Il faut bien considérer que lorsque l’on cherche à circonscrire le Réel, (comme nous
nous y appliquons), on est malgré soi partagé et même ballotté, entre une conception
objective, de nature physique à partir des événements perçus, et une conception plus
évasive, exploratoire, spéculative, de nature pour ainsi dire ontologique.
Ceci pourrait être rapproché de l’inter-relation, qui depuis Aristote, distingue mais aussi
réunit les notions de Puissance et d’Acte ; cette dernière n’étant en fait que
l’actualisation du potentiel (être en acte).
Il y a certes, une “ réalité empirique ”, que nous ne pouvons nier, directement liée à nos
sensations et aux apparences, telles que nous les identifions, mais nous n’en avons pas
moins, avec d’Espagnat, la nostalgie d’une “ réalité en-soi ”, réalité ouverte, source
indépendante de nos observations expérimentales et même très probablement de notre
pensée.
Cette “ réalité transcendante ”, comme sa qualification l’indique, relève d’abord d’une
relation de communion et non pas véritablement de connaissance dans son acceptation
rationnelle. ( N.B. Elle a beau se rapporter à un monde invisible, elle n’a rien à voir avec
la physique quantique).
Mais peut t’on encore employer le terme de “ réalité ”, pour ce qui relève du
“ surnaturel ” et même du “ divin ” ?
C’est pourquoi Bernard d’Espagnat propose le concept du “ réel voilé ”, qui s’emploie
à la difficile tâche de décrire la “ transcendance acceptable ” et à dessiner ses contours
apparents. Nous sommes dans la zone floue de coalescence de l’être et du phénomène.
Approfondissons cette notion de “ réel voilé ”, en examinant successivement des
questions de forme, puis de fond :
Sur la forme, le réel voilé exprime une “ émergence ” en train de se faire ; c’est
véritablement une interface, non totalement connaissable. Elle provient de la réalité
originaire, indépendante et se transforme, par une interprétation de notre raison, en
réalité objective, empirique.
On peut dire que l’essence et l’existence y fusionnent dans l’étant, mais celui-ci reste un
attribut de l’être !
Ceci montre bien que le Réel est comme le mercure, insaisissable mais néanmoins
présent et dense dans notre esprit. La métaphore du voile montre que le paradoxe du réel
est d’être en même temps, ce qui nous échappe, parce-qu’invisible et difficilement
conceptualisable sinon comme reflet, et ce qui nous résiste, en tant que matière, visible,
consistante, cohérente et rationnelle du point de vue macroscopique.
Michel Bitbol, analysant le bien fondé de cette expression de “ réel voilé ”, parle de
“ l’aveuglante proximité du réel ”.
En lieu et place du réel voilé, propose une approche du réel,
“ pragmatico-transcendantale ”, qui veut également ménager les deux acceptations dans
une sorte de “ coïncidence des opposées ”.