!1) Le lieu
Candide et ses compagnons ne s’établissent pas en Allemagne (où se trouvait le château de Thunder-ten-Tronckh), et
même pas en Europe. En effet, leurs pérégrinations leur ont montré que la violence règne partout en Occident.
Allemagne : la guerre (Chap.3) ; Portugal : le fanatisme (Chap. 6) ; Surinam (Nord de l’Amérique du Sud) : l’esclavage
(Chap.19) ; France : disputes et querelles à propos de tout et de rien (Chap.22) ; Angleterre : brutalité (Chap.23) ;
Venise : six rois déchus qui racontent leur histoire (Chap.26)
Le groupe s’installe donc en Orient
- Étymologiquement, “orior” signifie “naître”, on peut donc imaginer la naissance d’une nouvelle façon d’être ensemble,
comme une utopie réalisable, qui répondrait à l’utopie irréalisable de l’Eldorado.
- On remarquera que l’empire ottoman n’était pas particulièrement connu pour sa clémence : le régime turc est en
effet loin d’une démocratie si l’on en croit les exils, empalements et autres étranglements relatés avec une désinvolture
ironique par le narrateur (“cette catastrophe faisait partout grand bruit pendant quelques heures”). Et c’est pourtant ce
pays que choisissent les personnages, comme un pied de nez à la civilisation occidentale.
- Enfin la Turquie étant un pays musulman, le choix de s’y établir montre le peu de cas que font nos personnages de leur
religion judéo-chrétienne, autre impertinence de la part de Voltaire.
!2) Les personnages
Parmi les trois personnages principaux, deux évoluent et le troisième reste tel qu’en lui-même.
!!a) Candide, personnage éponyme et héros de ce roman d’apprentissage, évolue dans le sens de la
lucidité et de l’autonomie.
- Il n’est plus asservi par les violents, Il n’est plus à la poursuite ou à la traîne des autres, c’est maintenant lui qui semble
escorté par la petite troupe : c’est lui qui tire de “profondes réflexions” de la visite au “bon vieillard”, c’est lui qui affirme
un mode de vie qui est aussi un plan d’action, bref c’est maintenant lui qui décide du destin de la petite communauté, de
même que c’est à lui que revient le mot de la fin (“cultiver notre jardin”)
- Il n’est plus dans l’illusion philosophique du “tout est bien” : après avoir dit au derviche qu’il y avait “horriblement de mal
sur la terre”, montrant par là la fin de son aveuglement et son affranchissement des théories de son maître, il est
devenu capable d’interrompre la logorrhée de celui-ci. Il s’est forgé une philosophie personnelle issue de son
expérience, une philosophie réaliste par opposition à la philosophie de Pangloss qui niait le réel.
!!b) Cunégonde, personnage féminin qui valait par sa beauté, est devenue laide. Mais elle saura se faire
bonne pâtissière, se rendant donc utile et acquérant par là sa place dans la communauté. De pur objet de décoration ou
de convoitise, elle devient actrice de sa vie.
!!c) Pangloss, lui, ne change pas d’un iota (de même que Martin, toujours aussi pessimiste), et le conte
se termine par des discours qui montent qu’il n’a rien appris : longue liste d’exemples inutiles, références aux
philosophes ou citation de la Bible qui montrent qu’il ne pense jamais par lui-même (“selon le rapport de tous les
philosophes”, citation de la Genèse “ut operaretur eum”), raisonnement absurde qui établit une relation logique entre
Inquisition et cédrats confits.
!3) La structure sociale
On est encore dans un microcosme, mais tout a changé :
- à la place des préjugés de caste et du mépris nobiliaire, une société égalitaire où chacun contribue en fonction de ses
capacités (sans oublier l’agrément : Cunégonde fait de la pâtisserie en plus de la cuisine, Paquette décore les
vêtements avec des broderies, Giroflée devient honnête homme en devenant menuisier)
- à la place d’une société de l’illusion où des chiens de basse-cour faisaient office de chiens de chasse, où un vicaire de
village jouait au grand aumônier, une organisation efficace et productive qui fait surgir l’abondance (la petite terre
rapporta beaucoup).
- à la place d’un héros chassé du paradis, un héros qui construit son propre paradis (un sort bien préférable à celui des
six rois)
- à la place des raisonnements absurdes d’un Pangloss, une philosophie pratique et agissante, qui fait la part belle au
travail et à l’effort concret.
- Adieu la philosophie ! La vie doit être axée sur le travail et l’utilité économique. Au lieu de discourir vainement et de
chercher à connaître l’inconnaissable, il faut agir (ne dit-on pas que l’action rend optimiste, tandis que la réflexion rend
pessimiste ?), en solidarité avec les autres membres du groupe, et sans chercher à atteindre une perfection qui n’est
pas de cette terre.
- On notera que le jardin n’est pas vraiment un paradis (même s’il a l’avantage d’être vrai, lui, alors que le “paradis” de
Thunder-ten-Tronckh n’était qu'illusion). Il permet seulement ce que Martin appelle “une vie supportable”. Il ne cherche
pas à atteindre une perfection qui n’est pas de cette terre, et l’idéal qu’il propose n’est pas très exaltant : Voltaire
d’ailleurs, dans une lettre du 31 mai 1761, parlera lui-même d’un “sauve-qui-peut général”.
- Enfin, le problème du Mal sur terre n’est pas réglé, il est seulement esquivé. On se met à l’écart, à l’abri, mais le
monde continue à aller aussi mal que possible.
Cet isolationnisme est en contradiction avec l'engagement dont Voltaire a toujours fait preuve. La tentation du jardin est
en fait une solution à la crise que travers Voltaire au moment de son installation à Ferney. Mais Voltaire ne résistera pas
longtemps aux sollicitations de l’actualité, et il ne faudra guère de temps pour que la retraite de Voltaire ne devienne un
des centres de l’activité politique et intellectuelle de l’Europe !