Association maladie de Kaposi et immunoglobuline monoclonale

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Biologie au quotidien
Ann Biol Clin 2013 ; 71 (2) : 199-202
Association maladie de Kaposi et immunoglobuline
monoclonale : un nouveau cas
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Association of Kaposi’s disease-immunoglobulin monoclonal:
a new case
Laila Benchekroun1,2
Zohra Ouzzif2
Mounya Bouabdillah1,2
Nouzha Jaouhar1
Fatiha Aoufir1
Farida Aoufi1
Abdellah Benslimane1
Layachi Chabraoui1,2
1 Laboratoire central de biochimie,
Centre hospitalier universitaire,
Rabat Salé, Maroc
2 Faculté de médecine et de pharmacie
de Rabat, Maroc
<[email protected]>
doi:10.1684/abc.2013.0793
Article reçu le 23 mai 2012,
accepté le 15 octobre 2012
Résumé. La maladie de Kaposi, tumeur viro-induite, est une maladie cutanéomuqueuse, générée par l’infection par le virus HHV8 de la famille des
gamma-herpesviridae. Ce virus est impliqué dans plusieurs pathologies lymphoïdes. Son rôle dans la genèse de la prolifération plasmocytaire au cours
des gammapathies monoclonales est très discuté, et les résultats sont contradictoires. La survenue de maladie de Kaposi au cours du myélome multiple a
été décrite dans la littérature. À travers cette observation, nous rapportons le
premier cas associé à une gammapathie monoclonale et ayant évolué depuis 3
ans chez un sujet VIH négatif et discutons l’implication du virus HHV8 dans
l’apparition de l’immunoglobuline monoclonale.
Mots clés : maladie de Kaposi, gammapathie monoclonale, myélome multiple,
herpès virus humain de type 8
Abstract. Kaposi disease, a tumor virus-induced, is a cutaneomucosis disease,
generated by the virus infection HHV 8 of the gamma-Herpesviridae family.
This virus is involved in several lymphoid pathologies. Its role in the plasma cell
proliferation genesis during monoclonal gammopathy is discussed, and results
are contradictory. The occurrence of Kaposi disease during multiple myeloma
was described in the literature. Through this observation, we report the first case
associated with monoclonal gammopathy, evolved for 3 years by HIV negative
patient, and we discuss the involvement of HHV8 virus in the development of
monoclonal immunoglobulin.
Key words: Kaposi’s disease, monoclonal gammopathy, multiple myeloma,
human herpes virus type 8
La maladie de Kaposi (MK) est une tumeur viro-induite due
à l’infection par le virus HHV8 de la famille des gamma
herpes viridae. Ce virus est connu comme étant impliqué
dans plusieurs pathologies lymphoïdes. Il jouerait, en effet,
un rôle dans la genèse de la prolifération plasmocytaire.
La survenue de MK au cours du myélome multiple a été
décrite dans la littérature. Néanmoins, la survenue d’une
gammapathie monoclonale au cours d’une MK n’a jamais
été rapportée.
Dans le présent travail, nous discuterons le cas d’un patient
VIH négatif suivi pour une maladie de Kaposi chez qui on
a découvert fortuitement une gammapathie monoclonale à
IgG ␬.
L’observation
Monsieur H.M. âgé de 70 ans, originaire du Nord-Ouest
du Maroc est admis dans le service de dermatologie en
octobre 2009 pour des lésions maculeuses, érythémateuses,
violacées, apparues il y a 3 ans au niveau des jambes, et
atteignant par la suite les autres parties du corps. Le patient
présentait par ailleurs des lésions nodulaires au niveau des
deux jambes, des cuisses, du bas de l’abdomen, des bras et
avant-bras. Ces lésions bilatérales ne disparaissaient pas à la
vitropression et prenaient un aspect ecchymotique, hémorragique ou pigmenté. L’examen clinique ne montrait pas
d’atteinte des muqueuses ni d’adénopathie. Le diagnostic
Pour citer cet article : Benchekroun L, Ouzzif Z, Bouabdillah M, Jaouhar N, Aoufir F, Aoufi F, Benslimane A, Chabraoui L. Association maladie de Kaposi et
immunoglobuline monoclonale : un nouveau cas. Ann Biol Clin 2013 ; 71(2) : 199-202 doi:10.1684/abc.2013.0793
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Biologie au quotidien
Au vu de ces résultats, une biopsie médullaire a été pratiquée et a montré une moelle osseuse de morphologie
subnormale avec infiltration plasmocytaire manifeste.
de la maladie de Kaposi a été évoqué et confirmé par
l’analyse anatomopathologique d’une biopsie ayant montré l’association d’une prolifération de cellules fusiformes
groupées en faisceaux et en amas et une prolifération vasculaire.
Le bilan biologique à l’admission a donné : sérologies des
hépatites B et C et du VIH négatives, anémie à 100 g/L
normocytaire normochrome arégénérative, CRP à 4 mg/L,
VS accélérée avoisinant 60 mm à la première heure, protides
totaux chiffré à 76 g/L, sans anomalie de la fonction rénale,
hépatique et du bilan lipidique.
L’électrophorèse des protéines sériques a montré une
diminution de l’albumine (52 %), une augmentation des
␣ 2- et des ␥ globulines (10 % et 25 % respectivement)
avec présence d’un pic d’allure monoclonale (figure 1).
L’immunofixation avec un sérum pentavalent a montré la
présence d’une gammapathie monoclonale IgG de type ␬
(figure 2).
Discussion
La MK est une maladie cutanéomuqueuse qui atteint principalement les personnes âgées de souche méditerranéenne,
les populations d’Afrique équatoriale et les personnes infectées par le VIH.
Il s’agit d’une prolifération de cellules fusiformes dont
le caractère cancéreux est encore incomplètement élucidé
[1]. La MK fait partie des tumeurs induites par un virus,
l’infection du sujet porteur d’un virus de la famille des
herpesviridae, le HHV8, étant nécessaire à la genèse de
la maladie [1, 2]. En 1994, Change a détecté par PCR des
séquences d’ADN apparentées au HHV8 dans les lésions
Antériorité
Albumine
Protides totaux = 76,0
Alpha 1
Alpha 2
Beta 1
g/L
Beta 2
Gamma
A/G = 1,11
Fraction
%
g/L
Normes %
g/L
Albumine
38-46
52,5
39,9
57-65
Alpha 1
2,6
2,0
1-4
1-2
Alpha 2
10,0
7,6
6-10
5,8-11
Beta 1
6,6
5,0
6-8
4-6
Beta 2
3,6
2,7
2-4
1,5-3
24,7
18,8
12-19
5-15
Gamma
Commentaires : Présence d'une bande mince d'aspect monoclonal migrant en
position gamma ; demander une Immunofixation et Ie bilan
complémentaire adapté s'il s'agit d'une première découverte,
Figure 1. Protéinogramme montrant le pic d’allure monoclonale dans la zone des gammaglobulines.
200
Ann Biol Clin, vol. 71, n◦ 2, mars-avril 2013
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Maladie de Kaposi et immunoglobuline monoclonale
de Kaposi. La sérologie est positive dans quasiment 100 %
des cas quelle que soit la forme de la maladie (liée au VIH, à
une immunodépression, forme africaine, forme méditerranéenne). La séroconversion précédant les lésions de Kaposi
est de 33 mois en moyenne [3].
Le HHV8 est connu comme étant impliqué dans plusieurs
pathologies lymphoïdes. Il a d’abord été décrit comme
étant associé à la maladie de Castleman multicentrique
(100 % des cas chez le sujet VIH et 50 % des cas chez
le sujet non VIH), aux lymphomes qui lui sont associés
et aux lymphomes primitifs des séreuses cavitaires ou
extracavitaires (100 % des cas) [4, 5]. L’association Kaposi
– affection hématologique est connue. La MK précède
l’hémopathie dans 15 % des cas, apparaît simultanément
dans 36 % des cas et postérieurement dans 46 % des cas
[6].
Le rôle du HHV8 dans la genèse et la prolifération des
cellules plasmocytaires malignes au cours du myélome
multiple est discuté. Rettig a mis en évidence par PCR la
présence d’ADN viral dans les cultures de cellules stromales de la moelle osseuse chez 15/15 sujets atteints de
myélome multiple (MM), 2/8 sujets présentant une gammapathie monoclonale de signification indéterminée et chez
0/26 sujets témoins. La même technique était négative sur
les cellules mononucléées de l’ensemble de ces patients
dont la moelle avait été recueillie par aspiration [7]. Said
a mis en évidence la présence du génome de HHV8 par
technique d’hybridation in situ dans les biopsies ostéomédullaires de 17/20 patients atteints de myélome multiple
[8].
Par ailleurs, le HHV8 présente, au sein de son génome, différents oncogènes et facteurs de croissance dont la majorité
code pour des protéines fonctionnelles dont une protéine
analogue de l’IL-6, qui constitue un facteur de prolifération tumorale dans le myélome multiple [9, 10]. Pour toutes
ces raisons, il a été incriminé dans le développement de la
gammapathie monoclonale.
Ces résultats n’ont cependant pas été retrouvés par Masood
sur les cellules stromales médullaires de 5 patients atteints
de myélome multiple (MM) [11]. Cathomas n’a pas mis en
évidence d’ADN viral par PCR dans 17 biopsies ostéomédullaires après fixation par le formol et inclusion en
paraffine [12], alors que les résultats obtenus par Brousset
étaient positifs dans 18/20 cas dans le même type d’étude
[13].
La plupart des études sérologiques n’ont pas pu mettre en
évidence l’augmentation de la prévalence de l’infection à
HHV8 dans les populations atteintes de MM par rapport à
la population générale [11, 12, 14, 15]. En revanche, Gao a
montré la présence d’anticorps anti –HHV8 intéressant la
région ORF 65 dans le sérum de 81 % de sujets atteints de
MM contre 22 % de sujets atteints d’autres cancers et 6 %
de sujets sains [16].
Ann Biol Clin, vol. 71, n◦ 2, mars-avril 2013
HYDRAGEL 1 IF
ELP
G
A
M
K
L
Sebia
Figure 2. L’immunofixation des protéines sériques montrant la présence d’une immunoglobuline monoclonale Ig G ␬.
La divergence de ces résultats pourrait être liée à
l’utilisation d’un seul antigène HHV8 ou au déficit immunitaire retrouvé chez ces patients [17].
En 1998, Le Gars a publié le cas d’une MK se développant chez une femme de 75 ans, VIH négative, souffrant
de MM. La sérologie HHV8 et la recherche de particules
virales par PCR dans les lésions de la MK étaient positives,
alors que la recherche de l’ADN viral par PCR sur biopsie
ostéomédullaire était négative [18]. En 2000, un autre cas
d’association maladie de Kaposi – myélome multiple a été
rapporté par Cohen, se développant chez une femme de 88
ans, VIH négative, suivie pour un MM et dont la sérologie du HHV8 ainsi que la recherche du HHV8 par PCR
dans le plasma et le culot lymphocytaire étaient négatives
[6].
L’association MK et gammapathie monoclonale est donc
une association exceptionnelle. Le rôle du HHV8 dans la
physiopathologie du MM est encore discuté. L’existence
de résultats contradictoires pourrait être liée à la diversité
des types de prélèvement ou des techniques utilisées. Nous
avons rapporté à notre connaissance, le 18e cas de cette
association, et le premier cas de survenue de gammapathie monoclonale au cours d’une MK. Le HHV8 rencontré
201
Biologie au quotidien
dans la MK qui s’est développé depuis 3 ans chez notre
patient serait fort probablement à l’origine de l’apparition
de l’immunoglobuline monoclonale.
9. Moore PS, Boshof C, Weiss R, Change Y. Molecular mimicry of
human cytokine and cytokine respobse pathway genes by KSHV. Science
1996 ; 274 : 1739.
Liens d’intérêts :
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humain 8 (HHV8) et pathologies lymphoïdes. Hématologie 1997 ; 3 : 52838.
aucun.
Références
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