La science se limite-t-elle à constater les faits

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RAPPEL DU SUJET
SUJET N°2 : LA SCIENCE SE LIMITE-T-ELLE A CONSTATER LES FAITS ?
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LE CORRIGÉ
LA SCIENCE SE LIMITE-T-ELLE A CONSTATER LES FAITS ?
I – Analyse du sujet
Ce sujet est classique en philosophie, mais présente peut-être une surprise pour les candidats et leurs professeurs dans
la mesure où les mots ne renvoient pas à une notion du programme. L'énoncé se rapporte toutefois clairement au
chapitre « La raison et le réel » et plus précisément aux notions : « La vérité », « Théorie et expérience » et
« L’interprétation ». Il suppose aussi, pour faciliter la problématisation, la connaissance des repères
conceptuels suivants : « objectif / subjectif », « comprendre / expliquer », « en théorie / en pratique ».
La science est au cœur du chapitre « La raison et le réel ». Que cherche à faire la raison face au réel ? Satisfaire sa
curiosité, comme disait déjà Aristote. C’est le point de départ de la connaissance scientifique. Cependant, dès que la
raison connaît, elle cherche à envisager autre chose que la seule connaissance théorique, elle cherche des applications
pratiques. Ainsi, la science c’est l’ensemble des connaissances mais c’est aussi l’ensemble des ses applications
pratiques. Par exemple : la connaissance d’une molécule et l’usage de cette molécule, pour un médicament.
Constater les faits : l'expression est moins simple qu'il ne paraît car la notion de fait peut être prise en deux sens
différents. Dans un sens ordinaire, fait désigne un événement singulier localisable dans le temps et l'espace. Et
constater les faits serait alors enregistrer passivement les événements de l'expérience. Mais la notion de fait peut être
définie plus précisément, car un fait implique une relation entre des objets. Le fait est alors moins une donnée
de l'expérience qu'une construction de la pensée. Quand on dit par exemple que la terre tourne autour du soleil, la
rotation de la terre n'est pas seulement une donnée de la perception. Elle suppose la représentation d'un système de
planètes où les astres ont des positons respectives et des orbites spécifiques. Et cela exige de s'arracher à la position
« naturelle » de l'observateur, nécessairement partielle, pour produire une représentation modélisée complète du
système solaire auquel l'homme appartient.
Enfin la notion de « limite » peut aussi être prise en deux sens. Un sens restrictif, qui définirait en quelque sorte une
fonction minimale de la science : constater les faits, être capable d'une observation objective de ce qui est, par exemple
à travers les éléments rigoureux de la mesure. Et un sens large, qui définirait la science au-delà de la simple
constatation, par une dimension active de construction ou de reconstruction des données de l'expérience.
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II – Problématique du sujet
La problématique présentait une évidente difficulté car elle est très ouverte et demande de combiner des parties
distinctes du programme. L'énoncé oblige d'envisager aussi bien ce qu'on pourrait nommer la connaissance ordinaire, la
connaissance non critique, celle de la perception commune des phénomènes, celle de l'expérience au sens commun,
que la connaissance rationnelle et critique, celle de la science. Car la question soulevée ici attend de toute évidence une
définition de la science.
En effet si la science est la connaissance du réel, plus précisément des faits qui composent le réel, la vérité à laquelle on
a accès par la science ne peut s’établir qu’à partir de faits et de constats. Constater les faits, c’est établir des affirmations
vraies sur le réel (Cf. cours sur la Vérité : ce que je dis est vrai quand cela correspond à la réalité). Or comment établir
de telles affirmations ? Comment accéder aux faits ? Comment les constater ? Pour cela il faut observer, analyser,
comprendre, expliquer, faire des hypothèses, tester, expérimenter, etc. Constater les faits n'est jamais un simple
enregistrement des données de l'expérience. On ne constate pas des faits, on les observe, on les analyse, on les
explique, par exemple, et cela n’est jamais purement passif, puisque c’est le sujet qui élabore la science à partir de ce
qu'il est, et notamment à partir de sa raison.
Telle est la problématisation que l’on peut construire à partir du présupposé du sujet. Elle se concentre sur
l’élaboration de la science , sur son point de départ en tant que connaissance du réel par l’homme. C’est une
perspective épistémologique. Mais comme nous l'avons déjà suggéré le traitement du sujet ne pourra faire l’économie
d’une réflexion sur les usages de la science. Il faudra donc discuter les applications pratiques de la science, ses
prolongements techniques et les questions morales que cela soulève.
III – Boîte à outils
La clé de votre développement pouvait tenir dans la définition d'un empirisme critique. Il était utile à ce propos de
se souvenir de la phrase de Kant : « si toute notre connaissance débute avec l’expérience, cela ne prouve pas
qu’elle dérive toute de l’expérience » (Critique de la raison pure). Dans le contexte du sujet, cela peut se traduire
ainsi : impossible d'échapper aux faits même si la connaissance scientifique ne se limite pas a un simple constat
des faits. En prêtant attention aux deux verbes de la pensée de Kant, on peut d'abord faire droit à un certain
empirisme : toute notre connaissance étant dans l'espace et dans le temps de l'expérience, il est impossible
d'échapper aux faits tels que notre perception les constate. Ils constituent bien, comme dit encore Kant, la
« matière » de notre connaissance.
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Il ne fallait surtout pas oublier la seconde partie de la pensée de Kant : si toute notre connaissance débute avec
l’expérience, cela ne prouve pas qu’elle dérive toute de l’expérience. Le mot « dériver » indique que l'expérience
n'est pas la seule source de notre connaissance. A la matière de la connaissance, telle qu'elle nous est donnée par
nos sens, vient s'ajoute un travail spécifique de synthèse opéré par l'esprit.
Notre perception est pleine de défauts et il faut sans cesse informer et critiquer les informations transmises par nos
sens pour redresser les illusions qu'ils produisent. C'est ainsi le cas lorsqu'on voit un bâton trempé dans l'eau, il
paraît cassé ou tordu. On « sait » bien pourtant qu'il n'en est rien. Et la physique explique cette illusion d'optique par
la réfraction de la lumière qui traverse des milieux différents (l'air et l'eau dans ce cas). Cet exemple simple montre
qu'il y a, dans notre connaissance du réel, plus qu'un constat limité aux informations de la perception. L'esprit
ajoute quelque chose aux faits, quelque chose qui donne à ces faits une signification qui va au-delà de la simple
expérience perceptive que j'en ai.
On pouvait aussi se souvenir de ce que dit Alain : « On soutient communément que c'est le toucher qui nous
instruit, et par constatation pure et simple, sans aucune interprétation. Mais il n'en est rien. Je ne touche pas ce dé
cubique. Non. Je touche successivement des arêtes, des pointes, des plans durs et lisses, et réunissant toutes
ces apparences en un seul objet, je juge que cet objet est cubique. » Le jugement dont parle ici Gaston Bachelard
est une opération de synthèsePenser c'est juger et juger c'est relier », Kant). C'est l'unité et la stabilité que
l'esprit met dans les faits de l'expérience qui, par définition, sont tributaires de la contiguïté spatiale (les différentes
parties de l'espace sont extérieures les unes des autres) et de la succession temporelle (le temps s'appréhende
pour nous selon une succession d'instants). Notre expérience, prisonnière du temps et de l'espace, ne nous
présente que des objets singuliers, changeants et sans liaison véritable. C'est par une synthèse de l'esprit que je
mets de l'ordre et de la cohérence dans l'expérience sensible, et qu'elle prend sens pour moi (Cf. aussi l'exemple
du morceau de cire dans les Méditations métaphysiques de Descartes).
Plus largement, on peut dire qu'un fait ne prend vraiment son sens ou sa valeur, ne pose problème qu'à l'intérieur
d'un champ de savoir déjà constitué par une synthèse intellectuelle. Un fait se détache toujours sur un fond de
régularités et d'anticipations auxquelles il se combine ou non. C'est vrai sur le plan de l'expérience ordinaire : un
fait qui contredit ce que j'ai l'habitude de rencontrer va retenir mon attention car il se détachera sur le fond d'une
connaissance pratique à laquelle il ne correspond pas et qui ne peut l'interpréter correctement. Un tel fait
« m'arrêtera » comme on dit communément. Mon esprit ne pourra le comprendre et l'intégrer en fonction de ce qu'il
sait déjà, et ce fait nouveau me demandera de repenser des choses que je croyais acquises. C'est vrai aussi sur le
plan de la science : un fait se détache toujours sur un fond de faits et d'éléments théoriques qu'il confirme ou
infirme. De ce point de vue, le constat de certains « faits polémiques » (Gaston Bachelard) est essentiel aux
progrès de la science qui découvre ainsi ses propres limites et peut les repousser en produisant un nouveau cadre
théorique.
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On pouvait également insister sur la forme particulière de la synthèse dans la science, qui est celle de la loi.
Qu'est-ce qu'une loi scientifique. C'est une hypothèse vérifiée expérimentalement. Une hypothèse est un rapport
constant établi entre des phénomènes et mis à l'épreuve de l'expérimentation. Dans l'expérimentation, le savant
constate des faits, mais le résultat auquel il parvient, il en est le producteur et il prend sens pour lui dans la mesure
où il confirme ou infirme une hypothèse formulée préalablement. On est donc bien dans une situation où le réel est
construit par la pensée. Où la raison vérifie dans le réel l'explication qu'elle a construite.
La preuve que la science ne se limite pas à constater les faits c'est qu'elle les produit et les reproduit à volonté
dans des dispositions expérimentaux qui sont directement issus de la raison. A la synthèse de l'esprit correspond
une autre synthèse, celle de l' expérimentation . L a conclusion qui s'impose peut être empruntée à Gaston
Bachelard qui, dans le Nouvel esprit scientifique dit que dans la science « rien n'est donné. Tout est construit ». La
science construit les faits, elle ne se contente pas de les recueillir passivement au fil de l'expérience.
Cela n'empêche pas que le monde reste ouvert et que tout peut arriver, notre expérience peut très bien fournir des
faits qui contredisent la connaissance scientifique. « Le monde est tout ce qui arrive », disait Wittgenstein. C'est en
ce sens que l'expression « constater les faits » peut prendre son sens ultime, un sens qu'on pourrait dire
éthique. La science doit demeurer ouverte à tout ce qui peut la contredire, et ce qui peut la contredire est d'abord
et avant tout de l'ordre des faits. Il convient de ne pas balayer les constats qui dérangent l'ordre que la pensée a
mis dans le monde. Des faits polémiques viennent surtout indiquer que quelque chose n'a pas été correctement ou
complètement pensé et que l'esprit doit se remettre à sa tâche qui n'est jamais achevée. « L’observation a besoin
d’un corps de précautions qui conduisent à réfléchir avant de regarder, qui réforment du moins la première vision,
de sorte que ce n’est jamais la première observation qui est la bonne. L’observation scientifique est toujours une
observation polémique ; elle confirme ou infirme une thèse antérieure, un schéma préalable, un plan d’observation ;
elle montre en démontrant ; elle hiérarchise les apparences ; elle transcende l’immédiat ; elle reconstruit le réel
après avoir reconstruit ses schémas. » (Le Nouvel esprit scientifique)
D’autres pistes pour une thèse alternative / une 3è thèse:
La science constate des faits pour se servir de ces constats : elle a des prolongements pratiques, techniques. Ce
qu’on vise dans la science ce n’est pas seulement la connaissance du réel, mais aussi sa transformation. On
cherche à être maître du réel. Ainsi, constater des faits, c’est peut-être impossible en tant que tel, mais surtout ce
n’est pas ce qu’on vise dans la science. La connaissance des molécules, des électrons, de la matière en général,
nous permet d’agir sur la matière et d’en faire un usage que nous seuls déterminons. Qu’il s’agisse de fins
médicales ou de fins militaires ou simplement industrielles, la science est un premier pas vers l’action efficace. Elle
est une activité théorique qui nous permet, en pratique, de guérir des maladies, de gagner une guerre ou de faire
des voitures performantes. Ce n’est peut-être pas aussi louable que la vérité, mais cette fin de la science montre
que l’enjeu de la science réside dans l’usage que l’homme en fait et donc dans sa responsabilité et sa liberté à
l’égard du monde.
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