Traitement de la crise migraineuse
Article de B. Nater C. Dozier
La migraine est une affection neurologique chronique fréquente, caractérisée par des crises
récurrentes qui peuvent provoquer un handicap fonctionnel et des répercussions socio-
économiques importantes. La migraine est souvent méconnue. Le diagnostic est basé sur
l’anamnèse et la normalité de l’examen clinique. Différents traitements des crises peuvent être
proposés aux migraineux. Les analgésiques non narcotiques et les AINS gardent une certaine
utilité, mais les triptans, antimigraineux modernes dits spécifiques, sont de plus en plus
souvent choisis. L’efficacité semble meilleure si ces traitements sont pris en début de crise.
Introduction
Le traitement de la crise migraineuse fait encore l'objet de certaines controverses, mais un
consensus se dessine dans de nombreux pays. En Suisse, des recommandations thérapeutiques
sont régulièrement publiées par la Société suisse pour l'étude des céphalées.
Le traitement des crises migraineuses représente un enjeu important. La migraine est en effet
une affection fréquente concernant environ 12% de la population adulte des pays occidentaux
avec un pic de prévalence entre 25 et 55 ans et une forte prépondérance féminine. La migraine
touche ainsi particulièrement une population active avec comme conséquences d'importantes
répercussions économiques. Les coûts indirects dus à l'absentéisme et à la diminution de
productivité sont estimés à 13 milliards de dollars par an aux Etats-Unis.1 Les coûts directs
sont liés aux consultations médicales. L'intensité des douleurs et des symptômes associés
contribue par ailleurs souvent à diminuer la qualité de vie des personnes souffrant de
migraine.
Malgré sa forte prévalence, sa sévérité et ses conséquences, la migraine n'est souvent pas
reconnue ou traitée de façon peu satisfaisante. On estime que ce diagnostic n'a pas été posé
chez plus de la moitié des patients par absence de consultation médicale ou erreur de
diagnostic.2 La migraine est souvent confondue avec une sinusite ou une céphalée de tension.
La migraine est cependant facile à reconnaître en se basant sur la classification de la Société
internationale des céphalées de 2004 (tableau 1).3 Lors d'accès migraineux, trois critères
associés à la céphalée ont été identifiés : la restriction fonctionnelle, la photophobie et la
nausée. La présence de deux de ces critères a une valeur prédictive de 93%.4 Cette méthode
de dépistage simple et rapide de la migraine constitue un outil complémentaire pour faciliter
le diagnostic.
L'automédication est fréquente et souvent insatisfaisante. Elle peut aussi conduire à un abus
incontrôlé d'antalgiques. Une prise en charge est dans cette situation nécessaire.
Le traitement de la crise migraineuse est avant tout médicamenteux. Le but du traitement est
un soulagement rapide et durable et l'absence d'effet indésirable (tableau 2).
Analgésiques, ains
Ce groupe comprend les analgésiques non opiacés. Ces médicaments gardent une place dans
l'arsenal thérapeutique. Ils constituent le principal traitement à l'exception de l'aspirine, de la
crise migraineuse de l'enfant. Ils sont aussi souvent indiqués lors de crise migraineuse
d'intensité modérée. Ils permettent également dans certains cas d'éviter un abus des
antimigraineux spécifiques.
Le paracétamol est le médicament de choix en cas de grossesse et d'allaitement. Son efficacité
est cependant le plus souvent relativement faible.
L'aspirine est utilisée depuis de très nombreuses années, seule ou associée au métoclopramide
pour favoriser son absorption. Son efficacité est supérieure et mieux documentée que celle du
paracétamol. Une étude récente a confirmé qu'une forme soluble de 1000 mg avait une
efficacité comparable au sumatriptan 50 mg et à l'ibuprofène 400 mg. Le sumatriptan était
supérieur à l'aspirine uniquement pour le taux de disparition de la céphalée.5
Les autres AINS ont été introduits dans le traitement de la crise migraineuse sur la base du
rôle des prostaglandines dans le processus migraineux.. Les AINS sont statistiquement
supérieurs au placebo, mais parfois leur effet est modeste. Leur efficacité n'est pas supérieure
à celle de l'aspirine.6 Ces différentes substances sont souvent en vente en association avec des
dérivés de l'ergot de seigle, de la caféine, des barbituriques ou des opiacés. Ces formes
composées peuvent favoriser une dépendance et un abus médicamenteux, comme d'ailleurs
tous les médicaments utilisés dans la crise migraineuse. Le recours à des formes simples
d'analgésiques est à conseiller.
L'expérience montre que les analgésiques s'avèrent assez fréquemment pas suffisamment
efficaces et qu'il faut se tourner vers les antimigraineux spécifiques.
Dérivés de l'ergot de seigle
Cette classe de médicaments, qui agit sur de nombreux récepteurs, a une efficacité souvent
limitée et de nombreux effets secondaires, ce qui a contribué à leur remplacement par des
médicaments plus sélectifs dénommés triptans.7
Triptans
Cette catégorie de médicaments a une action spécifique sur les récepteurs 5-HT1B/1D. En
Suisse, cinq d'entre eux sont commercialisés : sumatriptan, naratriptan, zolmitriptan,
rizatriptan et élétriptan. Leur efficacité a été démontrée par rapport au placebo. Ils agissent sur
la céphalée et les symptômes associés (nausée, vomissement, photophobie, phonophobie),
mais pas sur l'aura migraineuse. En cas de vomissement précoce, une forme non orale est à
préférer : sumatriptan par auto-injection sous-cutanée, spray nasal ou suppositoire,
zolmitriptan en spray nasal. Le sumatriptan par voie sous-cutanée a le taux d'efficacité le plus
élevé (gain thérapeutique de 51% à une heure).8 La voie orale reste cependant le mode
d'administration le plus utilisé et le plus aisé. Une méta-analyse de 53 études incluant 24 089
patients a comparé l'efficacité et la tolérance des triptans par voie orale. Le rizatriptan 10 mg,
l'élétriptan 80 mg et l'almotriptan 12,5 mg (non commercialisé en Suisse) ont obtenu les
meilleurs résultats.9 Dans la pratique, les réponses individuelles à un triptan ne peuvent être
prévues et il ne faut pas hésiter à changer de substance. Les effets secondaires principaux
comprennent les sensations de constriction thoracique, d'origine bénigne et les effets sur le
système nerveux central : vertige, fatigue, somnolence, etc. Ces derniers symptômes sont
moins fréquents avec le sumatriptan 50 mg, le naratriptan 2,5 mg et l'almotriptan 12,5 mg.9
Les triptans peuvent être à l'origine d'une récurrence de la céphalée 2 à 24 heures plus tard,
parfois multiple, qui prolonge la durée de la crise et qui peut conduire lors de prises répétées à
un abus médicamenteux. Ce taux de récurrence est moindre pour l'élétriptan 40 ou 80 mg et le
naratriptan 2,5 mg, mais ce dernier médicament a une efficacité moins élevée que les autres
triptans.9 Les triptans peuvent en cas d'abus, comme tous les médicaments de la crise
migraineuse, provoquer une céphalée secondaire. Leur utilisation ne devrait pas dépasser une
moyenne neuf jours par mois.3
Les triptans sont formellement contre-indiqués en cas de cardiopathie ischémique, infarctus
cérébral, affections vasculaires périphériques et migraine hémiplégique. La prise d'IMAO est
incompatible avec celle de sumatriptan, de rizatriptan et de zolmitriptan. En cas d'utilisation
concomitante de propranolol et de rizatriptan, les concentrations de ce dernier médicament
sont augmentées, car la monoamine-oxydase A intervient dans le métabolisme de ces deux
substances. Il est ainsi nécessaire de prescrire dans ce cas le rizatriptan à une dose de 5 mg au
lieu de 10 mg.
Les triptans représentent un progrès indiscutable dans le traitement des crises migraineuses.
Des patients ne répondent pourtant pas à ce type de médicament ou pas régulièrement à un
triptan donné. Il a été démontré que la crise migraineuse est souvent associée à une allodynie
cutanée qui est une douleur anormale provoquée par une stimulation cutanée non douloureuse.
Le développement et la persistance de cette allodynie sont en relation avec une sensibilisation
centrale du système trigémino-vasculaire. Une étude auprès de 31 patients a montré une
disparition de la céphalée deux heures après la prise d'un traitement par triptan dans 15% des
crises (5/34) avec allodynie et dans 93% des crises (25/27) sans allodynie.10 Les patients qui
avaient tendance à présenter une allodynie répondaient mieux aux triptans si ceux-ci étaient
pris avant qu'après l'installation de l'allodynie. Cette étude non contrôlée renforce l'idée de
prendre les triptans dès le début de la crise migraineuse bien qu'une étude récente ne permette
pas de confirmer entièrement cette hypothèse.11 Il semble aussi que le recours plus rapide aux
triptans diminue les effets secondaires de ces médicaments.12 La prise précoce et systématique
des triptans doit être cependant évitée en cas de crises migraineuses fréquentes en raison du
risque d'apparition de céphalées médicamenteuses et chez les patients qui souffrent de
plusieurs types de céphalées.
Les traitements médicamenteux de fond, qui ne sont pas traités dans cet article, sont prescrits
pour diminuer la fréquence des crises migraineuses. Ils permettent parfois aussi de diminuer
l'intensité des céphalées et des symptômes accompagnés et faciliter ainsi le traitement des
crises.
Conclusion
Le praticien dispose de nombreux médicaments pour le traitement des crises migraineuses.
Les antimigraineux spécifiques modernes que sont les triptans permettent fréquemment
d'obtenir des résultats très satisfaisants. Le traitement doit souvent être individualisé.13 Il est
important d'éviter de donner un mélange de médicaments à l'exception de l'association d'un
analgésique, voire d'un triptan avec un antiémétique. Les médicaments de la crise migraineuse
ne doivent pas être pris à titre préventif, sauf pendant de courtes périodes, par exemple
pendant les règles, au vu du risque de survenue d'une céphalée médicamenteuse. Il ne faut pas
hésiter à essayer plusieurs médicaments si le patient n'est pas satisfait du traitement. Si les
épisodes migraineux ne sont pas trop fréquents, il faut conseiller aux patients de prendre le
traitement dès le début de la crise pour augmenter son efficacité et sa tolérance.
Auteur(s) : B. Nater C. Dozier
Contact de(s) l'auteur(s) : Dr Bernard Nater 2 ch. des Croix-Rouges 1007 Lausanne
bernardnater@bluewin.ch Dr Catherine Dozier 6 rue Antoine-Verchère 1217 Meyrin
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