Une adaptation candide… mais non moins voltairienne !

publicité
Une adaptation candide… mais
non moins voltairienne !
Du 13 janvier au 25 mars, les mardis et mercredis à 20h00
« Le théâtre n’est fait que pour
être vu. » -M olière.
Si cette affirmation peut donner
lieu à des débats, force est de
constater que la présence et la
popularité des représentations
théâtrales font pencher en son
sens. Mais qu’en est-il des
romans ? Si la plupart d’entre nous
répondraient qu’ils sont destinés à
être adaptés en films, le théâtre
Athanor, lui, répond à cette
question avec audace. Et c’est ainsi
que l’œuvre de Voltaire, Candide
ou l’Optimisme se trouve à
l’affiche du théâtre rue Boris Vian
à M arseille depuis le 13 janvier. Il
ne s’agit pas à proprement parler
d’un roman, mais d’un conte
philosophique, un court récit
emprunt de merveilleux au service
d’un enseignement sur le monde
ou sur les Hommes. Quoi qu’il en
soit, le défi reste le même, l’œuvre
n’étant pas une pièce de théâtre.
Ce conte « pour grands » narre les
pérégrinations du jeune Candide,
dont le seul but est de retrouver sa
bien-aimée Cunégonde. Mais cette
histoire aussi loufoque que
sanglante n’est en fait qu’un
prétexte pour Voltaire qui ne
cherche qu’à mettre en pièce la
théorie de Leibniz : « Tout est au
mieux dans le meilleur des
mondes possibles. » Il s’agit donc
d’un pari osé dans lequel se lance
Noëlle Casta, responsable de la
mise en scène ainsi que bien sûr
les comédiens Didier Danviec,
Alice Dransfield, Hélène
Katsaras, Katiuska Landaeta,
Jacques M andrea et Fiona
M edjahed.
« Une mise en scène n’est jamais
neutre. Toujours, il s’agit d’un
choix. » -Antoine Vitez.
L’intérêt de cette mise en scène
passe donc bien évidemment par le
souci de l’adaptation théâtrale ; on
peut se demander comment le
réalisateur s’y est pris pour mettre
en scène une œuvre en aucun cas
conçue pour une représentation
sur scène. Et c’est là qu’intervient
ce cher Antoine Vitez : le metteur
en scène doit faire des choix,
d’abord entre les scènes, les
dialogues et même les personnages
selon leur nombre. Ainsi, les
puristes remarqueront l’absence de
M artin, même si ce dernier fait
une brève apparition à la fin de la
pièce. Le spectateur pourra
également regretter l’absence du
passage plutôt comique de
Candide aux pays des Oreillons,
bien que ce ne soit certainement
pas la fantaisie qui manque à cette
adaptation pleine de vivacité et de
fraîcheur. En effet, l’humour
semble réellement être un choix
essentiel de la mise en scène : les
mimiques de la talentueuse
Katiuska Landaeta sont vraiment
surprenantes, les répliques
savoureuses et l’on se souviendra
de la posture amusante de la
Vieille, génialement interprétée par
Hélène Katsaras. Le fait d’alterner
les moments de narration entre
plusieurs personnages octroie
aussi à la pièce un rythme
particulier, plus vif ; le spectateur
ne s’attend par exemple pas à ce
qu’il s’agisse d’une sirène qui
raconte lors de la traversée en
bateau de Candide. Étonnamment,
cela contribue à tenir le spectateur
en haleine.
Ensuite viennent les choix
pratiques, tels que les costumes ou
le décor. Les décisions de Noëlle
Casta, même si elles sont bien
entendu contestables, semblent
vraiment animées du désir de
rendre la pièce la plus attrayante et
intéressante possible sans pour
autant oublier l’intention de
Voltaire : les scènes importantes
au service de la dénonciation de
l’auteur ont été à juste titre
gardées, telles que la guerre entre
les Bulgares et le Abares ou encore
l’autodafé de l’Inquisition, et sont
toujours non exemptes d’humour.
Notons par là-même la superbe
mise en scène de la guerre, qui
pose pourtant de véritables
difficultés de réalisation. D’ailleurs,
les scènes de violence telles que
celle-ci ont toutes étés marquées
par l’ingénieuse utilisation d‘un
stroboscope. Les jeux de lumières
participent toujours à l’ambiance
théâtrale de manière intelligente et
réfléchie : lumière douce et tamisée
pour l’Eldorado, flashes crus et
agressifs pour les meurtres
auxquels se livre malgré lui
Candide. Et même ces passages
sombres sont teintés de cocasse :
« Ich bin kapout » lance de
manière inattendue le frère de
Cunégonde censé être mort. Le
charmant mélange de la fantaisie
et de l’esprit voltairien continue
avec le choix des costumes : qui
s’attendait à voir arriver
Cunégonde avec des cheveux
violets ? Candide avec un kimono
japonais ? Libre au spectateur
d’apprécier ou pas ces détails
farfelus, de même que
l’introduction du côté japonais à la
résonnance de manga peut
déstabiliser ou ne pas plaire, tout
simplement. Mais force est de
reconnaître que tout a été pensé et
réfléchi, de même que le décor,
relativement simple, trouve
pourtant son efficacité dans de
gros cubes disposés de la manière
voulue et dans un étage supérieur
ayant représenté le bastingage du
bateau d’où se jette l’anabaptiste
Jacques. La formule finale « Il
faut cultiver notre jardin »
annonce la leçon du récit. Aussi
est-ce une incontournable scène de
la pièce, ce qui confirme bien la
conservation de l’âme de Voltaire
dans cette adaptation, et ce malgré
les partis pris surprenants ainsi
que le côté intemporel et fantaisiste
du conte on ne peut plus exacerbé.
« Une pièce de théâtre, c’est
quelqu’un. C’est une voix qui
parle, c’est un esprit qui éclaire,
c’est une conscience qui
avertit ». –Victor Hugo
Et c’est la conscience de Voltaire
qui semble transparaître dans ce
conte philosophique remanié en
pièce de théâtre. La conscience
rationnelle et cynique du
philosophe qui le pousse à
bousiller de manière ironique mais
non moins efficace la théorie de
l’Optimisme « Tout est bien. »
exposée par Leibniz pour expliquer
la présence du Mal sur Terre.
Théorie ridicule et absurde pour
Voltaire, qui ne saisit pas la
bienfaisance de l’Inquisition qui
brûle des innocents. Si son œuvre
s’applique donc à lyncher
l’Optimisme, elle pose aussi des
questions intéressantes toujours
d’actualité aujourd’hui. « Il faut
cultiver notre jardin » est une
leçon non figée dans le temps
tandis que la présence du Mal et
du fanatisme reste un sujet à
débat, et encore davantage au vu
des évènements ayant frappé la
France la semaine du 7 janvier
2015. Après de tels actes de
barbarie et d’excès religieux, force
est de constater que Candide reste
une œuvre actuelle non dénuée
d’intérêt au vu des problèmes
qu’elle soulève et de la théorie
qu’elle bannit qui ne semble
trouver aucun fondement encore
aujourd’hui comme le prouvent les
récents évènements.
aujourd'hui, voilà l'illusion. » Voltaire
« Un jour, tout sera bien, voilà
notre espérance. Tout est bien
Infos pratiques : réservations au 0491480202 ou au 0684928349
http://www.athanor-theatre.com/
Marie-Noëlie Privitera, journaliste pour Provence
Téléchargement