Ce que dit la bouche d’ombre
Le titre de ce film est celui du dernier long poème des Contemplations. Les textes de Victor Hugo qui
constituent notre bande-son ne sont pas pour autant puisés dans cette œuvre seule, loin s’en faut. Ils sont
seulement liés aux sens multiples qu’ouvre cette puissante formule, mystère qui prend écho dans toute l’œuvre
hugolienne. Ce que dit la bouche d’ombre, c’est par exemple ce que disent les gouffres, ceux de la terre, de
la mer ou du ciel. C’est ce que disent les tombes, les sépulcres, que l'œuvre de Hugo n’a cessé de fréquenter
et d’invoquer. L’écrivain ira même, de 1853 à 1855, jusqu’à pratiquer des expériences spirites. À cette même
période il s’apprête à publier Les Contemplations, et il laisse entendre que Ce que dit la bouche d’ombre est
un poème en partie lié aux manifestations de la Table spirite, une écriture qui lui est en quelque sorte
commandée par la Table... D’où l’importance que nous avons accordée, en y revenant comme à un repère, aux
Procès-verbaux des séances des Tables Parlantes à Jersey, intégrés depuis longtemps, comme une sorte
d’apocryphe, au sein des Œuvres complètes de Victor Hugo. La bouche d’ombre, c’est souvent celle de cette
Table qui parle...
Ses paroles, consignées par un système qu’il ne rentre pas dans notre propos poétique de détailler
techniquement, sont toujours censées venir de la mort, venir des esprits. Le rapport à la Table, c’est pour Hugo
le rapport aux ténèbres, au gouffre de la tombe, à ce qu’il appelle L’Ombre du sépulcre. Toute sépulture chez
Hugo menace d’une résurrection, et le film convoque des textes où plane (théâtre, prose ou poésie) le thème
du Commandeur. Cette figure est très présente chez l’auteur, et notre première fantasmagorie est d’ailleurs une
évocation de la mise en terre du moine Torquemada, véritable enterré vivant promis sans doute à une
vengeresse résurrection…
La musique qui soude notre choix de thèmes et de textes, c’est le Verbe, le Verbe avec un grand « V », au sens
biblique des commencements et des fins... À ces mots, à ces sons, nous avons affecté des visions ; d’où le
terme de Fantasmagorie... Une grande part de cet univers visuel s’inspire directement de dessins et peintures
de Victor Hugo lui-même, qui deviennent les décors de théâtre de notre fiction, ou le kaléidoscope d’une
imagerie virtuelle. Celle-ci transforme cette œuvre graphique comme la chaleur émanant du chaudron des
sorcières déforme à travers l’air, en rêves tremblants, l’univers derrière elle. Les soleils d’encres de Victor Hugo
se remettent à couler…
Jean-François Jung
Dans l'ombre infinie et indéfinie, il y a quelque chose, ou quelqu'un, de vivant ; mais ce qui est vivant là fait
partie de notre mort. Victor Hugo. L’Homme qui rit.
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