Bull-Inf_K-2015-Congres334:nouvelles AFIC n°1vol5 06/03/15 18:56 Page15 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Compte rendu de congrès Les limites et limitations en soins palliatifs Colloque organisé par le Centre de liaison, d’étude et de formation Olivia Duffourg, membre de l’Afic, infirmière en oncologie, Institut Gustave Roussy, Paris [email protected] 25 novembre 2014, Espace Notre Dame des Champs, Paris 14e L a fin de vie est une aventure humaine qui dissout nos certitudes et force le questionnement. Les soignants se retrouvent face à leurs limites : limites techniques, éthiques, institutionnelles, organisationnelles, humaines. Que dire, que faire alors pour continuer à accompagner au-delà de l’échec des traitements spécifiques ? Comment maintenir la relation soignant-soigné, préserver la confiance et un certain espoir alors que l’on ne maîtrise plus la maladie ? Comment accepter l’incertitude et respecter la singularité avec laquelle chaque patient vivra ce moment ? Ces limites révèlent aussi nos difficultés, nos failles, nos peurs. Mais elles sont toujours un formidable moteur d’innovation et de recherche afin de progresser vers un meilleur soulagement de la souffrance. charge au domicile, relation soignant-soigné et notion de « juste présence », prise en charge des proches, de la famille et de la personne de confiance. Il conclut sur l’immense ressource que représente le travail en équipe dans la prise en charge des patients en fin de vie, tout en soulignant sa complexité. Ce qui suit présente l’essentiel de deux interventions. Le médecin : un médiateur dans l’élaboration du rapport à la limite ? Dr D. Mallet (médecin interniste, responsable du Service de lits de suite et de l’Unité de Soins Palliatifs, Haubourdin, Nord) Après avoir essayé de préciser les notions de limite et de transgression dans le contexte des soins palliatifs, ce colloque a choisi de les développer à travers les thèmes suivants : limites de l’évaluation et des traitements de la douleur, limites de la décision d’arrêt des traitements spécifiques en oncologie, rôle du médecin comme médiateur dans l’élaboration du rapport à la limite, information du patient, nutrition et soins du corps en fin de vie, ressources, limites et transgressions de la prise en Bulletin Infirmier du Cancer Qu’est-ce que la limite ? Elle est difficile à définir. Voyons plutôt le rapport que nous entretenons vis-à-vis de la limite. C’est un rapport conflictuel, tendu, ambivalent. Il n’est pas paisible, et il faut peut-être l’assumer comme tel. Lorsqu’une équipe mobile se déplace dans les services d’oncologie, il est fréquent que son interprétation d’une situation diffère de celle des soignants 15 Vol.15-n°1-2015 Bull-Inf_K-2015-Congres334:nouvelles AFIC n°1vol5 06/03/15 18:56 Page16 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Compte rendu de congrès qu’elle rencontre. Mais pourrait-il y avoir un ordre ? Ce fantasme caché des acteurs de soins palliatifs qui voudraient mettre un ordre sur le chaos qu’est l’expérience de la souffrance. Le rapport à la limite n’est-il pas aussi de l’ordre du challenge ? La limite n’est pas forcément posée, elle est l’objet d’une dialectique, d’une négociation, les frontières bougent. Peut-être faut-il donc accepter que le rapport à la limite soit un rapport conflictuel et qu’il s’agit de « vivre au mieux avec ce rapport conflictuel », qu’il serait illusoire de vouloir construire un rapport individuel ou collectif totalement apaisé vis-à-vis de la limite. Qu’est-ce qu’une limite ? On pourrait en distinguer trois types : - ce qu’on ne peut pas franchir dans les faits, l’impossible, l’inéluctable. Par exemple, la mort ; - ce que l’on pourrait repousser dans les faits, par la recherche de nouvelles modalités afin de dépasser là où est posée la limite. C’est ce que vise la médecine à travers l’augmentation de notre connaissance du réel ; - ce que l’on ne doit pas franchir car cela correspond à des interdits posés collectivement, fondés sur des repères légaux, culturels ou anthropologiques. Par exemple, l’inceste. Quelles sont nos attitudes possibles face à ces limites ? On peut en identifier quatre. La première serait de repousser les limites, et c’est clairement ce que demande la société à la médecine : avoir plus de savoir, plus de pouvoir, afin de vivre le plus longtemps possible, avec la meilleure qualité de vie. La deuxième, qui nous concerne directement en tant que médecins, soignants, serait de définir ce que serait la limite. Lorsque nous nous interrogeons sur la pertinence de faire telle chimiothérapie, de débuter telle radiothérapie, de transfuser ou de s’abstenir, nous essayons de définir ce que serait la limite pour une situation donnée. C’est un processus de création. La limite n’existant pas en elle-même, nous avons à définir ce qui serait pertinent, ce qu’il serait bon, juste, de faire dans cette situation. La troisième possibilité serait d’assumer les limites, avec deux pistes possibles. La première, proposée notamment par les acteurs du soin palliatif, revient en fait à déplacer les objectifs. De manière caricaturale (la littérature récente prouve visiblement le contraire), ce serait « accepter la venue de la mort, accepter de ne pas chercher à prolonger l’existence humaine, et se centrer sur le confort, la dimension relationnelle », tout ce que l’on Bulletin Infirmier du Cancer enseigne classiquement en soins palliatifs. C’est finalement assez paisible, car l’on renonce à un objectif pour en créer un autre, et l’on arrive à vivre son identité personnelle et professionnelle avec ce nouvel objectif. L’autre rapport, qui est celui de l’accompagnement, semble quant à lui beaucoup plus éprouvant. Il s’agit d’accepter la limite, mais en n’ayant aucun savoir, aucun pouvoir, et même de manière un peu utopique, en n’ayant aucune visée, aucun objectif. Il y a là une position peut-être « suprême » du rapport à la limite. La dernière attitude est bien sûr celle de la transgression. Quelle est la place du médecin ? Est-il l’acteur le mieux placé dans notre société pour élaborer un rapport à la limite ? Pour le Dr Mallet, les médecins ont des difficultés à élaborer un rapport à la limite, ils ne sont pas forcément les mieux placés. Il donne quelques exemples. Les études montrent que les médecins surestiment très fréquemment le pronostic en cancérologie. Il existe pourtant des scores validés mais ceux-ci ne sont quasiment jamais utilisés. Le Comité Consultatif National d’Éthique (CCNE) pointe leur position paradoxale. À la fois juges et parties, il leur est demandé d’être à la fois dans une position de soutien de la vie, d’être dans la situation, et aussi d’élaborer un rapport à la limite. La position est intenable. Les médecins sont très mauvais dans l’appréciation, très relative, de la souffrance des patients. Cela a été prouvé dans le monde du handicap. Ils ne sont pas très cohérents. Une enquête a interrogé 2 475 soignants européens en charge de patients très lourdement handicapés : « Êtes-vous pour ou contre le maintien de la nutrition artificielle chez des patients en état de conscience minimale ? ». Ils pensent que c’est tout à fait légitime de poursuivre la nutrition artificielle dans 2/3 des cas, mais s’il s’agissait d’eux, ils souhaiteraient l’arrêter dans 2/3 des cas. Limites de la rationalité : une étude montre que les médecins n’appliquent pas forcément ce qui a pourtant été démontré scientifiquement. Limites de leur identité personnelle. Alors qu’ils vivent en permanence dans le rapport à la souffrance de l’autre, dans des institutions avec leurs paradoxes et leur absence de finalités claires, et expérimentent au quotidien la complexité de la vie en équipe, les médecins ont-ils vraiment les ressources intérieures leur permettant d’aborder avec l’autre le rapport conflictuel à la limite ? La 16 Vol.15-n°1-2015 Bull-Inf_K-2015-Congres334:nouvelles AFIC n°1vol5 06/03/15 18:56 Page17 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Compte rendu de congrès réponse est incertaine, et cette situation ne leur donne pas forcément les moyens pour élaborer, lors d’une rencontre avec le patient, un rapport suffisamment paisible à la limite. Limites institutionnelles, et notamment le manque de temps et de formation. La formation médicale reste très orientée vers les questions techno-scientifiques, alors que la réflexion sur le rapport à la limite semble de plus en plus pertinente pour qui exerce dans le champ des maladies chroniques et souvent létales. les participants au processus de délibération, favorise, par des entretiens confidentiels, l’établissement ou le rétablissement du dialogue, le lien social, et la capacité de prendre une décision partagée ». Considérée dans ce sens, la médiation dépasse la simple stratégie de communication pour essayer de déterminer « ce qu’il semblerait bien de faire ». Si celle-ci échoue, l’appel à la loi reste le dernier recours visant à régler les problèmes entre citoyens. Quelques pistes individuelles et collectives pour essayer de construire un rapport à la limite Si l’on considère le coût des dernières molécules validées en hématologie au cours du temps depuis une dizaine d’années, on passe d’environ 6 000 € par cure à 136 000 €. Cela soulève des questions qui dépassent le simple clinicien pour concerner la collectivité toute entière. Peut-être une responsabilité doit-elle être assumée à ce propos par les sociétés savantes, afin de définir et structurer collectivement un rapport à la limite. S’appuyer sur des recommandations Une délibération personnelle et une « sagesse pratique » Il semble évident que chaque soignant a un travail à faire sur lui-même, car il semble immoral de ne pas accorder à autrui ce qu’on aimerait voir appliquer à soi. C’est l’une des seules règles éthiques qui fasse consensus. Ce travail personnel, à faire au fil du temps, pourra aider l’autre à élaborer un rapport à la limite. L’aspect politique Il est à ce jour totalement défaillant pour réfléchir ce rapport à la limite. De façon emblématique, aucune campagne présidentielle récente n’a véritablement abordé les questions de santé, le mot d’ordre restant limité au « toujours plus ». Comment pourrions-nous, de manière collective, assumer le fait que l’existence humaine est marquée par la limite, que des choix doivent être faits, et qu’on ne pourra pas augmenter certaines enveloppes budgétaires sans en diminuer d’autres ? Pour le CCNE, « l’adaptation permanente de l’offre de soins aux besoins démographiques, aux modifications épidémiologiques, aux progrès technologiques, justifie plus que dans n’importe quelle activité humaine des choix clairs, courageux, explicites aux yeux des citoyens. » Espérons que l’avenir soit plus responsable. Une délibération collective Dans le cadre de l’affaire Vincent Lambert, le CCNE vient de rendre un avis à la demande du Conseil d’État. Il y critique le côté trop formalisé de la procédure collégiale, ainsi que la place centrale du médecin pour assumer un rapport à la limite, et plaide plutôt en faveur d’un « processus », de quelque chose qui se construirait dans le temps, dans lequel le médecin garderait une place probablement forte, mais dans laquelle d’autres acteurs pourraient être associés. Il propose une graduation dans les situations complexes où le rapport à la limite est difficile à définir : le premier temps est bien sûr celui de la recherche d’une conciliation entre les points de vue. Dans un deuxième temps, il propose de faire appel à des médiateurs. La médiation est peut-être une piste à explorer dans les situations complexes. Le CCNE la définit comme « un processus à visée éthique reposant sur la responsabilité et l’autonomie des participants, dans lequel un tiers, impartial, indépendant, neutre, sans pouvoir décisionnel, avec la seule autorité que lui reconnaissent Bulletin Infirmier du Cancer En conclusion, il semble que le médecin puisse être un médiateur dans le rapport à la limite, mais qu’il ne doive pas être le seul. Son rôle de médiation s’articule autour de quatre grands thèmes. Il rencontre l’autre qui souffre, et de ce fait est médiateur entre celui-ci et l’expérience qu’il fait de la souffrance. C’est au médecin que le patient adresse sa demande d’un corps en meilleure santé, avec les représentations qu’il se fait de lui-même, du temps, et des possibilités thérapeutiques. Le praticien est alors médiateur dans la construction d’un pro- 17 Vol.15-n°1-2015 Bull-Inf_K-2015-Congres334:nouvelles AFIC n°1vol5 06/03/15 18:56 Page18 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Compte rendu de congrès jet de soins qui tienne compte de ce qui sera possible. Mais il l’est aussi d’une manière plus générale dans l’exercice du savoir et des pouvoirs de l’être humain. Les médias contribuent à entretenir un rapport à la limite où celle-ci pourrait en permanence être repoussée, à grand renfort de prouesses et de promesses réelles ou imaginaires. Sans nier que la responsabilité de soutenir ce discours revient à la médecine, ce seul message non nuancé rend difficile la construction collective d’un rapport à la limite. Le médecin a enfin un rôle majeur à jouer dans la construction des représentations sociales et du lien social, c’est toute la dimension de son engagement auprès des soignants. La difficulté réside dans le fait que cette médiation se déploie dans le registre de la relation, du langage, du symbolique, des données existentielles, dans le fait que nous sommes marqués par la finitude, l’incertitude, ainsi qu’une certaine solitude. Notre rapport à la limite doit bien évidemment se nourrir de cela. Pourtant, la médecine telle qu’elle est structurée, et c’est ce qui fait son efficacité, l’est essentiellement dans un rapport d’objectivation et d’opérativité. Ce paradoxe est très compliqué à tenir. S’il semble donc que les médecins doivent bien s’impliquer dans ce rapport à la limite, il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une responsabilité à porter collectivement et qu’elle est paradoxale. tions dans lesquelles il souhaite mourir. Autant d’éléments qui dépendent de l’information qui lui sera transmise concernant sa mort prochaine. Par ailleurs, des études montrent que la possibilité d’aborder la question de la fin de vie avec le patient ou ses proches permet d’observer une réelle diminution de la fréquence du recours à la consultation médicale d’urgence ou au transfert en réanimation, indicateur d’une moindre agressivité médicale en situation de fin de vie. Pour les proches, le fait d’être conscients de la situation leur permet de pleinement s’engager dans un accompagnement, qui, on l’a constaté, facilitera ensuite le travail de deuil. N’oublions pas enfin de rappeler le lien entre qualité de vie et espérance de vie, mis en évidence en 2010 dans l’étude de J. Temel pour le cancer pulmonaire, conclusions reprises depuis dans plusieurs autres spécialités. Quand et comment décider de l’arrêt des traitements spécifiques ? La décision reste difficile, à plusieurs titres. Difficultés liées au pronostic La « chronicisation » de la maladie cancéreuse métastatique, terme que l’on pourrait croire un peu galvaudé, est une réalité à laquelle les patients, leurs proches et les soignants doivent faire face et s’adapter. L’évolution est réelle. Alors qu’il n’y a pas si longtemps, on ne promettait à un patient atteint d’un cancer colorectal métastasé qu’une survie de cinq mois quasiment sans traitement, tout un arsenal associant chimiothérapie et techniques diverses (chimiothérapies intra-artérielles hépatiques, chimio-hyperthermie intra-péritonéale, radiofréquence, radiothérapie, etc.) ne cesse désormais d’allonger son pronostic vital. L’évolution concerne également les soins de support, auxquels le 3e Plan Cancer donne une large place et qui devront devenir systématiques. Pourtant, et malgré ces progrès techniques, nous restons confrontés à une échéance inévitable, l’épuisement des ressources thérapeutiques en phase avancée du cancer métastatique. La difficulté réside alors dans le décalage entre le savoir du médecin qui n’a plus de traitement à proposer et la demande de nombreux patients : « mais docteur, vous allez bien me faire un petit quelque chose, ça va encore me relancer un petit peu », qui s’appuie sur les images diffusées sans relâche par les médias : nouvelles thérapeutiques ciblées, immu- Limites de la décision d’arrêter les traitements spécifiques en oncologie Dr C. Bouleuc (Unité Mobile d’Accompagnement et de Soins Continus, Institut Curie, Paris), Dr D. Mayeur (Oncologue médical, CH Versailles, Le Chesnay) Cette intervention se veut un « survol » d’une vaste question dont l’intérêt et l’objectif sont la préservation de la qualité de la fin de vie. Elle force à s’interroger : un patient peut-il à la fois attendre de la chimiothérapie des résultats en termes d’amélioration et de prolongation de la vie, et se préparer, réfléchir et se déterminer concernant les conditions d’une fin de vie proche ? Il a peut-être, en effet, besoin de prendre des dispositions administratives personnelles qui seront importantes pour les proches survivants ; il a peut-être un projet qui lui tient à cœur et qu’il souhaite réaliser avant de mourir. Il peut vouloir transmettre, laisser des écrits à son entourage, ou bien encore préciser l’endroit et les condiBulletin Infirmier du Cancer 18 Vol.15-n°1-2015 Bull-Inf_K-2015-Congres334:nouvelles AFIC n°1vol5 06/03/15 18:56 Page19 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Compte rendu de congrès nothérapie, vaccinothérapie, etc.…, à l’origine de cette croyance selon laquelle une « Xième ligne de chimiothérapie » est toujours possible. Au final, établir un pronostic n’est pas aisé. Des scores validés scientifiquement peuvent aider les équipes soignantes à prendre une décision. Par exemple, le score « Pronopal », établi en 2008 de manière rétrospective, vient d’être présenté et validé par l’American Society of Clinical Oncology de manière prospective et sera prochainement publié. Il s’applique aux tumeurs solides et repose sur des critères assez simples (nombre de sites métastatiques, index de Karnowsky, taux d’albumine, de LDH, etc.). vent demander à poursuivre la chimiothérapie car leur attitude de « combat » face à la maladie est vitale pour eux sur le plan psychique, et il est parfois difficile pour le médecin de ne pas y céder. Un article récent montre de manière paradoxale que le fait d’administrer une chimiothérapie palliative à un patient peut au contraire favoriser les discussions de fin de vie. C’est une approche intéressante car si ces discussions sont trop proches de la mort, elles ont lieu dans un climat d’angoisse qui n’est finalement pas propice à un réel échange. Quelques mois plus tôt au contraire, le patient « protégé » par la chimiothérapie pourra peutêtre aborder le fait que s’il doit aller mal et se trouver en situation de fin de vie, il préfère être hospitalisé en unité de soins palliatifs, ou rester chez lui jusqu’au bout. Limites de la communication sur le pronostic Limites de la concertation : difficultés de communication entre soignants Il est certain que plus l’on prépare petit à petit un patient au fait qu’en situation métastatique, il se produit un épuisement progressif de l’efficacité des chimiothérapies avec une résistance globale de la maladie faisant qu’à un moment, plus rien ne fonctionne, mieux c’est. Car cette annonce est difficile et doit être préparée. Elle doit aussi être concertée, afin que les différents intervenants soient en phase avec ce qui est annoncé au patient. Elle doit enfin être rationnalisée, car les oncologues l’appréhendent souvent : « Il va me dire qu’il va mourir tout de suite ». Il est pourtant important de bien dissocier l’annonce de la résistance à la chimiothérapie du risque de décès, et si cette première annonce est faite suffisamment tôt, la survenue du décès n’est pas immédiate. Bien souvent au contraire, l’arrêt de la chimiothérapie permet au patient de se sentir mieux car il a moins d’effets secondaires, et il peut traverser une phase de stabilisation pouvant dans certains cas durer plusieurs mois. Par ailleurs, l’arrêt des chimiothérapies n’est pas l’arrêt de l’accompagnement et du suivi médical, et c’est bien le plus important, car les patients ont avant tout besoin d’être suivis, accompagnés et soutenus médicalement. Leur expliquer que leur qualité de vie, voire leur espérance de vie sera meilleure sans chimiothérapie, peut faciliter l’annonce. Bien sûr, les choses sont loin d’être aussi simples, et la vulnérabilité psychologique du patient confronté à la maladie grave et mortelle à court terme entraîne bien souvent la mise en œuvre de mécanisme de défense : une résistance, un déni, un refus, ou une ambivalence (« je veux mais je ne veux pas »). Certains patients peuBulletin Infirmier du Cancer Toutes les équipes connaissent-elles et utilisent-elles les recommandations et référentiels concernant l’arrêt de traitements spécifiques ? L’Association francophone des soins oncologiques de support (AFSOS) a notamment réalisé un référentiel sur la décision de poursuite ou d’arrêt de la chimiothérapie chez l’adulte. Il est disponible gratuitement sur le site de l’AFSOS et peut aider une équipe en difficulté à avancer dans sa réflexion. Par ailleurs, les référentiels du bon usage des médicaments doivent être utilisés lors des staffs médicaux afin de limiter le recours à cette fameuse « Xième ligne ». Il paraît essentiel d’aménager des espaces de discussion telles ces Réunions de concertation pluridisciplinaires (RCP) d’appui mises en place au Centre Hospitalier de Versailles pour faciliter la prise de décision dans les cas complexes. Il est également souhaitable qu’un ou plusieurs membres de l’équipe mobile de soins palliatifs participent aux staffs de service, afin de faciliter la discussion sur la façon dont la maladie et le pronostic sont compris par le patient et son entourage, s’interroger sur les symptômes actuels, les risques évolutifs et l’espérance de vie, faire le point sur la situation du patient sur le plan psychologique, sa situation familiale, sociale, spirituelle… Va-t-on parler de « soins palliatifs » ou de « soins continus » ? Comment essayer de maintenir un peu d’espoir ? Va-t-on assurer un suivi médical continu ? Pèse-t-on avec le patient le pour et le contre, le rapport bénéfice/risque d’une éventuelle chimiothé- 19 Vol.15-n°1-2015 Bull-Inf_K-2015-Congres334:nouvelles AFIC n°1vol5 09/03/15 14:10 Page20 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Compte rendu de congrès les hypolipémiants ? « Ah bon, vous m’arrêtez mon Crestor® ? C’est que j’en ai vraiment plus pour longtemps… ». Et qu’en est-il des examens complémentaires ? « D’accord docteur, mais vous me refaites un scanner dans deux mois, pour voir comment ça pousse » ; « oui, mais je vais aggraver votre insuffisance rénale ». Toutes ces questions méritent, et doivent, être posées, discutées avec le patient, l’équipe soignante et les proches. Évoquons également les complications curables. Un patient étiqueté « NTBR » (Not to be resuscitated/à ne pas réanimer), présente un soir un épisode de troubles du rythme cardiaque mal toléré. Faut-il le transférer en soins intensifs, en réanimation ? Il lui reste peut-être deux, trois, voire six mois à vivre… Mais sait-on fixer précisément un pronostic ? Un autre patient, atteint d’un cancer du pancréas métastatique, oxygénodépendant, présente une perforation d’un abcès péri-cæcal, il va très mal. Il y a huit mois avait été décidé qu’il n’était pas réanimable, mais il est toujours vivant, il est passé par l’unité de soins palliatifs, puis est rentré chez lui et va « bien », aussi bien que possible. Il a été revu en consultation, afin de ne pas rompre le lien. Le médecin est désorienté : le patient n’est pas traité mais il va mieux ! A posteriori, et si le choc septique n’avait pas pu être contrôlé en salle, n’aurait-on pas eu tort de ne pas l’admettre en réanimation ? Mais un réanimateur aurait-il accepté ce patient « NTBR » ? rapie de Xième ligne ? Quelles sont les alternatives thérapeutiques à l’arrêt des traitements spécifiques ? Tout ceci vise à dépasser la simple RCP technique d’oncologie qui ne s’intéresse qu’aux différents traitements envisageables. Une étude américaine montre d’ailleurs que la présence d’un médecin de soins palliatifs aux RCP entraîne une diminution du nombre de passages des patients aux urgences dans les 30 jours précédant leur décès. Quoi qu’il en soit, la décision finale sera prise en consultation, par le médecin référent, en colloque singulier avec son patient. Il doit souvent repréciser au patient que l’arrêt de chimiothérapie ne signifie nullement l’arrêt des soins. Situations extrêmes Que penser du patient encore jamais traité, arrivant d’emblée en réanimation ? Ayons conscience que certaines situations médicales sont un peu exceptionnelles. Telle cette patiente présentant un ictère mais dont le cancer du sein métastasé au niveau hépatique est extrêmement chimio-sensible. Malgré l’absence de littérature médicale, les chances de traitement peuvent être réelles. Certaines situations sont extrêmes au sens socio-familial, notamment lorsqu’elles concernent des enfants, des adolescents, ou des jeunes adultes. L’arrêt de la chimiothérapie en oncopédiatrie se révèle parfois éminemment difficile, et dans certains cas, telle cette patiente jeune qui souhaite absolument élever ses enfants le plus longtemps possible, le médecin peut se sentir contraint de poursuivre le traitement à tout prix. Quelques propositions Tout d’abord, il semble impératif d’argumenter les décisions thérapeutiques sur des bases scientifiques, afin d’éviter de prescrire cette Xième ligne, toxique et inutile. La collégialité est indispensable. Les RCP d’appuis décrites dans le 3e plan Cancer sont à développer aux côtés des RCP techniques. Dans les services, les staffs ont tout à gagner à être non seulement pluridisciplinaires mais aussi pluriprofessionnels, avec une ouverture vers les patients et leurs proches. L’anticipation des situations problématiques est cruciale, mais doit toujours se faire dans le respect du patient. Il revient ainsi au soignant de déterminer si ce dernier est capable d’aborder le sujet, en veillant à ne pas lui imposer des projections qui peuvent s’avérer particulièrement anxiogènes. Doit-on aussi arrêter les traitements non spécifiques ? Une fois l’arrêt des traitements spécifiques anti-cancéreux décidé, que fait-on des autres traitements ? Poursuiton la nutrition parentérale ? Que répondre au patient diabétique qui s’astreint à un régime très strict, dont on connaît le pronostic à court terme et qui dit « oui docteur, j’aimerais bien manger comme il faut, mais j’ai mon régime, je ne peux pas faire autrement » ? Que penser des anticoagulants ? Telle cette patiente atteinte de carcinose péritonéale, qui a fait deux phlébites et une embolie pulmonaire, qui est sous héparine au long court, et à qui l’on dit « maintenant qu’on a arrêté la chimio, vous allez être en soins palliatifs, on arrête aussi les anticoagulants »… Faut-il poursuivre les antibiotiques ? Les anti-agrégants, Bulletin Infirmier du Cancer Liens d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article. 20 Vol.15-n°1-2015