les jeunes h Les jeunes médecins, une fois diplômés, souhaitent, avant de s’installer, acquérir une expérience quel qu’en soit le cadre, libéral (remplacements puis collaboration) ou salarié (hôpital, collectivités), voire une expérience à l’étranger. h Les jeunes médecins souhaitent travailler à plusieurs dans un même cabinet et avec les autres professionnels de santé au sein de maisons de santé pluri professionnelles qui décloisonnent l’exercice solitaire et permettent une prise en charge globale et commune des patients entre professionnels dans un même lieu, avec des temps d’échanges hebdomadaires sur des patients ou des situations complexes. Elles seront le lieu d’une coordination des soins mais aussi de groupes d’échange de pratiques, d’actions de formation médicale continue. h Le paiement à l’acte exclusif n’est plus adapté pour répondre à un certain nombre de situations telles que notamment la prise en charge des pathologies chroniques ou l’éducation thérapeutique. MÉDECINE décembre 2015 471