Mémoire, attention et fonctions
exécutives : définition de ces
différentes fonctions cognitives
La mémoire…
…véritable patchwork d’entités
La mémoire sensorielle ou système de
représentation perceptive : les infor-
mations sensorielles y sont maintenues
fugitivement (200 à 300 ms) sous forme
de traces (1, 2). On parlera de mémoire
sensorielle iconique, échoïque ou
haptique pour évoquer les mémoires
sensorielle, visuelle, auditive et tactile.
Par exemple, elle permet la formation de
l’image d’un objet à partir de la rétine.
La mémoire à court terme (MCT),
encore appelée mémoire de travail, est
un système à capacité limitée dont
l’empan est en moyenne de sept plus ou
moins deux éléments. Cette mémoire
immédiate permet de maintenir et de
manipuler sur une durée brève (moins de
30 secondes) une information comme,
par exemple, le fait de garder en
mémoire un numéro de téléphone le
temps de pouvoir le composer.
L’information est rapidement perdue si
elle n’est pas préservée par la répétition.
La mémoire de travail ne peut être
réduite à un système de stockage passif,
elle fonctionne comme un système
pouvant conserver mais aussi manipuler
les informations, permettant le maintien
temporaire de l’information à la
conscience, favorisant ainsi l’accomplis-
sement de tâches comme le raisonne-
ment, la compréhension, la résolution de
problèmes (3).
Selon Baddeley et Hitch (4), cette
mémoire de travail comporterait trois
composantes : la boucle phonologique,
le bloc-notes visuo-spatial et un admi-
nistrateur central. La première permet-
trait le stockage des informations
verbales (auditive ou visuelle), la
seconde interviendrait dans le maintien
temporaire des informations visuelle et
spatiale et la dernière, enfin, permettrait
le monitorage de deux tâches différentes
simultanées (1, 2, 5).
La mémoire à long terme (MLT)
permet d’utiliser des apprentissages
antérieurs, comme, par exemple, la
conduite automobile ou la reconnais-
sance d’un visage familier, mais aussi de
comprendre le monde environnant.
Elle permet la conservation durable de
l’information, en favorisant l’apprentis-
sage. Les informations retenues seront
consolidées en fonction de leur impor-
tance émotionnelle et de leur répétition.
Anatomiquement, elle repose sur le
circuit de Papez (dit aussi circuit hippo-
campo-mamillo-thalamique, car les
liens entre corps mamillaires et hippo-
campe sont macroscopiquement
évidents) (6) (figure).
Elle permet également de conserver les
souvenirs des faits anciens.
À chaque souvenir… sa mémoire
La mémoire épisodique ou mémoire
des événements, comporte la mémoire
autobiographique qui permet à un indi-
vidu de se rappeler son passé personnel,
par exemple un voyage à Marrakech, et
de se remémorer consciemment et déli-
bérément ce qu’il a vécu en se situant
dans un contexte temporel et spatial
précis. Elle comporte aussi le souvenir
des événements n’ayant pas impliqué
l’individu, comme, par exemple, l’assas-
sinat de Kennedy en 1963.
La mémoire sémantique permet l’ac-
quisition, la conservation et la récupéra-
tion des connaissances générales. C’est
une mémoire didactique qui concerne
des informations dont l’évocation est
dépourvue de toute référence à l’histoire
personnelle du sujet, comme par
exemple le fait de savoir quelle est la
capitale de la France. Contrairement à la
mémoire épisodique, il n’y a pas de réfé-
rence au contexte spatial et temporel.
La mémoire épisodique et la mémoire
sémantique peuvent être regroupées
sous le terme de mémoire déclarative ;
en effet, elles font l’objet du discours.
La mémoire procédurale correspond
au savoir-faire, aux automatismes. Elle
rend possible l’acquisition d’habiletés
motrices, perceptives et cognitives. Elle
n’est pas consciente (on peut savoir faire
es troubles cognitifs observés
chez des patients souffrant de
schizophrénie sont principale-
ment des troubles de l’attention (sélec-
tive et maintenue), des troubles de la
mémoire et des fonctions exécutives.
La mémoire de travail, la mémoire
explicite et la mémoire contextuelle
sont déficitaires tandis que la mémoire
implicite (automatique) est préservée,
notamment la mémoire procédurale.
Cette diversité des déficits cognitifs
observés dans la schizophrénie ne
nous permet cependant pas de spéci-
fier un profil cognitif type des patients
schizophrènes.
Nous ferons dans un premier temps un
court rappel des différents composants
de la mémoire ainsi que de l’attention
et des fonctions exécutives. Nous
exposerons ensuite les déficits fonc-
tionnels liés à ces capacités cognitives
dans la schizophrénie, ainsi que les
différents outils d’évaluation psycho-
métrique susceptibles d’être utilisés
pour orienter le diagnostic.
196
Mise au point
Mise au point
* Psychologue, service de psychiatrie
des adultes, CHU Robert-Debré, Reims.
Cognition et schizophrénie
S. Harrois*
L
Figure. Le circuit de Papez.
hippocampe
gyrus cingulaire noyau antérieur du thalamus
corps mamillaires
piliers du fornix
faisceau de
Vicq d’Azyr
cortex entorhinal
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (19) n° 7, septembre 2002 197
Mise au point
Mise au point
quelque chose et ne pas se souvenir de
l’avoir appris) et comprend plusieurs
entités, l’une d’elles étant le support du
conditionnement classique. La mémoire
procédurale ne peut s’exprimer que dans
un comportement manifeste, elle n’est
pas verbalisable (2, 7). Par exemple,
savoir jouer au bridge sans avoir en
permanence les règles présentes à
l’esprit.
Dans les épreuves fonctionnelles cogni-
tives, on utilise le dispositif de la tour de
Toronto. Ce dernier est constitué d’un
socle en bois, de trois tiges et de quatre
disques de couleurs différentes empilés
sur la première tige. Le jeu consiste à
faire passer les disques sur la troisième
tige en respectant des règles précises. Le
surentraînement confère au sujet la
capacité à automatiser la résolution,
c’est-à-dire l’acquisition d’une habileté
cognitive (skill learning).
À chaque type de consigne… une
forme de mémoire
Selon les “consignes” données au
moment de la récupération de l’informa-
tion, le type de mémoire sera différent.
On parlera ainsi de mémoire explicite ou
implicite.
Lorsque les consignes font référence
explicitement à la séance d’apprentis-
sage et à son contexte, on parle de
mémoire explicite. Ainsi, lorsqu’on
demande à un sujet de rappeler les mots
d’une liste présentée préalablement, on
sollicite sa mémoire explicite. On fait
référence directement (explicitement) au
moment précis où le sujet a appris la
liste. Ce type de mémoire requiert une
remémoration consciente des informa-
tions apprises et souvent un effort de la
part du sujet.
Lorsque les consignes ne font pas direc-
tement référence à l’apprentissage anté-
rieur, on parle de mémoire implicite.
Elle comprend la mémoire procédurale,
c’est-à-dire les habiletés et automa-
tismes (skill learning), et la mémoire
perceptive. Le sujet y apprend à son
insu.
L’ attention : quatre composantes
essentielles
La sélection de l’information
Isoler dans une foule de gens le visage
attendu, ou ne suivre dans le brouhaha
d’une salle de réunion que la conversa-
tion des voisins, constituent des mani-
festations familières mais complexes du
traitement de l’information. Il s’agit, en
effet, de sélectionner une petite quantité
d’informations parmi toutes celles qui
nous environnent au même instant (8).
L’objet sélectionné (la cible) apparaît
perceptivement plus saillant que l’objet
non sélectionné (le distracteur). La
notion de filtre est souvent utilisée pour
décrire cette opération qui implique un
processus de tri entre la ou les cibles et
les distracteurs simultanément présents.
Les ressources attentionnelles
Selon le modèle de Kahneman (1973),
le système cognitif humain disposerait
de “ressources mentales” n’existant
qu’en quantité limitée et qui détermine-
raient la qualité, l’efficience ou la
profondeur du traitement cognitif
effectué. Plus les ressources seraient
investies dans une tâche, meilleur serait
le traitement correspondant et inverse-
ment (8). La focalisation attentionnelle
sur un type de cible permet de mobiliser
ces ressources sur celle-ci et le traite-
ment du distracteur ne sera effectué que
dans la mesure où des ressources rési-
duelles peuvent encore y être affectées.
En situation d’attention partagée, les
ressources sont divisées entre les diffé-
rents traitements, ce qui autorise le
pouvoir de faire deux choses à la fois.
En revanche, l’attention focalisée
concentre ces ressources sur un seul trai-
tement, ce qui améliore le niveau de
performance.
Le contrôle de la réponse et de
l’activité
Le traitement de l’information utilise
deux types de processus : les processus
automatiques et les processus contrôlés
(8).
Les processus automatiques fonction-
nent de manière non consciente et non
délibérée, ils ne consomment pas de
ressources attentionnelles, ils sont irré-
pressibles et extrêmement rapides.
Le fonctionnement contrôlé s’effectue
en revanche de manière consciente et
intentionnelle, il exige de l’attention et
il est plus lent.
L’attention soutenue
La nature de la tâche, la nature des
entrées (auditive ou visuelle), le degré
d’expertise ou le caractère plus ou
moins automatique des compétences
concernées et l’inégale importance de la
charge mentale en mémoire de travail
constituent autant de facteurs suscep-
tibles d’interagir avec le niveau de vigi-
lance, d’éveil, la durée de l’exercice et,
enfin, le moment de la journée où se
déroule la tâche (8).
L’intérêt, la motivation, l’âge du sujet
sont également à prendre en compte lors
de la réalisation de l’activité en ques-
tion.
Les fonctions exécutives
La plupart des fonctions du lobe frontal
sont rassemblées sous le terme de fonc-
tions exécutives, ce qui ne veut pas dire
que le lobe frontal soit chargé de fonc-
tions d’exécution (2). Le lobe frontal est
chargé du contrôle de la mise en œuvre
des actions (executive cognitive control)
par l’anticipation, le choix des buts à
atteindre, la planification, la sélection
adéquate (qui sous-entend le choix
d’une réponse et l’inhibition d’autres),
la surveillance du déroulement et la
vérification du résultat obtenu.
Les déficits cognitifs des patients
schizophrènes
Définition de la schizophrénie
C’est Kraepelin qui, en 1890, définit le
premier cette pathologie alors
dénommée “démence précoce”.
Aucune anomalie neuropathologique
spécifique n’avait pu être mise en
évidence chez les patients atteints de
démence précoce. On restait pourtant
persuadé que des anomalies cérébrales
ayant ce caractère de spécificité seraient
bientôt découvertes (9, 10).
Selon la définition du DSM-IV, pour
répondre au diagnostic de schizo-
phrénie, le sujet doit présenter une idée
délirante bizarre ou au moins deux
autres symptômes caractéristiques
(hallucinations accompagnées d’idées
délirantes, trouble du cours de la pensée,
symptômes catatoniques et symptômes
198
Mise au point
Mise au point
négatifs). Il y a également existence
d’un dysfonctionnement social.
Des altérations mnésiques…
La mémoire de travail
Composante de la mémoire à court
terme, la mémoire de travail est un
système de stockage à capacité limitée.
Garder en mémoire un numéro le temps
de pouvoir le communiquer est un
exemple courant de la mise en œuvre de
cette mémoire de travail. Les patients
schizophrènes ont une mémoire de
travail déficitaire, les rendant incapables
de conserver à la conscience une infor-
mation le temps de la soumettre à
d’autres opérations cognitives. L’oubli
du but d’une action en cours de réalisa-
tion va profondément désorganiser leur
comportement.
Les patients souffrant de schizophrénie
ont des difficultés à maintenir en leur
esprit la représentation d’une informa-
tion contextuelle, c’est-à-dire la repré-
sentation interne d’une information qui
est construite et maintenue en mémoire
de façon à être utilisée pour donner une
réponse comportementale appropriée à
une situation (4, 11).
Il existerait un déficit des associations
entre l’information cible et l’informa-
tion contextuelle, ce qui perturberait les
processus de remémoration consciente.
La mémoire contextuelle est, en effet,
déficitaire quel que soit le type des
informations contextuelles, qu’il
s’agisse de la fréquence de survenue d’un
événement ou d’un contexte particulier.
Les épreuves d’empan mnésique (digit
span), où il faut retenir dans un ordre
inverse des chiffres énumérés préalable-
ment, sont de bons indicateurs du déficit
en mémoire de travail.
L’épreuve d’empan visuo-spatial,
comme l’épreuve des cubes de Corsi
(Milner, 1971), consiste à pointer du
doigt une série de cubes dans un ordre
déterminé à reproduire ensuite.
Les patients schizophrènes ont un faible
empan dans ces épreuves et leur vitesse
de traitement est diminuée, ils sont
ralentis.
Concernant le déficit en mémoire
contextuelle, les performances dimi-
nuées au Stroop le confirme. Les
patients souffrant de schizophrénie ont
des difficultés à utiliser l’information
contextuelle pour inhiber la réponse
automatique de lecture du mot lors de la
tâche d’interférence.
La mémoire explicite
On retrouve chez le sujet schizophrène
la dissociation qui caractérise la maladie
avec une dissociation entre les tâches
explicites et implicites (11).
Ainsi, les performances des sujets schi-
zophrènes sont perturbées en ce qui
concerne la mémoire explicite, avec une
altération constante de la fonction de
rappel, tandis que les processus de
mémoire implicite ont des performances
comparables à celles de sujets témoins.
Il existe notamment une perte de la
cohérence de la remémoration
consciente (voir ci-dessus) que l’on peut
rapprocher des sensations de morcelle-
ment et de la discontinuité psychique
observées chez le patient souffrant de
schizophrénie.
Ce déficit de la remémoration
consciente pourrait expliquer pourquoi
le sujet schizophrène ne peut utiliser le
souvenir d’un événement passé pour
contrôler son comportement, son affecti-
vité et ses croyances de manière appro-
priée.
L’évaluation des performances en
mémoire explicite s’effectue grâce aux
épreuves de rappel.
Le rappel libre nécessite d’organiser
l’information et impose une remémora-
tion consciente du contexte d’apprentis-
sage. Plus exigeant qu’une épreuve de
reconnaissance, les patients schizo-
phrènes y ont une performance plus
déficitaire. Le déficit dans les épreuves
de rappel peut être corrélé aux troubles
de l’attention, car le rappel libre exige
des processus attentionnels contrôlés.
De même, lorsque l’on demande aux
sujets le rappel d’un texte, ils ont des
difficultés à prendre en considération
l’organisation interne du texte, c’est-à-
dire à utiliser les informations fournies
par le contexte verbal, ce qui entraîne
une diminution des performances.
L’altération de la mémoire contextuelle
et la perte de la capacité de représenta-
tion d’une situation ou d’un acte peuvent
expliquer l’altération de la mémoire
explicite. Dans la vie quotidienne, cela
peut se traduire par l’oubli d’avoir
rencontré telle personne dans un endroit
précis.
Plusieurs études ont montré l’existence
d’une corrélation entre les symptômes
négatifs de la schizophrénie (émousse-
ment des affects, apragmatisme et
pauvreté du discours) et les déficits
mnésiques.
Il semble que ces symptômes interfèrent
avec l’effort des sujets, c’est-à-dire que
les sujets ont une vitesse de traitement
des informations ralentie. Cela affecte-
rait les performances mnésiques, notam-
ment la mémoire verbale : par exemple,
dans une épreuve de rappel immédiat et
différé d’histoires (subtest du Wechsler),
les performances des patients souffrant
de schizophrénie sont diminuées. Elles
le sont d’autant plus si les sujets ne sont
pas conscients de leurs symptômes
négatifs.
La sévérité des symptômes négatifs
affecterait également la mémoire de
travail spatiale. En effet, la vitesse de
traitement de l’information étant
ralentie, on peut noter un temps de déno-
mination des couleurs plus long
(épreuve du Stroop) ainsi que des
performances déficitaires dans
l’épreuve des codes (digit symbol substi-
tution test).
La mémoire implicite
Mémoire procédurale
Cette mémoire automatique, incons-
ciente, correspond à l’acquisition des
habiletés perceptives, cognitives et
motrices (cognitive skill learning). Elle
est préservée chez les schizophrènes. On
utilise le dispositif de la Tour de
Toronto dans l’évaluation de cette
mémoire. Dans cette tâche de résolution
de problèmes, les patients schizophrènes
ont des difficultés à changer de stra-
tégie, ils persévèrent dans l’erreur,
incapables de s’autocorriger. L’auto-
matisation est cependant épargnée chez
ces patients.
Des altérations des capacités
attentionnelles…
L’ a t t ention sélective
Les patients schizophrènes présentent
des troubles de l’attention sélective, ils
témoignent de difficultés à extraire une
information spécifique d’un contexte
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (19) n° 7, septembre 2002 199
Mise au point
Mise au point
comportant plusieurs informations.
Lorsque l’on demande la signification
d’un panneau à un jeune conducteur qui
écoute de la musique, on sollicite son
attention sélective. Les tâches d’évalua-
tion de l’attention sélective mettent en
évidence chez les schizophrènes, par
comparaison à des témoins, un allonge-
ment significatif du temps de réponse
après l’apparition du stimulus, ainsi
qu’un ralentissement moteur.
Les troubles de l’attention sélective
proviendraient selon Tissot (1979), du
défaut de la réaction d’habituation. En
effet, il constate que chez l’hébéphrène
(schizophrène jeune), l’attention sélec-
tive est constamment mobilisée, puisque
tous les stimuli sont considérés comme
nouveaux.
Les tâches attentionnelles habituelle-
ment utilisées dans les bilans cognitifs
des patients schizophrènes sont :
– Le span apprehension test ou le CPT
(continuous performance test)qui sont
des tâches de discrimination dans
lesquelles il s’agit de détecter le plus
rapidement possible un stimulus cible
présenté parmi des stimuli distracteurs
(par exemple, reconnaître un A parmi
d’autres lettres) exposés pendant un
délai très bref.
Dans les épreuves attentionnelles, les
patients souffrant de schizophrénie
présentent des performances défici-
taires, ils ont des difficultés à détecter et
à repérer un signal parmi des distrac-
teurs. Leurs performances témoignent
d’un nombre réduit de bonnes réponses
et d’un nombre élevé de fausses alarmes
(fausses reconnaissances).
Le Stroop (Stroop, 1935) est une
épreuve qui permet d’évaluer la sensibi-
lité à l’interférence. Les sujets reçoi-
vent, dans cette tâche, la consigne de
nommer la couleur de l’encre de mots
présentés par écrit, comme par exemple,
le mot “vert” écrit en caractères rouges,
qu’ils devront dénommer “rouge”. Pour
répondre correctement, les sujets
devront inhiber la réponse automatique
(la lecture du mot) au profit d’une
réponse contrôlée (la lecture de la
couleur de l’encre), plus coûteuse en
attention. Cette gymnastique exige une
division de l’attention. Les patients
souffrant de schizophrénie ont des
performances très perturbées dans cette
épreuve, ils sont très sensibles à l’inter-
férence (les épreuves automatiques sont
d’avantage préservées car moins
coûteuses en ressources attentionnelles).
– La tâche d’écoute dichotique, qui
consiste en une présentation simultanée
de deux stimuli auditifs différents (par
exemple, deux mots) dans un casque, en
demandant au patient de réagir à un seul
des stimuli. Les patients schizophrènes
ont des difficultés à sélectionner le
signal cible. Dans une épreuve de
double tâche, les patients rencontrent
les mêmes difficultés. Cela peut se
traduire dans la vie quotidienne par des
difficultés à répondre à un interlocuteur
lorsqu’ils sont engagés dans la lecture
d’un livre.
– Les épreuves de masquage posté-
rieur mettent en évidence de faibles
performances chez les schizophrènes.
Dans ce type d’épreuve, un stimulus
cible présenté sur un écran est suivi d’un
masque (une série de croix) brouillant la
cible, ce qui gêne considérablement la
reconnaissance de cette dernière et
augmente le temps d’identification.
En résumé, le déficit observé dans les
épreuves évaluant l’attention sélective
chez les schizophrènes se traduit par une
diminution des capacités de détection
(par exemple traverser la rue au feu
vert), une augmentation des phéno-
mènes d’interférence quand la tâche
requiert le traitement simultané de deux
stimuli (comme lire avec de la musique),
une perturbation des procédures d’in-
hibition (Stroop).
Le déficit attentionnel peut être dû aux
troubles du traitement de l’informa-
tion contextuelle que rencontrent les
patients souffrant de schizophrénie. En
effet, ils ont des difficultés à exploiter
les informations contextuelles, par
exemple dans la reconnaissance d’un
stimulus (11). Se remémorer avoir vu
quelqu’un quelques jours plus tôt en se
rappelant le nom de la personne, son
métier, les circonstances exactes de la
rencontre témoigne des bonnes capa-
cités de remémoration consciente de
l’information contextuelle. Si l’on ne se
rappelle pas de tous les détails, mais
simplement du visage de la personne
(sentiment de familiarité), notre
conduite sera différente, bien plus “défi-
citaire”, témoignant d’un état de
conscience perturbé. Le patient schizo-
phrène est en permanence confronté à ce
type d’état de conscience (12).
L’attention soutenue
L’attention soutenue correspond au fait
de focaliser durablement son attention
sur une seule information. Une des
épreuves permettant d’évaluer cette
fonction attentionnelle est l’épreuve de
barrage (encore appelée épreuve
d’annulation de symboles). Les sujets
doivent biffer le plus d’items cibles en
un temps limité. Le nombre d’items
biffés chez les patients schizophrènes est
diminué, manifestation de leur distracti-
bilité.
Des altérations des fonctions
exécutives
Les fonctions exécutives entrent en jeu
dans la planification d’une action, leur
atteinte est responsable d’un déficit
comportemental, d’une baisse des effi-
ciences et d’une perte d’autonomie.
Le WCST (Wisconsin card sorting
test) mesure l’aptitude du sujet à
élaborer et changer d’hypothèses (règles
abstraites). Le sujet doit apparier des
cartes en fonction de trois critères : le
nombre (1, 2, 3 ou 4), la couleur (bleu,
jaune, rouge, vert) et la forme (triangle,
croix, rond, étoile). Il doit proposer une
carte à l’expérimentateur qui indique, en
fonction d’une règle abstraite non
formulée verbalement, si l’appariement
proposé est correct ou pas. Après une
série de réponses, l’examinateur change
la règle, le sujet devant découvrir la
nouvelle règle d’appariement.
Cette épreuve met en jeu plusieurs
opérations cognitives : l’élaboration de
concepts, la capacité à tester une
hypothèse et le changement des règles
du jeu. La mémoire de travail apparaît
comme une condition nécessaire, mais
pas suffisante, à l’exécution correcte de
la tâche.
Chez les patients schizophrènes, on
observe des erreurs persévératives,
c’est-à-dire des difficultés à changer les
règles de classement. Leurs perfor-
mances déficitaires dans cette tâche
reflètent des dysfonctionnements du
lobe frontal.
200
Mise au point
Mise au point
Le trail making test (Reitan, 1958)
version A, consiste à relier une série de
25 points repérés par des nombres. On
mesure le temps de réalisation et le
nombre d’erreurs. Cette première partie
permet d’évaluer l’attention. Les schizo-
phrènes y sont généralement plus lents
que les témoins.
La version B évalue les fonctions exécu-
tives. Le sujet doit toujours y relier
25 points mais, cette fois, alternative-
ment repérés par des lettres et des
nombres (1, a, 2, b, etc.). Les schizo-
phrènes “oublient” d’alterner les séries
et ne prennent en considération que les
chiffres ou les lettres. C’est une fois de
plus leur mémoire de travail qui est
responsable du déficit.
– Enfin, la tour de Toronto, la tour de
Londres ainsi que la tour de Hanoi, qui
sont toutes trois des épreuves similaires
de résolution de problèmes, peuvent
aussi mesurer les capacités de planifica-
tion des sujets. En règle générale, les
sujets souffrant de schizophrénie ont un
temps de réponse plus long ainsi qu’un
nombre de déplacements plus important
que les sujets contrôles. Il y a, chez eux,
un déficit dans la résolution de
problèmes sans déficit dans l’apprentis-
sage des habiletés.
Les troubles cognitifs selon Frith,
Cohen et Servan-Schreiber
Selon le modèle élaboré par Frith (13),
le sujet souffrant de schizophrénie
présenterait une perturbation de la repré-
sentation consciente de ses propres buts,
qui serait à l’origine d’une altération :
du contrôle de l’action ou des inten-
tions : impulsivité, oubli du but d’une
action en cours ;
du contrôle des intentions d’autrui :
interprétation délirante des propos ou de
l’attitude d’un tiers comme, par
exemple, l’apparition d’un épisode déli-
rant de persécution lors d’un interroga-
toire médical banal.
Ce modèle cherche à expliquer les
signes et symptômes pathologiques par
des anomalies cognitives.
Le modèle de Cohen et Servan-
Schreiber repose sur l’hypothèse
qu’une seule et même anomalie, notam-
ment un trouble de la représentation
interne du contexte, permettrait d’expli-
quer les troubles attentionnels, de la
mémoire de travail, du langage et de la
perception chez les patients souffrant de
schizophrénie.
Conséquences de ces troubles
cognitifs
Les conséquences des troubles cognitifs
se traduisent par des altérations des
capacités d’adaptation des sujets schizo-
phrènes et de leurs habiletés fonction-
nelles, en particulier celles nécessitées
par les interactions sociales et interper-
sonnelles et les actes de la vie quoti-
diennes (13, 14).
Il a notamment été démontré l’existence
d’un lien entre déficit cognitif et capa-
cité de résolution de problèmes dans le
contexte de la vie sociale, la demande et
le besoin de suivi médical, le niveau de
compétence sociale.
Ce retentissement des troubles cognitifs
paraît donc important à considérer pour
optimiser la prise en charge des patients
et, notamment, pour envisager leur réha-
bilitation sociale.
Conclusion
Les déficits cognitifs des patients schi-
zophrènes étant principalement des
troubles de l’attention sélective et main-
tenue, des troubles de la mémoire et des
fonctions exécutives, l’exploration fonc-
tionnelle cognitive de ces patients doit
comporter une mesure de ces différentes
fonctions cognitives.
Différentes tâches d’évaluation cogni-
tive peuvent être utilisées dans le but de
préciser les déficits, elles ne sont cepen-
dant pas spécifiques de l’exploration des
performances des schizophrènes.
D’autres épreuves d’évaluation peuvent
être utilisées, comme le test de Grober et
Buschke ou l’échelle de Wechsler pour
la mémoire explicite.
Le clinicien doit bénéficier de l’apport
de ces outils neuropsychologiques
destinés à dresser un bilan fonctionnel,
dans le but de déterminer le niveau du
programme de rééducation et de réhabi-
litation à mettre en œuvre spécifique-
ment chez le patient évalué. Des études
sont en cours pour apprécier plus fine-
ment et appréhender en détail les défi-
cits de remémoration de l’information
contextuelle des patients schizophrènes.
On explore également les parallélismes
subtils qu’entretiennent les fonctions
cognitives et la symptomatologie. Ces
approches seront utiles au clinicien tout
comme l’est le dépistage précoce des
troubles cognitifs chez les patients et
leurs apparentés.
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