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La construction de la concurrence dans le champ hospitalier
L’impact de la mise en place de la T2A sur la qualité des soins
Bouchouicha Marie1
Laboratoire Economix
Université Paris Ouest Nanterre la Défense
XXXIIes Journées de l’Association d’Economie Sociale
13 et 14 septembre 2012 Aix en Provence
Dans un contexte de maîtrise des dépenses socialisées de santé, de nouvelles méthodes de
gestion ont été mises en place à l’hôpital. Celles-ci se caractérisent notamment par une
refonte du financement des établissements de soins. En raison des critiques faîtes aux
anciens modes de financement (prix de journée et budget global), jugés trop onéreux par le
régulateur, les hôpitaux sont aujourd’hui financés à l’activité en MCO (médecine chirurgie
obstétrique) à l’activité. C’est la réforme « plan hôpital 2007 » (votée en 2004) qui lance le
processus de tarification à l’activité. La loi hôpital, patient, santé, territoire de 2009 prolonge
et renforce ce mouvement.
Par cette modification dans le financement des hôpitaux, la puissance publique cherche à
atteindre quatre objectifs. Premièrement, il s’agit d’accroitre la médicalisation du
financement (rapprocher le financement de la pratique médicale effective). Deuxièmement,
l’idée est de responsabiliser les acteurs et de les inciter à s’adapter à la maîtrise des coûts.
Troisièmement, l’équité de traitement entre les secteurs publics, privés à but lucratif et
privés participant au service public hospitalier est recherchée. Enfin, il s’agit pour le
régulateur de développer les outils de pilotage médico-économiques au sein des hôpitaux
publics et privés.
1 Ce travail s’inscrit dans le cadre d’un début de thèse au laboratoire Economix, Université Paris Ouest Nanterre
la Défense sous la direction de Philippe Batifoulier, maître de conférences HDR et Nadine Levratto, chercheur
CNRS HDR.
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Ces objectifs politiques rendent compte des vertus que les économistes ont coutume
d’accorder à la tarification à l’activité. La littérature théorique standard en économie montre
que la tarification à l’activité est plus efficiente que les autres formes historiques de
financement. Ainsi la théorie de l’agence, en insistant sur les asymétries d’information et sur
l’opportunisme des agents, montre comment il faut inciter les individus à adopter le
comportement attendu par la tutelle. L’hypothèse implicite de ces modèles (et du
régulateur) est que la maîtrise des dépenses, engagée dans le cadre de la tarification à
l’activité, n’engendre pas de baisse de la qualité (Mougeot, 1993).
L’incitation peut alors prendre la forme de la tarification à l’activité dans le cadre plus
général de la mise en concurrence (fictive) des hôpitaux.
Dans cette perspective, l’un des problèmes théorique et empirique majeur tient à la
question de la qualité des soins dans un contexte de rationalisation des dépenses. En effet,
contrairement aux mérites supposés de la T2A, une des conséquences de la tarification à
l’activité est la réduction de la qualité des soins. On pourrait craindre les individus -incités
à la qualité parce qu’incités à la quantité. Comme dans le cas de la médecine de ville, le
paiement à l’acte incite à multiplier les actes indépendamment de la qualité, la tarification à
l’activité incite à multiplier l’activité indépendamment ou au détriment de la qualité.
Cependant certains économistes pointent le risque d’effets pervers notables de la
tarification à l’activité sur la qualité des soins. En encourageant l’activité, le nouveau
financement de l’hôpital prend le risque de voir se multiplier les comportements
opportunistes. Ceux-ci peuvent alors être source de détérioration de la qualité offerte aux
patients. C’est dans ce cadre que nous proposons d’analyser l’impact de la tarification à
l’activité sur la qualité des soins. Nous rappellerons dans un premier temps les conclusions
de l’analyse économique de l’hôpital en particulier le caractère neutre de la T2A sur la
qualité. Puis nous verrons que cette thèse est remise en cause par plusieurs économistes qui
pointent les effets pervers de la T2A. Enfin nous verrons que les dispositifs de politique
économique engendrent une concurrence qui a des effets pervers notamment sur la qualité
des soins.
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1. L’économie de l’hôpital et la qualité des soins : de l’opportunisme à l’opportunisme
L’économie de l’hôpital s’est construite à partir de la critique des modèles de l’hôpital
entreprise et de l’analyse bureaucratique de l’hôpital. C’est ensuite avec le cadre général de
la théorie de l’agence qui va se développer en une analyse en termes d’asymétrie
d’information, d’opportunisme et d’incitation qui débouchera sur l’idée de tarification à
l’activité (1.1). Dans cette perspective, la mesure de la qualité des soins, en grande partie
subjective pour l’organisation mondiale de la santé, repose sur la notion d’efficience, pour
les économistes. On verra que certaines conséquences de la tarification à l’activité sur la
qualité des soins sont aussi à mettre au débit de l’opportunisme des acteurs (1.2)
1.1 Economie de l’hôpital et asymétrie d’information
Une première approche montre qu’un établissement hospitalier présente certaines
analogies avec une entreprise dans la mesure il satisfait une activité de services, mais ne
vend pas sa production sur un marché. L’hôpital ressemble plus à une entreprise dont les
ventes dépendent uniquement de l’État (monopsone public). Ce modèle théorique favorise
la fonction de coût et tente de transposer des règles de tarification du secteur public
marchand à un secteur non marchand. Mais, cette approche n’est pas totalement
satisfaisante au plan micro-économique parce que l’intérêt du directeur est d’atteindre
l’équilibre budgétaire alors que les praticiens recherchent l’optimum thérapeutique (Domin,
2011b, Jacobzone, 1995).
Dans les structures à but non lucratif, l’objectif principal du gestionnaire est de
maximiser la taille de l’organisation, la quantité produite ou la qualité.
En effet, le manager hospitalier recherche l’amélioration de la position relative de son
hôpital dans la hiérarchie hospitalière, car la qualité des services est corrélée positivement
avec le prestige de l’hôpital. Le prestige dépend du nombre et du type de facteurs de
production et de services spécialisés de l’hôpital. Ces derniers sont un moyen pour l’hôpital
d’attirer à la fois médecins et patients. L’idée principale du modèle est que les hôpitaux
justifient leurs activités par le fait que d’autres hôpitaux ont entrepris des activités similaires
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et qu’ils doivent les imiter afin de maintenir leur statut relatif. La compétition entre hôpitaux
pour s’attacher des compétences médicales conduit à un investissement croissant dans les
équipements et les techniques les plus récentes ; il s’agit d’une sorte de paiement implicite
aux médecins pour les attirer. Dès lors, les équipements ainsi que les compétences de
l’organisation peuvent être peu adaptés à la nature des soins dispensés et/ou aux besoins de
santé.
Ces deux modèles de l’hôpital entreprise et du manager hospitalier montrent que les
hôpitaux sont dans une situation socialement inefficace au niveau de la maîtrise des coûts.
Dans cette perspective, la théorie de l’agence montre les problèmes de la gestion
hospitalière. Elle trouve ses fondements dans la prise en compte de l’incertitude qui
caractérise certaines décisions et repose sur l’idée selon laquelle les rapports entre les
agents sont marqués par une inégale répartition de l’information (Mossé, Mathy,2011).
Le système hospitalier est caractérisé par une double logique asymétrique. La
direction de l’établissement occupe une place centrale dans la mesure elle est l’agent de
la tutelle et le principal du praticien. D’un côté, la relation entre la tutelle et les
établissements hospitaliers est marquée par des asymétries d’information. De l’autre, une
relation semblable se développe entre la direction des établissements et les services.
La relation entre la tutelle et l’hôpital est, par essence, caractérisée par une inobservabilité
des efforts. Les ressources de l’établissement sont allouées par la tutelle qui délègue à
l’administrateur la fonction de gestion. Il s’agit d’une relation d’agence avec antisélection et
aléa moral .Le principal (la tutelle) est confronté à deux types de difficultés.
L’antisélection parasite sa prise de décision de financement dans la mesure il ne connaît
pas la formation des coûts au sein de l’hôpital et n’a qu’une connaissance statistique des
charges en milieu hospitalier. D’autre part, l’aléa moral l’empêche de savoir comment
l’agent remplit effectivement sa part du contrat (puisque l’effort de l’administrateur n’est
pas mesurable). La direction de l’établissement entend maximiser sa fonction utilité en
arbitrant entre la maximisation de son budget et la minimisation de son effort à réduire les
coûts. La seule solution pour le principal est de mettre en place un système d’incitations.
Une relation d’agence avec antisélection et aléa moral se développe également entre le
directeur de l’établissement (principal) et les médecins (agents). Le praticien est le seul
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détenteur de l’information sur les coûts. Le directeur ne pourra donc se fier qu’aux messages
envoyés par le médecin pour déterminer le budget. Dans cette perspective, ce dernier aura
tout intérêt à maximiser la taille de son service pour accroître son budget. Les deux acteurs
ont donc des objectifs différents, voire antagonistes. Il y a un phénomène d’antisélection si
l’administrateur ne peut qu’observer la moyenne des coûts et non les coûts formés dans
chaque service. Il existe une relation d’agence avec aléa moral si le niveau d’effort du
médecin est inobservable. La logique du médecin sera de maximiser un budget
discrétionnaire tout en minimisant son effort. Une solution optimale, pour la direction,
consistera à forcer le médecin à véler l’information sur ces besoins par l’intermédiaire de
contrats incitatifs (Domin, 2011b).
Ces modèles montrent les problèmes des anciens modes de financement (prix de
journée et budget global) qui incitaient à dépenser et l’attitude opportuniste des agents
néfastes. Dans ce contexte d’analyse économique de l’hôpital, la tarification à l’activité
constitue une solution aux comportements néfastes des médecins et gestionnaires de
l’hôpital.
1.2 Comment prendre en compte la qualité des soins dans ce cadre d’analyse
Dans ce cadre d’analyse, les problèmes de qualité des soins ne sont pas absents. Ils ne
sont qu’une conséquence de l’opportunisme des acteurs dont le pouvoir discrétionnaire est
un véhicule de sous qualité des soins et plus fréquemment de sur qualité consistant à
pratiquer des actes non nécessaires ou redondants, dont peut être satisfait le patient mais
coûteux pour la tutelle. La qualité n’est ici qu’une extension de la quantité. Pour certains
économistes, en effet, la qualité est juste ce qui ne relève pas de la quantité. Ainsi pour
l’hôpital la quantité est le nombre d’admissions ou le nombre de jour d’hospitalisation. La
définition de la qualité dépend donc de comment on définit la quantité. En effet, si l’on
définit la quantité par les admissions chirurgicales alors la durée de séjour peut être une des
dimensions de la qualité (Pauly, 2004). Les différences qualitatives sont alors traduites en
différences quantitatives pour convertir les qualités en quantités.
Il n’y a pas de définition précise de la qualité qui reste une boîte noire. Développer des
incitations à une meilleure quantité des soins est supposée améliorer du même coup la
qualité. En tout cas, une incitation à la performance en termes de quantité n’est pas censée
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