Caractéristiques de la relation
soignant-soigné
Relation d’inégalité
Le malade est en situation d’infériorité
Cette impression d’infériorité, souvent bien perceptible
chez les patients dans notre contexte de soins, peut avoir plu-
sieurs origines :
–
du fait qu’il souffre d’une maladie chronique et qu’il éprouve
de ce fait un vague sentiment de diminution, d’incapacité,
d’infériorité voire de culpabilité, surtout s’il a eu une crise en
lieu public, l’épileptique a souvent le sentiment d’avoir perdu,
du moins en partie, la considération dont il jouissait auprès des
autres : c’est ce qu’on appelle la « blessure narcissique », qui
correspond à ce que les Anglo-Saxons désignent par « illness »;
–
du fait qu’il se sent rendu et/ou devenu demandeur passif,
dépendant et tributaire de la réponse d’autrui, lui rappelant le
statut de dépendance de l’enfant envers l’adulte, il se sent
« aliéné » et cette aliénation est vraie dans les deux sens de ce
terme : étymologique (il est devenu autre que lui-même) et
juridique (il a perdu de son autonomie et de sa liberté d’ac-
tion) L’épileptique a besoin de reconnaissance : que sa maladie
soit reconnue et authentifiée comme « vraie maladie » (qui
correspond au terme disease des Anglo-Saxons) et non comme
« maladie mentale » ; cette dernière étant encore fréquemment
assimilée à une maladie imaginaire et honteuse. Il attend ainsi à
ce que sa maladie soit sanctionnée par le statut social de malade,
recevant soins et considérations, liés à un tel statut (sickness
pour les Anglo-Saxons) ;
–
du fait de la souffrance, somatique parfois, morale et psycho-
logique toujours, qui lui fait perdre une partie de l’énergie et
constitue un handicap, en rapport avec la réalité contraignante
et handicapante de cette maladie. Souffrance, aliénation et
sentiment de dépendance, font souvent revenir ces malades à
un mode de pensée irrationnel, imaginaire et magique, libéré
des contraintes du monde réel, qui les fait attendre une solution
miracle, provenant de sujets tout-puissants, capables d’agir sur
des forces obscures qui se cachent derrière leur souffrance, à
savoir les soignants, qui gardent encore l’image de toute puis-
sance, surtout dans les milieux peu instruits. Cela réalise, en
quelque sorte, une régression au stade de « pensée magique »,
selon la conception de Jean Piaget (Piaget et Inhelder, 2002).
Le soignant est perçu
dans une position de supériorité et d’autorité
Celle de quelqu’un qui détient le savoir et le pouvoir de
soulager les souffrances, voire de les guérir (Jeammet et al.,
1993). Le malade cherche souvent, en ses soignants, une figure
protectrice, rassurante, susceptible de donner sens et satisfac-
tion à sa quête de retrouver la santé (Balint, 1966). Ainsi, sous
nos cieux, les soignants sont-ils souvent adulés et choyés par la
population, surtout lorsqu’ils réussissent à endiguer des maux
spectaculaires et impressionnants, comme l’épilepsie.
Cette recherche de pouvoir sur des êtres diminués par leur
maladie, représente très probablement, une des puissantes mo-
tivations (inconscientes en général) à choisir ce métier de soi-
gnant. Et il n’est pas rare de voir certains soignants en abuser
caricaturalement, par exemple, en intimant, plus ou moins
implicitement les malades, à leur faire des compliments ou des
louanges.
Cette relation d’inégalité, dès le départ, n’est pas sans rap-
peler ou raviver des souvenirs, en rapport avec des situations
similaires de luttes antérieures (entre parents et enfants, maîtres
et élèves, etc.) (Jeammet et al., 1993).
Cela n’est pas sans rappeler le refus actif, ou la passivité
agissante de certains enfants ou élèves, face à leurs parents ou
leurs éducateurs et qui visent à signifier aux adultes la dérision
de leur supériorité apparente.
Ainsi, la répétition de conduites infantiles n’est pas rare
chez les malades : on parle de conduites régressives, pouvant
s’exprimer sous différentes formes : apitoiement, recherche
d’affection, de protection, de manipulation, etc. Le risque est de
voir les « rapports d’échanges » se transformer en « rapport de
force » et, comme on le constate souvent, le plus faible n’est pas
forcément le moins fort dans de telles situations !
Relation d’attente mutuelle
Le malade attend d’abord, d’être compris et reconnu
comme sujet souffrant, ce qui signifiera la validation de sa
souffrance en maladie reconnue (disease), puis le soulagement
de sa souffrance voire la guérison de sa maladie, avec un statut
socialement reconnu (sickness).
Le soignant, de son côté, attend la reconnaissance et la
gratitude, mais surtout la vérification de son pouvoir réparateur
et la justesse de ses vues (Jeammet et al., 1993).
Relation centrée sur le corps et véhiculée par la parole
Très souvent, la plainte somatique traduit un malaise psy-
chologique, qui n’a pu se faire entendre autrement (Israel,
1971). Ainsi, certaines plaintes (insomnie, céphalées, etc.)
représentent-elles souvent un désir de parler et de « passer le
temps » avec les soignants ; d’où la nécessité de chercher le sens
latent de la demande, et donc de la déchiffrer. En effet, le malade
sait bien que le langage que les soignants comprennent et
acceptent volontiers, c’est le langage du corps.
Le transfert
Le malade vient consulter avec une série d’images prééta-
blies et il cherche à transposer ses habitudes affectives dans ses
relations avec les soignants. S’il trouve dans ces derniers quel-
ques points communs avec ses images, il aura un investissement
affectif positif avec eux. Il s’en suit des sentiments positifs de
sympathie et de confiance, qui aideront énormément l’action
thérapeutique. On parle alors de « transfert positif ». Certaines
améliorations spectaculaires, voire des guérisons miraculeuses
de certains symptômes subjectifs, peuvent se comprendre par la
qualité positive du transfert. Dans ces cas, les soignants s’aper-
çoivent bien qu’autre chose que la simple prise médicamen-
teuse a agi.
37 E
´pilepsies, vol. 19, n° 1, janvier, février, mars 2007
Prise en charge psychologique du patient épileptique
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.