INVARIANTS DE SIMILITUDE
par
Arnaud Moncet
Table des matières
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
1. Modules ........................................................ 2
2. Modules de type fini sur un anneau euclidien . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
3. Invariants de similitude et réduction de Frobénius . . . . . . . . . . . . . . 11
4. Lien avec la décomposition de Jordan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
5. Applications .................................................... 17
6. Unicité de la décomposition primaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
Références ........................................................ 23
Introduction
Soit Kun corps (fixé tout au long du texte), et soit Eun espace vectoriel de dimen-
sion finie sur K. Le but de ce cours est de classifier les endomorphismes de l’espace
vectoriel E, à similitude près. Cela revient à décrire le quotient EndK(E)/S, où Sest la
relation d’équivalence sur EndK(E)décrite par : fSf0⇔ ∃uGLK(E), f0=ufu1
(on dit que fet f0sont semblables).
À chaque endomorphisme f, on va associer de manière unique des polynômes
P1,· · · , PrK[X], appelés invariants de similitude, qui caractérisent la classe de
similitude (c’est-à-dire la classe d’équivalence pour la relation S) ; autrement dit, f
et gsont semblables si et seulement s’ils ont les mêmes invariants de similitude.
On s’intéressera également au problème inverse : étant donné les invariants de simi-
litude, on saura donner un élément de la classe de similitude, sous forme matricielle.
Il s’agit de la réduction de Frobénius, qui généralise la réduction de Jordan (cette
dernière ne concerne que les endomorphismes trigonalisables).
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La théorie des modules constitue un outil naturel pour aboutir à une telle dé-
composition. Signalons cependant qu’une approche sans utiliser les modules est aussi
possible (voir [3]).
1. Modules
Fixons un endomorphisme fdu K-espace vectoriel E. On a envie d’étendre la
multiplication par les scalaires sur Eà une multiplication par des polynômes, grâce
aux polynômes d’endomorphismes :
PK[X],xE, P ·x:= P(f)(x).
Le problème est que K[X]n’est pas un corps, donc on ne peut plus parler d’espace
vectoriel. Ce que l’on obtient est un module sur l’anneau K[X].
Définition 1.1. Soit Aun anneau commutatif (1). Un module sur l’anneau A(ou
plus simplement A-module) est un groupe abélien (M, +) muni d’une loi externe
·:A×MMqui vérifie les axiomes suivants (les mêmes que pour les espaces
vectoriels) :
1. a·(x+y) = a·x+a·y
2. (a+b)·x=a·x+b·x
3. (ab)·x=a·(b·x)
4. 1·x=x
pour tous (a, b)A2et (x, y)M2.
Remarque 1.2. Soit Mun A-module. La loi externe permet de définir une ap-
plication µ:AMM, a 7→ µapar µa(x) = a·x. Le premier axiome équivaut au fait
que pour tout aA,µaest un endomorphisme du groupe M. Les axiomes 2, 3 et 4
équivalent quant à eux au fait que µ:AEnd(M)est un morphisme d’anneaux,
End(M)est l’anneau des endomorphismes du groupe M, muni des opérations +
et . Comme la donnée de la loi externe ou de l’application µsont équivalentes, on en
déduit une autre définition pour les modules, plus compacte et parfois plus pratique
à utiliser :
Définition 1.1 bis. — Soit Aun anneau commutatif. Un module sur l’anneau A
est un groupe abélien (M, +) muni d’un morphisme d’anneaux µ:AEnd(M). Ce
morphisme est appelé morphisme structural.
Bien entendu, lorsque Aest un corps, les notions de module et d’espace vectoriel
sur Acoïncident.
On définit de la même manière que pour les espaces vectoriels les notions de sous-
modules, applications linéaires, isomorphismes, familles libres, familles génératrices,
1. Pour simplifier, on ne considèrera ici que des modules sur des anneaux commutatifs. Dans le
cas d’un anneau non commutatif, il faut faire la distinction entre module à gauche et module à droite.
INVARIANTS DE SIMILITUDE 3
bases, sommes et sommes directes de sous-modules, produits de modules, modules
quotients, etc.
Exemple 1.3. Tout anneau commutatif possède une structure intrinsèque de A-
module, avec la loi externe définie par a·b=a×b. Les sous-modules de Acorres-
pondent aux idéaux.
Exemple 1.4. Soient Aun anneau commutatif, et soit Bune A-algèbre commu-
tative (un anneau commutatif muni d’un morphisme d’anneaux f:AB). Tout
B-module Mpossède une structure naturelle de A-module, obtenue en composant le
morphisme structural par le morphisme f. Autrement dit, la loi externe A×MM
est définie par a·x:= f(a)·x(2). Par exemple, un C-espace vectoriel possède une
structure naturelle de R-espace vectoriel.
Cas particulier : toute A-algèbre Bpossède une structure naturelle de A-module
(pour la loi externe a·b=f(a)×b). Par exemple, lorsque Iest un idéal de A, la
A-algèbre A/I est un A-module (qui correspond au quotient du module Apar le
sous-module I).
Définition 1.5. Un A-module Mest dit cyclique lorsqu’il existe un idéal I6= (0)
tel que Mest isomorphe à A/I.
Exemple 1.6. Le produit cartésien de modules est encore un module. Par exem-
ple, Arest un A-module, ainsi que A/I1× · · · × A/Is, où les Iksont des idéaux de A.
À isomorphisme près, ce sont de tels modules qui vont nous intéresser.
Exemple 1.7. — Tout groupe abélien (M, +) possède une unique structure de Z-
module (en effet, il existe un unique morphisme d’anneaux µ:ZEnd(M)). La loi
externe est définie par :
n·x=
x+x+· · · +x
| {z }
nfois
si n0,
(x) + · · · + (x)
| {z }
|n|fois
si n < 0.
Réciproquement, tout Z-module est un groupe abélien, et ainsi les deux notions coïn-
cident, ainsi que les notions d’applications Z-linéaires et de morphismes de groupes
abéliens. De même, les Z-modules cycliques sont exactement les groupes cycliques.
Exemple 1.8. — Soit fun endomorphisme d’un K-espace vectoriel E. On note
µ:KEnd(E)(3) le morphisme structural. D’après la propriété universelle des an-
neaux de polynômes, il existe un unique morphisme d’anneaux ˜µ:K[X]End(E)
qui prolonge µet qui soit tel que ˜µX=f. Ce morphisme permet de munir Ed’une
structure de module sur l’anneau K[X]: ce module sera noté Ef(en tant que groupe
2. Dans le membre de gauche le point représente la loi externe de A-module, tandis que dans celui
de droite il représente la loi de B-module.
3. Pour éviter toute confusion, on note End(E)les endomorphismes de groupe sur E, et EndK(E)
les endomorphismes de K-espace vectoriel. Bien entendu, on a EndK(E)End(E).
INVARIANTS DE SIMILITUDE 4
abélien, Ef=E). Plus explicitement, le morphisme structural ˜µenvoie un poly-
nôme Psur le polynôme d’endomorphisme P(f), et donc la loi externe est définie par
P·x=P(f)(x). Remarquons que la loi externe prolonge celle de K-espace vectoriel.
De plus, les sous-modules de Efcorrespondent aux sous-espaces vectoriels de Equi
sont stables par f.
Remarque 1.9. Soit Mun K[X]-module. Comme K[X]est une K-algèbre, M
possède une structure naturelle de K-espace vectoriel : on note Mev l’espace vectoriel
sous-jacent. L’application µX:MM, x 7→ X·xdéfinit un endomorphisme de
cet espace vectoriel Mev, et le K[X]-module associé à cet endomorphisme n’est rien
d’autre que le module Mde départ : (Mev)µX=M.
Le but de ce cours est d’étudier ce module Ef(lorsque Eest de dimension finie)
pour en déduire des informations sur la classe de similitude de f.
Proposition 1.10. — Soient Eet E0des K-espaces vectoriels, et soient fet f0des
endomorphismes de ces espaces vectoriels. Les conditions suivantes sont équivalentes :
1. Les endomorphismes fet gsont conjugués, i.e. il existe un isomorphisme d’es-
paces vectoriels u:EE0tel que f0=ufu1.
2. Les modules Efet E0
f0sont isomorphes.
En particulier lorsque E=E0, les endomorphismes fet f0sont semblables si et
seulement si les modules Efet Ef0sont isomorphes.
Démonstration. — Supposons qu’il existe un isomorphisme d’espaces vectoriels u:
EE0tel que f0=ufu1. L’application uest aussi K[X]-linéaire vis-à-vis des
structures de module sur Efet E0
f0. En effet, on a pour tout entier kla relation
ufk=f0ku, qui se traduit par u(Xk·x) = Xk·u(x). Puis la linéarité par rapport
àKimplique que u(P·x) = P·u(x)pour tout PK[X]. La bijectivité de uimplique
que c’est un isomorphisme entre les modules Efet E0
f0.
Réciproquement, si u:EfE0
f0est un isomorphisme de modules, alors c’est en
particulier un isomorphisme d’espaces vectoriels (être linéaire par rapport à Kest
plus faible qu’être linéaire par rapport à K[X]). La relation u(X·x) = X·u(x)se
traduit par u(f(x)) = f0(u(x)) pour tout xE, autrement dit uf=f0u.
Étudier les endomorphismes d’espace vectoriel à similitude près revient donc à
étudier certains modules sur K[X]à isomorphisme près (on verra plus loin à quel
type de modules on peut se restreindre). Voici deux exemples de K[X]-modules, qui
vont constituer les "blocs de base" de notre étude.
Exemple 1.11. Soit PK[X]un polynôme unitaire de degré n, que l’on écrit
P=Xn+Pn1
k=0 akXk. On considère le K[X]-module K[X]/(P). Ce module est
en particulier un K-espace vectoriel (K[X]est une K-algèbre), dont une base est
donnée par la famille (1, X, X2,· · · , Xn1)(4). Considérons l’endomorphisme d’espace
4. On note Qla classe d’un polynôme Qmodulo P.
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vectoriel suivant :
µX:K[X]/(P)K[X]/(P)
Q7→ X·Q=XQ.
Dans la base ci-dessus, la matrice de µXest la matrice compagnon du polynôme P,
définie par :
CP:=
0a0
1...a1
.......
.
.
...0an2
1an
.
Proposition 1.12. — Soit fun endomorphisme d’un K-espace vectoriel Ede di-
mension finie. Les conditions suivantes sont équivalentes :
1. le module Efest cyclique ;
2. le module Efsoit isomorphe à K[X]/(P), où Pest le polynôme minimal de f;
3. il existe une base de Edans laquelle la matrice de fest la matrice compagnon
du polynôme minimal ;
4. il existe un vecteur x0Etel que {Q(f)(x0)|QK[X]}=E.
Lorsqu’une de ces conditions est réalisée, on dit que fest un endomorphisme cyclique.
Remarque 1.13. — En particulier, le degré du polynôme minimal d’un endomor-
phisme cyclique est égal à la dimension. On verra plus loin que cette propriété carac-
térise les endomorphismes cycliques.
Démonstration. — 12: Il existe un isomorphisme u:EfK[X]/I, où Iest un
idéal non nul de K[X]. L’idéal Iest engendré par un unique polynôme unitaire P. Le
polynôme Pest un polynôme annulateur de f, car pour tout xEf, on a P(f)(x) =
P·x=u1(P·u(x)) = u1(P u(x)) = 0. En fait Pest le polynôme minimal, car si
Q(f)=0, on a 0 = Q·u1(1) = u1(Q), ce qui implique QI.
23: D’après la proposition 1.10, l’endomorphisme fest conjugué à l’en-
domorphisme µXsur K[X]/(P)(5) : il existe un isomorphisme d’espaces vectoriels
u:K[X]/(P)Etel que f=uµXu1. Dans la base (u(1),· · · , u(Xn1)) (où n
est le degré de P), la matrice de fest donc la matrice compagnon CP.
34: Soit (e1,· · · , en)une base dans laquelle la matrice de fest égale à CP.
On a alors (e1,· · · , en) = (e1, f(e1),· · · , fn1(e1)). Tout vecteur xs’écrit comme
combinaison linéaire de cette famille, donc comme un polynôme en fappliqué au
vecteur e1.
41: On a un morphisme surjectif de K[X]-modules ϕ:K[X]Ef, Q 7→ Q·x0.
D’après la propriété universelle des modules quotients, on a alors un isomorphisme
5. L’endomorphisme de K-espace vectoriel µXinduit sur K[X]/(P)la structure de K[X]-module
usuelle.
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