Diagnostic de DVDA : aspects génétiques

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DOSSIER THÉMATIQUE
Le diagnostic de la DVDA
Diagnostic de DVDA :
aspects génétiques
ARVD: genetic aspects
Ph. Charron¹, ², ³, E. Gandjbakhch¹, ³, E. Villard³, V. Fressart³, ⁴
D
epuis la description moderne de la maladie,
en 1982, par F. Marcus et al. (1), le terme de
“cardiomyopathie” ventriculaire droite a été
introduit pour remplacer celui de “dysplasie” (2, 3) et
pour insister sur sa survenue fréquemment retardée
et progressive avec l’âge. Récemment, c’est à la
génétique moléculaire que l’on doit d’avoir franchi
une étape majeure dans la compréhension de la
maladie. L’objet de cet article est de faire le point
sur l’avancée des connaissances en ce domaine et de
préciser quelles en sont les implications pratiques
pour le cardiologue.
Gènes en cause
¹ Département de cardiologie, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, AP-HP,
Paris.
² Département de génétique, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, AP-HP,
Paris.
³ Inserm UMRS 956, faculté de
médecine
Pierre-et-Marie-Curie,
hôpital de la Pitié-Salpêtrière,
AP-HP, Paris.
⁴ Service de biochimie, UF cardiogénétique et myogénétique, hôpital de
la Pitié-Salpêtrière, AP-HP, Paris.
La composante génétique de la maladie a été longtemps négligée, mais les formes familiales constituent en fait 30 à 50 % des cas (selon les critères
diagnostiques retenus) et la transmission est habituellement autosomique dominante (3, 4).
Les premières études génétiques ont cependant
porté sur une forme très rare de dysplasie/cardiomyopathie ventriculaire droite (CVDA/DVDA), la
maladie de Naxos, caractérisée par une transmission
récessive et une expression clinique syndromique
(kératose palmoplantaire et anomalies des phanères
à type de cheveux laineux). Le criblage du génome
dans plusieurs familles grecques atteintes par ce
syndrome a permis d’identifier en 2000 une mutation homozygote (tableau I) à type de délétion dans
le gène JUP codant la plakoglobine, protéine localisée
au niveau des desmosomes. Peu après, une mutation homozygote du gène de la desmoplakine (DSP),
un autre constituant des desmosomes, a été mise
en évidence dans un syndrome voisin, le syndrome
de Carvajal, qui associe une cardiomyopathie du
22 | La Lettre du Cardiologue ̐ n° 450 - décembre 2011
ventricule gauche (VG) et des altérations de la peau
et des phanères.
Les travaux ont ensuite porté sur les formes
communes et autosomiques dominantes de la
CVDA/DVDA. Ils ont révélé que les gènes codant
les protéines du desmosome étaient également
impliqués dans ces formes communes. Il existe en
fait une grande hétérogénéité de loci (tableau II) : on
en recense 12 différents, dont 7 gènes rapportés à ce
jour dans ces formes dominantes de la maladie (3, 4).
L’identification de mutations dans les 5 gènes
codant pour des protéines du desmosome cardiaque
(plakophiline-2 [PKP2], desmoplakine [DSP], plakoglobine [JUP], desmogléine-2 [DSG2] et desmocolline-2 [DSC2]) a permis non seulement d’affirmer
l’origine génétique de la DVDA, mais aussi de révéler
l’implication jusqu’alors insoupçonnée des desmosomes dans la physiopathologie de la maladie. Les
mutations décrites sont multiples : non-sens, insertions-délétions, faux-sens ou mutations des sites
d’épissage. L’implication des gènes qui codent pour
des protéines autres que celles du desmosome est
encore mal déterminée, mais paraît marginale.
Le spectre des mutations et la fréquence des gènes
ont été analysés dans plusieurs études, notamment
au sein d’un réseau franco-suisse coordonné par notre
centre de référence pour les maladies cardiaques héréditaires (5), qui a rassemblé l’une des populations les
plus importantes en la matière (135 patients indépendants ou propositus recrutés au sein de 10 centres, et
plus de 220 apparentés) et qui a permis une analyse
approfondie.
Dans cette étude portant sur des propositus non
apparentés (103 hommes/32 femmes, âge moyen
37 ans, 48 % avec antécédents de défibrillateur,
23 % avec antécédents familiaux), l’analyse des
5 gènes principaux codant les protéines desmo-
Points forts
» La cardiomyopathie/dysplasie ventriculaire droite arythmogène (CVDA/DVDA) est une maladie génétique
à transmission autosomique dominante ; une mutation peut être identifiée chez environ 50 % des patients/
familles dans l’un des gènes codant pour les protéines du desmosome.
» Cette dimension familiale et génétique de la CVDA/DVDA doit être prise en compte et conduire dans
tous les cas à une surveillance cardiologique des personnes apparentées, y compris à l’âge adulte, de façon
à permettre un diagnostic et une prise en charge précoces.
» Un test génétique est possible, qui permet d'optimiser la prise en charge des patients et de leurs apparentés, notamment pour guider la surveillance chez les apparentés (test génétique prédictif).
Tableau I. Gènes impliqués dans la CVDA/DVDA (formes récessives).
Locus
Gène
Protéine
Syndrome de Naxos
R
JUP
Plakoglobine
McKoy G et al. Lancet 2000
Syndrome de Carvajal
6p24
DSP
Desmoplakine
Norgett EE et al. Hum Mol Genet 2000
18p12.1
DSC2
Desmocolline-2
Simpson MÀ et al. Cardiology 2009
Atteinte cardiaque et des phanères
Cardiomyopathie
Génétique
Dysplasie ventriculaire
droite
Highlights
Formes récessives (rares)
Syndrome
Mots-clés
Référence
Tableau II. Gènes impliqués dans la CVDA/DVDA (formes dominantes).
Référence
» Arrhythmogenic Right
7FOUSJDVMBS$BSEJPNZPQBUIZ
%ZTQMBTJB"37$"37%
JTB
genetic disease with autosomal
dominant inheritance; a mutation can be identified in about
PGQBUJFOUTGBNJMJFTJO
genes encoding desmosomal
proteins.
» The genetic origin should
MFBE UP B GBNJMZ DBSEJBD
TDSFFOJOHJOBMMGJSTUEFHSFF
relatives, including in adults,
in order to make an early
diagnosis and then an early
therapeutic management.
» Genetic testing can also be
proposed in order to improve
UIFNBOBHFNFOUPGQBUJFOUT
and relatives, especially predictive testing in asymptomatic
relatives to guide the cardiac
screening.
Formes dominantes
(communes)
Locus
Gène
Protéine
DVDA 1
14q23-24
TGFb3
TGFb3
DVDA 2
1q42-43
RyR2
Récepteur de la ryanodine
DVDA 3
14q11-q12
DVDA 4
2q32.1-q32.3
DVDA 5
3p23.1
DVDA 6
10p12-p14
%7%"
10q22
DVDA 8
6p24
DSP
Desmoplakine
Rampazzo et al. Am J Hum Genet 2002
DVDA 9
12p11
PKP2
Plakophiline-2
Gerull et al. 2004 Nat Genet
Keywords
DVDA 10
18q 12
DSG2
Desmogléine-2
Pilichou et al. Circulation 2006 ;
Awad et al. Am J Hum Genet 2006
DVDA 11
18p12.1
DSC2
Desmocolline-2
Syrris et al. Am J Hum Genet 2006 ;
Heuser et al. Am J Hum Genet 2006
Cardiomyopathy
Genetics
Right ventricular dysplasia
DVDA12
R
JUP
Plakoglobine
"TJNBLJFUBM"N+)VN(FOFU
#FGGBHOBFUBM$BSEJPWBTD3FT
Tiso et al. Hum Mol Genet 2001
Severini et al. Genomics 1996
3BNQB[[PFUBM(FOPNJDT
TMEM43
Merner et al. Am J Hum Genet 2008
Li et al. Am J Genet 2000
Melberg et al. Ann Neurol 1999
somales (PKP2, DSG2, DSP, DSC2 et JUP) a
identifié 41 mutations (dont 28 nouvelles) chez
62 probands (46 % de la population d’étude), qu’il
y ait un contexte familial (55 % de mutations identifiées) ou pas (43 % de mutations identifiées). Par
ailleurs, des variants génétiques de signification
inconnue ont été mis en évidence chez 7 % des
patients. La distribution des mutations (retenues
comme causales) est la suivante : 31 % dans le
gène PKP2, 10 % dans DSG2, 4,5 % dans DSP, 1,5 %
dans DSC2 et aucune dans JUP. Enfin, des mutations multiples (2 mutations dans le même gène
ou dans des gènes différents) ont été identifiées
chez 4 % des patients.
Ces connaissances toutes récentes ont permis
de développer le test génétique dans une perspective d’utilisation en routine. Au sein de notre
centre, la stratégie diagnostique consiste en une
recherche de mutation par séquençage direct
de l’ADN génomique sur les 3 gènes les plus
fréquemment impliqués : PKP2, DSG2 et DSP.
En cas de résultat négatif, et dans un deuxième
temps, l’analyse peut être complétée sur les gènes
JUP et DSC2 si le tableau clinique est évocateur
(atteinte cutanée associée) ou sur une demande
argumentée du prescripteur. L’interprétation des
variants génétiques doit être particulièrement
précautionneuse dans cette maladie, en raison
La Lettre du Cardiologue ̐ n° 450 - décembre 2011 |
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DOSSIER THÉMATIQUE
Le diagnostic de la DVDA
Diagnostic de DVDA : aspects génétiques
notamment de la fréquence des polymorphismes
rares. Cela est particulièrement vrai pour le gène
de la plakophiline-2, dont notre équipe a montré
par ailleurs que l’exon 6 n’était pas exprimé dans
le tissu cardiaque et que les mutations préalablement décrites dans cet exon ne devaient pas être
considérées comme causales (6).
Vers une meilleure
compréhension
de la physiopathologie
Histologiquement, la DVDA est caractérisée par
un remplacement progressif des myocytes par un
tissu fibroadipeux (1-3). L’identification de mutations
causales dans 5 gènes codant pour les composants
principaux du desmosome cardiaque permet d’entrevoir les mécanismes physiopathologiques de cette
maladie et de développer des études permettant de
Cardiomyocyte n° 1
Cardiomyocyte n° 2
les préciser. Les desmosomes sont des complexes
protéiques membranaires qui jouent un rôle
important dans l’adhésion intercellulaire et dans
le maintien de l’intégrité structurelle des tissus, en
particulier ceux soumis à un stress mécanique important comme le cœur (7). Ils sont formés de 3 types
de protéines : les cadhérines desmosomales (DSG
et DSC), les protéines appartenant à la famille des
protéines armadillo (JUP et PKP1-4) et les plakines
(DSP, plectine, BPAG1-b et épiplakine). L’ensemble
forme la plaque desmosomale qui médie l’ancrage
des filaments intermédiaires (composés de desmine
dans le cardiomyocyte) à la membrane cellulaire.
Cette structure est bien identifiable en microscopie
électronique sous l’aspect d’une plaque très dense
aux électrons (figure 1). Dans le tissu cardiaque,
seuls PKP2, DSC2 et DSG2 sont exprimés et les
desmosomes sont spécifiquement localisés au niveau
du disque intercalaire (7) [figure 2].
Les mécanismes physiopathologiques menant des
mutations à l’expression clinique de la maladie sont
encore mal connus. Il est probable que l’atteinte du
desmosome cardiaque entraîne un défaut d’adhésion intercellulaire et une moindre résistance du
tissu cardiaque au stress mécanique. Des études
en microscopie électronique réalisées à partir de
myocarde de patients atteints de DVDA ont mis en
évidence des anomalies de structure du desmosome
cardiaque ainsi qu’un élargissement de l’espace intercellulaire (figure 3). L’étude de l’expression cardiaque
des différents composants desmosomaux que nous
avons réalisée au sein de notre laboratoire à partir
de plusieurs sujets atteints de la maladie suggère
Espace intercellulaire
DSG2
DSP
DSC2
DSC2
DSG2
DSC2
Desmine
JUP
DSC2
DSC2
DSG2
DSC2
DSG2
DSC2
DSP
JUP
DSC2
DSG2
Plaque desmosomale
Figure 1. Le desmosome est un complexe protéique formé des cadhérines desmosomales
DSC2 et DSG2 qui sont responsables de l’interaction intercellulaire. Les cadhérines interagissent via leur domaine intracellulaire avec PKP2, JUP et DSP, qui médient l’ancrage
de la desmine dans la plaque.
24 | La Lettre du Cardiologue ̐ n° 450 - décembre 2011
Figure 2. Marquage en immunofluorescence (en vert)
de la cadhérine desmosomale DSG2, localisation au
disque intercalaire (myocarde humain analysé au
laboratoire Inserm U956).
DOSSIER THÉMATIQUE
Concepts cliniques issus
des avancées génétiques
Maladie génétique
Figure 3. Image en microscopie électronique du
myocarde d’un patient atteint de DVDA (laboratoire
Inserm U956). Des défauts de structure du desmosome sont mis en évidence, avec des desmosomes
très courts (tête de flèche) et des défauts d’adhésion
intercellulaire (flèche).
que les cadhérines desmosomales jouent un rôle
important dans le mécanisme de cette perte d’adhésion. L’origine du remplacement fibroadipeux des
myocytes reste mal connue. L’une des hypothèses
soulevées (8), étayée par un modèle cellulaire
(extinction de DSP par interférence ARN) et par un
modèle murin (souris déficiente pour DSP), est que
les mutations et la désorganisation du desmosome
entraînent une libération de la plakoglobine qui va
migrer dans le noyau et modifier l’activité transcriptionnelle par inhibition compétitive de la voie
Wnt/bêta-caténine. Cela aboutit à l’activation de
l’expression des gènes impliqués dans l’adipogenèse
et dans la fibrogenèse, avec modification du phénotype cellulaire vers un phénotype partageant notamment les caractéristiques d’une cellule adipeuse (8).
Les mécanismes à l’origine des arythmies ventriculaires semblent quant à eux multifactoriels. En effet,
même si la plupart des tachycardies ventriculaires
surviennent par un mécanisme de macroréentrée
ayant pour substrat les dépôts fibroadipeux, il
semble de plus en plus probable que des anomalies
associées des canaux ioniques et des jonctions gap
participent au substrat. Ainsi, il a été observé dans
le myocarde des patients une désorganisation des
connexines-43 qui forment les jonctions gap, et des
études menées in vitro montrent que l’absence de
PKP2 entraîne des défauts de couplage intercellulaire
et un défaut de fonctionnement du canal sodique
Nav1.5 (9, 10). Enfin, l’inflammation et l’apoptose
pourraient jouer un rôle dans le mécanisme de la
perte myocytaire (11).
Les avancées génétiques ont d’abord conduit à un
fait important, celui de devoir considérer la CVDA/
DVDA comme d’origine génétique dans presque
tous les cas (3-5). En effet, des mutations sont
identifiées, avec une probabilité très proche que
l’on s’adresse à un patient avec antécédents familiaux ou que le cas apparaisse comme “sporadique”.
Dans ce dernier cas, l’expérience du réseau français a permis de mieux en comprendre les mécanismes (5). Chez certains de ces patients présentant
une maladie apparemment sporadique et une
mutation identifiée, cette dernière est héritée
d’un parent qui n’a, jusque-là, pas développé la
maladie, ce qui relève d’un phénomène de pénétrance incomplète de la mutation (la pénétrance
est la probablilité de développer la maladie chez
un porteur de mutation, et elle est dite incomplète
si elle est inférieure à 100 %). Dans d’autres cas,
le cas sporadique relève d’une néomutation (ou
mutation de novo), avec une mutation absente
dans les lymphocytes des parents, en raison de la
survenue récente de l’événement mutationnel au
sein de la famille. Notre équipe a été la première à
rapporter ce mécanisme dans cette maladie (12).
Mode de transmission
La transmission de la maladie est presque toujours
autosomique dominante, ce qui signifie un risque de
transmission de 50 % à chaque apparenté au premier
degré. Dans de très rares cas, correspondant à une
forme syndromique avec atteinte cardiaque, cutanée
(hyperkératose palmoplantaire) et des phanères
(cheveux laineux), il s’agit d’une transmission récessive (syndrome de Naxos ou de Carvajal).
Expressivité variable
et corrélations phénotype-génotype
Dans sa forme commune autosomique dominante,
la maladie est associée à une très grande variabilité
d’expression clinique, y compris au sein d’une même
famille. Les données sur les corrélations génotype/
phénotype restent limitées et parfois contradictoires,
mais des différences d’expression phénotypique en
fonction du gène causal ont été suggérées. Dans l’expérience du réseau français, les mutations du gène
DSG2 sont associées à un phénotype plus sévère avec
La Lettre du Cardiologue ̐ n° 450 - décembre 2011 |
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DOSSIER THÉMATIQUE
Le diagnostic de la DVDA
Diagnostic de DVDA : aspects génétiques
une atteinte ventriculaire gauche (fraction d’éjection
du ventricule gauche [FEVG] inférieure à 45 %) significativement plus fréquente, pouvant dans certains cas
conduire à une insuffisance cardiaque terminale avec
transplantation (5). W.J. McKenna et al. ont observé
que des mutations du gène DSP étaient impliquées
dans des formes de cardiomyopathie prédominantes
sur le VG, voire parfois dans des formes conventionnelles de cardiomyopathie dilatée (CMD), posant le
problème de formes “frontières” entre CVDA/DVDA
et CMD (13, 14). D’une façon générale, aucune différence n’a été mise en évidence selon le mécanisme
de la mutation causale (tronquante ou faux-sens).
En revanche, plusieurs études ont montré que les
mutations multiples (hétérozygotes composites,
doubles hétérozygotes, homozygotes), présentes chez
environ 4 à 15 % des cas index, étaient associées à
un phénotype plus sévère. Dans notre expérience, la
présence d’une mutation multiple était associée à une
atteinte ventriculaire gauche (FEVG inférieure à 45 %)
significativement plus fréquente et à une tendance
à une mort subite plus fréquente (5). Dans les expériences italienne et anglaise, la présence de mutations
multiples était également associée à une plus forte
sévérité et une pénétrance de la maladie (15,16).
Pénétrance des mutations
Alors que la pénétrance (pourcentage de porteurs
de mutation qui expriment la maladie cardiaque)
est le plus souvent complète dans la forme autosomique récessive, elle est extrêmement variable
dans la forme autosomique dominante (entre 35 et
65 %) [16]. La variabilité de la pénétrance est probablement multifactorielle. Elle augmente progressivement avec l’âge, les premiers signes cliniques
apparaissant souvent à partir de l’adolescence. Une
série pédiatrique a ainsi observé qu’aucun enfant
porteur de mutation ne présentait de signes cliniques
avant l’âge de 10 ans, puis que la pénétrance atteignait 42 % chez les plus de 14 ans. L’expression
cardiaque est parfois beaucoup plus tardive, elle peut
débuter après l'âge de 40 ou 50 ans. La pénétrance
est également plus importante chez les sujets de sexe
masculin (ce qui explique la relative prépondérance
masculine des patients), et avec la présence de mutations multiples. Des facteurs environnementaux ont
également été suggérés, comme les infections virales
ou la pratique du sport. Soulignons enfin que la pénétrance dépend beaucoup des critères diagnostiques
utilisés (2), et il est possible que la faible pénétrance
rapportée dans les études puisse être expliquée en
partie par la difficulté du diagnostic des formes débu-
26 | La Lettre du Cardiologue ̐ n° 450 - décembre 2011
tantes ou frustes (la révision en 2010 des critères
diagnostiques de la maladie avait notamment pour
objectif de pallier ces insuffisances).
Applications en pratique
Les avancées récentes dans la connaissance des
aspects génétiques de la maladie ont conduit au
développement rapide du test génétique (désormais
incorporé aux critères diagnostiques de la maladie et
révisé en 2010) [2]. Ce test doit cependant toujours
être intégré à une démarche globale de conseil génétique, qui comporte d’abord une phase d’information
du patient et de sa famille, puis une phase d’organisation d’une surveillance cardiologique chez les
apparentés (17).
Enquête cardiologique familiale
Il est souhaitable de préconiser un bilan cardiaque
familial systématique, même devant un cas en apparence sporadique de la maladie, du fait :
➤ que presque toutes les CVDA/DVDA relèvent
d’une origine génétique ;
➤ de la gravité potentielle de la maladie (le risque
de mort subite causée par des troubles du rythme
ventriculaire est d’environ 1 à 2 % par an) ;
➤ du bénéfice d’un traitement précoce (intérêt
du traitement médicamenteux, et d’une restriction
d’activité sportive, vis-à-vis du risque rythmique).
Cette attitude a été récemment préconisée par le
groupe de travail “cardiomyopathies” de la Société
européenne de cardiologie (17) et les modalités en
ont été précisées. Le bilan s’adresse à tous les apparentés au premier degré (fratrie, enfants, parents)
d’un patient atteint de CVDA/DVDA, au moins
à partir de l’âge de 10 ans. Le bilan comporte en
première intention un tracé ECG, une échographie,
un ECG-HA et un holter-ECG. Un bilan anormal
induit des investigations complémentaires. Un
premier bilan cardiologique normal doit conduire
à la poursuite d’une surveillance cardiologique du
fait de l’expression cardiaque souvent retardée (le
bilan peut être renouvelé tous les 1 à 2 ans entre
l’âge de 10 et 20 ans, puis espacé tous les 2 à 5 ans
entre l’âge de 20 et 50/60 ans). Soulignons que,
conformément aux textes de lois, le cardiologue
ne peut pas contacter directement les apparentés.
L’information doit passer par le patient vu initialement et porteur de la maladie (le propositus ou
premier patient malade vu au sein de la famille) et
cela sera facilité par la remise d’une lettre que le
patient distribuera au sein de sa famille (une lettre
DOSSIER THÉMATIQUE
type est disponible sur le site de notre centre de
référence : www.cardiogen.aphp.fr).
Test génétique
Le test génétique est réalisé habituellement à
partir d’un prélèvement sanguin. Il constitue un
outil complémentaire qui peut représenter une
aide significative pour le clinicien, dans des situations théoriques variées comme le test diagnostique, pronostique, prédictif ou parfois prénatal.
Sa pratique doit s’entourer de précautions afin
d'informer au mieux le consultant sur ses enjeux,
et de le préserver de répercussions négatives éventuelles (17). Ce test pose en effet des problèmes
spécifiques, touchant l’individu dans sa nature intime
et dans ses liens avec sa famille.
Dans le cadre de la CVDA/DVDA, l’application
privilégiée du test génétique consiste en une aide
à la prise en charge familiale grâce à un “test génétique prédictif” chez un apparenté − l’aide systématique à la stratification pronostique est encore
prématurée. L’identification d’une mutation chez
un patient permet en effet de disposer d’un outil
diagnostique supplémentaire pour les investigations chez ses apparentés, en accord avec la révision
récente des critères diagnostiques internationaux de
CVDA/DVDA (2), qui considère l’identification d’une
mutation comme un critère “majeur” − le diagnostic
étant porté en présence de 2 critères majeurs ou de
1 critère majeur et de 2 mineurs, ou bien de 4 critères
mineurs issus de différentes catégories.
Le résultat génétique chez un apparenté (avec
bilan cardiaque normal ou peu contributif) va ainsi
permettre de guider au mieux la prise en charge.
En l’absence de mutation, la surveillance cardio-
logique de celui-ci, et de ses descendants, devient
inutile. Chez l’apparenté porteur de la mutation,
un bilan cardiologique plus complet est réalisé
et la poursuite d’une surveillance cardiologique
est impérative, quel que soit le résultat du bilan
cardiaque. L’autre conséquence du test est ici que
la descendance de l’apparenté est maintenant clairement à risque et doit faire l’objet à son tour d’une
surveillance médicale.
Un test génétique prédictif ne peut être proposé
à un apparenté que si la mutation a d’abord été
caractérisée chez le propositus. La démarche
globale commence donc avec un test génétique
effectué chez le patient dont la maladie cardiaque
est avérée. Dans l’état actuel de nos connaissances,
une mutation est identifiée chez ce type de patient
dans environ 50 % des cas − l’absence de mutation
identifiée dans les autres cas signifie seulement que
les gènes testés ne sont pas en cause). Les analyses
nécessitent ici souvent un délai de 6 mois, car le
travail consiste en un séquençage de l’ensemble des
régions codantes des principaux gènes. Mais lorsque
la mutation est identifiée, la recherche précise de
cette mutation chez un apparenté est simple (une
réaction PCR), rapide (quelques jours ou quelques
semaines), et parfaitement interprétable (présence
ou absence de la mutation).
Conformément aux dispositions légales, les enjeux
médicaux, socioprofessionnels et psychologiques
du test génétique prédictif doivent être abordés
largement avec le consultant au sein d’une équipe
pluridisciplinaire (déclarée au ministère de la Santé
ou à l’Agence de biomédecine), préalablement au
test (coordonnées des “centres de compétence”
spécialisés dans les cardiomyopathies sur le site
Internet du centre de référence).
■
En savoir plus…
̐ Pour plus d’informations,
consulter le site Internet du
centre de référence pour les
maladies cardiaques héréditaires : http://www.cardiogen.
aphp.fr
Références bibliographiques
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duPericardial
Cardiologue
450
- décembre
2011 |
̐ n°Eur
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