U E S T I O N À L ’ E X P E R T Vos questions ! La rubrique Question à l’expert vit grâce à vos questions. Vous avez une question sans réponse concernant un signe diagnostique, une indication thérapeutique, l’interprétation d’un examen complémentaire ou un problème pratique ? N’hésitez pas ! Adressez-nous votre question à l’aide du coupon-réponse ci-dessous, par fax ou par e-mail à [email protected] Elle sera soumise à un expert et publiée avec sa réponse. Question. Chez un patient ayant présenté une douleur thoracique après la prise d’un triptan, dans quel cas faut-il : – conseiller la reprise du même triptan ; – prescrire un autre triptan ; – contre-indiquer toute prise ultérieure de triptan ? Réponse. Les triptans sont largement utilisés dans le traitement de la crise migraineuse, avec des millions de crises traitées de par le monde ; cependant, quelques cas cliniques d’infarctus cérébraux, d’infarctus du myocarde ou d’événements coronariens ont été rapportés chez des patients sous triptan. Le praticien et le patient sont donc en droit de se poser des questions sur l’innocuité de ces traitements, a fortiori si le patient présente une sensation d’oppression thoracique. Les triptans oraux semblent être un groupe homogène au plan pharmacologique. Cependant, les résultats de la méta-analyse réalisée par l’équipe de Ferrari avaient montré des différences significatives d’efficacité et de tolérance (1). De plus, il existe des réponses variables d’un triptan à l’autre au plan individuel, ce qui intéresse le thérapeute et le patient : deux études (2, 3) ont ✁ montré que des non-répondeurs à un triptan peuvent répondre à un autre triptan. Concernant l’efficacité, il est donc désormais clairement établi qu’il n’y a pas d’effet “classe” pour les triptans. Les effets indésirables des triptans sont très souvent mineurs et transitoires, oscillant de 1,9 à 25 % pour l’ensemble de ces effets (1). Leur incidence sur le système nerveux central (somnolence, difficultés de concentration, vertiges, asthénie, tremblements, etc.) peut s’élever jusqu’à 15 %, et les effets indésirables centraux peuvent entraîner une gêne fonctionnelle certaine et conduire les patients à retarder leur prise de triptan alors que l’intervention précoce (early intervention) est un facteur d’augmentation de l’efficacité du traitement de crise et de tolérance, et que la prise tardive peut se heurter à la présence du développement d’une allodynie (par sensibilisation du système trigéminal), qui serait un facteur de mauvaise réponse thérapeutique. Les variations potentielles de l’incidence des effets indésirables centraux peuvent être rattachées aux différences pharmacologiques et pharmacocinétiques, notamment à la liaison à d’autres récepteurs que les récepteurs 5 HT1, à la lipophilie élevée et à la présence de métabolites actifs de certains triptans. L’almotriptan 12,5 mg, le naratriptan 2,5 mg et le sumatriptan 50 mg ont l’incidence la plus basse d’effets indésirables centraux, tandis que l’élétriptan COUPON P o s e z v o t r e à découper ou à photocopier q u e s t i o n Votre nom : Vos coordonnées (confidentiel) : À nous retourner par fax ou par courrier à l’adresse indiquée ci-dessous : La Lettre du Neurologue, Edimark SAS, 62-64, rue Jean-Jaurès, 92800 Puteaux - N° de fax : 01 41 45 80 25 40 et 80 mg, le rizatriptan 10 mg et le zolmitriptan 2,5 et 5 mg ont l’incidence la plus élevée (4). L’élétriptan, le rizatriptan et le zolmitriptan ont des métabolites actifs, alors que la lipophilie est la plus basse pour l’almotriptan et le sumatriptan. Ces données sont importantes à prendre en compte pour le clinicien si un patient éprouve de tels effets, avec un impact fonctionnel, pour le changement éventuel de triptan. La sensation d’oppression thoracique (le fameux chest pain), dont la physiopathologie n’est pas éclaircie, survient dans 2 à 13 % des cas selon la méta-analyse de Ferrari (1) [figure]. La symptomatologie de cette oppression thoracique peut être variable, allant d’une simple gêne, d’une lourdeur, d’un inconfort dans la poitrine ou les bras, à une véritable sensation d’écrasement thoracique. La physiopathologie du chest pain n’est pas tranchée, mais il existe de nombreux arguments pour penser que le mécanisme n’est ni coronarien ni ischémique : l’étude de Goldstein et al. (5) a comparé l’effet vasoconstricteur sur les coronaires (l’angiographie coronaire avait était effectuée pour d’autres raisons) de l’élétriptan en i.v. à forte dose (240 mg, soit trois fois la dose maximale journalière per os) à celui d’une dose standard de sumatriptan à 6 mg en s.c. et à celui d’un placebo. Le taux de vasoconstriction a été de 22 % (IC95 : 19-26) sous élétriptan i.v., de 19 % (IC95 : 16-22) sous sumatriptan et de 16 % (IC95 : 12-20) sous placebo, sans différence significative entre les trois groupes et avec absence de vasoconstriction entraînant une symptomatologie clinique. Par ailleurs, l’ECG ne se modifie absolument pas pendant un tel effet indésirable (6). L’adminis- Symptômes thoraciques : placebo soustrait -5 Sumatriptan 25 mg 50 mg 100 mg Zolmitriptan 2,5 mg 5 mg Naratriptan 2,5 mg Rizatriptan 5 mg 10 mg Élétriptan 20 mg 40 mg 80 mg Almotriptan - 2,5 0 2,5 2,7 5 7,5 12,5 mg Figure. Fréquence de l’oppression thoracique (sous traitement actif et sous placebo) dans les essais cliniques, d’après la méta-analyse de Ferrari (1). tration s.c. de 6 mg de sumatriptan n’affecte pas la perfusion coronaire en scanner à positons chez le sujet sans facteurs de risque vasculaire (7). Il existe des arguments démontrant que le chest pain est lié à une origine œsophagienne (8) ou, hypothèse la plus vraisemblable, à une vasoconstriction artériolaire pulmonaire (9). TRIPTANS ET RISQUE VASCULAIRE Deux études très récentes ont été consacrées à cette thématique (10,11). La première étude (10) avait pour but d’évaluer l’incidence des accidents vasculaires cérébraux (AVC), des événements cardiovasculaires et des décès dans une cohorte de patients migraineux, avec stratification en fonction de la prise de triptans. Cette étude était rétrospective, évaluant le risque cardiovasculaire, les AVC et la mortalité sur une vaste cohorte de 63 575 migraineux et de 77 239 non-migraineux suivis en médecine générale anglaise de 1992 à 1999, avec inclusion des patients dans une banque de données de la population générale. Les auteurs ont divisé les migraineux en deux catégories : utilisateurs ou non de triptans. Ils ont recueilli les données épidémiologiques classiques, les facteurs de risque vasculaire, l’incidence des événements vasculaires, avec notamment les coronaropathies, les AVC et la mortalité. La durée moyenne de suivi était de 35,6 mois pour les migraineux et de 33,3 mois pour les sujets contrôles. Une régression linéaire logistique avec ajustement des facteurs de risque vasculaire, de l’âge et du sexe a été réalisée ; 13 664 patients (21,5 %) étaient utilisateurs de triptans. Aucune augmentation du risque vasculaire n’a été trouvée chez les migraineux utilisateurs de triptans (risque relatif [RR] pour les AVC : 1,13 ; IC95 : 0,78-1,65 et RR pour les infarctus du myocarde : 0,93 ; IC95 : 0,60-1,43). Les migraineux sans prescription de triptans avaient un risque d’AVC significativement augmenté par rapport à une population contrôle non migraineuse (RR : 1,51 ; IC95 : 1,26-1,82) ainsi qu’un risque augmenté de coronaropathie (RR : 1,24 ; IC95 : 1,09-1,41), et avaient une diminution du risque de mortalité toutes causes (RR : 0,72 ; IC95 : 0,65-0,80), possiblement due à un biais lié au statut socio-économique de ces patients migraineux. Il n’y avait pas de différence concernant le risque d’infarctus du myocarde ou de mortalité cardiovasculaire. Le risque d’infarctus cérébral était augmenté chez les migraineux sans prise de triptans (RR : 2,49 ; IC95 : 1,62-3,83), mais pas le risque d’hémorragie cérébrale (RR : 1,34 ; IC95 : 0,90-1,99). La seconde étude, américaine cette fois (11), était une étude rétrospective réalisée sur une très vaste cohorte de patients migraineux (130 411) inclus entre 1995 et 1999 avec appariement sur l’âge, le sexe et les facteurs de risque vasculaire à 130 411 nonmigraineux. Le but était d’évaluer le risque d’événements vasculaires chez des migraineux utilisateurs de dérivés de l’ergot ou de triptans par rapport à des sujets contrôles. Le risque d’infarctus du myocarde était identique dans les deux populations (1,4 individu pour 1 000 par an). Il n’y avait pas d’augmentation du risque d’infarctus du myocarde avec une utilisation usuelle ou récente La Lettre du Neurologue - Supplément Céphalées au vol. IX - n° 4 - avril 2005 15 U E S T I O N À L ’ E X P E R T de triptans. Le risque d’AVC était augmenté chez les migraineux (RR : 1,67 ; IC95 : 1,31-2,13). Il ne l’était pas chez les utilisateurs de triptans par rapport aux non-utilisateurs (RR : 0,84 ; IC95 : 0,46-1,55), alors qu’il l’était légèrement et de manière non significative chez les utilisateurs de dérivés de l’ergot (RR : 1,49 ; IC95 : 0,93-2,41). Il n’y avait pas d’augmentation de la mortalité toutes causes confondues chez les migraineux. Il en était de même chez les migraineux utilisateurs de triptans. Ces deux études suggèrent que les triptans n’augmentent pas le risque cardiovasculaire, d’AVC ou de mortalité. L’augmentation du risque d’AVC, notamment ischémique, dans la migraine (et plus particulièrement dans la migraine avec aura), quel que soit le traitement de crise, est une donnée connue dans la littérature. Ainsi, sous couvert du respect de l’AMM, le prescripteur peut être tout à fait rassuré… et rassurant lors de la prescription d’un triptan concernant le risque vasculaire au sens large. CONSEILLER LA REPRISE DU MÊME TRIPTAN Si la sensation d’oppression thoracique a été légère et non invalidante, avec un bénéfice thérapeutique évident au plan du soulagement de la céphalée, il est légitime de conseiller la reprise du même triptan, et ce d’autant que les patients ne signalent pas toujours ce type d’effets indésirables. Cela est appuyé par l’étude récemment présentée par Sheftell et al. (12). Les auteurs ont évalué la fréquence des effets indésirables liés aux triptans selon deux modalités de recueil différentes. Il s’agissait d’une étude prospective (décembre 2001 à juillet 2002) chez des utilisateurs de triptans ayant le même traitement de crise depuis au moins 3 mois ; 301 patients ayant été inclus. Deux questionnaires concernant les effets indésirables étaient distribués, le premier avec recueil libre d’éventuels effets indésirables listés selon le degré de sévérité, puis le second avec une liste fermée de 49 effets indésirables possibles : – 37,5 % (113 patients) ne rapportaient spontanément et après présentation de la liste aucun effet indésirable ; – 29,9 % (90 patients) ne rapportaient pas spontanément des effets indésirables mais les notaient sur la liste. Vingt-huit de ces patients (31,1 %) avaient coté, sur présentation de la liste, les effets indésirables comme sévères alors qu’ils ne les avaient pas signalés spontanément. Une sensation d’oppression thoracique a été relevée chez 8 patients (8,8 %) ; – 32,5 % (98 patients) avaient relevé spontanément un effet indésirable et l’avaient également noté sur la liste. Cependant, ils relevaient spontanément 1,8 effet indésirable en moyenne (IC95 : 1,2-2,4), alors que la moyenne sur présentation de la liste passait à 4 (IC95 : 2,23-5,7) [p > 0,001]. Les effets indésirables signalés étaient les mêmes dans 53,1 % des cas seulement. Concernant l’oppression thoracique, 9 patients (10,3 %) ne la rapportaient pas automatiquement mais la notaient sur la liste. Ainsi, la méthode de recueil d’éventuels effets indésirables influence grandement les résultats : 44 % des patients qui ne signalent pas naturellement un effet indésirable, dont l’oppression thoracique, en relèvent ensuite au moins un sur proposition d’une liste. 16 PRESCRIRE UN AUTRE TRIPTAN Si la sensation d’oppression thoracique a été modérée et/ou invalidante, il faut (ré)expliquer au patient que les symptômes, quoique spectaculaires, sont bénins et pas coronariens. Dans ces cas, il faut bien sûr proposer un autre triptan ayant statistiquement moins d’effets indésirables de ce type (almotriptan ou naratriptan). CONTRE-INDIQUER TOUTE PRISE ULTÉRIEURE DE TRIPTAN Eu égard au rationnel développé ci-dessus, la contre-indication de toute prise ultérieure de triptan n’est envisageable que si les précautions d’emploi des triptans, notamment les contre-indications formelles au plan vasculaire, n’étaient pas respectées lors de la première prescription. L’incertitude qui demeure scientifiquement est la persistance ou non, en l’absence de contre-indication vasculaire aux triptans, de la sensation d’oppression thoracique quel que soit le triptan utilisé. En pratique, si un patient a toujours ce type d’effet indésirable avec les deux triptans les mieux tolérés (voir ci-dessus), il est licite d’utiliser l’un des quatre antiinflammatoires non stéroïdiens (AINS) à haut niveau de preuve selon l’ANAES (13, 14). C. Lucas, clinique neurologique, hôpital Roger-Salengro, CHRU de Lille. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Ferrari M, Roon K, Lipton R, Goadby P. Oral triptans in acute migraine treatment: a meta-analysis of 53 trials. Lancet 2001;358:1668-75. 2. Stark S, Spierings E, McNeal S et al. Naratriptan efficacy in migraineurs who respond poorly to oral sumatriptan. Headache 2000;40:513-20. 3. Mathew N, Kailasam J, Gentry P, Chernyshev O. Treatment of nonresponders to oral sumatriptan and rizatriptan: a comparative open trial. Headache 2000; 40:464-5. 4. Dodick DW, Martin V. Triptans and CNS side-effects: pharmacokinetic and metabolic mechanisms. Cephalalgia 2004;24:417-24. 5. Goldstein JA, Massey KD, Kirby S et al. Effect of high-dose intravenous eletriptan on coronary artery diameter. Cephalalgia 2004;24:515-21. 6. Visser WH, Jasprs NM, de Vrindt RH, Ferrari MD. Chets symptoms after sumatriptan: a two-year clinical practice review in 735 consecutive patients. Cephalalgia 1996;16:554-9. 7. Lewis PJ, Barrington SF, Marsden PK, Maisey MN, Lewis LD. A study of the effects of sumatriptan on myocardial perfusion in healthy female migraineurs using 13NH3 positron emission tomography. Neurology 1997;48:1542-50. 8. Houghton LA, Foster J, Whorell PJ, Morris J, Fowler P. Is chest pain after sumatriptan oesophageal in origin? Lancet 1994;344:985-6. 9. Dodick DW. Triptans and chest symptoms: the role of pulmonary vasoconstriction. Cephalalgia 2004;24:298-304. 10. Hall GC, Brown MM, Mo J, MacRae KD. Triptans in migraine. The risks of stroke, cardiovascular disease, and death in practice. Neurology 2004;62:563-8. 11. Velentgas PT, Cole A, Mo J, Sikes C, Walker AM. Severe vascular events in migraine patients. Headache 2004;44(7):642-51. 12. Sheftell F, Bigal M, Rapoport A, Tepper S. Assessment of adverse events associated with triptans. American Academy of Neurology. San Francisco 2004, P01.151. 13. Agence nationale d’accréditation et d’evaluation en santé (ANAES). Recommandations pour la pratique clinique. Prise en charge diagnostique et thérapeutique de la migraine chez l’adulte et chez l’enfant. Rev Neurol 2003;159:126-35. 14. Geraud G, Lanteri-Minet M, Lucas C, Valade D. French guidelines for diagnosis and management of migraine in adults and children. Clin Ther 2004; 26:1305-18. La Lettre du Neurologue - Supplément Céphalées au vol. IX - n° 4 - avril 2005