6MÉLINÉE SCHINDLER
Les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), sous l’impulsion du
professeur Didier Pittet, ont promu dans les années 1990 l’usage généra-
lisé d’une solution hydro-alcoolique pour la désinfection des mains. À
l’instar de la solution de chlorure de chaux introduite dans un hôpital vien-
nois, 150 ans auparavant, par I. Semmelweis qui a fait chuter spectaculai-
rement la mortalité due aux fièvres puerpérales, la solution genevoise a
entraîné sur le site une réduction de moitié des infections nosocomiales.
Si le danger infectieux demeure, le contexte a changé.
L’environnement miasmatique du XIXesiècle a fait place à un «nouvel»
ennemi, les bactéries, du moins celles qui ont développé une multirésis-
tance due essentiellement au mésusage des antibiotiques et aux excès anti-
bactériens (Levy, 1999 ; Pittet et Boyce, 2001). Selon l’Organisation
mondiale de la santé (OMS), les infections nosocomiales représentent l’un
des problèmes majeurs de santé publique que connaissent les sociétés à
l’heure de la globalisation. Les chiffres sont connus : 5 à 10 % des
malades hospitalisés sont atteints par ces infections dans les pays déve-
loppés, jusqu’à 25 % dans les pays en développement, soit au total
1,4 million de personnes chaque jour dans les hôpitaux à travers le monde
(Spiroux et Rambaud, 2008 ; WHO, 2008). L’incidence de ce phénomène
iatrogénique entraîne une morbidité et des surcoûts hospitaliers considé-
rables.
Confronté à la nécessité de favoriser l’augmentation du taux d’ob-
servance de l’hygiène des mains, le service Prévention et contrôle de l’in-
fection (SPCI) des HUG a souhaité une contribution de la sociologie à ses
recherches. L’hypothèse de départ était que l’observance ne dépendait pas
que de la seule compréhension de la pathogénie infectieuse à la base des
protocoles d’hygiène, mais plus largement de facteurs anthropologiques et
sociologiques. Serait-il possible d’évaluer les perceptions que le person-
nel soignant associe aux notions telles que le risque, le danger, la propreté,
la souillure, de manière à obtenir une explication rationnelle de la varia-
tion des comportements en matière d’hygiène manuelle?
Dûment mandatée, nous avons mené une enquête auprès de 38 soi-
gnants en 8 séances d’entretiens de groupe. Ces échanges ont confirmé de
manière assez uniforme les constats dominants chez les spécialistes en
prévention des infections: la protection de soi l’emporte sur la protection
de l’autre, les infirmières sont plus «observantes» que les médecins, la
pratique répétée du geste aseptique n’est pas toujours facile (Lankford et
al., 2003; Pittet et al., 1999). Mais, au-delà de ces constats sans surprise,
nous avons découvert au fil de l’étude un certain nombre de résistances
qui s’organisent autour de deux axes. Le premier concerne ce que les pro-
fessionnels appellent le «contact patient», et que nous nous proposons de
nommer ici « contact aseptique ». Le soignant est mis en demeure de
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