Sédation et soins palliatifs Dr Sylvain Pourchet Unité de Soins Palliatifs Hôpital Paul Brousse - Villejuif - France Médecin généraliste Diplôme en Soins Palliatifs Médecin à l’Unité de Soins Palliatifs de l’Hôpital Paul Brousse et en Equipe Mobile de Soins Palliatifs à l’Hôpital de Lagny sur Marne Comme chaque équipe de soins palliatifs, nous nous interrogeons à l’unité depuis longtemps sur la place de la sédation en soins palliatifs. J’ai pour ma part effectué un travail de thèse de médecine sur le sujet et poursuis cette réflexion au sein de la société française d’accompagnement et de soins palliatifs et de l’Association Européenne de soins palliatifs. Définition Pour débuter, il me semble important de rappeler que la sédation est d’abord une technique d’anesthésie et qu’il en existe de très nombreuses définitions. Pour que nous parlions de la même chose, je propose que dans cet exposé nous comprenions la sédation comme: “une technique destinée à apaiser un patient dans un état critique au moyen, le plus souvent, d’une altération de l a conscience, provoquée par un sédatif et a priori réversible.” Sédater un patient, c’est donc au motif d’un soulagement, accepter d’altérer la capacité du patient à communiquer, c’est-à-dire se priver d’un des élements qui fondent de la démarche de soins palliatifs. Cas cliniques Je vous propose deux rapides exemples cliniques pour illustrer ce qui apparaît comme un paradoxe. Le cas d’une patiente âgée de 58 ans, atteinte d’une sclérose latérale amyotrophique, dont la longue hospitalisation a été traversée par deux principales questions (pour mémoire, la SLA est une maladie neurologique qui entraîne une paralysie progressive des muscles du corps, l’atteinte des muscles respiratoires conduisant au décès). La première question concernait l’euthanasie que la patiente a demandé dès son arrivée, de façon répétée. Au cours de son hospitalisation, cette demande s’est transformée progressivement en un dialogue autour de la mort. La seconde question, initialement mêlée à celle de l’euthanasie, concernait le risque d’asphyxie: Mme Y savait cette évolution possible et nous demandait ce que nous ferions alors. Elle refusait toute idée d’assistance respiratoire . Nous lui avions donc proposé une sédation en cas de détresse respiratoire. Mme Y avait accepté cette proposition et un Port-à-Cath fut posé afin de pouvoir disposer d’une voie d’abord veineuse facilement accessible. Lorsque des épisodes de gène respiratoires sont apparus, une prescription anticipée associant du midazolam (Hypnovel* en France) et Scopolamine a permis à plusieurs reprises de passer un cap aigu, quel que soit le moment de la journée. La dyspnée de fond, elle, n’était pas complètement contrôlée. Pour autant, Mme Y semblait bien la tolérer et ne tenait pas cette gène comme source d’inconfort majeur. Il était plus important pour elle de continuer à maîtriser son quotidien et solutionner les problèmes qu’elle souhaitait régler. Devant l’efficacité modérée des benzodiazépines, nous avions prévu d’avoir recours au propofol (Diprivan*), un produit d’anesthésie, dont l’avantage est d’être immédiatement efficace, d’avoir une courte durée d’action et une relative souplesse d’utilisation. Comme tout anesthésique, c’est un produit dépresseur respiratoire, mais il est utilisé dans certaines anesthésies brèves sans assistance ventilatoire. C’est donc une drogue dont le rapport bénéfice / risque semble intéressant. Nous en avions obtenu le dépôt à l’unité (son usage est réservé au bloc opératoire) afin de pouvoir agir rapidement en cas de nécessité. Après presque un mois d’évolution des signes respiratoires, la dyspnée et les épisodes d’‘étouffement ne pouvaient plus être contrôlés par les produits usuels et la sédation par le propofol a été entreprise, associée à une augmentation de la morphine que la patiente recevait jusque-là pour calmer ses douleurs. Les soins ont pu continuer pendant encore 48 heures, sans gène apparente. Le visage de Mme Y était détendu, sa respiration lente et régulière. Elle était dans un état de sédation profonde. La famille, qui avait été prévenue de la démarche, s’est relayée au chevet de Mme Y., jusqu’à son décès. Le second exemple est celui d’une patiente âgée de 41 ans qui était atteinte d’un cancer du pancréas. La maladie évoluait depuis 1 ans et Mme X avait fait une tentative de suicide quelques mois auparavant. A son arrivée dans l’unité, Mme X était confuse et présentait un tableau de subocclusion associant douleurs et vômissements. Son visage était tendu, son regard cherchait constamment la présence, elle gémissait et lorsqu’elle parlait, nous disait: “Je vais mourir” - “C’est trop dur la Sédation Bruxelles douleur”. Mme X. alternait des périodes d’épuisement, de somnolence, avec de brutales périodes d’agitation. L’haloperidol (Haldol®), un neuroleptique, a permis un contrôle des vômissements et les douleurs ont été soulagées par la morphine, permettant u n répit de trois nuits calmes. Elle recevait également des benzodiazépines à visée anxiolytique. Pourtant, avec moins de symptômes physiques, l’inconfort généralisé devenait encore plus criant et se traduisait dans des attitudes de prostration ou d’hostilité (lors de la toilette, des soins de bouche) ou encore dans une activité incessante (va-et-vient entre son lit et le fauteuil ou entre sa chambre et le salon). Il n e semblait pas exister de lieu de repos ni de moment de répit. L’équipe était e n permanence confrontée à l’image d’une souffrance inaccessible, ce qui se traduisait par le découragement, l’exagération et l’agacement. Pendant 2 jours, les doses de midazolam (Hypnovel® ) furent fortement augmentées, conduisant à un effet sédatif. Cette attitude fut finalement mise e n question puisque la douleur est à présent contrôlée et que l’augmentation du midazolam (Hypnovel® ), semble peu efficace sur son mal-être. On décide de modifier son traitement et on introduit de la chlorpromazine (Largactil), un neuroleptique, pour tenter un meilleur soulagement. La nuit suivante, son état général s’aggrave, la patiente semble plus calme, son visage est reposé. Sa respiration se modifie et Mme X décède peu de temps avant l’arrivée de son mari, que nous avions prévenu de cette évolution. Besoin et limite: place de la sédation en soins palliatifs Que peut on déduire de ces deux exemples? Qu’entre besoins et limites, trouver une place pour la sédation en soins palliatifs, c’est travailler sur un domaine rempli d’interrogations: Besoin Il existe en soins palliatifs des situations où la sédation peut être un besoin (notre premier cas clinique). Sédater, c’est alors donner la possibilité au soignant d’apporter un meilleur confort au patient, là où les symptômes sont non pas difficiles à contrôler mais réfractaires aux traitements. Ce faisant, on reste dans la mission du soignant qui porte assistance au malade mais ne précipite pas la mort. Le symptôme “soulagé”, la maladie continue d’évoluer pour son propre compte et c’est elle qui est responsable du décès. Mais existe-t-il en soins palliatifs des situations spécifiques justifiables d’une sédation? Sédation Bruxelles 1. 2. 3. Les situations de détresse liées à des symptômes réfractaires aux traitements (douleur, dyspnée, nausée, confusion, agitation, dépression) semblent les situations les plus simples. Pourtant, dans la pratique, comment faire la distinction entre symptôme difficile à contrôler et symptôme réfractaire aux traitements? Cela dépend beaucoup des moyens diagnostiques et thérapeutiques que l’on se donne; Les situations de détresse liées à des souffrances morales, spirituelles ou religieuses sont plus discutées; Enfin le désir des patients: Que fait-on quand un symptôme est techniquement contrôlable mais que le patient refuse l’intervention (une douleur résistante aux antalgiques mais pouvant être soulagée par un bloc nerveux)? Limite Ce sont les situations de sédation abusive. Dans le second cas clinique, les médicaments ont été détournés de leur prescription initiale, leur posologie augmentée, ceci sans réflexion ni véritable choix d’une sédation, que ce soit pour soulager la patiente ou même pour soulager l’équipe. Sous le poids de la détresse, ce sont bien les repères professionnels qui ont cédé. Dépouillés de nos compétences et de nos moyens, nous avons été questionnés sur notre capacité à “exister” en tant qu’humains en face de la souffrance. Face à cette interrogation qui met véritablement le soignant en péril, le médicament est un rempart symbolique et l’impérieuse nécessité d’agir commande nos actes. Or, l’action comme dernière réassurance face au sentiment d’être dépassé conduit à une moindre vigilance éthique et thérapeutique: il a fallu 48 heures pour réaliser que le “traitement” n’était pas adapté. Lorsque la distance est réintroduite, la réflexion peut reprendre et conduit à des solutions: changement de prescription pour une médication plus adaptée, peut être plus efficace, même si la proximité du décès nous empêche d’affirmer que le médicament est bien responsable de l’apaisement constaté. La sédation en pratique De nombreuses études ont été réalisées chez des patients en fin de vie. Pourtant,aucune ne permet de proposer des conduites à tenir stéréotypées. Mettre en pratique une sédation requiert donc une démarche particulière, constituée de trois “préalables”: Préalable technique Il faut s’intéresser au versant “technique” de la sédation, et aller voir ce que font les équipes d’anesthésie, puisque ce sont elles qui ont la connaissance des sédatifs et l’expérience de leur utilisation: Sédation Bruxelles - Quel rationnel biologique existe-t-il pour justifier la sédation (en anesthésie, la sédation se justifie parce qu’elle limite les conséquences physiologiques des stress sur la morbidité et la mortalité)? - Comment choisit-on une drogue (ses indications, ses effets secondaires)? - Quel type de sédation désire-t’on induire: analgésie, anxiolyse, hypnose, traitement; légère, profonde? - Comment en pratique se déroule l’administration des sédatifs? - Quelle surveillance établit-on? - Comment évalue-t’on la profondeur de la sédation (échelles...)? - Comment réévalue-t’on son bienfondé au cours du temps? Dans les études réalisées en soins palliatifs, les traitements sont rarement envisagés dans le détail: les sédatifs sont fréquemment désignés comme u n ensemble homogène. Or, les médecins de SP ne sont pas tous anesthésistes et o n ne peut mettre sur le même plan une sédation induite par une benzodiazépine comme le midazolam et une sédation réalisée avec des barbituriques. Avoir le souci du confort du patient passe par le choix de la technique adaptée à sa situation clinique. Si la sédation prétend à une place dans les soins en fin de vie, alors elle doit se faire en compétence. Préalable “Efficacité” Un second point est lui aussi peu abordé dans les études et pourtant essentiel: celui des conséquences de la sédation sur ce que vit le patient. En d’autres termes, la sédation est-elle réellement efficace dans la logique d’une prise en charge palliative, au-delà de l’apparence paisible du patient? N e condamne-t-on pas le patient à une souffrance supérieure à celle qu’il connaissait en le privant de ses moyens d’expression, en l’enfermant dans une réalité dont nous en connaissons si peu, et si peu accessible? Sans vouloir faire des comparaisons, nous pouvons aller chercher des éléments de réponse, des pistes, dans les situations où la conscience a également été altérée. On sait1 par les connaissances accumulées autour des situations où la conscience est altérée qu’un patient sédaté continue d’avoir un vécu, évidemment différent de la réalité dans laquelle nous nous trouvons. Se pose alors la question des moyens à développer pour maintenir une forme d’interaction, c’est-à-dire des moyens que les soignants doivent mettre en oeuvre s’ils reconnaissent au patient sédaté son statut d’humain, avec, là où il se trouve, son identité et sa dignité. 1 - La possibilité d’une élaboration psychique au cours des cures de sommeil en psychiatrie; - La possibilité de souvenirs explicites pendant l’anesthésie; - La continuité des processus inconscients au cours du coma; - La spécificité des troubles psychiques rencontrés au cours du coma, en réanimation; - Les atteintes sélectives de la mémoire en fonction de la drogue utilisée, i.e. à différents niveaux du processus de mémorisation ou de remémoration. Préalable Éthique Entre apaiser le patient, apaiser l’équipe, apaiser la famille, accélérer la mort, que fait-on réellement quand on “endort” un patient (le terme ‘endormir’, que j’utilise à dessein, prêtant à confusion)? La question de l’intention qui conduit au choix de la sédation est centrale. De nombreux argumentaires éthiques justifient la sédation par le principe éthique dit du double effet, qui suppose que lorsqu’une action entraîne à la fois un effet désirable et un effet indésirable, alors, il reste éthiquement justifié d’agir, si on le fait dans la seule intention d’obtenir l’effet désirable. C’est un principe intéressant, utile mais que l’on peut aussi bien critiquer psychologiquement (que fait-on de l’ambivalence du prescripteur?) qu’éthiquement (le principe du double effet est un principe qui est cohérent dans un référentiel moral absolutiste, c’est-à-dire où il existe des interdits absolus, et qui est utilisé en éthique médicale, sorti de ce référentiel). Que fait-on de la question récurrente de l’euthanasie? La sédation serait pour certains le dernier rempart qui nous en préserve. Pour d’autres, c’est déjà une forme socialement acceptable d’euthanasie. La question n’est-elle pas plutôt de savoir s’il est possible de penser librement la sédation? C’est-à-dire de ne pas la penser par rapport à l’euthanasie, comme d’une proposition finalement en retrait, mais bien par rapport au soin, comme une proposition construite après une réflexion responsable, et parce qu’il s’agirait là du traitement le mieux adapté à la situation de ce patient. La souffrance est aussi une dimension de l’humain. Ne pas le reconnaître, vouloir “contrôler” la souffrance peut être pour un soignant une façon de nier l’expérience de l’autre. Seul le patient a la capacité de “contrôler” son expérience de la souffrance. Le soignant n’est qu’un invité, qui, sous réserve d’en avoir développé l’aptitude, saura approcher cette souffrance et pourra participer à sa transformation. La dignité de l’autre, de la personne qui souffre, est à la fois inaliénable à cette personne mais dans le même temps, est un mouvement, une tendance à faire vivre. C’est dans cette reconnaissance que nous pouvons inscrire notre fonction de soignant confronté à une situation de fin de vie. Conclusion En conclusion, avancer dans la réflexion sur la sédation en soins palliatifs, c’est développer la nécessaire compétence technique ainsi que les connaissances sur la question de l’efficacité au même titre qu’entrer dans le questionnement éthique. C’est dans la mise en relation, en tension pourrait-on dire, de ces trois axes que peut se construire un projet de sédation, osant intégrer le paradoxe comme dimension sinon condition du soin. Les incertitudes, les désaccords, les polémiques sont donc inhérentes à cette démarche. Loin d’être inquiétants, leur existence témoigne d’une dynamique constante, de l’attention que nous portons au temps du mourir et du soin pris à décider avant d’intervenir sur le vivant, fut-il proche de sa fin. C’est en refusant l’indifférence que nous garantissons le respect de la dignité et assurons notre humanité d’un partage. Sédation Bruxelles