L`intelligence du réel

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B.L. 12/12/04
L’intelligence du réel !
De quoi s’agit t’il ?
- Notion d’intelligence : il s’agit d’expliquer de façon rationnelle et avec justesse
ce qui est compris en tant que structure du réel telle qu’on peut le concevoir.
- Notion du réel, et par extension de réalité (domaine du réel).
- La réalité constitue le paysage intellectuel, pour une part d’ordre objectif, pour
une autre d’ordre subjectif, où se situe le vrai !
Il y a dans notre quête du réel, un désir et un besoin d’accéder au “ fond des choses ” et
de s’y référer comme caution et comme fondement. C’est l’objectif affiché des sciences
comme de la philosophie. L’ambitieux domaine de l’épistémologie est celui d’une
lecture critique raisonnée du savoir des Sciences !
“ Faire jaillir des Choses, un âme de consistance et d’absolu ”, telle est la façon
pertinente que nous propose Teilhard dans “ Mon Univers ”.
Le réel auquel nous aspirons constitue la texture invisible de notre esprit.
Texture qui constitue le cheminement du Sens, dont nous savons par ailleurs qu’il
creuse tout autant qu’il comble : travail de Sisyphe… (Nous restons ainsi dans la
tradition Platonicienne, qui voulait croire à la “ réalité des idées ”).
Je me propose d’examiner tout d’abord l’idée du réel, prise dans sa généralité,
en suivant de près l’analyse de Bernard d’Espagnat dans un récent ouvrage intitulé
“ Traité de physique et de philosophie ”, et en m’aidant également des travaux d’Etienne
Klein et plus particulièrement de son récent “ Petit voyage dans le monde des Quanta ” .
Nous parlerons ensuite, plus spécialement du “ réel numérique ”, tel qu’il est proposé
par la T N N, pour en discuter de l’opportunité .
Enfin nous résumerons quelques idées fortes de Lothar Schäfer, telles qu’elles ont été
exprimées au congrès Teilhard, de Rome, il y a quelques semaines.
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Au départ, et d’une façon générale, il y a deux visions distinctes et complémentaires de
l’Univers, soit une “ vision multitudiniste de la nature dans laquelle la réalité
constitutive est de type matériel ” (la matière y est constituée primitivement d’atomes,
de nos jours d’électrons ou de fonction d’ondes), soit une “ vision unitaire ”, plus
globalisante, celle de “ l’union créatrice ” de Teilhard, où prédomine la réalité
spirituelle de l’homme.
La première appartient surtout au domaine de la science (“ sciences dures ”), la seconde
relève de la philosophie ou de la théologie (“ sciences humaines) !
Bernard d’Espagnat fait remarquer que l’approche scientifique est principalement
quantitative : elle mesure “ la notion d’état d’un système ou celle de changement
d’état ”, d’où la notion de “ quantum ” (des quanta), en tant qu’unité quantitative
minimum.
L’autre approche dite “ spiritualiste ”, s’attache prioritairement à l’aspect qualitatif et
l’on peut évoquer la notion de “ qualé ” (des qualia), comme unité qualitative.
Remarquons que dans le qualitatif , il y a des caractères proprement subjectifs
également mesurable, tels que couleurs, odeurs, saveurs, que l’on peut différencier dans
une échelle des valeurs… et d’autres objectifs, la forme, la localisation, le mouvement,
où l’on peut établir des mesures chiffrées…
Ces deux approches fusionnent dans la notion de “ continuum ”, qui réalise l’unité
ontologique de l’être et du phénomène.
“ Il est de plus en plus clair que nos sens ne révèlent guère qu’un réel apparent. Nous ,
sommes comme piégés par l’évidence, et nous devons renouveler nos “ expériences de
pensée ”.
La mécanique quantique nous apprends que la Réalité n’ést pas là où elle paraît être !
Le formalisme quantique est avant tout probabiliste (et non plus déterministe) .
En vertu du principe d’incertitude d’Heisemberg, cette indétermination ne peut que
perturber toutes opérations de Mesure ! Nous sommes alors réduits à “ représenter les
observables ” (sauver les phénomènes), par une réduction ponctiforme de la fonction
d’onde (alias “ vecteurs d’états ”), comme dans l ‘expérience des fentes, avec
distribution apparente des probabilités.
Mais depuis les années 1990, il y a comme un retour de flamme ; la prise en compte de
l’environnement par rapport aux interactions fait perdre aux objets macroscopiques
leurs caractéristiques quantiques. Ainsi les états d’interférences résultants de fonctions
d’ondes superposées telles qu’elles sont observées pour des objets (invisibles)
microscopiques, n’existent plus pour la même expérience, lorsqu’elles sont réalisées
avec des objets (visibles) macroscopiques : leurs propriétés quantiques se sont
évanouies dans “ l’environnement ” (air ambiant ou vide).
Il y a bien “ décohérence ” du réel dans son acception quantique.
La décohérence du réel est la règle mais par nécessité, tant physique que psychologique,
nous choisissons de mettre en avant une autre cohérence, celle de ce que de ce que nous
révèlent nos sens, soit objectivement (langage descriptif), soit subjectivement (langage
judicatif).
Il nous faut citer Kant et sa distinction entre “ noumène ”, la chose en soi, considérée
comme ayant un sens, quoique par nature inconnaissable, et les “ phénomènes ”, en tant
que données immédiates des sens, de nature expérimentale, supposées exister
réellement en l’état, indépendamment de notre jugement.
Il faut bien considérer que lorsque l’on cherche à circonscrire le Réel, (comme nous
nous y appliquons), on est malgré soi partagé et même ballotté, entre une conception
objective, de nature physique à partir des événements perçus, et une conception plus
évasive, exploratoire, spéculative, de nature pour ainsi dire ontologique.
Ceci pourrait être rapproché de l’inter-relation, qui depuis Aristote, distingue mais aussi
réunit les notions de Puissance et d’Acte ; cette dernière n’étant en fait que
l’actualisation du potentiel (être en acte).
Il y a certes, une “ réalité empirique ”, que nous ne pouvons nier, directement liée à nos
sensations et aux apparences, telles que nous les identifions, mais nous n’en avons pas
moins, avec d’Espagnat, la nostalgie d’une “ réalité en-soi ”, réalité ouverte, source
indépendante de nos observations expérimentales et même très probablement de notre
pensée.
Cette “ réalité transcendante ”, comme sa qualification l’indique, relève d’abord d’une
relation de communion et non pas véritablement de connaissance dans son acceptation
rationnelle. ( N.B. Elle a beau se rapporter à un monde invisible, elle n’a rien à voir avec
la physique quantique).
Mais peut t’on encore employer le terme de “ réalité ”, pour ce qui relève du
“ surnaturel ” et même du “ divin ” ?
C’est pourquoi Bernard d’Espagnat propose le concept du “ réel voilé ”, qui s’emploie
à la difficile tâche de décrire la “ transcendance acceptable ” et à dessiner ses contours
apparents. Nous sommes dans la zone floue de coalescence de l’être et du phénomène.
Approfondissons cette notion de “ réel voilé ”, en examinant successivement des
questions de forme, puis de fond :
Sur la forme, le réel voilé exprime une “ émergence ” en train de se faire ; c’est
véritablement une interface, non totalement connaissable. Elle provient de la réalité
originaire, indépendante et se transforme, par une interprétation de notre raison, en
réalité objective, empirique.
On peut dire que l’essence et l’existence y fusionnent dans l’étant, mais celui-ci reste un
attribut de l’être !
Ceci montre bien que le Réel est comme le mercure, insaisissable mais néanmoins
présent et dense dans notre esprit. La métaphore du voile montre que le paradoxe du réel
est d’être en même temps, ce qui nous échappe, parce-qu’invisible et difficilement
conceptualisable sinon comme reflet, et ce qui nous résiste, en tant que matière, visible,
consistante, cohérente et rationnelle du point de vue macroscopique.
Michel Bitbol, analysant le bien fondé de cette expression de “ réel voilé ”, parle de
“ l’aveuglante proximité du réel ”.
En lieu et place du réel voilé, propose une approche du réel,
“ pragmatico-transcendantale ”, qui veut également ménager les deux acceptations dans
une sorte de “ coïncidence des opposées ”.
On peut, à ce propos, paraphraser saint-Augustin, parlant du Divin, il est “ plus intime à
nous-mêmes que nous-mêmes ”, car il nous constitue à la fois ontologiquement et
physiquement.
C’est certainement la raison pour laquelle nous y attachons tant d’importance, mais
plus nos visées sont profondes, moins elles sont claires !
Le problème de fond est celui de la question de la “ préfiguration du réel ” à sa
reconnaissance ?
Car “ philosopher, c’est penser plus loin qu’on ne sait… ” a écris très justement
Comte-Sponville. Notre esprit se projette sans peine, par l’intuition ou par des vues
mystiques, vers l’indicible.
La foi est également une des dimensions du réel ! Nous croyons à la téléologie (finalité)
de la Création, attitude éminemment spirituelle, qui donne un Sens à une réalité
cosmique.
Ma conception personnelle du réel (qui recoupe celle de beaucoup d’autres) repose donc
sur un postulat d’intelligibilité transcendante, qui relève principalement des affects, (et
seulement occasionnellement des percepts ou des concepts).
Mais indépendamment de ce “ substrat ontologique ”, nul ne peut nier la valeur de la
Science comme instrument de la Connaissance, la fécondité et la justesse de la plupart
de ses prévisions, même lorsqu’elle remet en question la constitution de la Matière
(“ matière déchosifiée ”), avec la mécanique quantique.
Pour faire image, le Réel se positionne donc comme s’il était le faîte d’une toiture, dont
les deux pentes étaient d’une part la réalité transcendantale, d’autre part la réalité
phénoménale !
Le spectre du réel est particulièrement large ; il s’étend du “ surréel ” à l’apparence.
Il faut donc distinguer des “ niveaux de réalité ”, et préciser chaque fois que possible,
celui sur laquelle s’appuie notre pensée !
De nos jours, paradoxalement, malgré l’accroissement de nos connaissances, le contenu
de la réalité de la matière est devenue plus incertain , et son intelligibilité plus difficile,
quoiqu’elle balance toujours entre les notions de substance et d’attributs.
Il faut rappeler, par ailleurs, que nous estimons que 90 % de la masse supposé de
l’Univers, nous demeure actuellement cachée !
Je voudrais, pour conclure sur ce point, à nouveau citer Teilhard, dans “ L’Unité
Créatrice ” :
“ Certaines obscurités, ou étrangetés imposées par le Réel renferment une part
d’inconnu fécond, d’où se développeront les constructions ultérieures de la Pensée ”.
D’une certaine façon, le Réel est donc , ce qui reste à découvrir !
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Il y a lieu maintenant, d’ évoquer plus particulièrement la notion de “ réalité
numérique ”, telle qu’elle est mise en avant dans la “ Théorie de la Numérisation
Naturelle ” par Xavier Sallantin.
Pour la définir, je reprendrai les termes du glossaire à la fin de l’ouvrage, représentant
cet “ outil d’investigation nouveau ”, comme “ théorie selon laquelle, dés le
commencement de l’univers, s’instaure un couplage ontologique entre grandeurs
physiques et valeurs numériques porteurs d’une signification intrinsèque ”.
X S précise par ailleurs, “ reconstitution expérimentale et fidèle de la genèse de
l’univers, simulée numériquement sur ordinateur ”.
Il apparaît donc que cette vue d’ensemble sur “ l’Economie de l’Univers va se
développer, au titre d’une modélisation, utilisant une écriture numérique, en
l’occurrence la base mathématique binaire utilisée en langage informatique, pour
exprimer des grandeurs physiques.
L’introduction précise : “ ma thèse est que la numérisation que pratique la Nature, dés le
commencement, notamment avec la quantification de l’Action, est un discours sur le
Réel tenu par la Nature elle-même.
La relation entre réalité physique et virtualité numérique est un langage naturel ”.
Cette numérisation naturelle est le levier d’une nouvelle intelligibilité de la lecture de
notre Univers (nouveau paradigme).
Nous avons utilement dialogué, au cours des mois précédents, en particulier sur la
“ valeur ontologique ” affirmé de la T N N.
Jacques Malbrancke observe que pour cette théorie “ la communication élémentaire est
en fait un comptage. Celui ci se fait dans le domaine virtuel par l’intermédiaire d’un
signifié numérique, correspondant lié ontologiquement à un signifiant (physique) du
domaine réel ”.
Certes tout langage s’emploie à appréhender le Réel, fût t’il virtuel, mais il faut se mettre
d’accord sur les rôles réciproques du “ signifiant ” et du “ signifié ” (selon la
terminologie de Saussure).
La communication, (au niveau du “ signifié ”), peut en effet être réduit à un comptage
des accords et des désaccords (interprétations non conformes au message transmis),
mais celui-ci, à mon avis, ne peut constituer que l’aspect technique de l’échange
d’informations entre émetteur et récepteur.
Cette représentation de la Réalité, sous la forme de signaux numériques, restitue
fidèlement, des sons ou des images comme de simples pensées, mais au second degré.
Le “ fond des choses ”, (exprimé par le “ signifiant ” physique), qui constitue l’essence
du Réel est ailleurs.
La signification réside dans l’intervalle liant signifiant et signifié.
On ne peut l’approcher que par le questionnement spéculatif métaphysique, à charge de
le communiquer par une inscription numérique, comme nous le faisons actuellement.
La forme numérique, même naturelle, ne peut préjuger de la “ fonction ”, au niveau du
Sens, qui exprime l’essence du réel autrement !
Je conclus (provisoirement) sur ce point en citant l’interrogation d’Etienne Klein :
“ La fonction première d’une théorie est t’elle de simplement de classifier, d’organiser
et de prédire, ou bien doit t’elle de surcroît dévoiler, par le biais de son propre contenu,
une véritable ontologie ” ?
Il ajoute “ Les mathématiques constituent un langage intermédiaire permettant de
passer du monde sensible au monde des idées, seul capable de rendre compte de la
réalité des choses ”.
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