Application au défendeur du principe de

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Application au défendeur du principe de concentration
des moyens
le 22 octobre 2014
CIVIL | Procédure civile
Dès lors qu’il y avait identité de parties, de cause et d’objet entre une ordonnance d’injonction de
payer ayant acquis l’autorité de la chose jugée et une demande formulée postérieurement au délai
d’opposition, cette dernière se heurte à la fin de non-recevoir tirée de la chose jugée et est donc
irrecevable.
Civ. 1re, 1er oct. 2014, FS-P+B, n° 13-22.388
Rendu par la première chambre civile, cet arrêt mérite l’attention en ce qu’il illustre la véritable
utilité du principe de concentration des moyens consacré par l’arrêt Cesareo (Cass., ass. plén., 7
juill. 2006, n° 04-10.672, Cesareo, Bull. ass. plén., n° 8 ; D. 2006. 2135, et les obs. , note L. Weiller
; RDI 2006. 500, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2006. 825, obs. R. Perrot ; JCP 2006. I. 183, obs. S.
Amrani-Mekki ; Gaz. Pal. 2007 398, note Gain ; Dr. et proc. 2006. 348, note N. Fricero).
En l’espèce, un organisme de crédit avait obtenu une ordonnance d’injonction de payer à l’encontre
d’un emprunteur. Ce dernier avait formé une opposition qui fut déclarée irrecevable en raison de sa
tardiveté. Il avait donc, par la suite, saisi un tribunal d’instance d’une demande tendant à faire
juger qu’il n’avait pas accepté l’offre préalable de crédit et qu’il ne pouvait, par conséquent, être
tenu d’un quelconque remboursement. Il prétendait, notamment, qu’il n’avait pu être établi avec
certitude que la signature présente dans l’acte était bien la sienne.
Une cour d’appel avait opposé à cette demande une fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la
chose jugée qui s’attachait à l’ordonnance portant injonction de payer, ce que contestait le
demandeur devant la Cour de cassation. Il avançait que l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à
l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement et qu’il est nécessaire que la chose demandée soit la
même, que la demande soit fondée sur la même cause, que la demande soit entre les mêmes
parties et formée par elles et contre elles en la même qualité. Or, selon lui, l’ordonnance portant
injonction de payer une somme due en application d’un contrat de prêt ne s’était pas prononcée
sur la contestation de la signature de ce contrat, de sorte que la demande ultérieure en
inopposabilité de l’acte de prêt en raison de l’absence de conclusion du contrat ne pouvait porter
atteinte à l’autorité de la chose jugée attachée à cette ordonnance.
Rejetant le pourvoi, la Cour de cassation énonce, par le biais d’un « chapeau intérieur » qui permet
classiquement d’énoncer une règle de principe au sein d’un arrêt de rejet, qu’il incombe au
défendeur de présenter, dès l’instance relative à la première demande, l’ensemble des moyens
qu’il estime de nature à justifier son rejet total ou partiel. Elle relève ensuite que, comme
l’établissait la cour d’appel, il y avait identité de parties, de cause et d’objet entre l’ordonnance
d’injonction de payer ayant acquis l’autorité de la chose jugée quant à la condamnation de la
demanderesse au paiement des sommes dues en vertu d’un contrat, et les demandes
postérieurement présentées. Par conséquent, ces dernières se heurtaient à la fin de non-recevoir
tirée de la chose jugée et devaient être déclarées irrecevables.
Cet arrêt présente deux intérêts immédiats.
Il rappelle d’abord que le demandeur n’est pas le seul à être soumis au principe de concentration
des moyens. Peu de temps après l’arrêt Cesareo, la Cour de cassation a précisé que cette
obligation de concentration s’impose aussi bien au demandeur qu’au défendeur (V. Com. 20 févr.
2007, n° 05-18.322, Bull. civ. IV, n° 49), auquel il est désormais imposé de présenter, dès l’instance
relative à la première demande, l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à faire échec à la
demande (V. Civ. 3e, 13 févr. 2008, n° 06-22.093, Bull. civ. III, n° 28 ; Dalloz actualité, 20 févr.
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2008, obs. G. Forest ; RDI 2008. 280, obs. P. Malinvaud ; JCP 2008. II. 10052, note Weiller). Cette
contrainte impose donc aux parties et à leurs conseils d’envisager dès l’instance relative à la
première demande l’ensemble des arguments susceptibles de fonder le rejet de la demande
formulée à leur encontre.
Il souligne, ensuite, la finalité d’une telle contrainte procédurale. Dès l’instant qu’une partie s’est
abstenu de formuler toutes les moyens envisageables au soutien de l’admission ou du rejet d’une
prétention, l’autorité de la chose jugée s’oppose, lorsque la triple identité de cause, de parties et
d’objet prévue par l’article 1351 du code civil est respectée, à ce qu’il introduise une nouvelle
action destinée au même but que la précédente. De ce point de vue, le principe de concentration
des moyens correspond au but premier de l’autorité de la chose jugée qui est celui d’empêcher, par
le biais d’une fin de non-recevoir tirée de l’article 122 du code de procédure civile, un
renouvellement du procès dès lors que le résultat obtenu ne satisfait pas l’une ou l’autre des
parties (sur les intérêts d’une telle exigence, V. Rép. pr. civ., v° Chose jugée, par C. Bouty, nos 570
s.). Mais il étend, dans le même temps, les contours de cette autorité, laquelle peut désormais
s’opposer à des arguments qui, par hypothèse, n’ont pas fait l’objet d’un examen par le juge, dès
lors qu’ils n’ont pas été soulevés à temps (V. l’approche déjà critique de Motulsky à l’égard d’une
telle extension, H. Motulsky, Pour une délimitation plus précise de l’autorité de la chose jugée en
matière civile, D. 1968. Chron. 1, n° 40).
Ici, la Cour de cassation s’oppose à ce que le critère de l’objet ne serve à contourner la négligence
de la partie demanderesse dans l’invocation des moyens destinés à fonder le rejet d’une demande.
En l’espèce, la seconde action avait été intentée pour pallier l’écoulement du délai d’opposition qui
empêchait la demanderesse de contester l’ordonnance rendue. Son argumentation consistait à
prétendre que cette décision ne s’était pas prononcée sur la question de la vérification de la
signature apposée à l’acte concerné, de sorte que la demande postérieurement présentée par elle
et qui visait à opérer cette vérification ne présentait pas le même objet que l’ordonnance. Par
conséquent, il manquait selon elle l’une des conditions de l’autorité de la chose jugée telle qu’elles
résultent de l’article 1351 du code civil, aux termes duquel cette autorité est conditionnée à une
triple identité de cause, d’objet et de parties entre les deux demandes successivement formées.
Or l’argument ainsi développé n’était pas pertinent. La demande introduite par la demanderesse
avait pour but de faire échec à sa condamnation au paiement des sommes dues au titre du contrat
de prêt, laquelle constituait précisément l’objet de la demande formulée au cours du premier
procès… L’absence de vérification de l’authenticité de la signature n’était donc rien d’autre qu’un
moyen destiné à faire échec à la demande de condamnation et devait donc, en tant que tel, être
soulevée dans le cadre de l’instance qui était destinée à la traiter.
par Mehdi Kebir
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