Santé LE PLUS VIEUX CASSE-TÊTE DU MONDE La migraine : un mal ou une maladie ? La migraine est une affection fréquente puisqu’elle concerne plus de 10 % de la population française, avec une nette prédominance féminine. Au point d’ailleurs d’en être souvent caricaturée comme un mal-prétexte, une fausse maladie finalement car sans traduction objective déterminante En médecine, on qualifie de céphalées tous les maux de tête. La migraine est une céphalée parmi d’autres, que l’on ne doit pas confondre avec les maux de tête courants qui accompagnent de nombreuses pathologies (état grippal, sinusite, otite, arthrose cervicale, douleurs dentaires…) ou sont consécutifs à des événements occasionnels (repas trop arrosé, sortie nocturne agitée, atmosphère bruyante et enfumée). Des critères précis Pour qu’on puisse parler de migraine, il faut que soient réunis divers critères : une douleur durant entre quatre et soixante-douze heures ; comportant au moins deux des caractères suivants : être unilatérale, pulsatile (battant au rythme du cœur), modérée ou sévère, aggravée par l’effort physique. Et il doit exister au moins un de ces deux critères : soit nausées ou vomissements, soit gêne à la lumière et au bruit. Il existe deux formes de migraines : celles sans aura (l’aura désigne un trouble neurologique précédant le mal de tête), ou migraines communes, et celles avec aura, ou migraines accompagnées. Ces dernières concernent 10 à 15 % des cas de migraines. Elles présentent des symptômes neurologiques (troubles visuels et sensitifs) qui se développent progressivement dans l’heure qui précède le déclenchement de la crise. La nature du mal L’aura migraineuse est pour ainsi dire un dérèglement transitoire du cortex cérébral. Elle serait provoquée par une forme de dépression corticale, comme une vague partant de l’arrière du cerveau vers l’avant. La douleur migraineuse s’explique par un autre processus, à la fois vasculaire et neurologique. On pense, aujourd’hui, que tout débute par une stimulation nerveuse au niveau de fibres particulières du nerf trijumeau (ce nerf correspond à la cinquième paire de nerfs crâniens et doit son nom au fait qu’il se divise en trois branches : le nerf ophtalmique, le nerf maxillaire supérieur et le nerf maxillaire inférieur, d’où son implication dans les douleurs faciales). Il en résulte une libération de neuromédiateurs au niveau des vaisseaux méningés. La conséquence en est une réaction inflammatoire qui favorise la dilatation des vaisseaux, à l’origine de la douleur. La crise de migraine implique donc à la fois les nerfs et les vaisseaux cérébraux, mais tout partirait d’une stimulation nerveuse. L’arrivée de l’orage Souvent, l’accès migraineux survient sans crier gare, mais de nombreux malades, par habitude, reconnaissent les signes annonciateurs du calvaire qui les attend. Ces prodromes sont variables selon les personnes mais souvent identiques chez un même individu : sensation de lassitude, de malaise général, tendance nauséeuse, intolérance aux odeurs et au bruit, réaction dépressive ou, au contraire, hyperexcitation, etc. La crise peut survenir à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, mais elle se rencontre plutôt au petit matin, réveillant le sujet, ou au lever. Le début est parfois brutal mais plus souvent progressif, la douleur s’accentuant dans les trois ou quatre heures qui suivent. S’ensuit une phase en plateau pendant plusieurs heures, avant un apaisement assez fréquent en début de soirée, la fin de crise intervenant avec le retour du sommeil. Dans la majorité des cas, la douleur est d’abord localisée, en avant sur la tempe et au-dessus de l’orbite, avant de diffuser à la moitié du crâne. Elle s’accompagne parfois de nausées et de vomissements mais se caractérise toujours par une intolérance à la lumière et au bruit, générant dans certains cas un état de prostration absolu, couché dans le noir, dans une attente de fin du monde. Après la tempête La durée habituelle des crises se situe entre 4 et 72 heures, et leur fréquence varie d’une fois par mois jusqu’à une à deux fois par semaine. Petite gêne passagère pour certains – que l’on calme rapidement avec un « cachet » –, elle est proprement invalidante pour près d’un quart des migraineux. Il faut pourtant savoir que la maladie peut changer dans son évolution au fil des années. Il y a des périodes fastes – grossesse, par exemple – où les crises régressent mais tout aussi bien des périodes critiques – changements de rythme de vie, moments de tensions psychologiques, et parfois sans raison décelable – où les crises succèdent aux crises sans guère de répit. On considère cependant que, passé la cinquantaine, la migraine se fait moins prégnante, notamment chez les femmes, à la ménopause, mince consolation pour celles-ci du changement hormonal qu’elles subissent. Mais le caractère génétique de cette maladie ne fait guère de doute car on relève une incidence familiale dans plus des deux tiers des cas. Il y a un terrain migraineux et l’on supporte cette tendance toute la vie. Vivre avec la migraine La migraine est une pathologie que l’on ne prend pas assez au sérieux, bien que son coût social – en arrêts de travail – soit fort élevé. D’ailleurs, beaucoup de migraineux ne consultent pas pour leur migraine et se débrouillent comme ils le peuvent, pratiquant une automédication à la fois empirique et aléatoire. Il faut dire que le corps médical, globalement, n’a pas toujours été à la hauteur face à ce problème, laissant souvent le patient dans un grand désarroi, en tête à tête douloureux avec un mal susceptible de procéder aussi bien du foie que de la vésicule, de la vue que des sinus, d’une arthrose que des nerfs… toutes ces fausses pistes sur lesquelles des médecins bien intentionnés mais peu spécialisés se sont fourvoyés. Pourtant la panoplie thérapeutique ne cesse de s’élargir, et des centres de consultation en milieu hospitalier existent maintenant à peu près partout en France. La compréhension puis le contrôle des facteurs déclenchants constituent la première étape thérapeutique, avant le traitement proprement dit. Le praticien a d’abord recours aux antalgiques mineurs ou aux antiinflammatoires non stéroïdiens, avant de faire appel, en cas d’inefficacité, à des médicaments plus spécifiques tels que les vasoconstricteurs (ergot de seigle et triptans), qui s’opposent à la vasodilatation des vaisseaux méningés. Lorsque la fréquence des crises est trop importante et que la prise d’antalgiques risque de conduire à un abus médicamenteux, le médecin peut proposer un véritable traitement de fond, dont la logistique s’appuie sur les dérivés de l’ergot de seigle, les bêta-bloquants (habituellement prescrits dans le traitement de l’hypertension artérielle), certains antidépresseurs. On entre alors dans le cadre d’un traitement spécifique de la migraine, de la maladie migraineuse, où le patient doit s’astreindre à un suivi thérapeutique, seul garant d’une meilleure qualité de vie. Quelques migraineux célèbres Ce n’est sans doute qu’un maigre réconfort d’apprendre que de nombreux personnages illustres endurent les mêmes épreuves que vous, mais on ne peut que se sentir momentanément flatté d’appartenir à une si noble confrérie. César, Napoléon, Bismarck souffraient eux aussi de migraines, comme Pascal, Emmanuel Kant ou Freud. Les musiciens Henry Purcell, Chopin, Tchaïkovski, Wagner en étaient également accablés, à l’instar d’une pléiade d’écrivains : Cervantès, Mme de Sévigné, Alfred de Vigny, Edgar Poe, Tolstoï, Nietzsche, Flaubert, Maupassant, André Gide, Roland Barthes… La famille des triptans Les triptans constituent une nouvelle famille de molécules spécialement conçues pour combattre la crise de migraine. D’une grande efficacité, ils agissent au niveau du récepteur d’un important neuromédiateur, la sérotonine. Les médecins ont désormais à leur disposition plusieurs molécules différentes permettant une utilisation par voie intraveineuse ou sous-cutanée, mais aussi par voies orale, nasale ou rectale.