L Cognition et schizophrénie S. Harrois* Mémoire, attention et fonctions exécutives : définition de ces différentes fonctions cognitives La mémoire… …véritable patchwork d’entités La mémoire sensorielle ou système de représentation perceptive : les informations sensorielles y sont maintenues fugitivement (200 à 300 ms) sous forme de traces (1, 2). On parlera de mémoire sensorielle iconique, échoïque ou haptique pour évoquer les mémoires sensorielle, visuelle, auditive et tactile. Par exemple, elle permet la formation de l’image d’un objet à partir de la rétine. La mémoire à court terme (MCT), encore appelée mémoire de travail, est un système à capacité limitée dont l’empan est en moyenne de sept plus ou moins deux éléments. Cette mémoire immédiate permet de maintenir et de manipuler sur une durée brève (moins de 30 secondes) une information comme, par exemple, le fait de garder en mémoire un numéro de téléphone le temps de pouvoir le composer. L’information est rapidement perdue si elle n’est pas préservée par la répétition. La mémoire de travail ne peut être réduite à un système de stockage passif, elle fonctionne comme un système pouvant conserver mais aussi manipuler les informations, permettant le maintien temporaire de l’information à la conscience, favorisant ainsi l’accomplissement de tâches comme le raisonnement, la compréhension, la résolution de problèmes (3). Selon Baddeley et Hitch (4), cette mémoire de travail comporterait trois composantes : la boucle phonologique, le bloc-notes visuo-spatial et un administrateur central. La première permettrait le stockage des informations * Psychologue, service de psychiatrie des adultes, CHU Robert-Debré, Reims. verbales (auditive ou visuelle), la seconde interviendrait dans le maintien temporaire des informations visuelle et spatiale et la dernière, enfin, permettrait le monitorage de deux tâches différentes simultanées (1, 2, 5). La mémoire à long terme (MLT) permet d’utiliser des apprentissages antérieurs, comme, par exemple, la conduite automobile ou la reconnaissance d’un visage familier, mais aussi de comprendre le monde environnant. Elle permet la conservation durable de l’information, en favorisant l’apprentissage. Les informations retenues seront consolidées en fonction de leur importance émotionnelle et de leur répétition. Anatomiquement, elle repose sur le circuit de Papez (dit aussi circuit hippocampo-mamillo-thalamique, car les liens entre corps mamillaires et hippocampe sont macroscopiquement évidents) (6) (figure). Elle permet également de conserver les souvenirs des faits anciens. À chaque souvenir… sa mémoire La mémoire épisodique ou mémoire des événements, comporte la mémoire autobiographique qui permet à un individu de se rappeler son passé personnel, par exemple un voyage à Marrakech, et de se remémorer consciemment et délibérément ce qu’il a vécu en se situant dans un contexte temporel et spatial précis. Elle comporte aussi le souvenir des événements n’ayant pas impliqué l’individu, comme, par exemple, l’assassinat de Kennedy en 1963. La mémoire sémantique permet l’acquisition, la conservation et la récupération des connaissances générales. C’est hippocampe cortex entorhinal gyrus cingulaire piliers du fornix es troubles cognitifs observés chez des patients souffrant de schizophrénie sont principalement des troubles de l’attention (sélective et maintenue), des troubles de la mémoire et des fonctions exécutives. La mémoire de travail, la mémoire explicite et la mémoire contextuelle sont déficitaires tandis que la mémoire implicite (automatique) est préservée, notamment la mémoire procédurale. Cette diversité des déficits cognitifs observés dans la schizophrénie ne nous permet cependant pas de spécifier un profil cognitif type des patients schizophrènes. Nous ferons dans un premier temps un court rappel des différents composants de la mémoire ainsi que de l’attention et des fonctions exécutives. Nous exposerons ensuite les déficits fonctionnels liés à ces capacités cognitives dans la schizophrénie, ainsi que les différents outils d’évaluation psychométrique susceptibles d’être utilisés pour orienter le diagnostic. une mémoire didactique qui concerne des informations dont l’évocation est dépourvue de toute référence à l’histoire personnelle du sujet, comme par exemple le fait de savoir quelle est la capitale de la France. Contrairement à la mémoire épisodique, il n’y a pas de référence au contexte spatial et temporel. La mémoire épisodique et la mémoire sémantique peuvent être regroupées sous le terme de mémoire déclarative ; en effet, elles font l’objet du discours. La mémoire procédurale correspond au savoir-faire, aux automatismes. Elle rend possible l’acquisition d’habiletés motrices, perceptives et cognitives. Elle n’est pas consciente (on peut savoir faire corps mamillaires faisceau de Vicq d’Azyr noyau antérieur du thalamus Figure. Le circuit de Papez. 196 Mise au point Mise au point quelque chose et ne pas se souvenir de l’avoir appris) et comprend plusieurs entités, l’une d’elles étant le support du conditionnement classique. La mémoire procédurale ne peut s’exprimer que dans un comportement manifeste, elle n’est pas verbalisable (2, 7). Par exemple, savoir jouer au bridge sans avoir en permanence les règles présentes à l’esprit. Dans les épreuves fonctionnelles cognitives, on utilise le dispositif de la tour de Toronto. Ce dernier est constitué d’un socle en bois, de trois tiges et de quatre disques de couleurs différentes empilés sur la première tige. Le jeu consiste à faire passer les disques sur la troisième tige en respectant des règles précises. Le surentraînement confère au sujet la capacité à automatiser la résolution, c’est-à-dire l’acquisition d’une habileté cognitive (skill learning). À chaque type de consigne… une forme de mémoire Selon les “consignes” données au moment de la récupération de l’information, le type de mémoire sera différent. On parlera ainsi de mémoire explicite ou implicite. Lorsque les consignes font référence explicitement à la séance d’apprentissage et à son contexte, on parle de mémoire explicite. Ainsi, lorsqu’on demande à un sujet de rappeler les mots d’une liste présentée préalablement, on sollicite sa mémoire explicite. On fait référence directement (explicitement) au moment précis où le sujet a appris la liste. Ce type de mémoire requiert une remémoration consciente des informations apprises et souvent un effort de la part du sujet. Lorsque les consignes ne font pas directement référence à l’apprentissage antérieur, on parle de mémoire implicite. Elle comprend la mémoire procédurale, c’est-à-dire les habiletés et automatismes (skill learning), et la mémoire perceptive. Le sujet y apprend à son insu. L’attention : quatre composantes essentielles La sélection de l’information Isoler dans une foule de gens le visage attendu, ou ne suivre dans le brouhaha d’une salle de réunion que la conversation des voisins, constituent des manifestations familières mais complexes du traitement de l’information. Il s’agit, en effet, de sélectionner une petite quantité d’informations parmi toutes celles qui nous environnent au même instant (8). L’objet sélectionné (la cible) apparaît perceptivement plus saillant que l’objet non sélectionné (le distracteur). La notion de filtre est souvent utilisée pour décrire cette opération qui implique un processus de tri entre la ou les cibles et les distracteurs simultanément présents. Les ressources attentionnelles Selon le modèle de Kahneman (1973), le système cognitif humain disposerait de “ressources mentales” n’existant qu’en quantité limitée et qui détermineraient la qualité, l’efficience ou la profondeur du traitement cognitif effectué. Plus les ressources seraient investies dans une tâche, meilleur serait le traitement correspondant et inversement (8). La focalisation attentionnelle sur un type de cible permet de mobiliser ces ressources sur celle-ci et le traitement du distracteur ne sera effectué que dans la mesure où des ressources résiduelles peuvent encore y être affectées. En situation d’attention partagée, les ressources sont divisées entre les différents traitements, ce qui autorise le pouvoir de faire deux choses à la fois. En revanche, l’attention focalisée concentre ces ressources sur un seul traitement, ce qui améliore le niveau de performance. Le contrôle de la réponse et de l’activité Le traitement de l’information utilise deux types de processus : les processus automatiques et les processus contrôlés (8). Les processus automatiques fonctionnent de manière non consciente et non délibérée, ils ne consomment pas de ressources attentionnelles, ils sont irrépressibles et extrêmement rapides. Le fonctionnement contrôlé s’effectue en revanche de manière consciente et intentionnelle, il exige de l’attention et il est plus lent. Act. Méd. Int. - Psychiatrie (19) n° 7, septembre 2002 L’attention soutenue La nature de la tâche, la nature des entrées (auditive ou visuelle), le degré d’expertise ou le caractère plus ou moins automatique des compétences concernées et l’inégale importance de la charge mentale en mémoire de travail constituent autant de facteurs susceptibles d’interagir avec le niveau de vigilance, d’éveil, la durée de l’exercice et, enfin, le moment de la journée où se déroule la tâche (8). L’intérêt, la motivation, l’âge du sujet sont également à prendre en compte lors de la réalisation de l’activité en question. Les fonctions exécutives La plupart des fonctions du lobe frontal sont rassemblées sous le terme de fonctions exécutives, ce qui ne veut pas dire que le lobe frontal soit chargé de fonctions d’exécution (2). Le lobe frontal est chargé du contrôle de la mise en œuvre des actions (executive cognitive control) par l’anticipation, le choix des buts à atteindre, la planification, la sélection adéquate (qui sous-entend le choix d’une réponse et l’inhibition d’autres), la surveillance du déroulement et la vérification du résultat obtenu. Les déficits cognitifs des patients schizophrènes Définition de la schizophrénie C’est Kraepelin qui, en 1890, définit le premier cette pathologie alors dénommée “démence précoce”. Aucune anomalie neuropathologique spécifique n’avait pu être mise en évidence chez les patients atteints de démence précoce. On restait pourtant persuadé que des anomalies cérébrales ayant ce caractère de spécificité seraient bientôt découvertes (9, 10). Selon la définition du DSM-IV, pour répondre au diagnostic de schizophrénie, le sujet doit présenter une idée délirante bizarre ou au moins deux autres symptômes caractéristiques (hallucinations accompagnées d’idées délirantes, trouble du cours de la pensée, symptômes catatoniques et symptômes 197 Mise au point Mise au point négatifs). Il y a également existence d’un dysfonctionnement social. Des altérations mnésiques… La mémoire de travail Composante de la mémoire à court terme, la mémoire de travail est un système de stockage à capacité limitée. Garder en mémoire un numéro le temps de pouvoir le communiquer est un exemple courant de la mise en œuvre de cette mémoire de travail. Les patients schizophrènes ont une mémoire de travail déficitaire, les rendant incapables de conserver à la conscience une information le temps de la soumettre à d’autres opérations cognitives. L’oubli du but d’une action en cours de réalisation va profondément désorganiser leur comportement. Les patients souffrant de schizophrénie ont des difficultés à maintenir en leur esprit la représentation d’une information contextuelle, c’est-à-dire la représentation interne d’une information qui est construite et maintenue en mémoire de façon à être utilisée pour donner une réponse comportementale appropriée à une situation (4, 11). Il existerait un déficit des associations entre l’information cible et l’information contextuelle, ce qui perturberait les processus de remémoration consciente. La mémoire contextuelle est, en effet, déficitaire quel que soit le type des informations contextuelles, qu’il s’agisse de la fréquence de survenue d’un événement ou d’un contexte particulier. Les épreuves d’empan mnésique (digit span), où il faut retenir dans un ordre inverse des chiffres énumérés préalablement, sont de bons indicateurs du déficit en mémoire de travail. L’épreuve d’empan visuo-spatial, comme l’épreuve des cubes de Corsi (Milner, 1971), consiste à pointer du doigt une série de cubes dans un ordre déterminé à reproduire ensuite. Les patients schizophrènes ont un faible empan dans ces épreuves et leur vitesse de traitement est diminuée, ils sont ralentis. Concernant le déficit en mémoire contextuelle, les performances diminuées au Stroop le confirme. Les patients souffrant de schizophrénie ont des difficultés à utiliser l’information contextuelle pour inhiber la réponse automatique de lecture du mot lors de la tâche d’interférence. La mémoire explicite On retrouve chez le sujet schizophrène la dissociation qui caractérise la maladie avec une dissociation entre les tâches explicites et implicites (11). Ainsi, les performances des sujets schizophrènes sont perturbées en ce qui concerne la mémoire explicite, avec une altération constante de la fonction de rappel, tandis que les processus de mémoire implicite ont des performances comparables à celles de sujets témoins. Il existe notamment une perte de la cohérence de la remémoration consciente (voir ci-dessus) que l’on peut rapprocher des sensations de morcellement et de la discontinuité psychique observées chez le patient souffrant de schizophrénie. Ce déficit de la remémoration consciente pourrait expliquer pourquoi le sujet schizophrène ne peut utiliser le souvenir d’un événement passé pour contrôler son comportement, son affectivité et ses croyances de manière appropriée. L’évaluation des performances en mémoire explicite s’effectue grâce aux épreuves de rappel. Le rappel libre nécessite d’organiser l’information et impose une remémoration consciente du contexte d’apprentissage. Plus exigeant qu’une épreuve de reconnaissance, les patients schizophrènes y ont une performance plus déficitaire. Le déficit dans les épreuves de rappel peut être corrélé aux troubles de l’attention, car le rappel libre exige des processus attentionnels contrôlés. De même, lorsque l’on demande aux sujets le rappel d’un texte, ils ont des difficultés à prendre en considération l’organisation interne du texte, c’est-àdire à utiliser les informations fournies par le contexte verbal, ce qui entraîne une diminution des performances. L’altération de la mémoire contextuelle et la perte de la capacité de représentation d’une situation ou d’un acte peuvent expliquer l’altération de la mémoire explicite. Dans la vie quotidienne, cela peut se traduire par l’oubli d’avoir rencontré telle personne dans un endroit précis. Plusieurs études ont montré l’existence d’une corrélation entre les symptômes négatifs de la schizophrénie (émoussement des affects, apragmatisme et pauvreté du discours) et les déficits mnésiques. Il semble que ces symptômes interfèrent avec l’effort des sujets, c’est-à-dire que les sujets ont une vitesse de traitement des informations ralentie. Cela affecterait les performances mnésiques, notamment la mémoire verbale : par exemple, dans une épreuve de rappel immédiat et différé d’histoires (subtest du Wechsler), les performances des patients souffrant de schizophrénie sont diminuées. Elles le sont d’autant plus si les sujets ne sont pas conscients de leurs symptômes négatifs. La sévérité des symptômes négatifs affecterait également la mémoire de travail spatiale. En effet, la vitesse de traitement de l’information étant ralentie, on peut noter un temps de dénomination des couleurs plus long (épreuve du Stroop) ainsi que des performances déficitaires dans l’épreuve des codes (digit symbol substitution test). La mémoire implicite Mémoire procédurale Cette mémoire automatique, inconsciente, correspond à l’acquisition des habiletés perceptives, cognitives et motrices (cognitive skill learning). Elle est préservée chez les schizophrènes. On utilise le dispositif de la Tour de Toronto dans l’évaluation de cette mémoire. Dans cette tâche de résolution de problèmes, les patients schizophrènes ont des difficultés à changer de stratégie, ils persévèrent dans l’erreur, incapables de s’autocorriger. L’automatisation est cependant épargnée chez ces patients. Des altérations attentionnelles… des capacités L’attention sélective Les patients schizophrènes présentent des troubles de l’attention sélective, ils témoignent de difficultés à extraire une information spécifique d’un contexte 198 Mise au point Mise au point comportant plusieurs informations. Lorsque l’on demande la signification d’un panneau à un jeune conducteur qui écoute de la musique, on sollicite son attention sélective. Les tâches d’évaluation de l’attention sélective mettent en évidence chez les schizophrènes, par comparaison à des témoins, un allongement significatif du temps de réponse après l’apparition du stimulus, ainsi qu’un ralentissement moteur. Les troubles de l’attention sélective proviendraient selon Tissot (1979), du défaut de la réaction d’habituation. En effet, il constate que chez l’hébéphrène (schizophrène jeune), l’attention sélective est constamment mobilisée, puisque tous les stimuli sont considérés comme nouveaux. Les tâches attentionnelles habituellement utilisées dans les bilans cognitifs des patients schizophrènes sont : – Le span apprehension test ou le CPT (continuous performance test) qui sont des tâches de discrimination dans lesquelles il s’agit de détecter le plus rapidement possible un stimulus cible présenté parmi des stimuli distracteurs (par exemple, reconnaître un A parmi d’autres lettres) exposés pendant un délai très bref. Dans les épreuves attentionnelles, les patients souffrant de schizophrénie présentent des performances déficitaires, ils ont des difficultés à détecter et à repérer un signal parmi des distracteurs. Leurs performances témoignent d’un nombre réduit de bonnes réponses et d’un nombre élevé de fausses alarmes (fausses reconnaissances). – Le Stroop (Stroop, 1935) est une épreuve qui permet d’évaluer la sensibilité à l’interférence. Les sujets reçoivent, dans cette tâche, la consigne de nommer la couleur de l’encre de mots présentés par écrit, comme par exemple, le mot “vert” écrit en caractères rouges, qu’ils devront dénommer “rouge”. Pour répondre correctement, les sujets devront inhiber la réponse automatique (la lecture du mot) au profit d’une réponse contrôlée (la lecture de la couleur de l’encre), plus coûteuse en attention. Cette gymnastique exige une division de l’attention. Les patients souffrant de schizophrénie ont des performances très perturbées dans cette épreuve, ils sont très sensibles à l’interférence (les épreuves automatiques sont d’avantage préservées car moins coûteuses en ressources attentionnelles). – La tâche d’écoute dichotique, qui consiste en une présentation simultanée de deux stimuli auditifs différents (par exemple, deux mots) dans un casque, en demandant au patient de réagir à un seul des stimuli. Les patients schizophrènes ont des difficultés à sélectionner le signal cible. Dans une épreuve de double tâche, les patients rencontrent les mêmes difficultés. Cela peut se traduire dans la vie quotidienne par des difficultés à répondre à un interlocuteur lorsqu’ils sont engagés dans la lecture d’un livre. – Les épreuves de masquage postérieur mettent en évidence de faibles performances chez les schizophrènes. Dans ce type d’épreuve, un stimulus cible présenté sur un écran est suivi d’un masque (une série de croix) brouillant la cible, ce qui gêne considérablement la reconnaissance de cette dernière et augmente le temps d’identification. En résumé, le déficit observé dans les épreuves évaluant l’attention sélective chez les schizophrènes se traduit par une diminution des capacités de détection (par exemple traverser la rue au feu vert), une augmentation des phénomènes d’interférence quand la tâche requiert le traitement simultané de deux stimuli (comme lire avec de la musique), une perturbation des procédures d’inhibition (Stroop). Le déficit attentionnel peut être dû aux troubles du traitement de l’information contextuelle que rencontrent les patients souffrant de schizophrénie. En effet, ils ont des difficultés à exploiter les informations contextuelles, par exemple dans la reconnaissance d’un stimulus (11). Se remémorer avoir vu quelqu’un quelques jours plus tôt en se rappelant le nom de la personne, son métier, les circonstances exactes de la rencontre témoigne des bonnes capacités de remémoration consciente de l’information contextuelle. Si l’on ne se rappelle pas de tous les détails, mais simplement du visage de la personne (sentiment de familiarité), notre Act. Méd. Int. - Psychiatrie (19) n° 7, septembre 2002 conduite sera différente, bien plus “déficitaire”, témoignant d’un état de conscience perturbé. Le patient schizophrène est en permanence confronté à ce type d’état de conscience (12). L’attention soutenue L’attention soutenue correspond au fait de focaliser durablement son attention sur une seule information. Une des épreuves permettant d’évaluer cette fonction attentionnelle est l’épreuve de barrage (encore appelée épreuve d’annulation de symboles). Les sujets doivent biffer le plus d’items cibles en un temps limité. Le nombre d’items biffés chez les patients schizophrènes est diminué, manifestation de leur distractibilité. Des altérations des fonctions exécutives… Les fonctions exécutives entrent en jeu dans la planification d’une action, leur atteinte est responsable d’un déficit comportemental, d’une baisse des efficiences et d’une perte d’autonomie. – Le WCST (Wisconsin card sorting test) mesure l’aptitude du sujet à élaborer et changer d’hypothèses (règles abstraites). Le sujet doit apparier des cartes en fonction de trois critères : le nombre (1, 2, 3 ou 4), la couleur (bleu, jaune, rouge, vert) et la forme (triangle, croix, rond, étoile). Il doit proposer une carte à l’expérimentateur qui indique, en fonction d’une règle abstraite non formulée verbalement, si l’appariement proposé est correct ou pas. Après une série de réponses, l’examinateur change la règle, le sujet devant découvrir la nouvelle règle d’appariement. Cette épreuve met en jeu plusieurs opérations cognitives : l’élaboration de concepts, la capacité à tester une hypothèse et le changement des règles du jeu. La mémoire de travail apparaît comme une condition nécessaire, mais pas suffisante, à l’exécution correcte de la tâche. Chez les patients schizophrènes, on observe des erreurs persévératives, c’est-à-dire des difficultés à changer les règles de classement. Leurs performances déficitaires dans cette tâche reflètent des dysfonctionnements du lobe frontal. 199 Mise au point Mise au point – Le trail making test (Reitan, 1958) version A, consiste à relier une série de 25 points repérés par des nombres. On mesure le temps de réalisation et le nombre d’erreurs. Cette première partie permet d’évaluer l’attention. Les schizophrènes y sont généralement plus lents que les témoins. La version B évalue les fonctions exécutives. Le sujet doit toujours y relier 25 points mais, cette fois, alternativement repérés par des lettres et des nombres (1, a, 2, b, etc.). Les schizophrènes “oublient” d’alterner les séries et ne prennent en considération que les chiffres ou les lettres. C’est une fois de plus leur mémoire de travail qui est responsable du déficit. – Enfin, la tour de Toronto, la tour de Londres ainsi que la tour de Hanoi, qui sont toutes trois des épreuves similaires de résolution de problèmes, peuvent aussi mesurer les capacités de planification des sujets. En règle générale, les sujets souffrant de schizophrénie ont un temps de réponse plus long ainsi qu’un nombre de déplacements plus important que les sujets contrôles. Il y a, chez eux, un déficit dans la résolution de problèmes sans déficit dans l’apprentissage des habiletés. Les troubles cognitifs selon Frith, Cohen et Servan-Schreiber Selon le modèle élaboré par Frith (13), le sujet souffrant de schizophrénie présenterait une perturbation de la représentation consciente de ses propres buts, qui serait à l’origine d’une altération : ◗ du contrôle de l’action ou des intentions : impulsivité, oubli du but d’une action en cours ; ◗ du contrôle des intentions d’autrui : interprétation délirante des propos ou de l’attitude d’un tiers comme, par exemple, l’apparition d’un épisode délirant de persécution lors d’un interrogatoire médical banal. Ce modèle cherche à expliquer les signes et symptômes pathologiques par des anomalies cognitives. Le modèle de Cohen et ServanSchreiber repose sur l’hypothèse qu’une seule et même anomalie, notamment un trouble de la représentation interne du contexte, permettrait d’expli- quer les troubles attentionnels, de la mémoire de travail, du langage et de la perception chez les patients souffrant de schizophrénie. Conséquences de ces troubles cognitifs Les conséquences des troubles cognitifs se traduisent par des altérations des capacités d’adaptation des sujets schizophrènes et de leurs habiletés fonctionnelles, en particulier celles nécessitées par les interactions sociales et interpersonnelles et les actes de la vie quotidiennes (13, 14). Il a notamment été démontré l’existence d’un lien entre déficit cognitif et capacité de résolution de problèmes dans le contexte de la vie sociale, la demande et le besoin de suivi médical, le niveau de compétence sociale. Ce retentissement des troubles cognitifs paraît donc important à considérer pour optimiser la prise en charge des patients et, notamment, pour envisager leur réhabilitation sociale. Conclusion Les déficits cognitifs des patients schizophrènes étant principalement des troubles de l’attention sélective et maintenue, des troubles de la mémoire et des fonctions exécutives, l’exploration fonctionnelle cognitive de ces patients doit comporter une mesure de ces différentes fonctions cognitives. Différentes tâches d’évaluation cognitive peuvent être utilisées dans le but de préciser les déficits, elles ne sont cependant pas spécifiques de l’exploration des performances des schizophrènes. D’autres épreuves d’évaluation peuvent être utilisées, comme le test de Grober et Buschke ou l’échelle de Wechsler pour la mémoire explicite. Le clinicien doit bénéficier de l’apport de ces outils neuropsychologiques destinés à dresser un bilan fonctionnel, dans le but de déterminer le niveau du programme de rééducation et de réhabilitation à mettre en œuvre spécifiquement chez le patient évalué. Des études sont en cours pour apprécier plus finement et appréhender en détail les déficits de remémoration de l’information contextuelle des patients schizophrènes. On explore également les parallélismes subtils qu’entretiennent les fonctions cognitives et la symptomatologie. Ces approches seront utiles au clinicien tout comme l’est le dépistage précoce des troubles cognitifs chez les patients et leurs apparentés. Références 1. Bruyer R, Van Der Linden M. Neuropsychologie de la mémoire humaine. Presses universitaires de Grenoble, EDISEM INC, 1991. 2. Gil R. Neuropsychologie. Paris : Masson, 1996. 3. Salame P, Danion JM, Peretti CS, Cuervo C. The state of functioning of working memory in schizophrenia. 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