La programmation du festival Automne en Normandie est très politique. Comment voyez-
vous la place de
Ruy Blas
au sein de cette programmation qui interroge notre présent face à
l’histoire ?
Précisément, c’est un théâtre d’aujourd’hui qui utilise un objet de notre patrimoine. Nous re-
trouver dans cette diversité des publics et des créations, dans cette multi-culturalité, je trouve
cela très beau, et très politique qu’il y ait une présence du patrimoine dans cette programma-
tion moderne.
D’autres se réclament du théâtre populaire dans la programmation, comme David Bobee.
En quoi le théâtre populaire a-t-il changé depuis un siècle, depuis les premiers grands
réformateurs ?
Le théâtre populaire est celui des hommes associés aux hommes. Ce n’est pas le théâtre de
masse. Ce n’est pas le théâtre pour tout le monde. C’est le théâtre qui associe les hommes entre
eux. J’y vois la considération de l’autre comme constitutif de sa propre personne. Ce qui a pu
changer, c’est la vulgarisation du mot « populaire ». Je revisite le théâtre populaire dans un
monde fragmentaire, divisé, où le marketing dissocie la famille, les classes sociales, les jeunes,
les vieux pour en faire des cibles de consommation. Le théâtre qui rassemble tente de barrer
cette fragmentation, de re-symboliser, tout en laissant une partie d’inachevé pour laisser cha-
cun reconstruire. Le théâtre populaire est un outil de la retrouvaille.
Le répertoire et la création sont souvent mis en porte à faux aujourd’hui. L’un serait
conservateur car patrimonial ; l’autre incarnerait une alternative. De même entend-on souvent,
à juste titre ou pas, parler de la scission entre CDN et réseaux de création. Ce dualisme est
bien entendu malsain, mais quel est votre point de vue sur cet état des lieux ?
Un répertoire, avant de devenir répertoire, est une création ! La création est centrale, pre-
mière. Ce qui m’importe, c’est de parler de la création plutôt que des créateurs. En tant que
telle. Il y a une sorte de confiscation du jeu de la création par des gens qui sont des profes-
sionnels du spectacle vivant. La création d’une troupe amateur est une véritable création.
Aujourd’hui, on a tendance à confondre ces deux endroits. J’aime l’idée de reconnaître la créa-
tion où qu’elle soit.
Propos recueillis par Isabelle Barbéris
CHRISTIAN SCHIARETTI
Né en 1955, Christian Schiaretti débute dans
les années 80 en fondant sa compagnie
avant d’être nommé, en 1991, à la tête de
la Comédie de Reims qu’il dirige durant onze
ans. Il y débute une collaboration avec l’écri-
vain et philosophe Alain Badiou qui aboutit
aux créations des farces contemporaines :
Ahmed le subtil (Festival d’Avignon, 1994),
Ahmed philosophe (1995), Ahmed se fâche
(1995) et Les Citrouilles (1996). Avec Jean-
Pierre Siméon, il crée notamment D’entre
les morts (1999), Stabat mater furiosa
(1999), Le Petit Ordinaire (2000), La Lune
des pauvres (2001). En 2002, il est nommé
à la direction du Théâtre National Populaire
de Villeurbanne. Il y crée notamment
L’Opéra de quat’sous de Bertolt Brecht et
Kurt Weill (2003), L’Annonce faite à Marie de
Claudel (2005) et Coriolan de Shakespeare
(2006), récompensé par de nombreux prix
(Prix Georges-Lerminier 2007, décerné par
le Syndicat de la Critique, Molière du met-
teur en scène et Molière du Théâtre public,
2009…). À la Comédie-Française, il met en
scène Aujourd’hui ou les Coréens de Michel
Vinaver et fait entrer au répertoire de la Salle
Richelieu, Le Grand Théâtre du monde, suivi
du Procès en séparation de l’Âme et du Corps
de Pedro Calderón de la Barca en 2004. En
2008, il monte Par-dessus bord de Michel
Vinaver, joué pour la première fois en France
dans sa version intégrale et récompensé du
Grand Prix du Syndicat de la Critique pour
le meilleur spectacle de l’année 2008. De
2007 à 2009, il crée, avec les comédiens de
la troupe du TNP, plusieurs pièces de Molière
dont Sganarelle ou le Cocu imaginaire,
L’École des maris ou encore Les Précieuses
ridicules. En septembre 2009, il présente à
l’Odéon-Théâtre de l’Europe Philoctète de
Jean-Pierre Siméon avec Laurent Terzieff
dans le rôle titre. L’année suivante, il met en
scène Siècle d’or, un cycle de trois pièces :
Don Quichotte de Miguel de Cervantès, La
Célestine de Fernando de Rojas et Don Juan
de Tirso de Molina. En mai 2011, il crée à
la Colline à Paris le diptyque Mademoiselle
Julie et Créanciers d’ August Strindberg.
© Christian Ganet