Journal épistémologique. II (Février 05). Je me permets de rappeler le but et la fonction de ce “ journal ” : à savoir laisser une trace écrite formalisée de réflexions n’ayant pas directement leurs places dans des débats en cours du groupe Béna ; ceci pour une reprise personnelle à l’occasion, et aussi pour susciter d’éventuelles réactions de la part de lecteurs ! J’espère beaucoup que d’autres personnes ouvriront également un “ blog ” réflexif sur les questions de “ Sens ” ; c’est à la mode. 8Réflexions et notes de lecture… A propos du livre de Albert Lichten : “ Le signe et le tableau ”.(Ed. Champion 2004) Il n’est pas sans intérêt de faire un détour, par rapport à des considérations spéculatives, vers des approches d’esthétique, car le Beau est aussi nécessaire à l’esprit que le Vrai ! Un esprit qui se nourrit de pensées, que le goût sait choisir… La fonction sémiotique, univers des Signes, est la clef nécessaire pour communiquer. Elle représente “ l’information ”, prise dans son “ en-soi ” et la transmets dans une interprétation “ pour soi ”. Le signe est par définition (mais non par nature) lié à sa fonction référentielle (à l’objet auquel il se réfère). Le signe participe pleinement à la “ signifiance ” ; il en constitue la condition nécessaire mais pas pour autant suffisante ! “ Il n’y a pas de visible, sans réserve d’invisible… ”. “ La visibilité première est celle des –qualé- en tant que qualité des choses (connaissance subtile) et la visibilité seconde, celle des formes et des dimensions (connaissance structurelle ; certains parlent des “ relata ” qui cimente les choses) . Merleau-Ponty va jusqu'à dire dans son ouvrage (remarquable) “ L’oeil et l’esprit ” : “ La science contemporaine manipule les choses et renonce à les habiter… ” La croisée du visible se produit entre le touché et le touchant, mais celle de l’invisible se situe entre l’imaginaire et le probable. M-P ajoute, parlant du visible du Monde et de l’invisible du rendu artistique : “ Ils passent l’un dans l’autre, rendant possible la duplication du sentir (réflexivité du sensible) : réalité empirique et réalité psychique… ” Peindre (pris dans son sens large), c’est penser le rayonnement interne qui le sous-tends. Faire avec l’espace, les couleurs, acte de création et donner l’échelle de profondeur pour atteindre la “ doublure invisible ”. Se poser en acte dans une Forme, car “ la forme est le principe d’action en toute chose ” (saint Thomas d’Aquin). Albert Gleize dans “ Puissance du cubisme ” précise : “ La forme est en même temps mouvement et lumière : par sa force rythmique courbe elle ajoute le temps à l’étendue ”. “ Les spectacles du monde ne sont que des reflets d’images dans le miroir de l’oeil ”. L’Art, en tant qu’expression transfigurée du sensible, réside dans le lien de ce temps-mouvement (durée) avec la forme-lumière (étendue). Gleize cherche à définir les conditions de “ l’appréhension spirituelle de la lumière ”, par opposition aux propriétés du spectre lumineux. Le rendu artistique doit restituer la lumière invisible qui l’inspire ! Mais, dis t’il, les couleurs de l’arc en ciel ne sont pas des faits physiques, mais des faits psychophysiologiques correspondants aux différentes longueurs d’ondes que nous pouvons percevoir (ce qui n’est pas le cas pour l’infra-rouge et l’ultra-violet). Le cercle chromatique n’est que la mise en cercle de ce “ semblant ” ; Il en résulte que ce semblant réifié, que nous considérons comme un réalité objective, a véritablement un statut de mythe ! Pour Gleize, mettre en forme des couleurs, c’est agir sur un “ contenu ” d’ordre métaphysique, et ensuite avec l’approche sémiotique (primauté du signe sur la forme), s’exprimer par un contenu d’ordre culturel. Il faut considérer le “ contenu ” comme le vecteur ontologique du sensible ! * * * 9- Wittgenstein déclare dans le “ Tractatus ” (1921° : “ Le monde est la totalité des faits, non des choses ”…Il prétends, non sans raisons, que nous attrapons des “ crampes mentales, à vouloir nettoyer nos notions et à chercher de clarifier ce qui peut être dit du monde ”. Cette réalité extérieure au langage, nous pouvons la montrer du doigt, l’éprouver mais pas la dire…, précise Roger Pol-Droit. Que faut-il penser de cette primauté de l’événement, en tant que manifestation de la réalité ? Cette phénoménalité a une origine, qui reste virtuelle et potentielle, dont on aimerait bien cerner davantage les contours et les mécanismes ! N’y a t’il pas toujours une origine au niveau des idées, comme anticipation du formel-événementiel à venir ? En bref pour les “ chercheurs d’absolu ” : Les idées sont t’elles une chaîne d’interprétation des faits, ou est ce le contraire ? Wittgenstein se veut concret et pratique ; il relativise dans “ Recherches philosophiques ” le “ jeu de la nomination ” : “ Les mots n’ont que le sens qu’on leurs donne ”..De ce fait la “ signification ” est moins dans le couple signifiant/signifié (corpus formel), que dans son –emploi (aspect opérationnel). Cette valeur d’usage primordiale justifie les nuances de l’interprétation comme la polysémie de nombreux mots. Je reviens sur cette situation, inconfortable mais recherchée avec persévérance, du Philosophe prenant un appui quelque part entre le dicible et l’indicible. Cette “ obsession par des besoins notionnels ” (Wittgenstein) est t’elle raisonnable ? Comment et pourquoi les choses sont elles ce qu’elles sont ? “ Ce que l’on ne connaît pas, il faut le taire ” ! Le philosophe se situe le plus souvent, en abyme (au dessus du trou noir de l’invisible), s’efforçant de toujours plus repousser les limites de ce qui est connaissable et de parvenir à un énoncé ! 10 - Je découvre avec un grand plaisir le très riche site www.domuni.org université virtuelle des Dominicains et particulièrement les interventions de Jean-Michel Maldamé (ami de Béna, à Toulouse). Je cite et commente ci après quelques points importants de l’article : “ Mathématiques, science, culture et philosophie ”. “ L’histoire de la pensée montre une relation étroite entre la connaissance du monde et le savoir mathématique. Cette relation ne se laisse pas réduire à un partage des domaines dans lequel les mathématiques s’occuperait (seulement) du mesurable et la philosophie du subjectif ou du sentiment (aspects qualitatifs). Il y a entre eux une étroite corrélation ”. Maldamé recherche précisément les aspects qualitatifs (et même esthétique) de la pensée mathématique, en tant qu’approche abstraite (donc conceptuelle), universelle, et cependant rigoureuse, Par comparaison, la pensée théologique est une “ pensée de participation ” qui relève des sciences humaines, adhésion de la foi à une donnée extérieure révélée, ou au minimum pressentie. “ L’objet mathématique exclue certes toute référence à une transcendance absolu , mais il n’en demeure pas moins une occasion d’esthétique. Beauté naturelle d’une forme géométrique, d’une arborescence ou d’une symétrie “ pouvant aller jusqu'à des algorithmes inspirés des fractals ”. Il existe un réel mathématique, fruit d’une activité de l’esprit. Pour progresser, ce dernier doit procéder par séparation. La pensée mathématique n’est pas une perception passive mais un jugement selon la logique. “ L’unité et la cohérence d’un tel corpus , réalisent de manière exemplaire un savoir méthodique, fondé sur des principes clairs et distincts, qui fascine l’esprit en quête de vérité ”. “ Mais la philosophie n’a pas de mal à reconnaître que les mathématiques ne peuvent se donner à elles-mêmes leur fondement ” “ La norme ultime du vrai est-elle dans la construction d’un système de signes (tel est le cas semble t’il, de la numérisation) ou se trouve t’elle dans un donné premier- plus universel et transcendant ” ? De nos jours “ le développement des sciences cognitives pose, plus que jamais, la question du rapport entre penser et calculer ”. 11 - Je reprends ici un échange de courriels avec Michel G., qui peut présenter un intérêt élargi…(J’en profite pour le compléter…) J'essaye comme vous me le demandez de préciser ma pensée à propos de "La TNN serait seulement un langage symbolique exprimant le signifié" ? Vous êtes certainement d'accord que la "numérisation" est une pensée mathématique symbolique qui constitue un mode de langage universel et performant. Le problème est de vérifier (valider), si cette codification de type binaire est "naturelle" ou arbitraire (comme tout langage) ! X.S. affirme avec beaucoup de conviction et de nombreux arguments, que cette numérisation est "un langage naturel" ; c'est à dire qu'il fait partie de la Création , et que l'Homme ne fait que de l'y reconnaitre (et non pas de le construire). J'ai beaucoup de mal à entériner cette état de fait, car il me semble que nous glissons alors du "signifié"(contenant formel), qui est notre degré d'accord sur la forme du langage, venant après le per-accord (accord sur l'accord), vers le "signifiant" (essence du contenu formalisée). La succession de chiffres du langage binaire ne peut être pour moi (actuellement) que la représentation modélisée humaine (hardware) de la réalité idéelle au niveau du concept (software) ! “ Le concept est la vérité de la substance ; il se détermine par un jugement”, a écrit Hégel ! C’est la matérialité de ce jugement qui prends la forme écrite symbolique (objet du signifié). Je fais référence au § 9 du Journal, à l'opinion de Wittgenstein. ou la “ signification ” (qui est le socle du Sens) est moins dans le couple signifiant/signifié (corpus formel), que dans son –emploi (aspect opérationnel). Je voudrais également reprendre le dernier alinéa du § 10 : “ La norme ultime du vrai est-elle dans la construction d’un système de signes (tel est le cas semble t’il, de la numérisation) ou se trouve t’elle dans un donné premier- plus universel et transcendant ” ? De nos jours “ le développement des sciences cognitives pose, plus que jamais, la question du rapport entre penser et calculer ”. Je trouve dans votre § 932.21 sur la "logique des propositions" des éléments de la citation de G.Frege, alinéa 1 et 2, qui éclaire pour moi ma tentative d'éclaircissements du 21/02 sur la vraie place de la "numérisation" : "Cela donne l'impression que ce à quoi nous avons affaire concerne seulement l'expression (signifié par un chiffre) et non pas, la pensée" (signifiant, dont le rendu se situe au niveau de l'interprétation personnelle). Certes le Nombre constitue un schème conceptuel, mais son aspect "mécanique" exclue, me semble t'il, la richesse d'interprétation propre à la "signification", qui est une pensée unifiant le couple signifiant/signifié. Je me résume : Quelle soit langage artificiel convenu ou reconstitution d’une disposition naturelle, la “ Numérisation ”, par sa facture symbolique ne représente (ne crypte) que la composante formelle correspondante au “ signifié ” dans la distinction Saussurienne. La “ Signification ”, dans son entier doit en outre incorporer le “ signifiant ”, qui représente le contenu en lui-même, le fond de vérité – saisissable par le seul concept, de nature idéaliste. La forme, permets certes d’évoquer le fond, mais reste un “ faire-valoir ” ! Il n’y a pas de “ communication ” (en tant que relation compréhensible) sans “ signification ” concomitante (celle de son usage habituelle), sinon il s’agit d’un “ proto-langage ”, encore informe, tête chercheuse, (par le biais de l’intuition), de ce qui peut être énoncé “ Ce qui ne peut être dit, il faut le taire ”…(Wittgenstein). 12 - Vient de sortir, début 2005 chez Bayart, un livre très bien pensé et écrit du “ Groupe des Dombes ”* sous le titre “ Un seul Maître ”…sur le sujet difficile de l’Autorité Doctrinal dans l’Eglise, au service du rapprochement œcuménique et d’une réconciliation entre les Eglises. Le livre apporte des réponses à une question primordiale : “ En quel sens le don gratuit de Dieu par le Christ et dans le saint Esprit, est il confié à des personnes humaines, reçu et communiqué à travers leur ministère ? Quelle est la part de l’église visible : établissement des “ norma normans ” (normes ultimes) et des “ norma normata ” (normes pratiques). Quelle part pour la conscience personnelle, église invisible, en tant que conscience responsable et éclairée (vertu du discernement). -etc… * Gr.des Dombes : une cinquantaine de religieux (dont 5 religieuses) à parts égales entre Catholiques et Protestants.