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La Lettre du Gynécologue • n° 378-379 - janvier-février 2013 | 35
Points forts
»
Nous situons les douleurs au sein d’une approche historique globale de l‘individu en rappelant les
similarités avec d’autres tableaux cliniques psychosomatiques et fonctionnels.
»
La localisation pelvienne de la douleur peut trop vite être interprétée comme relevant d’une cause
psychique sans que le médecin ait pris soin d’éliminer une cause somatique.
»
Le médecin est soumis à des sentiments contradictoires vis-à-vis de la patiente : il oscille entre agressivité
et empathie. C’est entre ces registres qu’il devra effectuer les examens complémentaires. L’approche des
douleurs chroniques nécessite une patience et une empathie que la patiente met souvent à rude épreuve.
La dépression masquée sera détaillée dans son versant algique, elle est fréquente chez la femme pré- ou
ménauposique et parfois concomitante avec une crise du milieu de la vie.
Mots-clés
Psychosomatique
Crise du milieu
de la vie
Dépression masquée
Highlights
»
Our approach to breast pain
is based on the patient’s overall
history; this approach is used
with other similar psychoso-
matic and functional clinical
profiles.
»
When the pain is located in
the pelvic region, the physician
could attribute it too hastily to
a psychic cause, without first
eliminating a possible somatic
origin.
»
The physician has conflicting
feelings about the patient: they
alternate between aggressivity
and empathy. He will have to
perform the complementary
examinations in this state of
mind. The management of
chronic pain requires great
patience and empathy, which
are often sorely tried by the
patient. We will discuss the
pain dimension of masked
depression, which is frequent
in pre-menopausal and meno-
pausal women, and sometimes
coincides with midlife crisis.
Keywords
Psychosomatic
Midlife crisis
Masked depression
“rassurez-vous, vous n’avez rien”, une fois le bilan
organique effectué pour éliminer une étiologie orga-
nique. Une telle phrase reflète non seulement un
déni massif du médecin face au poids du psychique
dans l’économie douloureuse d’une pathologie,
mais elle culpabilise aussi le patient vis-à-vis de sa
maladie ou, pire, lui fait penser que le médecin le
considère comme un fabulateur, ce qui fera échouer
toute prise en charge thérapeutique de la chronicité
de son atteinte algique.
C’est dans la seconde moitié du e siècle, en pleine
expansion de la vision organiciste de la maladie, que
le terme psychosomatique est utilisé pour la pre-
mière fois. La psychosomatique suppose au départ
l’existence de facteurs d’ordre psychique qui vont
rendre compte de la causalité et de l’étiopatho-
génie de certaines maladies. On peut constater à
quel point cette conception globaliste de l’homme
est proche de la vision hippocratique de la maladie,
tant la dialectique de l’âme et du corps est chose
ancienne. Pourtant, l’“âme” des anciens ne se résume
pas à la notion du “psychique” au
e
siècle, et
encore moins à la notion de “causalité psychique de
la maladie”, car elle était fortement sous l’influence
des “humeurs”, de l’environnement atmosphérique,
etc. La psychosomatique serait donc une approche
nouvelle d’un problème ancien d’une énigme tou-
jours actuelle.
F. G. Alexander, élève et collaborateur de S. Ferenczi,
a créé aux États-Unis un courant de psychosoma-
tique appelé “médecine psychosomatique”. Sa
conception repose sur une approche dualiste du
malade somatique associant un point de vue psy-
chanalytique et un point de vue physiopathologique
(tableau I). Ces travaux ont abouti à l’édification de
profils de personnalités reliés à un certain nombre
de maladies somatiques, dites psychosomatiques :
asthme, ulcère gastroduodénal, hypertension arté-
rielle, etc.
Pour lui, la maladie peut être la résultante d’une
somme de facteurs étiologiques intervenant plus
ou moins dans son apparition :
➤la naissance :
•facteurs génétiques,
•facteurs constitutionnels,
•
existence de traumatismes obstétricaux, d’une
fœtopathie d’origine infectieuse, toxique ;
➤l'enfance :
•nursing, qualité des interactions précoces,
•
climat affectif familial (carence, angoisse,
dépressivité), pathologie psychique parentale,
•
traumatismes physiques ou psychiques fami-
liaux ou personnels, carences affectives, deuils,
séparations pertes,
•maladies pouvant augmenter la vulnérabilité ;
➤l'adolescence, l'âge adulte :
•
traumatismes physiques, psychiques, deuils,
séparations, pertes,
•
qualité, quantité des expériences affectives,
sociales.
Dans cette logique, la théorie psychanalytique
a pu être mal utilisée, comme aboutissant à une
conception d’une “causalité purement psychique de
la maladie”, comme un facteur étiologique unique
et totalisant à mettre au même rang qu’une cause
purement organique qui déclencherait une maladie.
Le risque de cette vision est de ne plus appréhender
à leur juste valeur les composantes organiques
en cause dans l’étiopathogénie du trouble et de
culpabiliser à outrance le patient : “Vous avez fait
votre cancer.” Que d’échecs de prise en charge par
incompréhension radicale ou par passage intem-
pestif d’une simplification d’idées complexes dans
le grand public !
Il est bien plus intéressant de tenter d’appréhender
la charnière psychosomatique comme une unité
indissociable, une synthèse qui reste toujours à
interroger comme le dit l’adage : “Une maladie
psychosomatique est 100 % somatique et 100 %
psychique.” Cet adage souligne bien le monisme à
l’œuvre où tantôt le psychique, tantôt le somatique,
est le “tout” de la maladie, l’identité entre 2 versions
d’un processus unique.
Pour comprendre les conditions dans lesquelles a pu
se développer une maladie somatique, la psycho-
somatique psychanalytique actuelle ne part pas de
Tableau I. Théories psychosomatiques et conceptions
antagonistes de la maladie.
Notion de dualisme somapsyché : avoir une maladie
Approche mécaniste, anatomiste, atomistique, galiéniste
Notion moniste de la maladie : être malade
Approche vitaliste, humorale, totaliste, hippocratique