J’ a

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Ai
l l e u r s
Professionnels en oncologie en Suisse
Expérience d’une formation à la communication
P. Guex
(chef du département de psychiatrie, CHUV de Lausanne, Suisse)
J’
ai été convié récemment, dans le
cadre d’un congrès, à participer à
une table ronde où le suivi du cancer était abordé par différents spécialistes
avec pour fil conducteur l’histoire d’une
femme en début de maladie. Il me revenait
d’aborder “les aspects psychologiques” de la
prise en charge. Jusque-là, et bien que l’éditorial du congrès fasse clairement allusion
au processus d’annonce du Plan cancer, le
récit clinique collait au dossier médical, mais
aux seules étapes techniques de la maladie ;
cette patiente en tant que sujet en paraissait
exclue. Le débat entre spécialistes se résumait en effet aux options thérapeutiques, aux
libertés d’action que chaque professionnel
pouvait envisager, en marge des protocoles et
en fonction de l’aggravation rapide et angoissante de la situation.
Il est bien sûr facile d’imaginer, lorsque l’on
a de l’expérience, les angoisses partagées
par la patiente, ses proches et les équipes
soignantes au long cours, mais cette session ne restituait rien de l’histoire de cette
subjectivité qui aurait permis de saisir des
dimensions essentielles pour connaître
cette personne et imaginer la “bonne” attitude pour elle, plutôt que pour toute autre
femme.
Sûr de la bienveillance de mes collègues, je
tentais alors de montrer combien, malgré
toutes les bonnes volontés et les directives
ministérielles, il était apparemment difficile
d’introduire dès le début la malade comme
partenaire à la décision. En fait j’essayais
de dire, en fin d’atelier, que je me retrouvais
sans voix, un peu comme les patients dont
on attendait l’avis quand “tout semblait dit”.
Mais aussi comme les “psy” ou autres professionnels qui arrivaient in fine pour extirper
du “reste”, de la vie sociale des malades, du
psychisme, de leurs proches, des ressources
pour continuer. Pour toute réponse, on reprit
le débat portant sur la chimiothérapie.
Mon pays, la Suisse, ne fait sûrement pas
mieux, mais pour sensibiliser les professionnels nos formations accordent une attention particulière à la structure narrative et
réflexive des projets de soins.
Il s’agit non seulement de voir comment le
malade peut devenir acteur précoce de sa
maladie, mais également d’observer comment, émergeant de l’interaction soignant
soigné, un projet de soins concerté peut être
élaboré, tenant compte des désirs et des
choix individuels du malade.
En effet, le paradoxe de la position du médecin
ou du soignant consiste en ce qu’il doit s’appuyer sur un savoir scientifique maîtrisé pour
établir le bon diagnostic et le bon traitement,
tout en entrant en relation avec le malade, ce
qui implique l’abandon de certaines conceptions et présupposés médicaux. Il convient
d’accueillir l’histoire “unique” de la personne
qui est en face de soi et de lui donner un sens.
Ce paradoxe, cette tension mais aussi cette
synthèse entre un savoir fondé sur la preuve
et sa déclinaison en fonction de la personne
en souffrance constituent un espace éthique
qui fonde toute consultation.
C’est une approche centrale de nos séminaires de formation des professionnels qui vise
à rendre le patient le moins vulnérable et le
plus participatif possible dans ses choix.
Ces séminaires, obligatoires pour la spécialisation en oncologie, sont organisés par la
Ligue suisse contre le cancer et regroupent
par région, une à deux fois par an, huit à dix
participants, médecins et infirmiers. La première phase est un cours de deux jours fondé
sur des entretiens avec des patients simulés,
des analyses de vidéos et des jeux de rôle. Ces
sessions sont suivies de supervisions individuelles et d’une demi-journée de bilan.
C’est surtout l’émergence d’émotions telles
que l’angoisse, l’irritation ou la tristesse du
patient ou le thème de la mort qui provoquent des impasses dans la communication
Correspondances en Onco-hématologie - Suppl. au Vol. III - n° 1 - janvier-février-mars 2008
ne permettant plus aux soignants d’offrir
une relation contenante adéquate dans
ces moments de détresse. Face à l’émotion, certains soignants se crispent sur leur
identité médicale. Ces retraits sont illustrés
par des modifications abruptes du discours,
des questions fermées ou suggestives, des
contre-attitudes massives ou le recours brutal au tiers professionnel (par exemple, le
“psy”). À l’inverse, lorsque des soignants
sont plus flexibles et plus à l’aise avec les
émotions d’un patient, les entretiens évoluent mieux, la parole se libère.
Ces réactions sont dépendantes du contexte,
par exemple les tensions augmentent dans
les situations de rechute de la maladie ou
lorsque des questions sur la guérison sont
posées. En fait, ces étapes renvoient chacun
à la représentation idéalisée qu’il a de son
rôle professionnel et à sa capacité ou non de
gérer ses limites. Le soignant qui peut réfléchir à ses choix personnels et existentiels,
qui a appris à supporter l’incertitude et ses
sentiments d’impuissance sera peut-être plus
apte dans les moments difficiles à ne pas se
laisser envahir par son propre vécu, et à se
défendre par l’action.
Au-delà des techniques d’entretien, ces
séminaires permettent aux professionnels
d’être attentifs à leurs propres développements, source importante de motivation et
de succès. Des conflits non résolus en lien
avec leurs trajectoires peuvent a fortiori les
emprisonner dans une “mission impossible”,
qui va les exténuer. S’ils sont reconnus, ces
éléments biographiques peuvent être travaillés et intégrés de sorte qu’ils n’interfèrent
plus de manière trop rigide.
En ce sens, les programmes de formation
sur ces questions de la relation soignants/
soignés ont pour finalité de contribuer à la
qualité des soins et du bien-être des patients
et des professionnels de santé, soumis à des
stress professionnels majeurs. ■
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