L J’ai fait un rêve ÉDITORIAL

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ÉDITORIAL
J’ai fait un rêve
I had a dream
A. Grimaldi*
L
e système de santé français hybride (financement public,
distribution publique et privée) a montré pendant longtemps sa supériorité sur le système anglais, pour l’essentiel étatique, et sur le système américain, majoritairement
privé. Cependant, l’augmentation annuelle régulière du coût
de la santé atteignant 11 % du PIB, contre 9 % en Angleterre
et 16 % aux États-Unis, impose une régulation. La question
est : laquelle ? De façon surprenante par ces temps de crise,
c’est la régulation par le marché, à l’américaine, transfèrant
une partie des coûts de la collectivité vers les ménages,
qu’ont choisie nos dirigeants. En effet, pour les néolibéraux
qui inspirent nos gouvernants, seul le marché libre où chacun
achète selon ses moyens permet d’assurer l’adéquation entre
l’offre et la demande solvable, et seule la concurrence permet
d’obtenir la qualité au moindre coût. Quant à la productivité
des professionnels, elle ne peut être stimulée que par l’intéressement financier et la précarisation de l’emploi. Le “new
management” industriel, associant recentrage de l’activité
sur le “cœur de métier”, rotation des tâches et mobilité des
agents, permet la souplesse nécessaire à l’adaptation. Bref,
le merveilleux modèle France Telecom !
Qu’importe que le marché ne puisse pas répondre au cahier
des charges de la santé – utilité sociale, qualité élevée et
moindre coût – comme l’ont montré toutes les expériences
historiques, pour la simple raison que l’usager n’est pas un
consommateur éclairé qui a choisi d’être malade, mais une
personne plus ou moins affaiblie, plus ou moins angoissée,
dont les besoins sont potentiellement illimités, ce qui rend
le marché totalement manipulable. La seule question qui
vaille est :
Comment appliquer ce projet mercantile
au système de santé français ?
D’abord, en changeant le vocabulaire : ne dites plus “médecins” ou “infirmières” mais “producteurs de soins”, ne parlez
plus de “patients” ou d’“usagers” mais de “consommateurs”
ou de “clients”, ne dites plus “répondre aux besoins de la
* Université Pierre-et-Marie Curie ; service de diabétologie, groupe hospitalier de la PitiéSalpêtrière, Paris.
166 | La Lettre de l’Infectiologue • Vol. XXIV - n° 5 - septembre-octobre 2009 population” mais “gagner des parts de marché”, ne parlez plus
de “dévouement” ou, pire, de “sacerdoce” mais de “gains de
productivité” et de “travail à flux tendu” (d’aucuns ont calculé
qu’une consultation de patients sidéens n’est rentable que si
elle ne dure pas plus de 12 minutes par patient), ne dites plus
“salaire” ou “indemnité” mais “part variable à l’activité”. Vous
verrez : au début on sourit puis on s’y fait, et en le répétant
suffisamment, on finit par le penser.
Mais comment créer un marché
qui n’existe pas ?
D’abord, en mettant en place un financement par un pseudoprix de marché administré (la T2A), et surtout en imposant
une convergence des tarifs, sorte de prix uniques, d’abord
intrasectorielle (tous hôpitaux confondus), puis, dès que
cela sera possible, intersectorielle (public-privé), comme le
réclame à cor et à cri la Fédération de l’hospitalisation privée
(FHP). Puis en supprimant dans la loi “Hôpital, patients, santé
et territoire” (HPST) les trois secteurs – hôpitaux publics,
hôpitaux privés à but non lucratif participant au service public
hospitalier (PSPH) et cliniques privées commerciales – et en
rassemblant l’ensemble sous le joli nom d’“établissements
de santé”, ce qui permet ensuite à la Ministre de prétendre
constituer, grâce aux agences régionales de santé, “un grand
service public unifié de santé”. Tout l’art de la communication
est dans l’“unifié”, qu’il faut traduire par “vente à la découpe
des missions de service public”. Légitimement, le président de
la Générale de santé, monsieur Frédéric Rostand, se félicite
que la loi HPST ait “ouvert plus largement les missions de
service public aux établissements de santé privé, notamment
la formation des internes et des chefs de clinique”. Résultats :
à l’AP-HP, on parle de la suppression de 4 500 emplois, dont
500 emplois médicaux d’ici 2012 ; à Lyon, le directeur Paul
Castel a fait savoir que, pour retrouver l’équilibre financier,
“il faudra vendre l’immobilier, diviser par 4 les investissements, rationaliser la logistique, spécialiser les 17 hôpitaux,
ne remplacer que 1 départ sur 4 pour le personnel administratif, 1 sur 2 pour le personnel médico-technique et 3 sur 4
pour les soignants”. Pendant ce temps, la Générale de santé
se félicite d’avoir investi 220 millions d’euros en 2008 et
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autant pour 2009, et d’avoir accueilli 450 praticiens dans
les 18 derniers mois. En réalité, nous sommes au milieu du
gué. Les concepteurs du projet avancent pas à pas.
Première étape (2004) : on nous a dit “T2A à moins de 50 %,
délégation de pouvoirs de gestion, augmenter l’activité”.
Deuxième étape (2008) : “T2A 100 %, cogestion, améliorer
l’efficience”.
Troisième étape (2009) : “HPST : fini la cogestion, vous êtes
là pour obéir au directeur, plafonnement des emplois et donc
réduction de l’activité”.
Très vite, nous allons connaître la quatrième étape : “changement de statut des médecins hospitaliers, qui deviennent
contractuels” (comme les directeurs d’hôpitaux).
Puis la cinquième étape : “changement de statut de l’hôpital
public, qui devient un établissement privé à but non lucratif,
et changement de statut pour les personnels nouvellement
embauchés”. Parallèlement, “pour sauver la Sécu”, il est prévu
d’augmenter le reste à charge pour les patients (franchises,
forfaits, augmentation des tarifs des mutuelles, etc.), puis
de transférer la gestion du financement des affections de
longue durée (ALD) aux mutuelles et aux assurances privées,
au nom de l’amélioration de la qualité des soins grâce à des
“contrats qualité personnalisés” négociés entre les assureurs
et les professionnels.
On peut imaginer une sixième étape, avec la fin du monopole de la Sécurité sociale, et une septième avec l’abrogation de l’Objectif national des dépenses d’assurance-maladie
(ONDAM).
Ainsi serait né un nouveau système de santé, véritable coproduction franco-américaine ayant gardé du système français
la CMU et le financement des cas les plus graves par la
collectivité, et ayant pris au système américain la gestion
par les assureurs privés du marché rentable de la santé : un
cauchemar pour les médecins et pour les malades, un rêve
pour les assureurs privés et les “nouveaux manageurs”. ■
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La Lettre de l’Infectiologue • Vol. XXIV - n° 5 - septembre-octobre 2009 | 167
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