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LA TRAJECTOIRE INCERTAINE DE LA QUESTION TRANS 35
médicaments, technologies et outils divers et, d’autre part, l’influence de
divers savoirs, d’intérêts politiques et économiques et de vastes organisa-
tions, tous en compétition les uns avec les autres» (Clarke et al., 2000:
19, notre traduction).
De fait, nombre de travaux relèvent que la médicalisation est portée
par des acteurs très hétérogènes, alors que d’autres pointent aussi que son
accomplissement est inégal, comme en témoigne la mise en évidence de
différents degrés de médicalisation (Conrad, 1992). Aussi indéniable soit-
elle (Faure, 1998), la médicalisation se révèle être un phénomène parfois
instable et porteur de tensions: les mouvements dont la convergence est
censée construire le processus de médicalisation sont réversibles et ne sont
pas forcément synchrones. Ils peuvent même parfois se désolidariser. Il en
est ainsi lorsque le développement du pouvoir médical ne repose pas sur
la mobilisation des savoirs de la médecine, mais sur la seule extension de
son autorité morale (Fassin, 2005; Fassin et Memmi, 2004). Il en va de
même quand, inversement, des compétences et des techniques médicales
sont mises en oeuvre, en dehors de l’identification d’une quelconque
pathologie, pour aider l’individu à se dégager des contraintes du biolo-
gique et l’accompagner dans la réalisation de lui-même.
Cette discordance entre les mouvements au travers desquels s’ac-
complit la médicalisation est susceptible de provoquer certaines tensions.
Alors que la congruence de ces mouvements contribue à ancrer l’inscrip-
tion d’une question dans la sphère médicale et à en assurer la pérennité, la
remise en question de l’un ou l’autre d’entre eux ou leur désynchronisa-
tion (Rosa, 2010) peut, au contraire, bouleverser la trajectoire du pro-
blème concerné qui résiste alors à tout cadrage stable. Soumise à des
forces contradictoires et privée d’une orientation directrice, son inscrip-
tion comme problème public se disperse et peine à se stabiliser.
La question trans, qui soulève aujourd’hui de vives controverses (2),
nous semble une question particulièrement heuristique pour aborder les
tensions au cœur des processus de médicalisation ainsi que les configura-
tions exploratoires de l’action publique qu’elles induisent. De fait, les
conflits et débats qu’elle suscite aujourd’hui recouvrent très largement des
(2) Dans un contexte de luttes définitionnelles, le vocabulaire utilisé est soumis à une
obsolescence rapide et il est l’objet de conflits très vifs. Chaque qualificatif employé
renvoie à une prise de position spécifique, réfère à des mondes différents et est régu-
lièrement sujet à polémique. Dans ce projet, nous utiliserons de manière indifférenciée
les termes qui nous semblent actuellement les plus génériques, soit : trans, personne
trans, personne transsexuelle. Sur les enjeux liés à l’usage des termes sur le terrain de
l’enquête, voir Hérault (2007) et Giami et al. (2011).
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