Réanimation 2001 ; 10 : 495-8 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S1164675601001517/FLA RAPPORT D’EXPERTS Traitement symptomatique de la défaillance cardiorespiratoire de l’embolie pulmonaire grave A. Mercat1*, G. Orliaguet2 1 Réanimation médicale, centre hospitalier universitaire d’Angers,4, rue Larrey, 49033 Angers cedex 01, France ; département d’anesthésie-réanimation, centre hospitalier Necker-Enfants-Malades, 149, rue de Sèvre, 75015 Paris, France 2 (Reçu le 4 mai 2001 ; accepté le 7 mai 2001) Les objectifs du traitement symptomatique de la défaillance cardiorespiratoire de l’embolie pulmonaire grave sont la correction de l’hypoxémie, l’augmentation du débit cardiaque et le maintien d’une pression artérielle suffisante. Ce traitement doit être entrepris le plus rapidement possible. Sa conduite optimale nécessite une surveillance continue en unité de réanimation mais également lors des éventuels transports hors réanimation pour la réalisation d’examens d’imagerie (scanner, angiographie). Les paramètres permettant de juger de l’indication et d’évaluer l’efficacité du traitement symptomatique de l’embolie pulmonaire grave sont essentiellement cliniques : fréquence respiratoire, fréquence cardiaque, pression artérielle, marbrures, diurèse, saturation de pouls. PLACE DU CATHÉTÉRISME CARDIAQUE DROIT Le cathétérisme cardiaque droit permet une évaluation objective et chiffrée de la situation hémodynamique. Son utilisation, dans cette indication, peut cependant se heurter à plusieurs difficultés [1] : – mesures erronées de la pression artérielle pulmonaire en aval d’un caillot occlusif ; – mesure erronée du débit cardiaque liée à un contact entre thermistance et caillot proximal ou à une insuffisance tricuspidienne importante ; – fréquente impossibilité d’obtenir un tracé fiable de pression artérielle pulmonaire d’occlusion. Ces problèmes peuvent, à l’exception de l’erreur éventuelle de mesure du débit cardiaque liée à l’insuffisance tricuspidienne, être évités si l’on prend soin de positionner l’extrémité distale du cathéter dans le tronc de l’artère pulmonaire sans essayer de mesurer la pression artérielle pulmonaire d’occlusion. Le profil hémodynamique de l’embolie pulmonaire grave étant assez stéréotypé (pressions auriculaire droite et artérielle pulmonaire élevées, débit cardiaque et saturation en oxygène du sang veineux mêlé bas), l’intérêt réel des données issues du cathétérisme cardiaque droit pour guider la conduite du traitement symptomatique paraît discutable. Une exception pourrait être la constatation d’une pression auriculaire droite anormalement peu élevée (< 7 mmHg par exemple) qui suggère, dans cette circonstance, l’existence d’une hypovolémie associée, et indique la poursuite de l’expansion volémique. La mise en place d’un cathéter artériel pulmonaire ne paraît pas utile à la prise en charge de la grande majorité des patients atteints d’embolie pulmonaire grave. Son utilisation peut se discuter, en cas de choc persistant sous traitement symptomatique empirique. En raison du risque hémorragique, il paraît préférable, si une thrombolyse est entreprise ou envisagée, d’éviter les voies jugulaire et sous-clavière au profit de la voie brachiale ou, à défaut, fémorale (sous amplificateur de brillance). OXYGÉNOTHÉRAPIE ET VENTILATION MÉCANIQUE L’hypoxémie est quasi constante dans l’embolie pulmonaire grave. Quels qu’en soient les mécanismes [2], elle est, en règle générale, facilement corrigée par l’oxygé *Correspondance et tirés à part. Adresses e-mail : [email protected] (A. Mercat), [email protected] (G. Orliaguet). 496 A. Mercat, G. Orliaguet nothérapie nasale. En effet, à la phase aiguë, le shunt vrai est en règle minime [2]. Un shunt droit–gauche intracardiaque secondaire à l’ouverture d’un patent foramen ovale peut cependant être responsable d’une hypoxémie profonde [3]. La VS-PEP a été utilisée avec succès dans quelques cas [4]. Le rôle mineur du shunt vrai dans la genèse de l’hypoxémie à la phase aiguë de l’embolie pulmonaire n’incite pas à recommander son utilisation. La ventilation mécanique permet de diminuer la demande globale en oxygène par le biais de la mise au repos des muscles respiratoires et de la sédation qu’elle autorise. Cependant, la ventilation en pression positive peut induire une chute du débit cardiaque secondaire à une diminution du gradient de pression de retour veineux. Cet effet est d’autant plus redoutable en cas d’embolie pulmonaire que le ventricule droit est, dans cette circonstance, très dépendant de ses conditions de précharge [5]. En pratique, les indications de la ventilation mécanique sont rares, au moins chez les sujets sans antécédent cardiorespiratoire majeur. Il s’agit soit d’une détresse respiratoire non améliorée par l’oxygène nasal à fort débit, soit de troubles de conscience secondaires au bas débit, soit bien sûr de la survenue d’un arrêt cardiaque. Le risque hémorragique en cas de thrombolyse ultérieure doit faire préférer l’intubation par voie orotrachéale. Afin d’éviter une augmentation trop marquée des pressions intrathoraciques, on utilise un petit volume courant (6–9 mL/kg) et une pression expiratoire nulle [6]. Enfin, l’institution de la ventilation mécanique doit s’accompagner d’une expansion volémique visant à contrebalancer les effets de la ventilation en pression positive sur le retour veineux. EXPANSION VOLÉMIQUE Le recours à l’expansion volémique repose sur l’application au ventricule droit de la loi de Starling [7]. Cependant, deux phénomènes peuvent s’opposer au bénéfice attendu de l’expansion volémique : l’interdépendance ventriculaire et l’ischémie ventriculaire droite. En effet, l’expansion volémique peut aggraver la distension du ventricule droit et diminuer la précharge ventriculaire gauche par le biais de l’augmentation de la pression intrapéricardique et de la majoration du bombement septal vers la gauche [7]. L’expansion volémique pourrait par ailleurs induire ou majorer une ischémie ventriculaire droite par l’intermédiaire d’une augmentation des pressions ventriculaires droites à l’origine d’une diminution du gradient de perfusion coronaire droit [7, 8]. Les données de la littérature sont contradictoires. L’expansion volémique apparaît délétère dans les études expérimentales [7, 9, 10], alors que deux études clini- ques ont rapporté, chez des patients atteints d’embolie grave avec état de choc mais sans hypotension profonde, une augmentation du débit cardiaque d’environ 20 % après perfusion de 500 mL d’un colloïde artificiel [6, 11]. Compte tenu de ces données, il paraît licite de recommander une expansion volémique dans l’état de choc compliquant l’embolie pulmonaire grave. Cependant, le risque d’aggravation hémodynamique en cas de remplissage excessif incite, sauf hypovolémie patente, à limiter cette expansion volémique à 500 mL d’un colloïde artificiel. MÉDICAMENTS INOTROPES L’utilisation de l’isoprénaline est limitée par son effet chronotrope et par la vasodilatation périphérique qu’elle induit. En effet, dans l’embolie grave, la majoration de l’hypotension peut être à l’origine d’une ischémie ventriculaire droite secondaire à la baisse de la pression de perfusion coronaire droite. Cette ischémie peut alors précipiter la défaillance ventriculaire droite [10, 12]. En pratique, ce risque contre-indique l’utilisation de l’isoprénaline dans l’embolie pulmonaire grave. Plusieurs études expérimentales ont démontré que la noradrénaline permettait de restaurer le débit cardiaque d’animaux en état de choc secondaire à une embolie massive [7, 10, 13]. Cet effet bénéfique de la noradrénaline est attribué soit à un effet inotrope positif direct, soit à l’amélioration de la perfusion coronaire droite du fait de l’augmentation de la pression aortique, soit enfin à un phénomène d’interdépendance ventriculaire systolique [14]. Quoi qu’il en soit, la noradrénaline ne semble efficace qu’en cas d’hypotension profonde [10, 15]. Aucune étude clinique n’a évalué ses effets chez l’homme. Son utilisation paraît devoir être réservée aux formes compliquées d’hypotension artérielle sévère. Ducas et al. ont rapporté une efficacité comparable de la dobutamine et de la dopamine dans un modèle expérimental d’embolie pulmonaire grave : augmentation du débit cardiaque et de la pression artérielle sans modification des résistances artérielles pulmonaires [16]. Dans une étude portant sur dix patients atteints d’embolie pulmonaire grave, Jardin et al. rapportent une augmentation de l’index cardiaque de 1,7 ± 0,4 à 2,3 ± 0,6 L/min/m2 sous dobutamine (8,3 ± 3,7 µg·kg·–1min–1) [17]. Cette augmentation était uniquement due à une augmentation du volume d’éjection systolique alors que la fréquence cardiaque diminuait. La pression artérielle moyenne et la pression artérielle pulmonaire moyenne n’étaient pas modifiées. Dans cette même étude, les auteurs rapportent un effet équivalent de la dopamine sur le débit cardiaque mais associé à une augmentation de la fréquence cardiaque, Traitement symptomatique de l’embolie pulmonaire pulmonaire grave de la pression artérielle et de la pression artérielle pulmonaire. Ainsi, la dobutamine apparaît être le médicament inotrope de choix pour le traitement du choc de l’embolie pulmonaire grave. Aucune étude contrôlée, expérimentale ou clinique, n’a évalué les effets de l’adrénaline dans l’embolie grave. Une cas clinique d’amélioration hémodynamique significative a été rapporté [18]. VASODILATATEURS Outre le rôle minime de la vasoconstriction artérielle pulmonaire chez l’homme atteint d’embolie pulmonaire, l’obstacle majeur à l’utilisation des vasodilatateurs est leur effet systémique responsable d’une diminution de la pression de perfusion coronaire du ventriculaire droit pouvant précipiter la défaillance ventriculaire droite [19]. Les observations rapportant une amélioration hémodynamique sous NO inhalé sont trop limitées pour préciser l’intérêt réel de ce médicament dans l’embolie pulmonaire grave [20, 21]. PARTICULARITÉS PÉDIATRIQUES Il n’existe pas de donnée spécifique à l’enfant concernant les indications d’oxygénothérapie ou de ventilation mécanique. Les particularités du transport de l’oxygène chez l’enfant, notamment le fait que les mécanismes d’adaptation du transport en oxygène à la consommation d’oxygène de l’organisme soient plus fragiles que chez l’adulte [22-25], semblent en faveur d’indications plus larges de l’intubation et de la ventilation mécanique, mais ceci reste à confirmer. En cas d’intubation trachéale, il paraît logique de préférer également la voie orale, et ce pour les mêmes raisons que chez l’adulte. Chez l’enfant, il n’existe pas d’étude spécifique sur le remplissage vasculaire dans l’embolie pulmonaire, et des travaux sont nécessaires. Néanmoins, certains arguments indirects sont en faveur d’une attitude comparable à celle proposée chez l’adulte. Ainsi, il a été récemment suggéré que le principal déterminant du débit cardiaque chez le nouveau-né en état de choc, cardiogénique ou hypovolémique, était plus le volume d’éjection systolique que la fréquence cardiaque [26]. Les auteurs de cette étude ont ainsi observé que le remplissage vasculaire permettait d’améliorer le débit cardiaque, via l’augmentation du volume d’éjection systolique, suggérant que même à une fréquence cardiaque élevée, le ventricule gauche répondait au remplissage vasculaire par un mécanisme de Frank-Starling [26]. Ces résultats sont corroborés par ceux d’une autre étude, qui a montré une amélioration significative du 497 débit cardiaque après un remplissage vasculaire de 12,5 mL/kg chez 12 prématurés en bas débit cardiaque [27]. Aucun bénéfice supplémentaire n’était obtenu par un remplissage de 20 mL/kg et un patient a même présenté une dysfonction myocardique ayant nécessité une prescription de dobutamine [27]. Le remplissage doit donc rester prudent, d’autant plus que des valeurs de POD > 12–14 mmHg sont habituellement mal tolérées chez le nouveau-né et le nourrisson en cas de dysfonction ventriculaire droite [28]. Les mêmes recommandations concernant la surveillance hémodynamique au cours du remplissage vasculaire doivent s’appliquer à l’enfant. En ce qui concerne le choix du soluté de remplissage, il n’existe pas d’argument spécifique en faveur d’un soluté plutôt qu’un autre. On peut donc se rapprocher des recommandations pour la pratique clinique sur le remplissage vasculaire au cours des hypovolémies relatives ou absolues, et le choix revient aux colloïdes [29]. Il n’existe pas de travaux spécifiques sur l’utilisation des catécholamines chez l’enfant atteint d’embolie pulmonaire. Les catécholamines administrées en réanimation pédiatrique présentent des particularités pharmacologiques différentes de celles retrouvées chez l’adulte [30, 31]. Néanmoins, les données pharmacocinétiques et pharmacodynamiques disponibles sont limitées, expliquant que les modalités d’administration de ces molécules restent empiriques chez l’enfant. Il existe une grande variabilité des paramètres pharmacocinétiques et de la réponse pharmacodynamique aux catécholamines d’un enfant à l’autre, mais cette variabilité reste mal expliquée. Les schémas thérapeutiques doivent tenir compte de cette variabilité interindividuelle pour éviter l’inefficacité du traitement ou au contraire les effets adverses, et l’adaptation posologique doit reposer sur des critères cliniques [30, 31]. Malgré l’absence d’étude spécifique chez l’enfant atteint d’embolie pulmonaire, certains auteurs recommandent de choisir plutôt la dobutamine que la dopamine [32]. CONCLUSION Oxygénothérapie, expansion volémique et dobutamine constituent les piliers du traitement symptomatique de la défaillance cardiorespiratoire de l’embolie pulmonaire grave. La ventilation mécanique est indiquée en cas de détresse respiratoire persistante sous ces traitements et/ou de trouble de conscience secondaire au bas débit cardiaque. La noradrénaline est indiquée en cas d’hypotension artérielle persistante après expansion volémique et sous dobutamine 498 A. Mercat, G. Orliaguet RÉFÉRENCES 1 Hervé P., Artigas A. Retentissement circulatoire de l’embolie pulmonaire. In : Simonneau G, Huet Y, Eds. Embolie pulmonaire et thrombose veineuse profonde. Paris : Masson ; 1990. p. 36-54. 2 Manier G, Castaing Y, Guénard H. Determinants of hypoxemia during the acute phase of pulmonary embolism in humans. Am Rev Respir Dis 1985 ; 132 : 332-8. 3 Hervé P, Petitpretz P, Simonneau G, Salmeron S, Laine JF, Duroux P. The mechanisms of abnormal gas exchange in acute massive pulmonary embolism. Am Rev Respir Dis 1983 ; 128 : 1101-2. 4 Orta DA, Tucker NH, Green LE, Yergin BM, Olsen GN. Severe hypoxemia secondary to pulmonary embolization treated successfully with the use of a CPAP. Chest 1978 ; 74 : 588-90. 5 Rattes M, Calvin JE. Acute Pulmonary Hypertension. In : Pinsky MR, Dhainaut JF, Eds. 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