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de soins, avec depuis une sur-spécialisation et une segmentation des activités sur des
pathologies ciblées.
Cette description diachronique est, bien sûr, théorique et il suffit de fréquenter un service
d'urgence d'une grande ville (service public, s'entend) pour constater que toutes les logiques
s'entassent péniblement dans les couloirs ! Espérons que le dogme de la pensée unique
"hôpital-entreprise", "équilibre budgétaire", "parts de marché", ne sera qu'une mode politico-
gestionnaire qui saura s'effacer devant la notion de pertinence des soins et de santé "durable".
Une entreprise se doit de rechercher des parts de marchés, de croitre, de développer de
nouvelles niches ; cela a-t-il du sens pour la santé ? Pourrait on se réjouir d’avoir de plus en
plus de patients et de maladies, des fréquentations en augmentation dans les services
d’accueil et d’urgences, de faire dépenser plus aux patients et à leurs mutuelles. Une logique
marchande conduit à souhaiter de plus en plus de clients et de maladies à sur-traiter (par
l'écriture de recommandations maximalistes, de surconsommation de biologie et d'imagerie
voire à suggérer de nouvelles maladies, se rapprochant alors de la démarche du docteur
Knock) : certains acteurs économiques, industriels dans le champ de la santé peuvent
subrepticement nous faire glisser vers cette dérive. La facturation des chambres individuelles
pour raison de confort hôtelier nie leur pertinence en terme de confidentialité, de propagation
des infections nosocomiales, de simple repos du malade. Fort du savoir-faire et de la
reconnaissance de la médecine française la question peut se poser, pour traiter une clientèle
étrangère fortunée, de délocaliser des hôpitaux (le plus souvent dans des pays producteurs de
pétrole) ou d'offrir des prestations "particulières" en France; cette dernière option ne risque-t-
elle pas de créer une médecine différente sur le territoire français entre ceux qui ont la carte
Gold et ceux qui n'ont que la carte vitale ? Aujourd'hui, les soignants des hôpitaux publics
s'enorgueillissent de traiter de la même façon les patients quels que soient leurs revenus, cette
valeur fait sens et je ne suis pas convaincu que l'argent gagné ainsi n'aurait pas un effet
délétère sur la cohérence du système.
Structurellement, un CHU se présente comme une entreprise avec ses pôles de production, de
logistique, de gestion des ressources humaines, de sécurité, de gestion de la qualité, de
finances et de contrôle de gestion; les récentes lois ont renommé le conseil d'administration et
le conseil stratégique en conseil de surveillance et directoire ; ce glissement sémantique
dénué de sens pour les soignants doit en avoir pour d'autres. D'ailleurs force est de
reconnaitre que le vocabulaire diffère entre gestionnaires et soignants : d'un côté on parle de
malades, de familles, de soignants, d'unités de soins, d'équipe, de service, de durée
d'hospitalisation et de l'autre d'usagers sinon de clients, de groupes homogènes de malades ou
de séjours (GHM ou GHS), de masse budgétaire, d'EPRD, de PMSI, de DMS, de TMO (bref
beaucoup de d'indicateurs quantitatifs avec des sigles que volontairement je n'explicite pas).
Sans doute devrait-on garder une vision simpliste d'une entreprise : un hôpital est un
producteur de soins, les clients sont les patients et les acteurs les soignants. Améliorer la
production, ce serait rendre l'outil plus performant ; comprendre les demandes et aider les
producteurs devrait être le but des administrateurs; investir dans les outils de production et
non pas se perdre dans les structures de contrôle, qui ne donnent que l'apparence de la
rationalité. S'appuyer sur des indicateurs non reconnus par les acteurs de terrain, non
pertinents tant sur la quantité que la qualité des soins ne permet pas un management partagé
et cohérent. Les vrais indicateurs devraient se rapprocher de ce qui touche à l'amélioration de
l'état de santé, voire les morts évitées, tels que la santé se définit par l'Organisation Mondiale
de la Santé. Il faut se garder sous prétexte d’évaluation de créer des items purement
quantitatifs ou monétaires: vanter les mérites d'une structure qui réalise beaucoup