Le cycle cellulaire : données biologiques et thérapies ciblant les

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Prolifération
et cycle cellulaire
dossier
thématique
Le cycle cellulaire : données biologiques
et thérapies ciblant les cyclines/CDK
Cell cycle: biological data and treatment targeting cyclins/CDKs
O. Trédan1, 2, P. Barthelemy3, C. Villanueva4, L. Teixeira5
processus complexe du cycle cellulaire sont décrites. Le rôle clé des
complexes cyclines/CDK dans le contrôle du cycle cellulaire et dans
la prolifération anarchique des cellules cancéreuses est examiné.
Ces données offrent de nouvelles perspectives pour les traitements
anticancéreux. Cependant, les molécules qui bloquent l’activité
des kinases du cycle cellulaire ne sont pas susceptibles de cibler
spécifiquement les cellules tumorales. Les connaissances actuelles
suggèrent que la dérégulation particulière des cyclines/CDK est à
prendre en compte afin de faciliter le développement des nouveaux
agents antiprolifératifs. Récemment, les inhibiteurs de CDK4/6 se
sont révélés efficaces en combinaison ; ils peuvent être exploités
dans divers types de cancer, en particulier dans le cancer du sein.
Summary
RÉSUMÉ
» Dans cet article, plusieurs protéines kinases qui participent au
Keywords: Cell cycle – CDK – Cancer.
Mots-clés : Cycle cellulaire – CDK – Cancer.
U
Département de
cancérologie médicale,
centre Léon-Bérard, Lyon.
2 CNRS UMR5286,
Centre de recherche en
cancérologie de Lyon
(CRCL).
3 Unité d’oncologie
médicale, hôpitaux
universitaires de
Strasbourg, Institut
régional du cancer
d’Alsace, Strasbourg.
4 Service d’oncologie
médicale, centre
hospitalier universitaire
de Besançon.
5 Centre des maladies du
sein, service d’oncologie
médicale, hôpital SaintLouis (AP-HP), Paris.
1
30
0030_COO 30
In this review, several protein kinases that participate in the
multifaceted process of the cell cycle will be described. The
key role of the cyclins/CDKs complexes in the control of the
cell cycle as well as in the anarchic proliferation of cancer
cells will be defined. This data provides new opportunities
for cancer therapy. However, drugs that block the cell cycle
kinases activity are unlikely to selectively target tumor cells.
Evidence suggests that specific cyclins/CDKs deregulation has
to be understood to better develop potential anticancer drugs.
Recently, CDK4/6 inhibitors have proven to be effective in
combination approaches, which may be exploited in various
cancer types, especially for breast cancers.
ne des clés de voûte de la propagation
des cancers est la prolifération anarchique
des cellules néoplasiques : des divisions cellulaires dérégulées. En effet, normalement, la division
cellulaire est une succession de processus complexes,
chacun contrôlé par des systèmes de molécules
régulatrices (stimulant ou inhibant la progression
dans le cycle). Il existe donc des points de contrôle
du cycle cellulaire et des signaux permettant l’arrêt
de la division, par exemple en cas de dommage dans
l’ADN. Afin de passer d’une étape à une autre, des
sérine-thréonine kinases appelées cyclin-dependent
kinases (CDK) sont activées, notamment grâce à leur
interaction transitoire avec leurs protéines partenaires : les cyclines.
Dans cet article, les mécanismes principaux de la progression dans le cycle cellulaire vont être décrits, et
nous insisterons sur le rôle prépondérant des couples
cycline/CDK. Leur ciblage s’avère être une nouvelle
arme thérapeutique pour les patientes ayant un cancer
du sein hormonosensible.
Fonctionnement du cycle cellulaire
Le cycle cellulaire peut être académiquement découpé
en plusieurs phases : G1 (gap or growth phase 1), S (DNA
synthesis), G2 (gap or growth phase 2) et M, M représentant la mitose proprement dite, avec ses propres
phases (prophase, prométaphase, métaphase, anaphase et télophase). Ce découpage correspond à des
événements moléculaires consécutifs, avec des étapes
et des zones de transition entre chaque phase du cycle.
De façon simpliste, ces transitions sont contrôlées par
des kinases activatrices ou inhibitrices, ainsi que par
des destructions protéolytiques de substrats.
Transition G0/G1
Pour commencer “artificiellement” la description des
séquences du cycle cellulaire, il est logique de mentionner la sortie de la cellule de la période de quiescence (G0)
et sa progression dans la phase G1. À la fin de cette
phase G1, avant la transition G1-S, la cellule doit passer
un point de contrôle (point de restriction) dépendant
Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. VI - n° 1 - janvier-février-mars 2017
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Le cycle cellulaire : données biologiques et thérapies ciblant les cyclines/CDK
de certaines protéines appelées “pocket proteins”, dont
la protéine du rétinoblastome (Rb1). Le passage de ce
point de restriction engage irrémédiablement la cellule
dans sa division. Des signaux promitotiques (voies de
transduction du signal partant des récepteurs membranaires à activité tyrosine kinase, par exemple) et des
signaux antiprolifératifs (voie du transforming growth
factor-beta [TGFβ], par exemple) convergent vers les
protéines impliquées dans cette transition G1-S.
Transition G1/S
Sous la pression des signaux promitotiques, les
cyclines D (D1, D2 et D3) [1] s’accumulent et forment
des couples avec les kinases CDK4 ou -6 (figure 1). Il
y a schématiquement 2 voies pour la transition en
phase G1-S impliquant les CDK4/6.
✓ Dans la voie classique, les couples cyclines D/CDK4 ou
-6 phosphorylent partiellement la protéine Rb1 sur différents résidus (3). En effet, au cours de la phase G1, la protéine Rb1 est hypophosphorylée et couplée au facteur de
transcription E2F pour réprimer son activité (fixation au
domaine de transactivation) [4]. C’est la phosphorylation
de Rb1 (par CDK4/6) qui libère le facteur de transcription
E2F (figure 2, p. 32). Ce dernier promeut la transcription
d’autres cyclines, à commencer par les cyclines E (5). Les
cyclines E s’associent avec CDK2 afin d’initier la synthèse
de l’ADN et, donc, la phase S. Le complexe cycline E/CDK2
phosphoryle à nouveau Rb1, réduisant complètement
son pouvoir inhibiteur sur E2F, et permettant encore plus
de libération d’E2F pour poursuivre la transcription et la
synthèse de cyclines. Il s’agit donc bien d’une autoactivation du cycle cellulaire. La cycline A2, se couplant
aussi avec CDK2, favorise la poursuite de la synthèse
de l’ADN et la transition phase S-G2 (figure 3, p. 32) [7].
Les éléments nécessaires à la synthèse de l’ADN sont
contrôlés essentiellement par 2 kinases : CDC7 et CDK2.
✓ Dans la voie alterne, il semblerait exister une activation précoce des CDK2 indépendante des étapes
initiales via les couples cyclines D/CDK4/6. Les CDK2
peuvent ainsi se coupler aux cyclines E mais également
aux cyclines D, phosphorylant Rb1. Les mécanismes
conduisant à une activation de CDK2 précoce en cours
de phase G1, indépendamment des CDK4/6, sont mal
connus actuellement.
Facteur de croissance/récepteur tyrosine kinase
Estrogène
PI3K
Dégradation
par le protéasome
Cycline D (Ub)
n
AKT
RAS
RAF
Cycline D
MAPK
Récepteur
à l’estrogène
GSK3β
CDK4/6 p16
Cycline D
CDK4/6
CDK4/6
Cycline D
Cycline D
Rb
CDK4/6
P
Cycline D
Complexe
inactif
CDK4/6
P
Cycline D
FOXM1
P
FOXM1
Déplétion
de p16
Transcription de gène
dépendant de RE
CDK4/6
P
E2F
Cycline D
Rb
Passage du point
de contrôle G1
E2F
Cytoplasme
P
P
P P P
P
Rb
Échappement
à la sénescence
CDK2
Cycline E
E2F
Expression de gènes associés
à la phase S et à la transition G2/M
Inactivation de Rb
Figure 1. Différentes étapes de l’initiation du cycle cellulaire, en réponse à des signaux mitotiques (2).
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0031_COO 31
31
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Prolifération
et cycle cellulaire
dossier
ATP
CAK
Cdc 25
des couples cycline B/CDK1 (appelés aussi CDC2) se
forment et s’accumulent. Les kinases Wee1 et Myt1
(kinases inhibitrices) phosphorylent ce complexe (sur
les 2 résidus Thr-14 et Tyr-15), et le maintiennent ainsi
inactif (figure 4) [9]. C’est l’activation de cette grande
quantité de complexes cycline B/CDK1 qui marque l’entrée dans la phase M (mitose). Cette activation dépend
de multiples mécanismes, en commençant par l’inhibition des kinases Wee1 et Myt1 et la déphosphorylation
par les phosphatases CDC25 des 2 résidus (Thr-14 et
Tyr-15), levant ainsi leur action inhibitrice sur le couple
cycline B/CDK1.
E2F
Rb
P CDK4/6
thématique
Cycline D
P
Rb
P CDK4/6
Ciclib
E2F
Cycline D
Programme
transcriptionnel
Gènes du cycle cellulaire : CCNE1, CCNA2, CCNB1, CDK2, CDK1
Gènes de la réplication : MCM2, MCM3, MCM5, MCM7, CDT1, CDC6
Gènes de la mitose : CDC20, PLK1, MAD2L1, CCNB1
Figure 2. Processus d’activation de la transcription des gènes du cycle cellulaire par mise en jeu
du couple cycline D/CDK4/6 (qui inhibe Rb et libère le facteur de transcription E2F).
Facteurs de croissance
G0
Sortie de
quiescence CDK4 et CYCD
CDK6
INK4
Cip-Kip
Cip-Kip
CDK1 CYCB
P
RB
RB P
P
M
E2F
P
P
G2
P
P
CDK1 CYCA
Feedback
positif
G1
RB P
CDK2 CYCE
S
RB P
CYCE
E2F
P
Entrée
dans la phase S
CDK2 CYCA
Signal activateur
Signal inhibiteur
Figure 3. Initiation et progression dans le cycle cellulaire : rôle de Rb et des couples cycline/CDK (6).
Transition G2/M
En phase G2, le complexe cycline A/CDK1 est particulièrement actif. En fin de phase G2, le monomère
CDK1 est présent, et, avec la synthèse importante de
cycline B (parallèle à la dégradation des cyclines A),
32
0032_COO 32
Mitose
La mitose est alors un enchaînement d’événements
chromosomiques et du fuseau microtubulaire : condensation des chromosomes, redistribution de la tubuline,
duplication des centrosomes, assemblage du fuseau,
rencontre des microtubules et des kinétochores, et,
enfin, cytokinèse. L’activité du complexe cycline B/CDK1
intervient dans la condensation des chromosomes et
dans les principaux phénomènes impliqués dans leur
séparation (CDK1 phosphoryle plusieurs dizaines de
substrats) [10]. C’est la protéolyse de la cycline B et,
donc, la chute d’activité de CDK1 qui achève la mitose
en déclenchant la cytokinèse (activation de la séparase, décondensation des chromosomes et reformation
de l’enveloppe nucléaire). La ségrégation des chromosomes est médiée par le complexe APC/C (anaphase-promoting complex/cyclosome) et par certains
cofacteurs comme CDC20. Les cyclines B et A sont des
cibles d’APC/C afin d’éteindre l’activité de CDK1.
Par ailleurs, d’autres kinases interviennent, dont les
kinases Plk (polo-like kinases) et les kinases aurora. Plk1
phosphoryle la cohésine, qui peut alors être dégradée
(détruite par une caspase), ce qui permet la séparation
des chromatides. Le rôle de l’aurora A, au niveau des
pôles du fuseau mitotique, est de permettre la maturation des centrosomes, leur séparation et la mise en
place du fuseau. L’aurora B est située le long des chromosomes, le plus souvent au niveau du centromère
pour permettre la cytokinèse (figure 5) [11].
Contrôle du cycle cellulaire
Les couples cyclines/CDK s’associent dans une période
de temps relativement courte (liée à une dégradation
rapide via l’ubiquitination des cyclines), ce qui limite la
durée de l’activité kinase. De plus, l’activation et l’inactivation des CDK sont sous le contrôle d’une balance
phosphorylation/déphosphorylation, la phosphoryla-
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Le cycle cellulaire : données biologiques et thérapies ciblant les cyclines/CDK
Famille INK4
(inhibiteurs de CDK4)
p15INK4B
p16INK4A
p18INK4C
p19INK4D
Famille CIP/KIP
(inhibiteurs de cyclines/kinases)
p21CIP1
p27KIP1
p57KIP2
La famille INK4 comporte 4 protéines similaires, p15INK4B,
p16INK4A, p18INK4C et p19INK4D, toutes inhibant principalement CDK4 et 6 (et peu les autres CDK) [12]. Pour
l’exemple le plus connu, p16INK4A est codé par le gène
CDKN2A (gène suppresseur de tumeur) ; son expression est induite par de nombreux processus, comme la
sénescence ou la voie du TGFβ. De plus, lorsqu’il existe
une perte de fonction de la protéine Rb1, il existe parallèlement une surexpression de p16INK4A.
En ce qui concerne la famille CIP/KIP, il existe 3 protéines :
p21CIP1, p27KIP1 et p57KIP2. Ces protéines sont régulatrices
de toutes les kinases CDK, mais peuvent avoir un effet
inhibiteur ou activateur, en fonction des complexes
protéiques considérés. Pour simplifier, CIP/ KIP
stabilise le complexe cycline D/CDK4 et permet sa
translocation dans le noyau ; en revanche, il inhibe
CDK2. Le complexe cycline D/CDK4/6 stabilisé favorise
l’expression du complexe cycline E/CDK2, qui lui-même
inhibe (par phosphorylation) CIP/KIP, formant ainsi une
boucle de contrôle négative (figure 3). La protéine
p27KIP1, phosphorylée par le complexe cycline E/CDK2,
est détruite par le protéasome après ubiquitination
(par Skp1/Skp2), ce qui permet l’entrée en phase S (13).
La synthèse de l’ADN peut aboutir à des dommages
qui sont repérés par des points de contrôle spécifiques.
Deux kinases sont importantes dans ce contrôle :
ATM (ataxia telangiectasia mutated) et ATR (ATM- and
Rad3-related). La première est activée par les coupures
double brin, la deuxième est activée par les erreurs
de réplication. ATM et ATR phosphorylent les kinases
Chk2 et Chk1. Chk2 et Chk1 phosphorylent à leur tour
Cassure double brin
ATR
ATM
CHK1
CHK2
Claspine
p53
PLK1
CDC25
Aurora A
Wee1
C
C/
AP
Dégradation
Séquestration
p21
Cycline
CDK
Myt
Figure 4. Mécanismes de contrôle des cassures de l’ADN impliquant les couples cyclines/CDK.
Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. VI - n° 1 - janvier-février-mars 2017
0033_COO 33
Lésion de l’ADN
-3
Tableau. Protéines contrôlant la progression dans le cycle (CKI).
les phosphatases CDC25 et les rendent ainsi inactives
(figure 4). Or, comme nous l’avons souligné ci-dessus,
les CDC25 activent le couple cycline B/CDK1 (en levant
l’inhibition par déphosphorylation sur les résidus Thr-14
et Tyr-15). Les anomalies de la réplication de l’ADN, via
ATM et ATR qui inactivent CDC25, aboutissent donc à
l’inhibition de CDK1 et à l’arrêt du cycle (14).
De plus, ATM phosphoryle la protéine MDM2, ce qui a
pour effet d’inhiber son interaction avec le facteur de
transcription p53. Ainsi, p53 est libéré et il est à son tour
phosphorylé par ATM ou par Chk2, ce qui renforce sa
stabilité (les phosphorylations réduisent son ubiquitination et sa dégradation). La quantité de p53 augmente
et son activité transcriptionnelle augmente en parallèle, induisant la transcription du gène de la protéine
p21CIP1. L’expression de p21CIP1 induit une inhibition de
CDK2 et 1, bloquant ansi le complexe cycline E/CDK2
(figure 4) [15].
Le processus mitotique comporte également un point
de contrôle d’assemblage du fuseau mitotique : SAC
(spindle assembly checkpoint), qui permet de corriger
14-3
tion pouvant être parfois inhibitrice et la déphosphorylation (induite par la famille CDC25, par exemple)
activatrice du complexe cycline/CDK.
Il existe 2 familles de protéines contrôlant la progression
dans le cycle : la famille des protéines inhibitrices de
l’action des couples cyclines/CDK (appelée en général
cyclin-dependent kinase inhibitors [CKI]), dont font partie
les inhibiteurs de CDK4 (appelés inhibitors of cdK4 [INK4]),
et les inhibiteurs de cyclines/kinases (CDK interacting
protein/kinase inhibitory protein [CIP/KIP]) [tableau].
33
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Prolifération
et cycle cellulaire
dossier
thématique
Aurora A
Aurora B
Prométaphase
Prophase
Anaphase
Attachement
Assemblage
des kinétochores du fuseau mitotique
Télophase
Élongation
du fuseau central
Dissociation
des cohésines le long
des bras des chromosomes
Séparation
des centrosomes
Cytokinèse
PLK1
PLK4
PLK3
Dommages
de l’ADN
PLK2
Mitose
Entrée
en mitose
PLK1
PLK1
G2
G1
Maturation
des centrosomes
Pha
PLK2
PLK4
Duplication
des centrosomes
se S
Entrée
en phase S
PLK3
Figure 5. Implication des kinases PLK (polo-like kinases) et des kinases Aurora dans le cyle
cellulaire.
les anomalies d’attachement des kinétochores aux
microtubules. Il s’agit d’une voie de signalisation impliquant aurora B, et d’autres protéines comme MAD1
(mitotic arrest deficient protein 1), MPS1 (monopolar
spindle 1) ou BuB (budding uninhibited by benzimidazole),
pour inactiver APC/C.
Les kinases du cycle cellulaire
comme cible thérapeutique
Étant donné le rôle prépondérant des kinases du
cycle cellulaire dans les mécanismes de prolifération
des cellules cancéreuses, et la surexpression/dérégulation de plusieurs d’entre elles dans les tumeurs,
de nombreux agents à visée anticancéreuse ciblant
34
0034_COO 34
ces kinases ont été développés. Ainsi, des inhibiteurs
pan-aurora kinase, des inhibiteurs spécifiques de l’aurora kinase A (MLN8054, MLN8237, ENMD2076), et des
inhibiteurs spécifiques de l’aurora kinase B (AZD1152,
GSK1070916) ont été testés, mais sans grand succès
pour l’instant. De même, des agents bloquant Plk1
ont été développés (BI2536, BI6727, GSK461364,
HMN241, ON01910), mais l’inhibition de Plk1 a des
conséquences trop pléiotropiques pour être cliniquement intéressante (6).
La voie cycline D−CDK4/6−p16−Rb est également
très souvent dérégulée, offrant donc une cible
thérapeutique de choix. Dans le programme lyonnais ProfiLER, proposant une caractérisation moléculaire large dans différents modèles tumoraux, nous
avons mis en évidence des altérations de cette voie
chez 16 % des patients (amplifications du gène de
la cycline D1, délétions homozygotes du gène de
p16, ou bien amplifications des gènes codant pour
les CDK) [16]. La cycline D1 est en effet surexprimée
dans de nombreux types tumoraux. Les translocations t(11;14) des lymphomes du manteau aboutissent ainsi à une surexpression de la cycline D1 (17).
Par ailleurs, une activation anarchique de CDK1 a
été mise en évidence dans de nombreuses tumeurs,
souvent associée à une surexpression de la cycline B1,
et parfois corrélée à un mauvais pronostic. De plus,
CDK2, CDK4 ou CDK6 présentent des activations
aberrantes (le plus souvent à type d’amplification,
les mutations étant rares) dans de nombreux cancers.
Il a donc été développé de nombreux inhibiteurs
des CDK, à commencer par des inhibiteurs pan-CDK.
L’agent le plus connu est le flavopiridol, mais son
activité antitumorale était limitée et sa toxicité non
négligeable. Il est donc apparu logique de cibler
spécifiquement CDK4/6 et, ainsi, d’“épargner” CDK2
afin que les cellules normales puissent poursuivre
des cycles pseudo-normaux.
Trois inhibiteurs de CDK4/6 (ciclib ou CDKi) ont, à ce
jour, un développement clinique avancé. Le palbociclib
(PD-0332991), le ribociclib (LEE011) et l’abémaciclib
(LY2835219) présentent des IC50 assez similaires en ce
qui concerne l’inhibition de CDK4 et CDK6 (2 à 11 nM
pour CDK4, et 10 à 39 nM pour CDK6). En revanche, en
ce qui concerne CDK2, les IC50 sont assez variables entre
ces 3 molécules (entre 504 nM pour l’abémaciclib et
>10 000 pour le palbociclib), ce qui pourrait expliquer
en partie les différences en termes de mode d’administration et de toxicités (17). Dans les études précliniques,
il est apparu nettement que ces traitements n’étaient
efficaces que dans les lignées cellulaires exprimant la
protéine Rb1. Le traitement par CDKi aboutit donc à un
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Le cycle cellulaire : données biologiques et thérapies ciblant les cyclines/CDK
arrêt du cycle cellulaire. Cependant, il est possible que
ces CDKi aient une action cytotoxique en induisant des
mécanismes liés à la sénescence (régulation négative
du facteur de transcription FOXM1 [forkhead box M1])
[figure 1, page 31] (18).
En monothérapie, les CDKi présentent une activité
modeste, ne dépassant pas 20 % de réponses objectives. Ils sont donc majoritairement développés en
association avec d’autres thérapies. Ainsi, des essais
cliniques sont en cours et testent des associations de
CDKi avec des chimiothérapies, de la radiothérapie
et des thérapies ciblant notamment les voies de
transduction du signal (PI3K/AKT/mTOR ou RAS/
RAF/MEK), ou les inhibiteurs des récepteurs tyrosine
kinase (particulièrement HER2). Des combinaisons de
CDKi avec des immunothérapies sont également en
cours d’évaluation. Les développements cliniques les
plus avancés se situent dans le domaine des cancers
mammaires et des cancers bronchiques. Dans les
cancers du sein, le rationnel biologique pour réaliser des associations ciclib + hormonothérapie est
fort. En effet, les lignées cellulaires positives pour les
récepteurs hormonaux (RH+) peu proliférantes et peu
sensibles à l’hormonothérapie présentent fréquemment des anomalies de la voie cycline D–CDK4/6–p16
(notamment des amplifications de CCND1 et/ou des
surexpressions de la cycline D1) [17]. Au contraire,
les lignées cellulaires “basal-like” présentent de façon
prépondérante des amplifications des cyclines B1
et E1. De plus, les traitements par tamoxifène ou
inhibiteurs d’aromatase aboutissent à un arrêt du
cycle cellulaire en phase G1, par une diminution
d’expression de la cycline D1 (en effet, le récepteur
aux estrogènes α [REα] induit la transcription de la
cycline D1) et une augmentation de l’activité des
inhibiteurs de CDK2 : p21CIP1, p27KIP1. Il existe donc
un effet additif des combinaisons ciclib + hormonothérapie, notamment après exposition préalable à
une hormonothérapie, puisque la prolifération des
cellules cancéreuses dépend alors particulièrement
du couple cycline D/CDK4.
Dernièrement, 2 larges essais de phase III, dans le
cancer du sein métastatique en première ligne de
traitement, portant sur des patientes ayant des
tumeurs RH+/HER2 − et ayant rechuté après hormonothérapie adjuvante ou métastatique d’emblée, ont
évalué l’association inhibiteur d’aromatase + inhibiteur
de CDK4/6. L’étude PALOMA-2 a testé l’association
létrozole + palbociclib (contre létrozole + placebo) : le
hazard-ratio (HR) est de 0,58 (IC95 : 0,46-0,72), et il est
observé une amélioration statistiquement significative et cliniquement pertinente de la survie sans pro-
gression (SSP), qui passe de 14,5 mois dans le groupe
placebo à 24,8 mois dans le groupe palbociclib (19).
L’étude MONALEESA-2 a testé l’association létrozole +
ribociclib (contre létrozole + placebo) : le HR est de 0,56
(IC95 : 0,43-0,72), avec une amélioration statistiquement
significative et cliniquement pertinente de la SSP, qui
est de 14,7 mois dans le groupe placebo et qui n’a pas
encore été atteinte dans le groupe ribociclib (avec un
suivi médian de plus de 15 mois) [20]. Ces 2 études
sont donc tout à fait concordantes, et ces 2 nouveaux
traitements feront donc partie de notre arsenal thérapeutique dans les mois qui viennent. En situation de
deuxième ligne, le palbociclib a également une indication : l’essai PALOMA-3 a testé l’association palbociclib
+ fulvestrant ; le HR est de 0,46 (IC95 : 0,36-0,59), avec
une amélioration statistiquement significative de la
SSP, qui passe de 4,6 mois dans le groupe placebo à
9,5 mois dans le groupe palbociclib.
Possibles mécanismes de résistance
aux inhibiteurs de CDK4/6
Il n’a pas été possible jusqu’à ce jour de mettre en évidence des biomarqueurs prédictifs de la réponse aux
inhibiteurs de CDK4/6 (Rb1, Ki67, CDKN2A ou CCND1). En
revanche, des données précliniques peuvent expliquer
les éventuelles résistances à ces nouveaux traitements.
Ainsi, dans des lignées cellulaires présentant des résistances au palbociclib, il existe des pertes de la protéine
Rb1 ou des surexpressions de la cycline E1 (amplifications du gène CCNE1). Or, comme nous l’avons décrit
ci-dessus, la cycline E1 s’associe avec CDK2, initiant
la phase S et poursuivant la phosphorylation de Rb1
pour la progression du cycle. L’inhibition de CDK4/6
devient ainsi inopérante dans les tumeurs ayant une
amplification des cyclines en aval telles que les cyclines
A2 (21). La surexpression de Myc ainsi que les pertes
de p27KIP1 ou de p21CIP1 ont également été identifiées
dans des lignées cellulaires résistantes au palbociclib.
L’activation par la voie alterne pourrait être à l’origine
de résistances primaires. De plus, dans des lignées cellulaires présentant des résistances à l’abémaciclib, il
a été montré qu’il pouvait exister une amplification
de CDK6 (22), aboutissant aussi à une résistance aux
inhibiteurs spécifiques.
Conclusion
Les mécanismes moléculaires impliqués dans le cycle
cellulaire sont connus depuis le début des années 1990
Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. VI - n° 1 - janvier-février-mars 2017
0035_COO 35
35
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Prolifération
et cycle cellulaire
dossier
O. Trédan déclare avoir
des liens d’intérêts
avec Pfizer, Novartis, Roche,
AstraZeneca.
Les coauteurs n’ont pas
précisé leurs éventuels liens
d’intérêts.
thématique
et de nombreuses molécules les inhibant ont déjà été
testées à des fins antitumorales. Mais ce n’est qu’après
2005 que les premiers inhibiteurs de CDK ont été évalués
chez l’homme (6). À peine 10 ans plus tard, les inhibiteurs
de CDK4/6 s’imposent comme un traitement incontournable dans le cancer du sein et pourraient s’imposer
à court terme dans d’autres modèles tumoraux. Il est
probable que de nouvelles associations de thérapies
ciblées comprenant les ciclib voient le jour dans les
années à venir, ce qui nécessiterait une sélection des
patients sur des profils moléculaires spécifiques (voie
cycline D–CDK4/6–p16–Rb, notamment).
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Références
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sAVE the DATE
22 - 23 Juin
2017
3ème congrès de la sFMPP
société française de médecine prédictive et personnalisée
En association avec les 10ème Universités des Thérapies Ciblées
I.M.E : Mathilde Mangin
19-21 rue Saint Denis
92100 BoulogneBillancourt
Tél. : 01 41 04 04 04
Fax : 01 41 04 04 11
Médecine Génomique
Palais des congrès de Montpellier (Corum)
Comité d’organisation :
Pascal Pujol, David Geneviève, Laurence Faivre,
Damien Sanlaville, Pierre Le Coz, David Azria, Arash Rafii
[email protected]
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23/02/17 9:51:46
Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. VI - n° 1 - janvier-février-mars 2017
13/04/2017 09:30:00
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