L’Information psychiatrique 2012 ; 88 : 361–4 LES CÉRÉBROLÉSÉS Le travail en synergie avec les autres soignants Jean-Pierre Vignat Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. RÉSUMÉ La prise en charge des patients cérébrolésés implique, simultanément et successivement, plusieurs professionnels de santé. La mise en place d’un partenariat, dont sont rappelés les prérequis, est indispensable. Même si tous les soignants concourent explicitement à la restauration de l’autonomie du patient, la mise en synergie implique une modélisation commune de l’atteinte cérébrale et de ses conséquences. L’approche psychopathologique est nécessaire pour la construction d’une représentation partagée des troubles. Pour travailler en synergie, forme accomplie de la collaboration, les soignants s’inscrivent dans un système avec le patient et son environnement proximal. Mots clés : lésion cérébrale, prise en charge, équipe pluridisciplinaire ABSTRACT Working in synergy with other caregivers. The management of patients with brain damage implies, simultaneously or successively, several health professionals. The establishment of a partnership, where prerequisites are required, is indispensable. Although all caregivers contribute explicitly to restore the patient’s autonomy, the synergy implies a common modelling of the brain injury and its consequences. The psychopathological approach is necessary for the construction of a shared representation of disorders. In order to work in synergy, in an effective form of collaboration, caregivers must be an integral part of a system with the patient as well as their immediate environment. Key words: brain injury, management, multidisciplinary team RESUMEN El trabajo en sinergia con el resto del equipo sanitario. La atención a los pacientes cerebro-lesionados implica, simultánea y sucesivamente, a varios profesionales de salud. Es indispensable la previa puesta en marcha de un acuerdo cuyos prerequisitos se recordarán. Aunque todo el equipo sanitario esté explícitamente volcado a la restauración de la autonomía del paciente, la puesta en sinergia supone una modelización común de la vulneración cerebral y de sus consecuencias. El enfoque psicopatológico es necesario para construir una representación compartida de los trastornos. Para trabajar en sinergia, forma cumplida de la colaboración, el equipo sanitario se inscribe en un sistema con el paciente y su entorno más próximo. doi:10.1684/ipe.2012.0928 Palabras claves : lesión cerebral, atención global, equipo pluridisciplinar Psychiatre, 6, avenue Leclerc, 69007 Lyon, France <[email protected]> Tirés à part : J.-P. Vignat L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 88, N◦ 5 - MAI 2012 Pour citer cet article : Vignat JP. Le travail en synergie avec les autres soignants. L’Information psychiatrique 2012 ; 88 : 361-4 doi:10.1684/ipe.2012.0928 361 J.-P. Vignat Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. La prise en charge des patients cérébrolésés implique, simultanément et successivement, plusieurs professionnels de santé. De ce fait, la coordination de leur intervention est une nécessité et cette évidence semble dispenser d’aller plus loin. La réalité est moins simple ; la coordination ne se résume pas à la gestion du temps et de l’espace entre les intervenants ni au constat que chacun concourt, comme il se doit, au but commun : la restauration, le maintien ou l’amélioration de l’autonomie et de la liberté du patient et l’apaisement de ses souffrances. Par ailleurs, la coordination, au sens de l’ajustement et de l’harmonisation des actions, ne répond pas véritablement aux besoins du patient cérébrolésé grave. Le retour aux données Il est nécessaire de revenir aux données du problème ; la lésion cérébrale entraîne des atteintes fonctionnelles directes, exprimées par les troubles neurologiques moteurs, sensoriels et cognitifs, repérables et mesurables par différentes méthodes. On sait qu’une partie de ces manifestations traduisent la mise en œuvre de divers mécanismes adaptatifs de l’appareil neurobiologique. Les désordres cérébraux se manifestent parfois par une sémiologie « psychiatrique », notamment comportementale. Les atteintes cognitives ne se limitent pas aux fonctions instrumentales ; elles retentissent, parfois profondément, sur l’appareil psychique et d’abord sur le sentiment de soi défini comme « l’éprouvé de différenciation d’avec les autres, d’unité et d’identité, avec une stabilité des limites du soi et de sa permanence » [1]. L’éprouvé corporel modifié, souvent considérablement du fait de l’atteinte neurologique, parfois douloureuse, met en cause les assises-mêmes de la construction psychique, au plan de l’image du corps, de la représentation de l’espace et de la relation aux autres et à la réalité. La conscience de la déficience, à laquelle s’ajoute le cas échéant un syndrome psychotraumatique et/ou le matériel psychique subsistant du passage en réanimation (le « trou réa » décrit par Grosclaude [2]), est également à prendre en compte. Les défenses qu’active l’appareil psychique, en lien avec l’appareil neurobiologique, modifient encore la donne. Ces remaniements s’opèrent selon les lignes de la structure psychique. La prise en charge s’inscrit ainsi obligatoirement à la jonction du somatique, du psychique et du social. La nécessité d’une modélisation globale Au terme des bilans neurologique, neuropsychologique, psychiatrique, orthophonique, psychomoteur. . . et social du patient, il est souhaitable de construire une modélisation 362 globale. Chaque professionnel intervenant auprès du patient peut y référer son axe de lecture des troubles. Dans la pratique clinique, cette construction ne va pas de soi. Les axes de lecture sont le plus souvent exclusifs les uns des autres ou, au mieux, ont la caractéristique des lignes parallèles. De plus, les symptômes d’allure psychiatrique au plan de l’humeur (tonalité dépressive ou joviale), du discours (rapport déformé à la réalité) ou du comportement (bizarreries ou inadaptations) sont rapportés à l’atteinte cérébrale sans autre précision et ainsi placés hors champ de lecture. Il est bien certain que l’existence d’une lésion cérébrale renforce la tentation du « tout neurobiologique ». De ce fait, le sens et la fonction des symptômes ne sont pas systématiquement recherchés. C’est particulièrement regrettable pour les troubles du comportement chez les patients dont l’expression verbale est réduite, altérée ou détruite. On sait la fonction de réponse répétitive de ces comportements aux modifications de l’environnement. Ces modifications incluent les événements en périimmédiat du comportement, notamment le positionnement des professionnels et leur réaction vis-à-vis du patient ainsi que celle des personnes à proximité. L’impasse qui est ainsi faite a deux conséquences : la répétition inlassable du comportement et la difficulté de toute coordination entre les intervenants. Inversement, l’approche de ces comportements implique la mise en œuvre d’une méthode spécifique appliquée par tous les professionnels concernés. Les soignants Les professionnels de santé susceptibles d’intervenir directement auprès d’un patient cérébrolésé sont en nombre : neurologue, neuropsychologue, kinésithérapeute, ergothérapeute, orthophoniste, psychomotricien, psychiatre. . . Certains sont présents dès le constat de l’atteinte cérébrale, d’autres dans les suites précoces, au titre de l’évaluation et/ou de la rééducation puis de la réadaptation. D’autres sont en charge de la restauration du lien social, souvent réduite à la récupération des droits sociaux ; pour autant, l’action des professionnels du service social constitue une véritable composante du soin. D’autres encore, notamment le psychologue et le psychiatre, sont souvent requis en cas de difficultés ou d’incidents dans l’évolution : état dépressif, trouble du comportement par exemple. De plus, certains aspects cliniques sont systématiquement tenus pour des complications alors qu’ils expriment des mécanismes défensifs ou des stratégies adaptatives. Cet aspect de la prise en charge mérite qu’on s’y arrête un instant. La prévalence très élevée de la dépression poststroke est aussi connue que celle du baby-blues. Néanmoins, le psychologue et le psychiatre ne sont habituellement sollicités que lorsque la stagnation de la récupération est rapportée à la dépression. Diagnostiquée tardivement, la L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 88, N◦ 5 - MAI 2012 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. Le travail en synergie avec les autres soignants décompensation est plus difficile à traiter en même temps que la rééducation et la réadaptation sont compromises, parfois définitivement. On pourrait en dire autant en ce qui concerne les troubles psychotraumatiques dont on pensait que les atteintes corporelles constituaient une protection. Les atteintes cérébrales, dès lors qu’elles entraînent des déficiences fonctionnelles importantes qui mobilisent les intervenants de première ligne suivis des rééducateurs, apparaissent encore trop souvent comme des mises entre parenthèses des troubles psychiques antécédents, notamment des troubles de la personnalité, même si la lésion cérébrale est directement la conséquence d’un comportement suicidaire ou à risque. L’intervention indirecte des soignants n’est pas à sous-estimer. Ce champ est celui de l’environnement de proximité du patient : conjoint, enfants, parents ; il convient d’y adjoindre les aidants professionnels qui peuvent être concernés. Cette intervention vise à un étayage associant une information et, si nécessaire, une contenance émotionnelle. Elle nécessite le même souci de coordination que le soin direct. À noter que les soignants ne sont pas les seuls professionnels à intervenir auprès des patients cérébrolésés. Des enseignants, des moniteurs techniques notamment sont présents dans les centres de réadaptation. La coordination, pas toujours facile, mérite néanmoins d’être recherchée. Les formes de relation entre soignants À y regarder de près la relation entre les professionnels intervenant auprès d’un même patient peut offrir des formes très différentes, aussi bien dans le cadre institutionnel que dans le cadre libéral qui lui succède souvent. Il convient de distinguer la prestation de service, la sous-traitance et le partenariat, en allant du plus simple au plus complexe. Dans la prestation de service, l’intervenant assure un soin limité en étendue et en durée, à la demande directe d’un autre professionnel ou indirecte, via le patient lui-même ou plus souvent un proche. Dans la sous-traitance, l’intervenant – individu ou équipe – assure une partie, majeure le cas échéant, de la prise en charge sur délégation du coordonnateur des soins. Ces deux formes sont parfaitement acceptables. Elles ont cependant l’inconvénient de ne pas inclure un retour obligatoire d’information, avec le risque d’une absence de coordination véritable. Le partenariat est la forme la plus achevée de la relation entre les professionnels. Il peut s’établir entre des institutions, des équipes, des professionnels isolés mais aussi entre les professionnels d’une même équipe. Il suppose plusieurs préalables incontournables qu’une formule simple peut résumer : un partenariat ne peut s’établir que lorsque chaque partenaire a formé de son ou ses partenaires pressentis une représentation dans laquelle ceux-ci se reconnaissent. Chacun est ainsi amené à préciser son champ de compétence, ses fondements théoriques, sa méthode d’intervention, ses moyens, ses limites, etc. afin de permettre aux autres de former une représentation adaptée. Cette phase préparatoire n’est pas toujours réalisée, moins par manque de temps que parce qu’elle semble superflue, et le terme de partenariat est alors utilisé sans référence au concept. C’est ce qui rend compte des difficultés de certaines coopérations ou de leur échec. En revanche, cette phase est réalisée rapidement lorsque chaque professionnel a pu précédemment découvrir le métier des autres et s’en faire une représentation pertinente. La représentation des troubles et l’approche psychopathologique La modélisation commune des troubles résultant d’une atteinte cérébrale ne va pas de soi. La phase préparatoire au partenariat la facilite. On est cependant encore éloigné d’une représentation partagée des troubles en général et de ceux d’un patient en particulier. Cette représentation ne concerne pas seulement les sphères sensorielles, motrices, cognitives, émotionnelles mais aussi la relation à l’autre, le rapport à la réalité, le contrôle des impulsions. . . L’approche psychopathologique est ainsi autant nécessaire que les approches plus habituelles. Le profil psychopathologique entre dans la représentation des troubles et dans le projet personnalisé de prise en charge. Celui-ci est partagé par tous les professionnels de santé. Les objectifs sont définis en commun, l’action de chacun s’inscrivant dans l’interaction avec le patient et, de ce fait, interagissant avec l’action des autres. Il s’agit moins d’une interaction technique que d’une interaction psychologique. Le risque est celui d’une interférence entre les effets psychiques des interventions. Ces effets sont pour une part liés au jeu des attitudes et contre-attitudes (entendues comme l’ensemble des réactions conscientes et inconscientes des professionnels vis-à-vis d’un patient) des intervenants. Ainsi, l’attitude maternante d’un professionnel et la démarche d’autonomisation d’un autre peuvent se trouver en contradiction, voire placer le patient dans un conflit de loyauté ou dans un système paradoxal. En d’autres termes, la définition et la validation partagées des objectifs, qui représentent déjà une démarche ambitieuse, ne sont pas suffisantes. Il serait souhaitable de mettre en place une concertation sur le positionnement relationnel et l’attitude de chaque intervenant vis-à-vis du patient. Cette concertation est tout autant importante vis-àvis de l’entourage proximal du patient. Les divergences, parfois les véritables discordances, des informations et des attitudes des professionnels parasitent la prise en charge et majorent la souffrance des aidants familiaux. Les L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 88, N◦ 5 - MAI 2012 363 J.-P. Vignat assistants de service social peuvent à cet égard apporter une contribution particulièrement importante de par leur compétence en proximologie. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. Les dispositifs anticlivages Du fait de leur structure psychique – par définition antécédente – du type état limite notamment ou de l’activation de mécanismes de défenses prégénitaux, un nombre important de patients induisent des phénomènes de clivage – ou de déliaison – chez les intervenants, individuellement et collectivement. Cela rend compte du caractère strictement factuel, style rapport de gendarmerie, de la description du patient, ou plus exactement de ses troubles, par certains professionnels et de leur difficulté à s’inscrire dans une démarche concertée. Pour être méconnu, le risque n’en est pas moins bien présent et actif sur les prises en charges. Par suite, la mise en place d’un espace de concertation, même à titre ponctuel, a la fonction d’un dispositif anticlivage. Toutefois, celui-ci est opérationnel à la seule condition d’employer une méthode du type synthèse clinique qui assure la liberté de la parole et permet à chacun de travailler sur son ressenti dans la rencontre du patient et au cours de sa prise en charge. Convaincre tous les intervenants de l’intérêt de cette méthode n’est pas la moindre des tâches. Les points de vulnérabilité au clivage se situent à plusieurs niveaux dont certains ont déjà été évoqués, ainsi le positionnement et l’attitude des différents professionnels. Les divergences des objectifs de soins peuvent exprimer le clivage. Un aspect moins connu du clivage réside dans les divergences du repérage et de l’interprétation des résistances au traitement chez le patient, ses proches mais aussi les soignants. À titre d’exemple, la stagnation des progrès de la récupération locomotrice sera mise au compte de la détérioration des fonctions exécutives en récusant toute référence au maintien de la dépendance du patient lié à la réorganisation du système conjugal ou familial. 364 La synergie, enfin L’effet de l’action conjuguée est plus grand que la somme des effets attendus si les acteurs agissaient indépendamment. Cette définition classique de la synergie ne dit rien de la condition fondamentale, à savoir que les acteurs sont engagés dans un système. C’est effectivement un système implicite ou explicite qui est créé autour du patient ou plutôt avec lui et avec son environnement proximal. C’est en termes systémiques que l’organisation des soins et les relations entre les intervenants peuvent être pensées. Cette conception ne va pas de soi ; les intervenants appartiennent souvent à des services différents ou à des institutions différentes ou, pour certains, sont de statut libéral. Il est cependant possible de proposer un tel modèle. Travailler en synergie avec les autres soignants n’est pas plus facile pour le psychiatre que pour les somaticiens et les rééducateurs. Accepter les approches différentes des autres soignants exige un effort de compréhension constamment entretenu. Par ailleurs, la tentation est grande de s’en tenir au schéma classique de la prise en charge du patient malade mental. La présence d’une sémiologie familière au psychiste, comme les idées délirantes ou l’humeur dépressive, ne doit pas faire oublier la dimension de l’atteinte cérébrale et les multiples niveaux de son impact, et des modifications qui s’ensuivent. Conflits d’intérêts : aucun. Références 1. Racamier PC. Le moi, le soi, la personne et la psychose. Essai sur la personnation (rééd.). L’Évolution psychiatrique 2007 ; 72 : 659-79. 2. Grosclaude M. Réanimation et coma, soins psychique et vécu du patient. Paris : Masson éditions, 2002. 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