ÉDITORIAL DVDA, bientôt 40 ans ! L’évolution des connaissances Right ventricular dysplasia… nearly 40 years of evolving knowledge O n retrouve dans la littérature médicale des descriptions anatomocliniques parfois très anciennes de cette cardiomyopathie avec transformation adipeuse du ventricule droit (VD), mais c'est à Guy Fontaine que revient le mérite d’avoir fait adopter la dénomination de dysplasie ventriculaire droite arythmogène (DVDA), et d’avoir stimulé la recherche dans la plupart des aspects de cette maladie. Tout a commencé avec l’apparition de la chirurgie des troubles du rythme cardiaque, à laquelle il s’était intéressé au début des années 70 en développant avec Gérard Guiraudon, puis avec moi-même, la méthode de cartographie cardiaque épicardique d’abord appliquée au syndrome de Wolf-Parkinson-White, puis aux tachycardies ventriculaires (TV). Combinée aux progrès des explorations électrophysiologiques endocavitaires, cette étude des troubles du rythme à thorax ouvert chez des patients aux arythmies rebelles et récidivantes a permis, tout en résolvant des cas cliniques impossibles à traiter autrement par les moyens de l’époque, de mieux comprendre le mécanisme des tachycardies. Avec les TV, notre équipe a en particulier découvert et étudié les potentiels tardifs ventriculaires chez l’homme, enregistrés après la fin du QRS de surface, en rythme sinusal et en tachycardie. Cette expérience chirurgicale a permis de reconnaître la DVDA en tant que nouvelle entité clinique et par ailleurs a jeté les bases des futures méthodes d’ablation des tachycardies par cathéter. Dans les années 60, le traitement chirurgical des TV rebelles consistait à réséquer une cicatrice d’infarctus et grâce aux cartographies, au début des années 70, il a été possible de localiser la zone d’émergence épicardique, puis endocardique de TV déclenchées en salle d’opération. Cependant, certains patients n’avaient pas d’infarctus, et, sur le premier d’entre eux, le chirurgien, pour rechercher une éventuelle cicatrice endocardique − qui n’existait pas −, a pratiqué une ventriculotomie sur le site d'émergence des TV sur l’épicarde gauche. La disparition des tachycardies après l’intervention nous a fait comprendre que nous avions probablement interrompu un circuit de réentrée. Certaines de ces tachycardies “idio- 4 | La Lettre du Cardiologue ̐ n° 450 - décembre 2011 pathiques” venaient du VD, négligé dans les investigations cardiologiques essentiellement centrées sur le ventricule gauche (VG). C’est en 1973, lors de l’intervention sur le premier patient dont les TV naissaient du plancher du VD, que Gérard Guiraudon a remarqué que le VD était anormal, dilaté. On enregistrait à ce niveau des potentiels très tardifs au-delà du QRS de surface. Après la ventriculotomie, on pouvait voir une paroi anormale et l’histologie montrait une transformation adipeuse de la paroi avec persistance d’une fine couche endocardique. La première publication des 4 premiers cas a soulevé la question de la dénomination appropriée de cette affection, et c’est alors que Guy Fontaine a proposé la terminologie de “dysplasie ventriculaire droite arythmogène”. Les 2 derniers termes sont évidents, et celui de "dysplasie" avait été choisi, car le remplacement du myocarde par du tissu adipeux évoquait une anomalie plus congénitale qu’acquise, due à un trouble de l’organogenèse, ce qui n’était pas mal trouvé, au vu de l’élucidation ultérieure du mécanisme génétique de la DVDA. En 1980, le Pr Frank Marcus, de Tucson, est venu passer une année sabbatique dans notre service. Il a rédigé avec Guy Fontaine l’article princeps paru en 1982 dans Circulation, à partir de 24 cas colligés par notre équipe chez les patients hospitalisés pour des TV ou pour des VD anormaux sans étiologie précise, décrivant les aspects anatomopathologiques, cliniques, électrocardiographiques − dont les potentiels tardifs avec les ondes epsilon −, morphologiques, échographiques et angiographiques de la DVDA. La décennie 80 a permis de reconnaître les formes familiales et la fréquence de cette étiologie dans la mort subite des sujets jeunes, grâce notamment aux contributions de l’équipe de Gaetano Thiene, de Padoue. Le caractère familial de cette maladie avait déjà été remarqué dans un des cas de la publication de Marcus et dans quelques cas de la littérature, mais il s’est précisé en 1986 avec la forme particulière de DVDA familiale de l’île de Naxos (anomalies des phanères, cheveux laineux et kératose palmoplantaire). En 1988, la série de Padoue concernait 9 familles de la région ÉDITORIAL vénitienne où ces formes familiales étaient particulièrement fréquentes, de l’ordre de 70 % des cas, bien plus que les 30 à 50 % d’autres séries éditées ultérieurement. Cette même équipe a publié la même année une proportion de 20 % de DVDA à l’autopsie systématique de morts subites de sujets âgés de moins de 35 ans en 6 ans, bien plus dans leur région que les 5 et 10 % des séries lyonnaises de 1996 et 2003. Enfin, ces études, ainsi que les séries cliniques, montraient le rôle fréquent de l’effort dans le déclenchement des arythmies, et en particulier chez les sportifs. L’affection a ainsi été reconnue, puis classée en 1995 par la World Health Organization dans les cardiomyopathies, mais son diagnostic restait difficile, surtout pour les formes localisées. Un groupe de travail coordonné par William McKenna a proposé en 1994 une liste de critères répartis en critères mineurs et en critères majeurs, réévalués et un peu modifiés en 2010. C’est au cours de cette décennie que 2 autres méthodes non invasives de diagnostic ont été mises au point, l’angioscintigraphie isotopique pour détecter les anomalies localisées de contraction ventriculaire, et surtout l’IRM qui pouvait aussi identifier la graisse et la fibrose dans le myocarde, malheureusement avec des limites importantes pour le VD. Au début des années 2000, plusieurs cohortes de patients sont publiées, montrant l’évolution à long terme de la maladie, recherchant les facteurs prédictifs de mort subite, vérifiant l’apport du défibrillateur implantable et montrant que, en l’absence de mort subite, on voyait progressivement apparaître une insuffisance cardiaque à prédominance droite, et une atteinte plus tardive du VG. En une dizaine d'années, la biologie moléculaire va alors complètement transformer la conception de la nature de cette maladie. Avec la maladie de Naxos, on va identifier entre 1998 et 2000 une mutation du gène de la plakoglobine, l’un des composants du desmosome. Depuis, plusieurs autres mutations ont été individualisées, qui concernent en général les gènes des différentes protéines composant le desmosome. La DVDA devient alors une cardiomyopathie des jonctions intercellulaires. On peut expliquer par un facteur mécanique l’incidence particulière de la maladie chez les sportifs, chez qui le VD est soumis à des contraintes inhabituelles. Ensuite, la transformation adipeuse est attribuée à une déviation du métabolisme de la cellule par l’accumulation des précurseurs du desmosome dans son cytoplasme. Enfin les arythmies ventriculaires étaient jusque-là expliquées par les anomalies histologiques de dissociation des myocytes par la dégénérescence graisseuse favorisant les phénomènes de réentrée. Ce phénomène est encore accentué par un ralentissement des conductions intercellulaires, lié à un déficit d’expression de la connexine 43, due au déficit en plakophiline. La DVDA est donc née d’une observation fortuite sur un terrain préparé, et il est extraordinaire d’avoir pu assister en près de 40 ans à une explication des phénomènes observés de son mécanisme grâce à la biologie moléculaire. En revanche, le diagnostic des formes limitées est encore difficile à établir, et l’évaluation du risque de ces formes, incertaine. Enfin le traitement reste palliatif, essentiellement antiarythmique, entre médicaments, ablations et défibrillateur implantable, sans effet sur la progression de la maladie et sur l’apparition d’insuffisance cardiaque, probablement accentuée par des épisodes myocarditiques, comme le remarquait déjà Guy Fontaine en 1990, ce qui nécessite, lorsqu’elle est réfractaire, une transplantation cardiaque. Robert Frank Institut de cardiologie, hôpital de la Pitié-Salpétrière, AP-HP, Paris. La Lettre du Cardiologue ̐ n° 450 - décembre 2011 | 5