Séquence 3, texte 1 : Candide, incipit

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Séquence 3, texte 1 : Candide, incipit
Comment Voltaire subvertit-il le conte traditionnel ?
I – Les éléments du conte traditionnel
A) Le cadre spatio-temporel
L’expression initiale « il y avait » est du côté du
conte. Nous sommes dans un temps et un monde
idéal.
Imparfait duratif et tournure présentative « il y
avait » typique du « il était une fois »
Les imparfaits se succèdent, temps de l’arrièreplan : rien ne se passe, nous sommes dans la
situation initiale.
Le décor et les personnages rappellent également
l’univers du conte.
Nous sommes dans un « château », avec baron, fille
du baron (la princesse) et jeune héros.
B ) Des personnages schématiques
Les noms signifiants des personnages renvoient
également à l’univers du conte.
Cf. « Le petit poucet », « Blanche-Neige » etc…
Ainsi Candide connote l’innocence.
Pangloss apparaît comme un savant.
Racines savantes grecques : pan (tout) gloss
(parler) : celui qui parle toutes les langues.
Le baron de Thunder-Ten-Tronck évoque
l’agressivité, la colère, une forme de violence.
Allitérations en « T » et « D » qui créent un effet de
cacophonie, plus mot anglais « thunder » : le
tonnerre.
Les descriptions sont réduites à des détails
physiques marquants : les femmes sont grasses.
« fraîche, grasse » ; « trois cent cinquante livres »
C) Le meilleur des mondes possibles
Le château est un monde idéal
L’extrait se termine sur « mieux ».
Le vocabulaire mélioratif abonde : « droit » « bon et
honnête gentilhomme » « grande considération »
« digne » « bonne foi » « admirablement »
Et même extraordinaire : nous sommes dans
l’éloge.
Emploi des superlatifs : « le plus simple » « un des
plus puissants » « meilleur » « le plus beau »
Tous y vivent dans une harmonie parfaite.
Une famille équilibrée (père/mère fils/fille) où les
qualités s’héritent. Cette harmonie est d’ailleurs
justifiée par Pangloss : « prouvait » « il est
démontré ». Un monde de certitudes.
TRANSITION :
« Cependant cette ambiance de conte
habilement transformée par Voltaire »
est
II – Un conte subverti
A) Les décalages par rapport au modèle
A l’imprécision du conte, Voltaire substitue une
localisation géographique précise.
La Vestphalie, en Allemagne. Ce détail réaliste
nous éloigne du merveilleux.
D’autres précisions font sortir de l’intemporalité du
conte.
Mention des lunettes, des chausses ou des quartiers
de noblesse.
De plus la place du narrateur est inhabituelle : il
s’implique dans le récit en faisant peser le doute et
l’approximation sur ce qu’il raconte.
Tout commence par l’aparté : « je crois » à propos
du nom de Candide. Mais de nombreux
modalisateurs accentuent ce doute : « assez droit »
« soupçonnaient » « un des plus… » « environ 350
livres »
B) Les plaisirs de la parodie
Parodos en grec : le contre chant, le chant
secondaire.
Le nom du baron fait de lui un ridicule.
Caricature des sonorités allemandes.
Pangloss enseigne la « cosmonigologie »
On entend « nigaud », c'est-à-dire imbécile.
Cunégonde reçoit des qualificatifs qui l’assimilent
davantage à une oie qu’à une jeune fille.
« grasse et appétissante »
Seul Candide a une personnalité. Les autres sont
réduits à des détails physiques.
« Sa
physionomie
annonçait
son
âme »
« jugement » « esprit ». Pour tous les autres juste
l’apparence : seul Candide à un peu de profondeur.
C) L’ironie de Voltaire
Lisible dans la subversion de la logique : des
connecteurs de cause/conséquence assurent des
enchaînements.
« car » « s’attirait par là ». On retrouve ces
connecteurs dans le discours de Pangloss. Le
narrateur emploie la rhétorique du philosophe.
Mais les termes qu’ils relient ne correspondent pas
et créent des oppositions ridicules.
Antithèses multiples : « plus puissant » s’oppose à
« une porte et des fenêtres » qui sont des
caractéristiques évidentes et banales.
Le poids de la baronne (détail physique) entraîne
une conséquence morale, la « considération ».
La grande salle ne contient qu’ « une tapisserie »
Pangloss le philosophe est d’ailleurs écouté comme
« un oracle ».
Antithèse du savoir philosophique qui s’oppose à la
croyance superstitieuse que symbolise l’oracle.
TRANSITION :
« Ce détournement du conte traditionnel permet à
Voltaire de transformer le genre léger en arme pour
son combat philosophique. »
III – Un conte philosophique
A) Les artifices du langage
Dénonciation des apparences : il y a un décalage
entre les mots et les choses. Ce soupçon
apparaissait d’ailleurs déjà sur le nom du héros.
Il devient évident chez le baron où tout n’est
qu’illusion.
« C’est, je crois, pour cette raison qu’on le nommait
Candide » : le lien nom/caractère est douteux.
Tous les chiens deviennent « une meute dans le
besoin »
« ses palefreniers étaient ses piqueurs »
« le vicaire du village était son grand aumônier »
Le rapport d’identité que crée le verbe être est ici
faussé. Tout est dans les mots, la réalité est bien
décevante.
« ils l’appelaient monseigneur » : le titre est trop
élevé pour un baron. Même logique, les mots qu’on
met sur les choses ne correspondent pas.
B) Dénonciation de la vanité de la noblesse
Cette noblesse cache derrière la rhétorique des
apparences un ridicule profond. Le terrible baron
n’est en fin de compte qu’un bouffon.
Plus grave, ils sont arc-boutés sur leurs privilèges,
leur caste
Quitte à mener une vie moralement douteuse.
« Ils riaient quand ils faisaient des contes »
Les règles des généalogies sont ridiculisées par
l’hyperbole des 71 quartiers associée à la négation
déceptive « ne…que » comme si ce chiffre
immense n’était rien.
Comme l’attestent les ragots des domestiques et la
bâtardise de Candide.
C) La dénonciation de l’optimisme
Le contexte allemand et la philosophie optimiste
renvoient à la philosophie de Leibniz
Leibniz né en Allemagne à Leipzig. Voltaire
emprunte à sa Théodicée les expressions « meilleur
des mondes possibles » « raisons et causes »
« raison suffisante »
Voltaire offre au philosophe un porte-parole
ridicule en la personne de Pangloss qui mélange
tout dans son discours.
Son discours mélange détails vestimentaires
(lunettes et chausses) architecturaux (pierres et
châteaux) et alimentaires (porc). Ce porc arrive
d’ailleurs après un « et » qui semble annoncer la
conclusion d’un discours logique !
Discours qui souffre d’une logique renversée qui
confond cause et conséquence et s’apparente de
près au sophisme.
Nez faits pour les lunettes, jambes pour les chausses
 C’est l’inverse !
Plus son discours avance et plus il se dégrade
d’ailleurs car il s’enfonce dans l’absurde
Les pierres sont faites pour être taillées donc on fait
des châteaux (on attendrait « donc on les tailles »)
et donc Monseigneur a un château (aucun rapport)
Et même dans la mauvaise foi.
Les porcs sont faits pour être mangés (!) donc on en
mange toute l’année : le porc est une viande bon
marché. La philosophie est un cache-misère.
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