Chapitre 3 - Les outils de régulation dans les systèmes de santé
L’un des outils significatifs de la régulation sanitaire réside dans la manière de
financer les soignants et les établissements de soins. Cela permet de façonner le système de
santé à long terme. Tout mécanisme de tarification contient des incitations financières
spécifiques aves ses avantages et ses inconvénients, d’où l’intérêt au final de déterminer des
systèmes mixtes de tarification. De façon générale, on distingue les financements ex post
fondés sur le coût constaté des soins et ex ante, qui eux sont définis a priori et sont
indépendants du coût.
Section 1 - Les modalités de tarification dans les systèmes de santé
Nous traiterons, d’une part, les modalités de tarification pratiquées dans la
médecine de ville ou ambulatoire et, d’autre part, celles rencontrées dans les établissements de
soins.
A - La rémunération de la médecine de ville
On rencontre le plus fréquemment trois formules qui peuvent être parfois
combinés : le paiement à l’acte, la capitation et le salariat.
1 - Le paiement à l’acte.
Il s’agit d’une rémunération des médecins généralistes ou spécialistes,
d’accoucheurs, de radiologues, etc. Les honoraires sont le produit de la valeur de chaque acte
multipliée par le nombre d’actes. Le médecin peut augmenter son revenu en augmentant le
tarif pratique ou/et le nombre d’actes réalisés. Cette formule de tarification incite notamment
à multiplier les actes : elle se révèle dispendieuse lorsque le comportement des malades s’y
prête. Cette dérive concerne davantage les médecins spécialistes que les médecins
généralistes. Le paiement à l’acte est une formule qui favorise une médecine très spécialisée,
davantage curative que préventive (France, Etats-Unis).
Il est possible de compléter cette analyse en distinguant la situation du médecin
généraliste de celle du médecin spécialiste. Leur situation diffère sur de nombreux points. Le
spécialiste peut généralement augmenter le volume des soins. Les caractéristiques de cette
offre sont les suivantes : situation de quasi-monopole, service différencié, demande peu
élastique par rapport au prix mais élastique par rapport à leur densité et par rapport au revenu
2
d’une clientèle plutôt fidèle. Il suscite souvent une demande induite. A l’opposé, on trouve
l’offre de soins des généralistes qui ne peuvent pas le plus fréquemment agir sur le volume
des soins, notamment dans les zones urbaines (en France comme ailleurs). Voir ci-après le
tableau comparatif de la situation des médecins spécialistes et généralistes.
Analyse comparative de la situation de marché des généralistes et des spécialistes
Médecins généralistes
Médecins spécialistes
- Concurrence entre eux et par rapport aux spécialistes
- Produit ou service indifférencié
- Demande élastique par rapport au prix (-)
- Demande inélastique par rapport au revenu (0 ou -)
- Demande inélastique par rapport à la densité médicale
- Peu ou pas de demande induite
- Hausse des prix = baisse du revenu
- Clientèle assez infidèle, notamment en zones urbaines
- Monopole partiel
- Produit ou service différencié
- Demande peu élastique par rapport au prix
- Demande élastique par rapport au revenu (+)
- Demande élastique par rapport à la densité médicale
- Demande induite
- Hausse des prix = Hausse du revenu
- Clientèle fidèle (phénomène en partie lié à la gravité des
pathologies)
Source : d’après Economie de la santé, B. Majnoni d’Intignano
On peut ajouter au bilan ci-dessus que les honoraires totaux des généralistes suivent
l’évolution du PIB alors que ceux des spécialistes augmentent plus fortement que la
croissance du PIB. En fait, les honoraires des généralises comme leur activité ont tendance à
stagner, contrairement à ceux des spécialistes. Cela justifie donc des régulations et des
conventions spécifiques pour ces deux catégories de médecins.
2 - La capitation (ou paiement per capita)
Ce type de rémunération convient au généraliste, surtout lorsqu’il est gate keeper,
c’est-à-dire qu’il filtre l’entrée vers le médecin spécialiste (cas du médecin britannique, par
exemple). La capitation va rémunérer la continuité des soins. Le revenu médecin sera
composite et pourra comprendre tout ou partie des éléments suivants :
Cj = C0 + (Ci x Ni) + Fj + (Pa x Qa)
La capitation pour un médecin j comprendra ici : un montant C0 destiné à financer
l’installation et les frais fixes, une somme (Ci x Ni) soit un coût Ci dépendant de l’âge de la
clientèle Ni, un forfait Fj destiné à inciter le médecin à se spécialiser ou à s’installer dans des
régions défavorisées, etc, et enfin, un paiement à l’acte éventuel (Pa x Qa).
3
Les médecins payés à la capitation sont sous contrat avec les patients et mieux répartis
sur le territoire. Ils travaillent moins longtemps. Le risque financier repose sur ces médecins
principalement, a fortiori si la capitation comprend la prise en charge des médicaments, de
l’hospitalisation, etc. Enfin la capitation protège le généraliste gate keeper de la concurrence
des spécialistes et permet de mieux le rémunérer.
3 - Le salariat
C’est une modalité de rémunération que l’on pouvait rencontrer dans les pays
communistes et que l’on rencontre dans bon nombre de pays d’Europe (Suède, Portugal,
Espagne, etc). La rémunération est forfaitaire, ce qui peut inciter le salarié à travailler moins,
à refuser des responsabilités, à se syndiquer pour demander des hausses salariales, ou encore à
grimper dans la hiérarchie, etc, Le salariat ne comporte pas de risque financier pour le payeur,
sauf s’il génère un surnombre de médecins ou des hospitalisations inutiles, comme cela a pu
être observé en URSS. Il incite peu à la qualité de soins ou à porter une attention insistante
aux soins des malades.
Dans les faits, on a constaté que beaucoup de pays combinaient les modalités de
tarification de façon à déterminer une formule plus incitative : ainsi, en Suède, le médecin
généraliste perçoit 60% de salaire, 20% de capitation, 15% de paiements à l’acte et 5% de
forfaits. Quant au médecin danois, il perçoit 30% de capitation, 65% de paiements à l’acte et
le solde sous formes de gratifications.
B - Le financement des institutions de santé
On rencontre ici aussi trois modalités de financement des établissements de soins :
le prix de journée, le budget global et la tarification à la pathologie.
1 - Le prix de journée
C’est un tarif a posteriori couramment pratiqué jusqu’en 1985. Il comporte les
mêmes incitations que le paiement à l’acte : multiplication des journées d’hospitalisation,
allongement des séjours et augmentation des taux d’occupation des établissements. Le
nombre de lits ne décroît pas au rythme autorisé par le progrès technique. Le risque financier
repose essentiellement sur le payeur (assurance maladie ou l’Etat). Cette formule a entraîné
une surcapacité de lits de 30% par rapport aux besoins selon l’OCDE.
4
2 - Le budget global
C’est un tarif d’administration (tarification a priori), courant dans les pays du Nord de
l’Europe et qui a été adopté par la France de 1985 à 2004. Ce financement ex ante transfère le
risque financier à l’hôpital dont le budget B de l’année t sera celui de l’année précédente t-1,
augmenté selon un taux directeur annuel r, en l’occurrence rt. Cela donne pour l’hôpital j :
Bj (t) = Bj (t-1) x (1 + rt )
Cette formule tend à faire augmenter les inégalités entre les établissements parce que
le taux d’augmentation du budget global est identique pour tous les établissements, ce qui a
favorisé les établissements les mieux dotés à l’origine. De grandes disparités ont ainsi été
constatées en France. Cette formule peut inciter à réduire la durée des séjours mais aussi à
produire peu d’actes (par exemple de scanner ou d’IRM) ou à négliger les investissements
plus faciles à moduler que les salaires... C’est une formule qui s’avère conservatrice parce que
les nouveaux projets peuvent avoir des difficultés à obtenir un budget ou être carrément
bloqués. Cela étant, elle fige l’évolution de la dépense. En France, le taux de croissance des
dépenses des hôpitaux est passé de +8% entre 1970 et 1984 à +2% depuis l’adoption du
budget global.
3 - La tarification à la pathologie
Introduite aux Etats-Unis en 1984, c’est une rémunération a priori des soins
techniques. Elle va consister à classer les malades des hôpitaux par groupes homogènes de
malades (GHM) et à mesurer leur activité selon ces groupes puis à financer l’hôpital par un
forfait a priori relatif à chaque GHM. En France, pour désigner cette formule, on parlera de
tarification à l’activité (ou T2A). La T2A est donc un système de financement des
établissements de santé qui associe le paiement à l’activité réalisée, celle-ci étant définie par
des épisodes de soins. Deux éléments fondamentaux président à la T2A.
- Premièrement, l’activité hospitalière est définie et décrite à travers des groupes
homogènes de malades (GHM) plutôt que selon les disciplines de services hospitaliers (ou
spécialités). Par exemple, l’établissement reçoit un paiement pour un patient à qui l’on a posé
une prothèse de la hanche plutôt que pour un patient soigné dans le service d’orthopédie. Les
GHM, comme leur nom l’indique, identifient les différentes prestations de soins offertes à un
même profil de patients. Le principe de base est de payer le même prix pour les mêmes
prestations, à condition que l’on puisse fournir une description clinique correcte des patients
pris en charge et des différentes prestations délivrées par les établissements de santé.
5
- Deuxièmement, les prix des GHM1 sont définis à l’avance (paiements prospectifs).
Ces prix peuvent être fixés au niveau national, comme c’est le cas en France, ou au niveau
local. Il existe différents principes et mécanismes pour fixer les prix (voir ci-dessous).
Malgré ces éléments communs à tout système de T2A, la mise en application de ces deux
principes de base (définition des GHM et fixation des prix) varie largement d’un système à
l’autre, ce qui a des répercussions importantes sur l’efficience individuelle des établissements
ainsi que sur le fonctionnement du marché hospitalier dans sa globalité.
Comment fonctionne un système de T2A ?
Selon les objectifs visés, le fonctionnement d’une T2A intègre des paramètres plus ou
moins nombreux et imbriqués. Les revenus des établissements de santé (RE) dépendent donc
à la base directement de leur activité. Dans sa forme la plus simple, le revenu de l’hôpital sous
T2A augmente de manière linéaire suivant le nombre de patients traités dans chaque GHM
(Q) multiplié par le prix (P) de chaque GHM(i)
Mais en réalité, le revenu hospitalier n’est jamais déterminé uniquement par le
nombre de patients soignés. Dans tous les pays où la T2A est introduite, y compris la France,
les hôpitaux perçoivent également des recettes (revenus) sous d’autres formes : par exemple
pour leurs activités de recherche et d’enseignement, ainsi que pour couvrir les coûts fixes liés
à la fourniture de certains services de soins (les services d’urgences, par exemple) ou les coûts
liés à des contraintes et particularités locales (aspects géographiques et sociodémographiques
de la zone, difficultés d’accès aux soins…). La composition de ces « autres » revenus varie
d’un système à l’autre et parfois dans le temps. Si l’on nomme cette source de revenu
complémentaire Z, la fonction de revenu d’un établissement devient :
Une tarification à l’activité peut également chercher à modifier les incitatifs financiers
(i.e. les prix) en fonction de l’activité de production. Dans la plupart des systèmes européens,
la T2A est introduite pour stimuler/augmenter l’activité hospitalière afin de réduire les délais
d’attente, notamment dans le cas de la chirurgie programmée. Toutefois, on peut
effectivement vouloir augmenter l’activité de manière « contrôlée » du fait de contraintes
1 En France, le terme GHS (Groupes homogènes de séjours) est employé pour désigner les prix des GHM
1 / 9 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !