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Compte rendu de congrès
Les limites
et limitations
en soins palliatifs
Colloque organisé par le Centre
de liaison, d’étude et de formation
Olivia Duffourg, membre de l’Afic,
infirmière en oncologie, Institut
Gustave Roussy, Paris
[email protected]
25 novembre 2014,
Espace Notre Dame des Champs, Paris 14e
L
a fin de vie est une aventure humaine qui dissout
nos certitudes et force le questionnement. Les soignants se retrouvent face à leurs limites : limites techniques, éthiques, institutionnelles, organisationnelles,
humaines. Que dire, que faire alors pour continuer à accompagner au-delà de l’échec des traitements spécifiques ?
Comment maintenir la relation soignant-soigné, préserver
la confiance et un certain espoir alors que l’on ne maîtrise
plus la maladie ? Comment accepter l’incertitude et respecter la singularité avec laquelle chaque patient vivra ce
moment ? Ces limites révèlent aussi nos difficultés, nos
failles, nos peurs. Mais elles sont toujours un formidable
moteur d’innovation et de recherche afin de progresser
vers un meilleur soulagement de la souffrance.
charge au domicile, relation soignant-soigné et notion
de « juste présence », prise en charge des proches, de la
famille et de la personne de confiance. Il conclut sur
l’immense ressource que représente le travail en équipe
dans la prise en charge des patients en fin de vie, tout
en soulignant sa complexité.
Ce qui suit présente l’essentiel de deux interventions.
Le médecin : un médiateur
dans l’élaboration du rapport
à la limite ?
Dr D. Mallet (médecin interniste, responsable du
Service de lits de suite et de l’Unité de Soins Palliatifs,
Haubourdin, Nord)
Après avoir essayé de préciser les notions de limite et
de transgression dans le contexte des soins palliatifs, ce
colloque a choisi de les développer à travers les thèmes
suivants : limites de l’évaluation et des traitements de la
douleur, limites de la décision d’arrêt des traitements
spécifiques en oncologie, rôle du médecin comme
médiateur dans l’élaboration du rapport à la limite, information du patient, nutrition et soins du corps en fin de
vie, ressources, limites et transgressions de la prise en
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Qu’est-ce que la limite ? Elle est difficile à définir.
Voyons plutôt le rapport que nous entretenons vis-à-vis
de la limite. C’est un rapport conflictuel, tendu, ambivalent. Il n’est pas paisible, et il faut peut-être l’assumer
comme tel. Lorsqu’une équipe mobile se déplace dans
les services d’oncologie, il est fréquent que son interprétation d’une situation diffère de celle des soignants
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qu’elle rencontre. Mais pourrait-il y avoir un ordre ? Ce
fantasme caché des acteurs de soins palliatifs qui voudraient mettre un ordre sur le chaos qu’est l’expérience
de la souffrance.
Le rapport à la limite n’est-il pas aussi de l’ordre du challenge ? La limite n’est pas forcément posée, elle est l’objet d’une dialectique, d’une négociation, les frontières
bougent. Peut-être faut-il donc accepter que le rapport
à la limite soit un rapport conflictuel et qu’il s’agit de
« vivre au mieux avec ce rapport conflictuel », qu’il serait
illusoire de vouloir construire un rapport individuel ou
collectif totalement apaisé vis-à-vis de la limite.
Qu’est-ce qu’une limite ? On pourrait en distinguer
trois types :
- ce qu’on ne peut pas franchir dans les faits, l’impossible, l’inéluctable. Par exemple, la mort ;
- ce que l’on pourrait repousser dans les faits, par la
recherche de nouvelles modalités afin de dépasser là où
est posée la limite. C’est ce que vise la médecine à travers l’augmentation de notre connaissance du réel ;
- ce que l’on ne doit pas franchir car cela correspond à
des interdits posés collectivement, fondés sur des repères
légaux, culturels ou anthropologiques. Par exemple, l’inceste.
Quelles sont nos attitudes possibles face à ces
limites ? On peut en identifier quatre.
La première serait de repousser les limites, et c’est clairement ce que demande la société à la médecine : avoir
plus de savoir, plus de pouvoir, afin de vivre le plus longtemps possible, avec la meilleure qualité de vie.
La deuxième, qui nous concerne directement en tant
que médecins, soignants, serait de définir ce que serait
la limite. Lorsque nous nous interrogeons sur la pertinence de faire telle chimiothérapie, de débuter telle
radiothérapie, de transfuser ou de s’abstenir, nous
essayons de définir ce que serait la limite pour une situation donnée. C’est un processus de création. La limite
n’existant pas en elle-même, nous avons à définir ce qui
serait pertinent, ce qu’il serait bon, juste, de faire dans
cette situation.
La troisième possibilité serait d’assumer les limites, avec
deux pistes possibles. La première, proposée notamment par les acteurs du soin palliatif, revient en fait à
déplacer les objectifs. De manière caricaturale (la littérature récente prouve visiblement le contraire), ce serait
« accepter la venue de la mort, accepter de ne pas chercher à prolonger l’existence humaine, et se centrer sur
le confort, la dimension relationnelle », tout ce que l’on
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enseigne classiquement en soins palliatifs. C’est finalement assez paisible, car l’on renonce à un objectif pour
en créer un autre, et l’on arrive à vivre son identité personnelle et professionnelle avec ce nouvel objectif.
L’autre rapport, qui est celui de l’accompagnement,
semble quant à lui beaucoup plus éprouvant. Il s’agit
d’accepter la limite, mais en n’ayant aucun savoir, aucun
pouvoir, et même de manière un peu utopique, en
n’ayant aucune visée, aucun objectif. Il y a là une position peut-être « suprême » du rapport à la limite.
La dernière attitude est bien sûr celle de la transgression.
Quelle est la place du médecin ? Est-il l’acteur le
mieux placé dans notre société pour élaborer un
rapport à la limite ?
Pour le Dr Mallet, les médecins ont des difficultés à élaborer un rapport à la limite, ils ne sont pas forcément
les mieux placés. Il donne quelques exemples.
Les études montrent que les médecins surestiment très
fréquemment le pronostic en cancérologie. Il existe pourtant des scores validés mais ceux-ci ne sont quasiment
jamais utilisés.
Le Comité Consultatif National d’Éthique (CCNE) pointe
leur position paradoxale. À la fois juges et parties, il leur
est demandé d’être à la fois dans une position de soutien de la vie, d’être dans la situation, et aussi d’élaborer un rapport à la limite. La position est intenable.
Les médecins sont très mauvais dans l’appréciation, très
relative, de la souffrance des patients. Cela a été prouvé
dans le monde du handicap.
Ils ne sont pas très cohérents. Une enquête a interrogé
2 475 soignants européens en charge de patients très
lourdement handicapés : « Êtes-vous pour ou contre le
maintien de la nutrition artificielle chez des patients en
état de conscience minimale ? ». Ils pensent que c’est tout
à fait légitime de poursuivre la nutrition artificielle dans
2/3 des cas, mais s’il s’agissait d’eux, ils souhaiteraient
l’arrêter dans 2/3 des cas.
Limites de la rationalité : une étude montre que les médecins n’appliquent pas forcément ce qui a pourtant été
démontré scientifiquement.
Limites de leur identité personnelle. Alors qu’ils vivent
en permanence dans le rapport à la souffrance de l’autre,
dans des institutions avec leurs paradoxes et leur absence
de finalités claires, et expérimentent au quotidien la complexité de la vie en équipe, les médecins ont-ils vraiment les ressources intérieures leur permettant d’aborder avec l’autre le rapport conflictuel à la limite ? La
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réponse est incertaine, et cette situation ne leur donne
pas forcément les moyens pour élaborer, lors d’une rencontre avec le patient, un rapport suffisamment paisible
à la limite.
Limites institutionnelles, et notamment le manque de
temps et de formation. La formation médicale reste très
orientée vers les questions techno-scientifiques, alors
que la réflexion sur le rapport à la limite semble de plus
en plus pertinente pour qui exerce dans le champ des
maladies chroniques et souvent létales.
les participants au processus de délibération, favorise,
par des entretiens confidentiels, l’établissement ou le rétablissement du dialogue, le lien social, et la capacité de
prendre une décision partagée ». Considérée dans ce sens,
la médiation dépasse la simple stratégie de communication pour essayer de déterminer « ce qu’il semblerait bien
de faire ». Si celle-ci échoue, l’appel à la loi reste le dernier recours visant à régler les problèmes entre citoyens.
Quelques pistes individuelles
et collectives pour essayer
de construire un rapport
à la limite
Si l’on considère le coût des dernières molécules validées en hématologie au cours du temps depuis une
dizaine d’années, on passe d’environ 6 000 € par cure à
136 000 €. Cela soulève des questions qui dépassent le
simple clinicien pour concerner la collectivité toute
entière. Peut-être une responsabilité doit-elle être assumée à ce propos par les sociétés savantes, afin de définir et structurer collectivement un rapport à la limite.
S’appuyer sur des recommandations
Une délibération personnelle
et une « sagesse pratique »
Il semble évident que chaque soignant a un travail à faire
sur lui-même, car il semble immoral de ne pas accorder
à autrui ce qu’on aimerait voir appliquer à soi. C’est l’une
des seules règles éthiques qui fasse consensus. Ce travail personnel, à faire au fil du temps, pourra aider l’autre
à élaborer un rapport à la limite.
L’aspect politique
Il est à ce jour totalement défaillant pour réfléchir ce rapport à la limite. De façon emblématique, aucune campagne présidentielle récente n’a véritablement abordé
les questions de santé, le mot d’ordre restant limité au
« toujours plus ». Comment pourrions-nous, de manière
collective, assumer le fait que l’existence humaine est
marquée par la limite, que des choix doivent être faits,
et qu’on ne pourra pas augmenter certaines enveloppes
budgétaires sans en diminuer d’autres ? Pour le CCNE,
« l’adaptation permanente de l’offre de soins aux besoins
démographiques, aux modifications épidémiologiques,
aux progrès technologiques, justifie plus que dans n’importe quelle activité humaine des choix clairs, courageux, explicites aux yeux des citoyens. » Espérons que
l’avenir soit plus responsable.
Une délibération collective
Dans le cadre de l’affaire Vincent Lambert, le CCNE vient
de rendre un avis à la demande du Conseil d’État. Il y critique le côté trop formalisé de la procédure collégiale,
ainsi que la place centrale du médecin pour assumer un
rapport à la limite, et plaide plutôt en faveur d’un « processus », de quelque chose qui se construirait dans le
temps, dans lequel le médecin garderait une place probablement forte, mais dans laquelle d’autres acteurs pourraient être associés. Il propose une graduation dans les
situations complexes où le rapport à la limite est difficile
à définir : le premier temps est bien sûr celui de la
recherche d’une conciliation entre les points de vue. Dans
un deuxième temps, il propose de faire appel à des
médiateurs. La médiation est peut-être une piste à explorer dans les situations complexes. Le CCNE la définit
comme « un processus à visée éthique reposant sur la responsabilité et l’autonomie des participants, dans lequel
un tiers, impartial, indépendant, neutre, sans pouvoir
décisionnel, avec la seule autorité que lui reconnaissent
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En conclusion, il semble que le médecin puisse être
un médiateur dans le rapport à la limite, mais qu’il ne
doive pas être le seul. Son rôle de médiation s’articule
autour de quatre grands thèmes. Il rencontre l’autre qui
souffre, et de ce fait est médiateur entre celui-ci et l’expérience qu’il fait de la souffrance. C’est au médecin que
le patient adresse sa demande d’un corps en meilleure
santé, avec les représentations qu’il se fait de lui-même,
du temps, et des possibilités thérapeutiques. Le praticien est alors médiateur dans la construction d’un pro-
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jet de soins qui tienne compte de ce qui sera possible.
Mais il l’est aussi d’une manière plus générale dans l’exercice du savoir et des pouvoirs de l’être humain. Les
médias contribuent à entretenir un rapport à la limite où
celle-ci pourrait en permanence être repoussée, à grand
renfort de prouesses et de promesses réelles ou imaginaires. Sans nier que la responsabilité de soutenir ce discours revient à la médecine, ce seul message non nuancé
rend difficile la construction collective d’un rapport à la
limite. Le médecin a enfin un rôle majeur à jouer dans
la construction des représentations sociales et du lien
social, c’est toute la dimension de son engagement
auprès des soignants. La difficulté réside dans le fait que
cette médiation se déploie dans le registre de la relation,
du langage, du symbolique, des données existentielles,
dans le fait que nous sommes marqués par la finitude,
l’incertitude, ainsi qu’une certaine solitude. Notre rapport à la limite doit bien évidemment se nourrir de cela.
Pourtant, la médecine telle qu’elle est structurée, et c’est
ce qui fait son efficacité, l’est essentiellement dans un
rapport d’objectivation et d’opérativité. Ce paradoxe est
très compliqué à tenir. S’il semble donc que les médecins doivent bien s’impliquer dans ce rapport à la limite,
il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une responsabilité
à porter collectivement et qu’elle est paradoxale.
tions dans lesquelles il souhaite mourir. Autant d’éléments qui dépendent de l’information qui lui sera transmise concernant sa mort prochaine.
Par ailleurs, des études montrent que la possibilité
d’aborder la question de la fin de vie avec le patient ou
ses proches permet d’observer une réelle diminution de
la fréquence du recours à la consultation médicale d’urgence ou au transfert en réanimation, indicateur d’une
moindre agressivité médicale en situation de fin de vie.
Pour les proches, le fait d’être conscients de la situation
leur permet de pleinement s’engager dans un accompagnement, qui, on l’a constaté, facilitera ensuite le travail de deuil.
N’oublions pas enfin de rappeler le lien entre qualité de
vie et espérance de vie, mis en évidence en 2010 dans
l’étude de J. Temel pour le cancer pulmonaire, conclusions reprises depuis dans plusieurs autres spécialités.
Quand et comment décider de l’arrêt des traitements spécifiques ? La décision reste difficile, à plusieurs titres.
Difficultés liées au pronostic
La « chronicisation » de la maladie cancéreuse métastatique, terme que l’on pourrait croire un peu galvaudé,
est une réalité à laquelle les patients, leurs proches et les
soignants doivent faire face et s’adapter. L’évolution est
réelle. Alors qu’il n’y a pas si longtemps, on ne promettait à un patient atteint d’un cancer colorectal métastasé
qu’une survie de cinq mois quasiment sans traitement,
tout un arsenal associant chimiothérapie et techniques
diverses (chimiothérapies intra-artérielles hépatiques,
chimio-hyperthermie intra-péritonéale, radiofréquence,
radiothérapie, etc.) ne cesse désormais d’allonger son
pronostic vital. L’évolution concerne également les soins
de support, auxquels le 3e Plan Cancer donne une large
place et qui devront devenir systématiques.
Pourtant, et malgré ces progrès techniques, nous restons confrontés à une échéance inévitable, l’épuisement des ressources thérapeutiques en phase avancée
du cancer métastatique. La difficulté réside alors dans le
décalage entre le savoir du médecin qui n’a plus de
traitement à proposer et la demande de nombreux
patients : « mais docteur, vous allez bien me faire un
petit quelque chose, ça va encore me relancer un petit
peu », qui s’appuie sur les images diffusées sans relâche
par les médias : nouvelles thérapeutiques ciblées, immu-
Limites de la décision
d’arrêter les traitements
spécifiques en oncologie
Dr C. Bouleuc (Unité Mobile d’Accompagnement et de
Soins Continus, Institut Curie, Paris), Dr D. Mayeur
(Oncologue médical, CH Versailles, Le Chesnay)
Cette intervention se veut un « survol » d’une vaste question dont l’intérêt et l’objectif sont la préservation de
la qualité de la fin de vie. Elle force à s’interroger : un
patient peut-il à la fois attendre de la chimiothérapie des
résultats en termes d’amélioration et de prolongation de
la vie, et se préparer, réfléchir et se déterminer concernant les conditions d’une fin de vie proche ?
Il a peut-être, en effet, besoin de prendre des dispositions administratives personnelles qui seront importantes
pour les proches survivants ; il a peut-être un projet qui
lui tient à cœur et qu’il souhaite réaliser avant de mourir. Il peut vouloir transmettre, laisser des écrits à son
entourage, ou bien encore préciser l’endroit et les condiBulletin Infirmier du Cancer
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nothérapie, vaccinothérapie, etc.…, à l’origine de cette
croyance selon laquelle une « Xième ligne de chimiothérapie » est toujours possible.
Au final, établir un pronostic n’est pas aisé. Des scores
validés scientifiquement peuvent aider les équipes
soignantes à prendre une décision. Par exemple, le score
« Pronopal », établi en 2008 de manière rétrospective,
vient d’être présenté et validé par l’American Society of
Clinical Oncology de manière prospective et sera prochainement publié. Il s’applique aux tumeurs solides et
repose sur des critères assez simples (nombre de sites
métastatiques, index de Karnowsky, taux d’albumine,
de LDH, etc.).
vent demander à poursuivre la chimiothérapie car leur
attitude de « combat » face à la maladie est vitale pour
eux sur le plan psychique, et il est parfois difficile pour
le médecin de ne pas y céder.
Un article récent montre de manière paradoxale que le
fait d’administrer une chimiothérapie palliative à un
patient peut au contraire favoriser les discussions de fin
de vie. C’est une approche intéressante car si ces discussions sont trop proches de la mort, elles ont lieu dans
un climat d’angoisse qui n’est finalement pas propice à
un réel échange. Quelques mois plus tôt au contraire,
le patient « protégé » par la chimiothérapie pourra peutêtre aborder le fait que s’il doit aller mal et se trouver en
situation de fin de vie, il préfère être hospitalisé en unité
de soins palliatifs, ou rester chez lui jusqu’au bout.
Limites de la communication
sur le pronostic
Limites de la concertation :
difficultés de communication
entre soignants
Il est certain que plus l’on prépare petit à petit un patient
au fait qu’en situation métastatique, il se produit un épuisement progressif de l’efficacité des chimiothérapies
avec une résistance globale de la maladie faisant qu’à
un moment, plus rien ne fonctionne, mieux c’est. Car
cette annonce est difficile et doit être préparée. Elle
doit aussi être concertée, afin que les différents intervenants soient en phase avec ce qui est annoncé au
patient. Elle doit enfin être rationnalisée, car les oncologues l’appréhendent souvent : « Il va me dire qu’il va
mourir tout de suite ». Il est pourtant important de bien
dissocier l’annonce de la résistance à la chimiothérapie
du risque de décès, et si cette première annonce est faite
suffisamment tôt, la survenue du décès n’est pas immédiate. Bien souvent au contraire, l’arrêt de la chimiothérapie permet au patient de se sentir mieux car il a
moins d’effets secondaires, et il peut traverser une phase
de stabilisation pouvant dans certains cas durer plusieurs
mois. Par ailleurs, l’arrêt des chimiothérapies n’est pas
l’arrêt de l’accompagnement et du suivi médical, et c’est
bien le plus important, car les patients ont avant tout
besoin d’être suivis, accompagnés et soutenus médicalement. Leur expliquer que leur qualité de vie, voire leur
espérance de vie sera meilleure sans chimiothérapie,
peut faciliter l’annonce.
Bien sûr, les choses sont loin d’être aussi simples, et la
vulnérabilité psychologique du patient confronté à
la maladie grave et mortelle à court terme entraîne bien
souvent la mise en œuvre de mécanisme de défense :
une résistance, un déni, un refus, ou une ambivalence
(« je veux mais je ne veux pas »). Certains patients peuBulletin Infirmier du Cancer
Toutes les équipes connaissent-elles et utilisent-elles les
recommandations et référentiels concernant l’arrêt
de traitements spécifiques ? L’Association francophone
des soins oncologiques de support (AFSOS) a notamment réalisé un référentiel sur la décision de poursuite
ou d’arrêt de la chimiothérapie chez l’adulte. Il est disponible gratuitement sur le site de l’AFSOS et peut aider
une équipe en difficulté à avancer dans sa réflexion. Par
ailleurs, les référentiels du bon usage des médicaments
doivent être utilisés lors des staffs médicaux afin de limiter le recours à cette fameuse « Xième ligne ».
Il paraît essentiel d’aménager des espaces de discussion
telles ces Réunions de concertation pluridisciplinaires (RCP) d’appui mises en place au Centre Hospitalier de Versailles pour faciliter la prise de décision
dans les cas complexes. Il est également souhaitable
qu’un ou plusieurs membres de l’équipe mobile de soins
palliatifs participent aux staffs de service, afin de faciliter la discussion sur la façon dont la maladie et le pronostic sont compris par le patient et son entourage, s’interroger sur les symptômes actuels, les risques évolutifs
et l’espérance de vie, faire le point sur la situation du
patient sur le plan psychologique, sa situation familiale,
sociale, spirituelle… Va-t-on parler de « soins palliatifs »
ou de « soins continus » ? Comment essayer de maintenir un peu d’espoir ? Va-t-on assurer un suivi médical
continu ? Pèse-t-on avec le patient le pour et le contre,
le rapport bénéfice/risque d’une éventuelle chimiothé-
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les hypolipémiants ? « Ah bon, vous m’arrêtez mon Crestor® ? C’est que j’en ai vraiment plus pour longtemps… ».
Et qu’en est-il des examens complémentaires ? « D’accord
docteur, mais vous me refaites un scanner dans deux mois,
pour voir comment ça pousse » ; « oui, mais je vais aggraver votre insuffisance rénale ».
Toutes ces questions méritent, et doivent, être posées,
discutées avec le patient, l’équipe soignante et les proches.
Évoquons également les complications curables. Un
patient étiqueté « NTBR » (Not to be resuscitated/à ne
pas réanimer), présente un soir un épisode de troubles
du rythme cardiaque mal toléré. Faut-il le transférer en
soins intensifs, en réanimation ? Il lui reste peut-être
deux, trois, voire six mois à vivre… Mais sait-on fixer
précisément un pronostic ? Un autre patient, atteint d’un
cancer du pancréas métastatique, oxygénodépendant,
présente une perforation d’un abcès péri-cæcal, il va très
mal. Il y a huit mois avait été décidé qu’il n’était pas
réanimable, mais il est toujours vivant, il est passé par
l’unité de soins palliatifs, puis est rentré chez lui et va
« bien », aussi bien que possible. Il a été revu en consultation, afin de ne pas rompre le lien. Le médecin est
désorienté : le patient n’est pas traité mais il va mieux !
A posteriori, et si le choc septique n’avait pas pu être
contrôlé en salle, n’aurait-on pas eu tort de ne pas l’admettre en réanimation ? Mais un réanimateur aurait-il
accepté ce patient « NTBR » ?
rapie de Xième ligne ? Quelles sont les alternatives thérapeutiques à l’arrêt des traitements spécifiques ?
Tout ceci vise à dépasser la simple RCP technique d’oncologie qui ne s’intéresse qu’aux différents traitements
envisageables. Une étude américaine montre d’ailleurs
que la présence d’un médecin de soins palliatifs aux RCP
entraîne une diminution du nombre de passages des
patients aux urgences dans les 30 jours précédant leur
décès. Quoi qu’il en soit, la décision finale sera prise en
consultation, par le médecin référent, en colloque singulier avec son patient. Il doit souvent repréciser au
patient que l’arrêt de chimiothérapie ne signifie nullement l’arrêt des soins.
Situations extrêmes
Que penser du patient encore jamais traité, arrivant d’emblée en réanimation ? Ayons conscience que certaines
situations médicales sont un peu exceptionnelles.
Telle cette patiente présentant un ictère mais dont le
cancer du sein métastasé au niveau hépatique est extrêmement chimio-sensible. Malgré l’absence de littérature
médicale, les chances de traitement peuvent être réelles.
Certaines situations sont extrêmes au sens socio-familial, notamment lorsqu’elles concernent des enfants, des
adolescents, ou des jeunes adultes. L’arrêt de la chimiothérapie en oncopédiatrie se révèle parfois éminemment difficile, et dans certains cas, telle cette patiente
jeune qui souhaite absolument élever ses enfants le plus
longtemps possible, le médecin peut se sentir contraint
de poursuivre le traitement à tout prix.
Quelques propositions
Tout d’abord, il semble impératif d’argumenter les décisions thérapeutiques sur des bases scientifiques,
afin d’éviter de prescrire cette Xième ligne, toxique et inutile.
La collégialité est indispensable. Les RCP d’appuis
décrites dans le 3e plan Cancer sont à développer aux
côtés des RCP techniques. Dans les services, les staffs
ont tout à gagner à être non seulement pluridisciplinaires
mais aussi pluriprofessionnels, avec une ouverture vers
les patients et leurs proches.
L’anticipation des situations problématiques est
cruciale, mais doit toujours se faire dans le respect du
patient. Il revient ainsi au soignant de déterminer si ce
dernier est capable d’aborder le sujet, en veillant à ne
pas lui imposer des projections qui peuvent s’avérer particulièrement anxiogènes.
Doit-on aussi arrêter les
traitements non spécifiques ?
Une fois l’arrêt des traitements spécifiques anti-cancéreux
décidé, que fait-on des autres traitements ? Poursuiton la nutrition parentérale ? Que répondre au patient diabétique qui s’astreint à un régime très strict, dont on
connaît le pronostic à court terme et qui dit « oui docteur,
j’aimerais bien manger comme il faut, mais j’ai mon
régime, je ne peux pas faire autrement » ? Que penser des
anticoagulants ? Telle cette patiente atteinte de carcinose
péritonéale, qui a fait deux phlébites et une embolie pulmonaire, qui est sous héparine au long court, et à qui l’on
dit « maintenant qu’on a arrêté la chimio, vous allez être
en soins palliatifs, on arrête aussi les anticoagulants »…
Faut-il poursuivre les antibiotiques ? Les anti-agrégants,
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Liens d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de lien
d’intérêt en rapport avec cet article.
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