DESCARTES, Lettre à Elisabeth

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corrigé bac 2013
Examen : Bac L
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RAPPEL DU SUJET
SUJET N°3 : EXPLIQUER LE TEXTE SUIVANT
Bien que chacun de nous soit une personne séparée des autres, et dont, par conséquent, les intérêts sont en quelque
façon distincts de ceux du reste du monde, on doit toutefois penser qu’on ne saurait subsister seul, et qu’on est, en
effet, l’une des parties de l’univers, et plus particulièrement encore l’une des parties de cette terre, l’une des parties de
cet Etat, de cette société, de cette famille, à laquelle on est joint par sa demeure, par son serment, par sa naissance. Et
il faut toujours préférer les intérêts du tout, dont on est partie, à ceux de sa personne en particulier ; toutefois avec
mesure et discrétion 1 , car on aurait tort de s’exposer à un grand mal, pour procurer seulement un petit bien à ses
parents ou à son pays ; et si un homme vaut plus, lui seul, que tout le reste de sa ville, il n’aurait pas raison de se
vouloir perdre pour la sauver. Mais si on rapportait tout à soi-même, on ne craindrait pas de nuire beaucoup aux autres
hommes, lorsqu’on croirait en retirer quelque petite commodité, et on n’aurait aucune vraie amitié, ni aucune fidélité, ni
généralement aucune vertu ; au lieu qu’en se considérant comme une partie du public, on prend plaisir à faire du bien à
tout le monde, et même on ne craint pas d’exposer sa vie pour le service d’autrui, lorsque l’occasion s’en présente.
DESCARTES, Lettre à Elisabeth, 1645.
1
discernement
La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la
compréhension précise du texte, du problème dont il est question.
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LE CORRIGÉ
TEXTE DE DESCARTES, LETTRE A ELISABETH, 1645
I- Présentation du texte
Ce texte aborde pas moins de trois chapitres du programme ! Il prend position sur l’état d’esprit que je dois avoir à
l’égard des autres et de la société, même lorsqu’il s’agit de mes choix individuels. Il porte ainsi sur « Autrui » dans le
chapitre « Le sujet », « La société » dans le chapitre « La politique ». Mais comme il soulève également la question de
la conduite à tenir, il renvoie au chapitre « La morale » avec la notion de devoir. A y regarder de plus près, il est aussi
question incidemment de conscience, de liberté et de bonheur !
Ce texte n’est pas pour autant difficile, car il n’a rien de technique et ne porte pas sur une seule notion. Le plus difficile
c'est qu'il suppose une compréhension synthétique du programme de philosophie qu’il traverse de part en part.
II- L’idée principale du texte
La question à laquelle l’auteur répond est : Dois-je penser et agir en fonction de moi seul ou aussi en fonction des
autres ?
Descartes répond : je dois penser et agir en fonction des autres, ou plutôt je dois penser et agir en tant que partie du
tout auquel j’appartiens (famille, société, État, terre).
Telle est sa thèse : je ne suis pas seul et ne peux penser et agir comme si j’étais seul, ce n’est pas que je doive penser
et agir pour les autres, mais je dois penser et agir en tant que partie d’un tout.
L’enjeu pour Descartes est de montrer qu’on a plus à y gagner personnellement : agir conformément à l’intérêt collectif
est davantage bénéfique à l'individu que d’agir de manière strictement individualiste.
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III- Les notions et concepts clés
L'idée de séparation est inaugurale dans le texte, elle trace la limite entre soi et les autres. Elle pose une distinction
entre ce qui relève de mon intérêt et ce qui n'en relève pas.
Cette séparation renvoie à l'idée que le sujet est conscience, qu'il se pose lui-même en lui-même. Il était utile de se
souvenir que Descartes est l'auteur du cogito (« Je pense donc je suis »).
Le sujet est conscience, c'est-à-dire liberté et choix. Tout le texte est en effet une réflexion sur les meilleurs choix à
faire. La question de l'arbitre et du libre arbitre est ici cruciale puisque le sujet est seul maître de la conduite morale à
tenir. On se souviendra que par libre arbitre on entend « une liberté de choix qui arbitre et décide entre deux données,
l'une bonne et l'autre mauvaise » (H. Arendt, « Qu'est-ce que la liberté ? » in La Crise de la culture)
Le texte contient donc l'idée de valeur, à travers l'évaluation de ce qui vaut le mieux pour moi et les autres. Dois-je agir
comme si j'étais seul au monde, comme si j'étais une valeur absolue, ou bien dois-je me penser relativement aux
autres, sans dissocier mon intérêt du leur ?
Il aboutit en conséquence à ordonner de façon à la fois morale et rationnelle ce qui vaut pour moi seul et ce qui vaut
pour moi en tant que partie d'un « tout ».
On arrive ainsi aux notions de vérité (vraie amitié), de sincérité (fidélité) et de moralité (vertu) pour manifester les
enjeux derniers de ces choix.
IV- La structure du texte
Ce texte se compose de trois phrases. Elles constituent les trois parties de ce texte. Il fallait donc se concentrer sur
l’enchaînement logique de ces phrases. L’attention devait être portée sur cet enchaînement, car la difficulté réside dans
le fait que chacune de ces phrases renferme une nuance importante.
La première phrase pose qu’ on doit penser que l’on est une partie d’un tout , qu’il s’agisse de l’univers, la terre,
l’État, la société ou la famille. Nuance : bien que l’on soit une partie séparée et distincte de toutes les autres parties.
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La deuxième phrase pose qu’on doit préférer les intérêts du tout aux siens propres. Nuance : bien que parfois (alors
même que Descartes écrit « il faut toujours » !) on peut juger avec discernement qu'il vaut mieux agir pour soi. Par
exemple, si je suis maire d’une ville (« si un homme vaut plus qu’un autre »), il vaut mieux que je sauve ma vie plutôt que
de me sacrifier pour sauver celles des autres. Alors j’aurai l’impression d’être égoïste et individualiste, mais à y regarder
de plus près, en me sauvant je privilégierai l’intérêt du tout, car je sers le tout : je ne suis pas n’importe quelle partie du
tout, je dois agir en conséquence. Il faut donc regarder la situation telle qu’elle est et faire preuve de discernement
(« discrétion » dans le texte : il fallait bien lire la note de bas de page pour lire ce terme correctement !).
La troisième phrase pose comme conséquence des deux parties précédentes que, contrairement à ce qu’on
pourrait croire, lorsque l’on se pense comme partie d’un tout (I) et que l’on préfère les intérêts de ce tout aux
siens (II), alors on y gagne soi-même davantage car « on prend plaisir à faire du bien à tout le monde » (III).
Nuance : bien qu’on n’ait rien à craindre vis-à-vis des autres à préférer ses intérêts particuliers aux intérêts collectifs.
L’enjeu est donc d’atteindre la perfection humaine, voilà ce qu’on y gagne à préférer les intérêts du tout. J’aurai plus de
plaisir, de véritables amis, une véritable vertu, (quoiqu’on puisse tout avoir en poursuivant ses intérêts particuliers, mais
cela ne sera pas « véritable », c'est-à-dire parfait).
Quel est l’enchaînement logique de la première à la deuxième phrase ? Si on pense qu’on est une partie d’un tout, alors,
quel que soit ce tout, on doit penser et agir en fonction de lui. On doit préférer les intérêts du tout à ses intérêts propres.
La deuxième phrase est une conséquence de la première. C’est une conséquence pratique sous la forme d’un impératif
moral : si on doit se penser en fonction des autres, alors on doit logiquement agir en fonction d'eux. Mais la seule
justification de ce rapport à autrui, c’est que nous formons un tout et qu’un tout se compose de parties. Chaque partie
doit alors avoir conscience qu’elle n’est qu’une partie et agir en conséquence en tant que telle.
La dernière phrase en tire la conséquence pour notre vie personnelle : on est plus parfaitement homme et on y gagne
donc personnellement en pensant et en agissant en tant que partie du tout auquel on appartient plutôt que par rapport à
soi-même.
V- Quelques pistes
●
L'égoïsme, dont on peut penser que Descartes fait une profession mesurée, découle non de l'amour-propre (pour
parler comme Rousseau) mais au contraire de la conscience de sa propre valeur et de son appartenance à un
tout. La question n'est pas tant de savoir ce que vaut ma vie, si elle vaut plus que celle des autres, que de savoir ce
que ma vie peut valoir pour moi comme pour les autres. C'est cette valeur qui doit dicter mon choix, non pas ce
que je vaux pour moi-même, mais bien ce que je vaux en moi-même. Toute la question morale de ce que je dois
faire est donc ici soumise à un préalable, celui d'une juste estime de soi.
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●
Pour Descartes, le fait « qu'un homme s'estime au plus haut point qu'il se peut légitimement estimer » s'appelle la
générosité (Les Passions de l'âme, art. 153). La générosité tient dans le fait de connaître :
1. que « rien ne nous appartient davantage que la libre disposition de nos volontés», et en conséquence :
2. « qu'on ne doit être loué ou blâmé sinon pour ce qu'on en use bien ou mal ».
Cela signifie que la préférence qu'on fait de soi-même n'est pas un acte solipsiste, refermé sur soi, et dont on
n'aurait à rendre compte à personne. En tant que c'est un acte de la liberté, il est susceptible d'être « loué » ou
« blâmé », c'est-à-dire approuvé ou critiqué. Celui qui est amené par son jugement à se préférer aux autres, attend
que son jugement (l'estime de soi dont il fait preuve) soit approuvé par eux.
On pouvait prendre l'exemple de Socrate. Lorsque celui-ci est condamné à mort par la cité athénienne, ses amis le
poussent à fuir pour échapper à une sentence injuste. C'est le sujet du dialogue de Platon intitulé Criton : Criton, qui
est un ami de Socrate, essaie de le convaincre de fuir, c'est-à-dire de préférer son intérêt propre à l'intérêt de la cité
qui s'est déshonorée en condamnant le philosophe. Socrate refuse, voulant ainsi montrer par sa mort que la
condamnation dont il est victime est injuste. Mais s'il avait préféré sauver sa vie plutôt qu'obéir aux lois de sa cité,
nul doute qu'il aurait été approuvé par ses amis et par beaucoup d'autres citoyens qui auraient jugé qu'en la
circonstance Socrate valait mieux qu'Athènes. Il illustre donc parfaitement le cas soulevé par Descartes.
●
Le texte de Descartes offrait un large éventail de thèmes qui illustrent le rapporte entre le tout et la partie. Les
diverses formes de « tout » qu'il évoque pouvaient définir des problématiques intéressantes. C'est notamment le
cas de la « terre », de la « société » et de « l'État ». La terre dont nous sommes une partie pouvait permettre de
réfléchir à la responsabilité écologique de l'homme. Les hommes peuvent-ils préférer leurs intérêts immédiats au
détriment de la planète qu'ils vont laisser à leurs enfants, la partie du présent qu'ils habitent (et détruisent) au tout
des générations futures ?
●
On pouvait penser le rapport intrinsèque de soi aux autres à travers la pensée de Rousseau qui disait : « La pitié
est le premier rameau de l'amour de soi ». Façon de suggérer que l'amour de soi, le souci de sa conservation, ne
peut pas s'ériger de façon absolue et s'exercer au détriment des autres. Il contient même, comme en miroir, le
souci d'autrui. Aimer les autres est indissociable de s'aimer soi-même et ceux qui ne s'aiment pas remplissent
souvent très mal leurs devoirs envers les autres.
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Du point de vue de l'Etat, on trouverait chez Kant un avis moins nuancé que chez Descartes. Kant pense en effet
qu'en tant que « pièce d'une machine », le citoyen doit accepter de se laisser manœuvrer passivement selon les
fins de l'Etat. Un sujet, au sens politique, n'a jamais raison de préférer ses fins aux fins du tout auquel il appartient,
et il n'a pas d'autre choix que l'obéissance. C'est ce que Kant nomme l'usage privé de la raison, et qui est « l'usage
que l'on fait de sa raison dans un poste civil ou une fonction déterminée ». Cet usage consiste pour l'individu à
remplir des fins qui ne sont pas les siennes même s'il est en désaccord avec elles, car son sort n'est pas séparable
de celui de la collectivité à laquelle il appartient. La seule chose que Kant concèderait, c'est la liberté de faire un
« usage public de sa raison » pour défendre d'autres fins, mais sur un plan purement spéculatif et sans pouvoir
échapper àl'obéissance à laquelle est tenu le membre d'un tout. L'usage public de la raison consistant à faire usage
de sa raison « en tant que savant devant le public qui lit » (Sur l'usage privé et l'usage public de la raison, cf.
l'opuscule : Réponse à la question : Qu'est-ce que les Lumières ?).
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