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VIE PROFESSIONNELLE
Mots clés :
traitement
Le terme chimiothérapie a pour origine deux mots grecs signifiant les soins par la
chimie. Le premier à l’utiliser fut, souvenons-nous, le docteur Paul Ehrlich qui mit au
point, en 1909, le premier médicament de synthèse : le Salvarsan® qui réussit à venir
à bout de l’épidémie de syphilis qui faisait alors rage en Europe. Il fut aussi le premier
à utiliser le terme de chimiothérapie car le médicament était créé uniquement à partir
de produits chimiques. Puis le terme allait tomber en désuétude.
De la chimiothérapie à la...
chimiothérapie
médicamenteux
adjuvant
[Chemotherapy,
Adjuvant]
D'abord une histoire
de guerre
DOI : 10.1684/med.2015.1256
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Jacques Beaulieu 1
beaulieu.ja
@videotron.ca
Histoire de la médecine
Le 22 avril 1915 allait initier un triste anniversaire dans
le monde. Dans une attaque, nommée la deuxième
bataille d’Ypres (du nom de la ville belge où elle s’est
produite), les Allemands utilisent une arme chimique
redoutable : le gaz moutarde, nommé depuis ypérite
par les Français pour conserver souvenir de cette atrocité. Durant cette attaque, plus de 5 000 soldats français, surtout des Bretons et des Normands, moururent dans l’heure qui suivit l’épandage allemand. Fait
à noter, les Allemands n’utiliseront plus cette arme
durant la seconde guerre mondiale même s’ils en
avaient préparé des stocks considérables qu’on a découvert après la guerre. Probablement ont-ils craint
que les alliés n’utilisent aussi le gaz moutarde contre
la nation allemande, comme quoi la peur peut être le
commencement de la sagesse...
Mais la première synthèse de l’ypérite s’était produite
bien avant. Un savant anglais, Frederick Gunthrie
(1833-1886) avait en effet combiné en 1860 de l’éthylène avec du bichlorure de soufre (SCl2) et constaté les
effets du gaz ainsi produit sur son propre épiderme.
Puis deux chimistes allemands, Lommel et Steinkopf,
élaborèrent la technique pour fabriquer le gaz en
grande quantité, d’où vient le nom allemand du produit
LOST (LOmmel – STeinkopf). Gaz moutarde, ypérite et
LOST sont les principales dénominations pour désigner ce gaz hautement vésicant qui s’attaque
1. Jacques Beaulieu est chroniqueur régulier à l’Actualité médicale,
une revue canadienne s’adressant aux médecins et a aussi signé une
trentaine de livres sur divers sujets de santé.
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prioritairement aux muqueuses humides : tels les
yeux, les poumons, les lèvres et les peaux molles. Dès
1918, la Croix-Rouge lança un appel à toutes les nations pour interdire l’utilisation de telles armes. Il lui
faudra attendre plus de 70 ans pour que son vœu ne se
réalise, ce qui n’empêcha pas les Japonais de l’avoir
utilisé durant la guerre d’Asie qui se termina par l’explosion atomique d’Hiroshima et Saddam Hussein de
s’en être servi contre les Kurdes (1988) et dans sa
guerre contre l’Iran (1990-1991). Encore de nos jours,
bien des nations craignent que des tyrans qui n’ont
plus rien à perdre comme le colonel Kadhafi ne l’utilisent 2. Ce dernier aurait eu à sa disposition plus de
10 tonnes de ce tristement fameux gaz...
De l'horreur au bonheur
L’année 1942 allait apporter un tournant décisif au gaz
moutarde. Deux chercheurs déjà illustres malgré leur
jeune âge (fin de la trentaine) allaient être recrutés par
l’Armée américaine pour étudier les effets de l’ypérite.
L’idée de base était de découvrir un antidote contre
cette arme, si jamais les Allemands décidaient d’y
avoir recours. Les deux pharmacologues, Alfred Gilman et Louis Goodman, venaient de publier un livre
qui faisait office de bible dans le monde pharmacologique, un compendium complet et précis des médicaments et agents chimiques thérapeutiques. Fort de
ces succès, les deux pharmacologues découvrent très
tôt les effets cytotoxiques de l’ypérite. En effet, lors
d’autopsies pratiquées sur des soldats intoxiqués, la
2. Ce texte a été écrit avant les récents événements survenus en
Libye...
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Histoire de la médecine
présence constante d’une importante hypoplasie lymphoïde
avait été constatée. Gilman et Goodman testèrent donc l’utilisation du produit sur des souris atteintes de cancer. L’essai
s’avéra un succès. Tant et si bien que notre duo convainquit
un médecin chirurgien d’en faire au plus vite l’essai sur un
humain. L’effet s’avéra tout aussi impressionnant. En moins
de 48 heures, les tumeurs avaient commencé à se résorber.
Au jour cinq, la tumeur avait disparu. Bien sûr, tout comme
chez les souris, la tumeur pouvait réapparaître et alors une
deuxième chimiothérapie n’avait que peu de résultats. Le fait
que la tumeur puisse réapparaître n’enleva rien au fait qu’une
nouvelle thérapie venait de rejoindre la chirurgie et la radiothérapie dans les traitements des cancers et cette nouvelle
thérapie allait définitivement porter le nom de chimiothérapie. C’est ainsi qu’est officiellement né le premier agent chimiothérapeutique en 1946 : la caryolysine. La caryolysine
forme aussi la première classe d’un type de médicaments
anticancéreux : les agents alkylants. Avec les années, d’autres produits s’ajouteront à cette classe comme les cyclophosphamides, les ifosfamides, le chlorambucil, etc.
Autres classes d'agents
chimiothérapeutiques
Parmi les autres classes, notons les anti-métabolites. L’un
des premiers anti-métabolites découvert fut le sulfamide, qui
fut le fruit de l’effort du Dr G. Domagk qui l’utilisa comme
antibiotique. Arrive ensuite l’aminopterin, que le Dr Sydney
Faber utilisa pour la première fois en 1947 pour lutter contre
la leucémie chez un enfant, ce qui lui valut le titre de père
de l’oncologie pédiatrique. Puis firent leur apparition le méthotréxate suivi par les analogues pyrimidiques vers la fin des
années 1940, début des années 1950.
Quand le pays s'en mêle
En 1955, le NCI (National Cancer Institute) instaure un programme de criblage systématisé des molécules sur la base
des expériences qui avaient été effectuées sur la leucémie
des souris. Fort des succès remportés par la Nasa dans le
domaine de la conquête de l’espace (l’homme avait mis le
pied sur la lune en 1969), Richard Nixon lance son programme
Conquête du Cancer. Un tel déploiement de ressources stimula la recherche sur le cancer et plusieurs médicaments
firent leur apparition dans le domaine de la chimiothérapie.
On pourrait parler de James C. Wang, ce professeur de l’Université Harvard qui découvrit les topoisomérases, une autre
classe d’agents anticancéreux qui agissent non plus sur la
structure de l’ADN mais sur sa configuration spatiale. Il faudrait aussi souligner l’histoire extraordinaire de ce pharmacien, Pierre Potier, qui en 1968 perdit son épouse d’un cancer
du sein. Ce drame le convainquit de changer son domaine de
recherche pour celui du cancer. On lui doit les découvertes de
la vinorelbine (Navelbine®) un médicament utilisé dans la lutte
contre le cancer du sein et celui du poumon et le docétaxel
(Taxotère®) principalement utilisé contre le cancer du sein.
De la sérendipité
Issu du terme anglais serendipity, le mot est tiré d’un conte
persan de Michele Tramezzino qui décrit les aventures de
trois princes au Sri Lanka (en vieux Persan, ce pays se
nomme Serendip) qui font des découvertes extraordinaires
par accident. Deux chercheurs canadiens, Robert L. Noble et
Charles T. Beer, ont été témoins privilégiés de la sérendipité.
Ils commencent des recherches sur une fleur que les habitants de Madagascar utilisent comme coupe-faim lors de
leurs longs voyages en mer. Nous sommes alors à la même
époque où l’insuline fut découverte. Nos chercheurs se disent donc que si cette pervenche de Madagascar possède
des propriétés pour couper l’appétit, peut-être joue-t-elle un
rôle dans le contrôle de l’insuline. Mais les résultats escomptés ne sont pas au rendez-vous. Les alcaloïdes extraits de la
plante n’agissent pas sur le contrôle de la glycémie. Par
contre, ceux-ci présentent un effet marqué pour stopper la
prolifération cellulaire en empêchant les microtubules de
pouvoir se structurer pour débuter la division cellulaire. Ainsi
sont apparues la vincristine et la vinblastine.
La polychimiothérapie
En 1974, trois chercheurs du Dana-Farber Cancer Institute
aux États-Unis, les docteurs Emil Frei, Emil Freireich et James
Holland, décident de combiner deux médicaments chimiothérapeutiques pour traiter la leucémie. Le traitement conduisit à
la première guérison d’un cancer. Le 7 avril 2004, les chercheurs furent honorés en recevant l’American Association for
Cancer Research Award en reconnaissance de leurs travaux.
Et pour l'avenir
En 1970, par son programme Conquête du cancer, Richard
Nixon visait à trouver un remède contre le cancer dans les
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10 prochaines années, donc avant 1980. Un constat d’échec
s’impose. Mais si le cancer ne fut pas vaincu, plusieurs batailles furent gagnées et l’espérance de vie pour les personnes atteintes a augmenté considérablement au cours des
40 dernières années. Aux chimiothérapies cytotoxiques
conventionnelles telles que décrites plus haut, s’ajoutent de
plus en plus des médicaments chimiothérapeutiques dits ciblés qui ne touchent que les cellules cancéreuses et non les
cellules saines. Ces thérapies ciblées en sont à leur début et
déjà certains médicaments ont fait leur apparition comme
l’Iressa® (géfitinib) pour n’en mentionner qu’un.
D’autres voies s’annoncent aussi prometteuses comme les
thérapies géniques et les médicaments issus des biotechnologies. Alors que durant les années 1970, on parlait du
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cancer, on parle aujourd’hui des cancers et demain on parlera
du cancer personnalisé avec des combinaisons individualisées de divers traitements. Il convient aussi de souligner toutes les recherches en cours portant sur les cellules souches
qui s’avéreront certainement une thérapie prometteuse en
soins personnalisés. Radiologie, chimiothérapie, chirurgie,
hormonothérapie et thérapie ciblée et cellules souches seront administrées à chacun dans un ordre et un dosage qui
pourra différer d’un individu à l’autre en accord avec le type
de cellules cancéreuses et des réactions individuelles aux
traitements.
Liens d’intérêts : l’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt
en rapport avec l’article.
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