LES USAGES SOCIAUX DE LA CMU 83
logiques de différenciation des assurés (4). De nombreuses tentatives de
mise en cohérence globale ont échoué. Elles ont cependant permis une
certaine harmonisation des niveaux de prestations en fonction des diffé-
rents régimes. Selon les analyses de Bernard Friot (1998), c’est la généra-
lisation du salaire socialisé qui a permis de dépasser le caractère
corporatif des assurances sociales. Selon ce sociologue, le salaire s’est peu
à peu déconnecté du travail réalisé et donne accès à un ensemble de droits
sociaux liés au statut de salarié ou assimilé. Ce système de protection
sociale repose, dans ses conceptions d’origine, sur un seul pilier — pour
faire référence aux trois piliers qu’évoquent les réformateurs actuels (5)
— qui doit répondre à l’ensemble des risques sociaux et permettre la sta-
bilisation des trajectoires des individus. Si, dans la perspective libérale
classique, seule la propriété de biens et de son travail était pourvoyeuse de
sécurité, elle est alors remplacée par la propriété sociale (Castel et
Haroche, 2001). La question de l’universalité de l’accès à la protection
sociale doit se résoudre d’elle-même par le plein emploi. Il faut ajouter
que la redistribution respecte les logiques de stratification sociale et n’ef-
face pas les inégalités sociales.
Dans les années soixante-dix, la crise financière a remis progressi-
vement en cause le modèle salarial et a donc fragilisé le système de pro-
tection reposant sur le salariat. Les réformes récentes des systèmes de
protection sociale sont justifiées par les transformations du marché du tra-
vail, la fin des perspectives de plein emploi, la hausse constante du chô-
mage, le vieillissement de la population et des transformations marquantes
quant aux formes de l’emploi (Castel, 1995). En excluant de plus en plus
de citoyens du travail, la société les écartait du système de protection
sociale qui y était rattaché. Différents dispositifs d’aide sociale ont suc-
cessivement été mis en place pour remédier aux insuffisances de la pro-
tection sociale — en particulier, concernant l’assurance maladie, l’aide
médicale gratuite (6) Aux lacunes des tentatives de socialisation générali-
(4) Différents régimes se sont ajoutés progressivement pour les travailleurs non sala-
riés, agriculteurs, travailleurs indépendants, etc.
(5) La Banque mondiale, par exemple, théorise en 1994 sur les trois piliers pour les
régimes de retraite : le premier pilier est couvert par la collectivité et doit être mini-
mal ; le second, obligatoire, est assuré par les groupes privés (assurances ou mutuel-
les) ; le troisième est facultatif et assuré également par des groupes privés.
(6) L’aide médicale faisait partie de l’aide sociale décentralisée. Elle prenait en charge
les cotisations de l’assurance personnelle pour les personnes non affiliées à un régime
d’assurance maladie et les dépenses de soins telles que le forfait journalier et le ticket
modérateur (part hors assurance maladie).
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