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Abstract: Deciphering a medical article in a nonmedical newspaper: the ten commandments of mistrust
– The article begins by asserting that the prevalence of pathology that deals is largely undervalued...
– It seems to overestimate the seriousness of the problem for public health.
– It reports current research or projects, that is logic in journals but incongruous in a general media in the absence
of spin-off practice.
– It grossly overusing the myth of progress.
– It boasts of the EBM while mentioning one or more patient testimonials...
– It claims ostensibly compassion and altruism of the medical writer, flamboyant altruism always proportional
to the cost of the underlying treatment...
– It highlights the obligation to act (disordered activism).
– It promotes a reduction in the lethality of a disease by failing to mention his mortality (distortion of purpose).
– It mediates exclusively a “key” issue of reductionism for a pathology in which the plurality of causes is certain.
– It uses the health administration and its recommendations as the EBM is using: it is removed when it is
producing, in the hiding place when it is not.
Heads I win, tails you lose!
Key words: Mass media; Patient Education
Luc Périno
Médecin généraliste,
Lyon
Mots clés :
éducation
des patients,
mass-médias
Décrypter un article
médical dans un journal
non médical
Une maladie
« sous-diagnostiquée » ?
Un article qui aborde une pathologie en commençant
par affirmer que sa prévalence est largement sousévaluée, doit inciter à une lecture très prudente. Si l’auteur insiste en arguant que la maladie est mal diagnostiquée, la suspicion devient très forte. « Les médecins
ne sont pas formés à faire le diagnostic » [...] « Ils le
font trop tard » [...] « Les symptômes apparaissent
lorsque la maladie est avancée » [...] « Les médecins
négligent les plaintes de ces patients. » Etc.
À l’époque du pré-marketing des triptans, plusieurs
quotidiens titraient que plus de la moitié des migraines
n’étaient pas diagnostiquées (les migraineux doivent
penser que c’est une grande chance que celle d’avoir
une migraine non diagnostiquée !).
À chaque nouvelle tentative d’extension de prescription des antidépresseurs, les laboratoires ont produit
des articles pointant l’ignorance des médecins devant
la dépression « masquée », la fibromyalgie [1], l’inhibition sociale ou encore la dysphorie prémenstruelle.
DOI : 10.1684/med.2012.0866
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Depuis la mise en place d’un enseignement de lecture critique, les médecins sont devenus plus attentifs aux biais de procédure et aux manipulations statistiques. Cependant, nos patients, et souvent nous-mêmes, lisons des articles médicaux publiés dans
des journaux d’information générale destinés à un plus large public. L’enseignement
de la lecture critique de ces articles n’existe pas encore. La tâche est difficile, car la
plupart de ces médias (papier ou web) sont orientés par l’industrie vers un habile
mélange d’information scientifique objective et de manipulation éditoriale.
Essayons ici de dégager dix points-clés qui représentent autant d’éléments d’éveil à
la lecture critique de ces médias non spécialisés.
MÉDECINE septembre 2012 323
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référentiel situé au-delà de toute critique. Le lecteur est
amené à accepter sans réflexion les preuves kafkaïennes que
les diagnostics ne sont jamais assez précoces puisque la précocité est un « enfermement » idéologique. Le lecteur est
conduit à accepter, sans plus de réflexion, les preuves ubuesques que les diagnostics sont toujours trop tardifs puisque
les patients finissent toujours par mourir.
Les médecins généralistes pourraient être troublés par ces
multiples révélations médiatiques de leur incurie diagnostique. Qu’ils se rassurent, car malgré plus d’un siècle de spécialisation et d’hyperspécialisation, la prévalence des « maladies » non diagnostiquées ne cesse de croître, prouvant
que l’ignorance des spécialistes est au moins égale à la leur.
La manie éditoriale du sous-diagnostic et le biais de déplacement du temps zéro, sont peu abordés par les épistémologistes médicaux et dans les enseignements de lecture critique.
Comme si la médecine, quand elle se porte bien, n’avait pas
besoin de toute la rigueur et de toute l’attention que l’on porte
aux citoyens qui ne présentent aucun signe clinique !
Avec la découverte d’une possible implication de la dopamine dans le syndrome des jambes sans repos, cette maladie est devenue brutalement sous-diagnostiquée et concernerait maintenant une (voire deux !) personnes sur dix.
Avec le lancement des anti-TNF, ce sont les polyarthrites
rhumatoïdes dont le diagnostic est devenu soudain trop tardif
ou trop méconnu. Il n’existe désormais plus que des formes
gravissimes de la PR !
Moins de la moitié des psoriasis ou des spondylarthrites ankylosantes seraient diagnostiqués par les médecins actuels
qui sous-estiment la prévalence « réelle » de ces maladies.
De façon plus inquiétante, on peut lire que la maladie bipolaire concernerait 6 % de la population au lieu des 2 % actuels, la schizophrénie 3 % au lieu de 1 %.
Pour une pathologie donnée, une accusation de diagnostic
tardif peut se justifier s’il existe un traitement « préclinique »
ou « prédiagnostique » ayant déjà fait la preuve incontestable
de son efficacité sur le nombre d’années/qualité de vie. Nous
savons que c’est très rarement le cas, néanmoins dans tous
ces articles, le diagnostic précoce est considéré comme un
bénéfice « en soi » ne nécessitant aucune preuve supplémentaire de son intérêt.
La précocité d’un diagnostic réel ou virtuel crée le biais de
« déplacement du temps zéro » des « maladies » dites
« chroniques ». Ce biais est négligé par tous, car l’obsession
du diagnostic précoce est un dévoiement de la notion d’urgence qui résulte d’un conditionnement des médecins. La
fierté du diagnostic précoce, détournée sans réflexion, aux
pathologies chroniques est une dérive de l’expertise clinique
où la précocité du diagnostic prime sur sa justesse et sur ses
implications dans la biographie du patient. Cet éloge de la
précocité est la première et la plus aisée des manipulations,
car elle rejoint la sensibilité du public autour de l’urgence,
elle répond aux intuitions populaires sur la progression inexorable des pathologies et entretient une foi naïve en l’existence d’un remède chimique immédiat adapté à chaque mal.
Les cancers ne sont plus les seules maladies où le dépistage
précoce est un dogme dispensé de toute preuve. La médecine basée sur les preuves n’a plus à démontrer l’utilité d’un
diagnostic précoce, car l’intuition populaire devient un cadre
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Surestimation de la gravité
du problème de santé publique
Il est classique de commencer la rédaction d’un sujet par des
données épidémiologiques. Cependant, insister sur le rang
de mortalité d’une grande classe pathologique devient suspect lorsque l’on traite seulement d’une des maladies de
cette classe. Par exemple, trop insister sur le fait que les
cancers sont la première cause de mortalité alors que l’article
aborde exclusivement le mélanosarcome ou le cancer de la
prostate. Cela reviendrait à insister sur la mortalité globale
des maladies infectieuses lorsque l’on parle d’hépatite ou de
tuberculose. Il est plus informatif de donner uniquement le
rang de mortalité de la maladie précise.
Les cancers et les maladies cardio-vasculaires seront certainement pour très longtemps les premières causes de mortalité des pays riches. Cela ne suffit pas pour donner une
pertinence scientifique à un article qui parle d’un nouveau
traitement de l’insuffisance cardiaque. Supposons qu’au lieu
de la « mortalité globale », la « mortalité prématurée » devienne logiquement le seul indicateur de santé publique acceptable. Ce serait alors les articles des infectiologues, pédiatres, traumatologues ou psychiatres qui deviendraient « a
priori » plus pertinents. Utiliser trop ostensiblement la prévalence pour revendiquer sa pertinence est une manipulation
éditoriale classique.
Lorsque la longueur de ces préfaces chiffrées sur le drame
de santé publique est supérieure à celle du paragraphe consacré à l’innovation considérée ou à son bénéfice réel, il y a
lieu d’être encore plus sceptique.
Très souvent, dans les pathologies liées au vieillissement,
ces articles projettent des chiffres encore plus alarmistes du
type : « Avec le vieillissement de la population, le nombre
des patients atteindra 60 %...70 %... de la population. » Ne
nous laissons pas endormir par de tels propos, car le vieillissement de la population est plutôt une bonne nouvelle en
termes de santé publique ; l’utiliser comme un signal
d’alarme est, pour le moins, paradoxal.
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Enfin, indiquer un chiffre de mortalité en valeur absolue
(5 000 morts par an) plutôt qu’en valeur relative (1 % de la
mortalité), n’est pas toujours un choix neutre.
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Études en projet ou en cours
Il est normal que les médias généralistes annoncent une découverte majeure en physique, astronomie, médecine ou
tout autre domaine scientifique. Mais généralement, nous
apprenons l’existence d’une nouvelle exoplanète après
qu’elle ait été vue, ou d’une nouvelle particule après qu’elle
ait été trouvée avec un risque d’erreur inférieur à un sur un
million.
En médecine, de plus en plus d’articles annoncent une recherche très sophistiquée sur une synapse ou un gène, alors
qu’elle n’en est qu’à l’état de projet ou de mise en place.
Ces annonces anticipées sont logiques dans des revues spécialisées, mais paraissent incongrues dans un média général
en l’absence de retombée pratique. Cela reviendrait à expliquer au grand public, le détail technique des détecteurs et
calculateurs mis en place dans l’espoir de certifier l’existence
du boson de Higgs.
Lorsque les résultats sont espérés à très long terme, ces
choix éditoriaux diffèrent des manœuvres usuelles de prémarketing. Il s’agit souvent d’un marketing indirect insistant
sur le très haut niveau de complexité et de sophistication des
recherches en cours autour d’une pathologie pour laquelle
un traitement rentable vient d’être testé. Cet amalgame est
très payant. Nous avons vu se multiplier les hypothèses physiopathologiques de la maladie d’Alzheimer et les projets de
tests pour sa détection précoce, au moment ou le SMR des
médicaments actuels a été jugé insuffisant [2]. Ceci n’enlève
rien à la qualité de ces recherches effectuées dans de très
sérieux laboratoires comme l’INSERM ou le CNRS. Cependant, la publication avant tout résultat définitif ou intermédiaire peut donner une idée de la pression exercée par les
financeurs.
Les phrases standardisées telles que « cette recherche ouvre de nouveaux espoirs thérapeutiques » ou « cette recherche pourra profiter aux patients » sont une forme de signature mercatique. La recherche en médecine pourrait-elle
poursuivre un autre but ?
véhémence [3] – je cite : « Mais pour l’instant et faute de
mieux, il faut leur garder leur « rôle structurant... Sinon on
verra ainsi disparaître la maladie d’Alzheimer, car plus personne ne fera de bilan diagnostique pour une pathologie sans
aucun traitement. Et on en reviendra à la démence sénile et
au bon vieux gâtisme d’antan ». Le médecin qui a écrit ces
lignes doit certainement avoir une idée sur ce qu’est le rôle
« structurant » d’un médicament. Je crains hélas qu’il n’ait
raison en sous-entendant que rien de médical ne puisse désormais être « structuré » en dehors d’une prescription médicamenteuse. Nous dépassons ici le vieux mythe du progrès
pour aborder l’illusion de progrès médical reposant sur une
chimie dont l’efficacité objective n’a plus vraiment d’importance. En parodiant Auguste Comte, nous pouvons parler
d’un « positivisme » chimique !
Le témoignage individuel
Lorsque le concept d’Evidence Based Medicine (EBM) a été
mis en place dans les années 1960, l’un de ses buts avoués
était de mettre fin à l’arrogance des mandarins et aux dires
des charlatans qui définissaient la vérité par leur autosatisfaction ou celle d’un patient choisi. Avec l’EBM, un témoignage individuel ne devait plus jamais suffire à établir une
preuve. En quelques années, le concept a envahi toute la
médecine et son enseignement. Accepter de se soumettre
à la statistique devint synonyme de science, refuser de s’y
soumettre en arguant de la primauté de l’individu devint
équivalent à du charlatanisme. Cette dichotomie s’est radicalisée au point que chaque médecin ne doit ou ne peut
désormais appartenir qu’à un seul camp. Ainsi, un article qui
se revendique de l’EBM tout en mentionnant un ou plusieurs témoignages de patients est hautement suspect.
Pourtant, ces articles sont de plus en plus courants, y
compris pour des pathologies dramatiques. « Tel produit a
un mécanisme d’action théorique parfait et monsieur X va
mieux » [...] « Tel produit est issu d’une recherche de haut
niveau et madame Y est contente. » Un témoignage individuel dans un article d’apparence scientifique est toujours
hautement suspect.
Les associations de patients jouent un rôle très particulier
dans la médiation de cette science ré-individualisée. Elles
sont financées en grande partie par l’industrie et sont particulièrement choyées par les médias grand public.
Le mythe et l'illusion du progrès
Aujourd’hui, nous avons vu que la maladie d’Alzheimer donne
lieu à de nombreux articles sur des « études en cours ». Il
faut évidemment être enthousiaste, il faut croire au progrès
et encourager la recherche par tous les moyens. Cependant
le mythe du progrès est parfois grossièrement surexploité.
Les articles que nous analysons ici ne proviennent pas de
VSD, Télé 7 jours ou Doctissimo, car nous supposons que
ceux-ci peuvent duper le grand public, mais pas les médecins. Dans un article du très sérieux journal Le Monde, l’auteur confirme bien qu’il n’existe aucun traitement curatif de
cette maladie, mais il défend les médicaments actuels avec
La compassion revendiquée
L’empathie, la compassion, l’altruisme et la coopération sont
communs à tous les mammifères. Les singes et l’homme,
par nature, en sont abondamment pourvus. Il est raisonnable
de penser que les médecins ne font pas exception.
Ainsi un médecin qui, dans un article pour le grand public,
clame ostensiblement sa compassion et son altruisme est
fortement suspect. Qui pourrait douter qu’un cancérologue
ou un gériatre ne soit pas totalement acquis à la cause de
ses patients ?
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La suspicion sera d’autant plus forte que le niveau de preuve
est inférieur au niveau de l’empathie affichée.
La revendication d’un caractère aussi naturel que la compassion doit être considérée par le lecteur comme une forme
d’aveu de son instrumentalisation. Nous constatons d’ailleurs
que cet altruisme flamboyant est toujours proportionnel au
coût des thérapeutiques qui le sous-tendent.
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L'activisme désordonné
En prolongement de la dramatisation chiffrée du problème
de santé publique et de la compassion qu’il doit engendrer,
on trouve le thème récurrent de l’obligation d’agir. Une déclaration telle que « nous devons absolument faire quelque
chose » est frappée au coin du bon sens, mais n’indique pas
si le résultat de l’action engagée sera bénéfique, nul ou nuisible. La question : « que se passera-t-il si nous ne faisons
rien ? » élimine, a priori et sans preuve, la possible supériorité
de l’abstention...
La suspicion sera d’autant plus forte que les protagonistes
de cet activisme désordonné montrent du doigt ceux qui prônent, par exemple, une surveillance active ou une meilleure
construction des preuves. Dans ce registre, l’exemple désormais classique est l’utilisation du mot « Ayatollah » pour désigner parfois ces cliniciens attentistes et intègres qui refusent la synonymie entre activisme et soin. On peut être
intègre sans être intégriste. En 1951, Leo Strauss, philosophe Allemand (1899-1973), a introduit le terme rhétorique de
reductio ad Hitlerum pour désigner le moment d’un débat où
l’un des interlocuteurs traite l’autre de fasciste, de nazi ou
d’Hitler. Il est alors temps de clore la discussion, car plus rien
de sensé ne peut en ressortir. Méfions-nous donc des articles médicaux utilisant le reductio ad ayatollum pour finalement désigner leurs critiques.
La distorsion de but
L’unique but de toute action médicale est de prolonger les
années/qualité de vie.
Commençons par un exemple grossier. Il apparaît que les
centres de mémoire ne font pas mieux, pour les patients
atteints de la maladie d’Alzheimer, que la prise en charge par
la famille et le médecin traitant [4]. La distorsion de but
consisterait à faire de la publicité pour le confort hôtelier de
la nouvelle clinique mémoire !
Si un dépistage a fait la preuve de son inefficacité, la distorsion de but consiste à publier sur le succès d’une action qui
a majoré la participation à ce dépistage. Un tel article sousentend naturellement que le dépistage est efficace puisque
l’on étudie les moyens d’en améliorer la participation. Augmenter le nombre de dépistés devient une victoire « en soi ».
La publicité pour un test plus fiable et plus moderne de diagnostic précoce, n’a d’intérêt que s’il existe une réponse,
objective et rentable, en termes de vie, à ce diagnostic précoce. Présenter comme un progrès la mise à disposition d’un
test pour le grand public, d’un test plus précis, plus simple
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ou moins onéreux, suffit à faire oublier que le test en question est inutile.
Ce n’est plus la production de santé qui est considérée
comme une victoire, mais la production de technologie médicale. On a ainsi entendu de la publicité grand public pour
un test PSA individuel alors que ce dépistage avait déjà fait
la preuve de son inutilité voire d’une « perte de chance » !
Le poisson est noyé, le lecteur va jusqu’à oublier que le rôle
de la médecine est de produire de la vie, pas de produire de
la médecine.
La plus permanente distorsion de but est la confusion entre
mortalité et létalité (risque d’entraîner la mort). Hélas, cette
confusion est largement répandue depuis l’Université jusqu’à
Doctissimo en passant par tous les patients et de nombreux
médecins.
Un succès de santé publique doit se mesurer par la diminution de la mortalité d’une maladie et non par la diminution de
sa létalité. La précocité actuelle de tous les diagnostics diminue de facto la létalité de toutes les maladies ainsi diagnostiquées. Promouvoir la diminution de la létalité d’une maladie
en oubliant de mentionner sa mortalité ou en favorisant
l’amalgame chez le lecteur est une malhonnêteté qui semble
avoir un bel avenir. Il faut apprendre à cesser la lecture des
articles de vulgarisation qui « oublient » de définir ces deux
termes ou qui en favorisent la confusion chez le lecteur.
Le réductionnisme
enthousiaste
Descartes nous a enseigné qu’en connaissant les parties, on
finirait par connaître le tout. Cette démarche scientifique dite
« réductionniste » est très utile en médecine, elle a permis
d’identifier les maladies résultant de la modification d’un seul
locus, de la mutation d’un seul gène, de l’absence d’une
seule enzyme ou de la transformation d’une seule protéine
(hémophilie, mucoviscidose, daltonisme, phénylcétonurie,
etc.). Ce réductionnisme s’est étendu avec quelques succès
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en pharmacologie aux notions de récepteurs et de « clés »
susceptibles de les bloquer ou de les stimuler.
Il est certain que l’identification de nouvelles maladies répondant à un seul critère sera de plus en plus rare. Les nouvelles
maladies chroniques qui s’ajoutent régulièrement à la liste
de la classification internationale des maladies (CIM) sont toutes plurifactorielles et leurs mécanismes physiopathologiques sont souvent hypothétiques. Le réductionnisme scientifique y perd de sa pertinence, même s’il reste utile à la
recherche fondamentale.
La médiatisation exclusive d’une « clé » issue du réductionnisme, dans une pathologie où la pluralité des causes est
certaine, est donc hautement suspecte. Par exemple, parler
exclusivement d’une mutation de cellule cancéreuse, sans
mentionner que ces mutations varient au sein de la même
tumeur et dans le temps. Ou encore, surmédiatiser un gène
possible responsable de l’obésité en ignorant la génétique et
l’acquis...
Constater que la sérotonine baisse en cas de dépression ou
que les globules blancs augmentent en cas d’infection ne
suffit pas pour affirmer qu’augmenter l’une ou diminuer les
autres est l’unique solution. De tels exemples abondent. Les
lecteurs, ignorants ou avisés, ne voient pas toujours le piège
de ce réductionnisme enthousiaste et exclusif.
certes abusif de considérer que ces recommandations ou
consensus constituent une vérité indépassable, mais il semble logique de les mentionner. Ce défaut est fréquent, même
sur le web où la mise à jour est supposée être permanente.
Par exemple, aucun site grand-public ne précise que la supplémentation en fer ne doit pas être systématique chez la
femme enceinte ou qu’aucun antitussif n’est indiqué chez
l’enfant. Inversement, lorsque les recommandations sont
productrices de consommation médicale, elles sont alors présentées comme le label de qualité absolue.
On utilise l’administration sanitaire, comme on utilise l’EBM :
on la sort quand elle est productrice, on la cache quand elle
ne l’est pas. Les « labels » de remplacement sont alors : la
force de l’habitude, l’intuition populaire, l’activisme ou la
compassion dont nous avons déjà parlé. On a toujours un
« label » de rechange. Pile, je gagne, face tu perds.
Nous savons que les sites médicaux sont financés par l’industrie. Plus récemment, nous avons appris que Wikipedia
envisage les moyens de supprimer son accès aux industriels
de la santé et aux sectes qui s’avèrent être les premiers
« producteurs » et « falsificateurs » de données. Étonnant
peloton de tête !
Comment éveiller nos patients à la lecture critique du web
médical ? Voilà un beau programme de soin primaire !
Conflits d’intérêts : aucun.
L'oubli persistant
des recommandations
Certains articles « oublient » aussi de mentionner les dernières recommandations officielles des autorités de santé. Il est
Références :
1.
2.
3.
4.
Benkimoun P. Une étude internationale souligne la difficulté à diagnostiquer la fibromyalgie. (Étude financée par Pfizer). Le Monde du 14 juin 2008.
Nau JY. Alzheimer : les premiers signes de la maladie seraient repérables au moins dix ans avant le diagnostic. Le monde du 18/12/2008.
Trivalle C. Bientôt plus de malades d’Alzheimer en France. Le monde du 20/9/2011.
Meeuwsen EJ et coll. Effectiveness of dementia follow-up care by memory clinics or general practitioners: randomised controlled trial. BMJ. 2012;344:e3086. doi: 10.1136/bmj.e3086
Décrypter un article médical dans un journal non médical :
les dix commandements de la méfiance
h L’article commence par affirmer que la prévalence de la pathologie qu’il aborde est largement sous-évaluée...
h Il semble surestimer la gravité du problème pour la santé publique.
h Il fait état de projets ou recherches en cours, logiques dans des revues spécialisées mais incongrues dans un média général
en l’absence de retombée pratique.
h Il surexploite grossièrement le mythe du progrès.
h Il se revendique de l’EBM tout en mentionnant un ou plusieurs témoignages de patient...
h Il clame ostensiblement la compassion et l’altruisme de l’auteur médecin, altruisme flamboyant toujours proportionnel au
coût des thérapeutiques qui le sous-tendent...
h Il met en avant l’obligation d’agir (activisme désordonné).
h Il fait la promotion d’une diminution de la létalité d’une maladie en oubliant de mentionner sa mortalité (distorsion de but).
h Il médiatise exclusivement une « clé » issue du réductionnisme, dans une pathologie où la pluralité des causes est certaine.
h Il utilise l’administration sanitaire et ses recommandations comme on utilise l’EBM : on la sort quand elle est productrice,
on la cache quand elle ne l’est pas.
Pile, je gagne, face, tu perds !
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