DOSSIER THÉMATIQUE
La Lettre de L’Hépato-Gastroentérologue - n° 5 - octobre 1998224
a colite aiguë grave (CAG) est un événement grave
dans l’évolution d’une maladie inflammatoire chro-
nique de l’intestin (MICI). Elle est plus fréquente en
cas de rectocolite hémorragique (RCH) que de maladie de
Crohn (MC) et peut être révélatrice de la maladie. Sa définition
est clinico-biologique (critères de Truelove) (1) ou endosco-
pique, surtout aujourd’hui (2). C’est l’existence d’ulcérations
creusantes, laissant voir la musculeuse, de décollements
muqueux qui vont faire porter le diagnostic de colite grave. La
réalisation précoce d’une colectomie subtotale en urgence avec
iléostomie et sigmoïdostomie a permis il y a maintenant plus de
25 ans de transformer le pronostic de ces patients (3).
Aujourd’hui, cette colectomie subtotale est réalisée dès le dia-
gnostic de CAG, en cas de complications à type de colectasie ou
de perforation, ou de plus en plus souvent en cas d’échec d’un
traitement médical intensif initial.
INDICATIONS CHIRURGICALES
En urgence, avant tout traitement médical
La colectomie subtotale doit être réalisée en urgence, avant tout
traitement médical, en cas de CAG compliquée d’emblée.
Le mégacôlon toxique (ou colectasie)
Il s’agit d’une complication rare (3 à 4 % des patients avec
MICI) mais grave de la CAG, survenant sur une MICI. Il sur-
vient plus fréquemment dans la RCH que dans la MC, et plus
souvent en cas de pancolite que de lésions localisées.
Il s’agit d’une dilatation aiguë du côlon, survenant chez un
patient présentant un tableau clinique et biologique de CAG,
avec une diarrhée plus ou moins sanglante, des douleurs abdo-
minales et un tableau “toxique” associant au maximum les trois
signes suivants : tachycardie (> 120/min), fièvre (> 38.6°C),
hyperleucocytose (> 10500/ml).
Devant un tel tableau, surtout quand le patient a une MICI
connue, il importe de réaliser une radiographie d’abdomen sans
préparation, qui fera le diagnostic de colectasie (diamètre du
caecum ou du côlon transverse supérieur à 6 cm pour la plupart
des auteurs). La découverte de cette colectasie, dans le contexte
de MICI connue ou probable, contre-indique formellement la
réalisation d’une coloscopie (en raison, dans ce cas, du risque
majeur de perforation) et impose la réalisation en urgence d’une
colectomie subtotale avec iléostomie et sigmoïdostomie.
Le traitement médical pourrait en effet, en cas de colectasie, expo-
ser le patient à la survenue d’une perforation, pouvant initialement
évoluer à bas bruit du fait de la corticothérapie. Dans ces cas, la
réalisation tardive de la colectomie subtotale, chez un malade fra-
gilisé et avec perforation colique, est associée à une mortalité
inacceptable, allant jusqu’à 40 % dans une série récente (4). La
même intervention, chez un patient avec colectasie mais sans per-
foration ni péritonite, permet la guérison de la poussée dans tous
les cas, avec dans notre expérience une mortalité nulle (5).
Colite grave : traitement chirurgical
La colite aiguë grave est une urgence médico-chirurgicale
dont la gravité est aujourd’hui appréciée au mieux par l’en-
doscopie.
La chirurgie est indiquée en urgence avant tout traitement
médical en cas de perforation, colectasie, syndrome toxique
ou hémorragie abondante, de même en cas d’échec du traite-
ment médical intensif.
La colectomie subtotale avec iléostomie et sigmoïdostomie
représente le premier temps opératoire de choix en cas de
colite aiguë grave sur maladie inflammatoire.
La mortalité opératoire de la colectomie subtotale est nulle
en l’absence de complication, mais elle augmente considéra-
blement notamment s’il existe une perforation colique.
Après colectomie subtotale, le rétablissement de conti-
nuité se fait habituellement par une anastomose iléo-anale en
cas de rectocolite hémorragique, et par une anastomose iléo-
rectale en cas de maladie de Crohn.
POINTS FORTS
POINTS FORTS
* Service de chirurgie générale et digestive, hôpital Lariboisière, Paris.
Y. Panis*
L
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La perforation colique
Diagnostiquée cliniquement avec facilité en cas de signes périto-
néaux (défense voire contracture abdominale généralisée), elle
est parfois détectée simplement sur la radiographie d’abdomen
sans préparation (pneumopéritoine), du fait d’une sémiologie
trompeuse voire absente chez le malade sous corticothérapie.
Autres formes cliniques
L’existence d’un syndrome “toxique”, associant fièvre, désydra-
tation majeure avec troubles hydroélectrolytiques et altération
de l’état général, constitue aussi habituellement une indication à
la colectomie en urgence, avant tout traitement médical.
Plus rarement, une hémorragie digestive basse massive, voire un
choc septique (par translocation bactérienne) feront indiquer la
colectomie en urgence.
Après échec d’un traitement médical intensif
Aujourd’hui, l’efficacité relative de la corticothérapie intravei-
neuse à forte dose (1 mg/kg j) et de la ciclosporine (dans la RCH
essentiellement) (6) fait souvent discuter cette colectomie sub-
totale en cas d’échec du traitement médical, c’est-à-dire, dans
notre expérience, en cas d’absence d’amélioration voire d’ag-
gravation des signes à l’endoscopie faite sept jours après le
début du traitement médical.
Il faut néammoins garder à l’esprit que si, aujourd’hui, dans les
centres chirurgicaux spécialisés, la mortalité opératoire de la
colectomie subtotale, avant la survenue de complications graves,
est proche de zéro, celle-ci croît en cas de retard à l’interven-
tion, essentiellement du fait de l’existence d’une péritonite par
perforation colique. Ainsi, sur une série de 32 malades avec
colite grave sur RCH, traités par ciclosporine, une perforation
colique et un décès post-opératoire étaient notés chez les non-
répondeurs à la ciclosporine (un tiers des patients) (7). C’est
pourquoi seule une amélioration franche et rapide de l’état du
patient sous traitement médical, associée à une amélioration
endoscopique, et ce bien sûr en l’absence de colectasie, peut
faire surseoir à la colectomie subtotale.
PRINCIPES DE L’INTERVENTION CHIRURGICALE
Si différents types d’intervention ont initialement été proposés,
allant de l’iléostomie de dérivation à la coloproctectomie totale,
la colectomie subtotale avec iléostomie et sigmoïdostomie est
aujourd’hui l’intervention de choix en cas de CAG sur MICI (8).
Elle présente en effet le double avantage :
- de retirer la quasi-totalité du côlon malade, sans laisser dans le
ventre d’anastomose ou de moignon rectal fermé, source de
morbidité potentielle ;
- de permettre, notamment en cas de doute diagnostique entre
RCH et MC, de choisir ensuite à distance la meilleure option
chirurgicale pour le patient, c’est-à-dire principalement de déci-
der de la conservation ou non du rectum.
Plus récemment, certains ont proposé, pour des patients avec
CAG, mais sans colectasie ou signe toxique, de réaliser dès le
premier temps opératoire une anastomose iléo-anale avec iléo-
stomie de protection (9).
Colectomie subtotale
Le principe de l’intervention est d’enlever la quasi-totalité du
côlon malade, sans faire d’anastomose, afin de limiter au maxi-
mum les complications post-opératoires. On réalise ainsi une
colectomie subtotale (enlevant l’ensemble du côlon droit, trans-
verse et gauche) suivie d’une iléostomie terminale dans la fosse
iliaque droite et une sigmoïdostomie dans la fosse iliaque
gauche (ou pour certains au bas de la médiane, voir dans la fosse
iliaque droite avec l’iléostomie) (figure 1).
Rétablissement de continuité
Deux à trois mois plus tard, en fonction du diagnostic et de l’état
du rectum restant, le rétablissement de continuité est réalisé.
En cas de rectocolite hémorragique
Le rétablissement de continuité sera obtenu le plus souvent par
une anastomose iléo-anale avec réservoir en J, protégée par une
iléostomie, qui est ensuite fermée par voie élective six semaines
plus tard. On réalise ainsi un traitement chirurgical en “trois
temps”. Parfois, si les conditions sont favorables, l’intervention
sera réalisée en deux temps (sans iléostomie de protection).
L’anastomose iléo-anale représente aujourd’hui l’intervention de
référence dans la RCH. Elle permet d’arriver au double objectif
de guérison de la maladie par ablation de l’ensemble de la
muqueuse colo-rectale malade, et de conservation de la fonction
Figure 1.
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DOSSIER THÉMATIQUE
La Lettre de L’Hépato-Gastroentérologue - n° 5 - octobre 1998226
sphinctérienne par réalisation d’une anastomose entre le sphinc-
ter de l’anus et un réservoir grêlique en J (figure 2). Ce réservoir
permet de créer un néorectum qui va permettre, malgré l’ablation
du rectum natif, d’obtenir un résultat fonctionnel satisfaisant
chez la grande majorité des patients, avec 4 à 5 selles par 24
heures, 15 à 20 % des patients ayant des fuites le plus souvent
occasionnelles. Les troubles sexuels graves, à type d’impuissan-
ce, concernent moins de 1 % des patients. Le risque évolutif à
long terme est la survenue d’une inflammation du réservoir (ou
“pochite”), la plupart du temps traitée médicalement avec effica-
cité. À long terme, le risque d’échec de l’intervention avec perte
du réservoir et iléostomie définitive (pochite réfractaire, Crohn
méconnu, sepsis pelvien persistant) est d’environ 5 %.
En cas de maladie de Crohn
Le rétablissement de continuité est obtenu le plus souvent par une
anastomose iléo-rectale en cas de rectum conservable. Beaucoup
plus rarement, si le rectum n’est pas conservable (du fait le plus
souvent d’un microrectum ou de manifestations ano-périnéales
graves associées), une amputation abdomino-périnéale avec iléo-
stomie définitive est nécessaire. La seconde intervention consiste
alors en une proctectomie totale, avec sacrifice du sphincter de
l’anus, et une iléostomie définitive. Habituellement, le périnée est
fermé lors de l’intervention et l’iléostomie est placée dans la fosse
iliaque droite. Cette intervention mutilante est en fait réalisée
dans l’immense majorité des cas seulement après échec d’une
anastomose iléo-rectale, et non pas d’emblée.
L’anastomose iléo-rectale a l’avantage de conserver la fonction
sphinctérienne, mais elle est grevée d’un taux élevé de récidive,
très supérieur à celui observé après iléostomie définitive. Le
taux de récidive à dix ans de la maladie sur l’intestin restant est
de 9 % après iléostomie définitive contre 50 % après anastomo-
se iléo-rectale. À long terme, dans toutes les séries publiées,
après anastomose iléo-rectale, le risque de proctectomie secon-
daire avec iléostomie définitive est d’environ 40 à 50 %.
La MC constitue en effet pour la plupart des auteurs une contre-
indication absolue à l’anastomose iléo-anale. Nous plaidons
néanmoins pour la réalisation de l’anastomose iléo-anale dans
des cas très sélectionnés de MC colique avec rectum non
conservable, comme alternative à l’iléostomie définitive, à
condition qu’il n’ait pas d’antécédents de manifestations ano-
périnéales ou d’atteinte du grêle. Nous avons ainsi montré qu’en
respectant ces critères très stricts plus de 80 % des patients ont
un bon résultat cinq ans après l’intervention (10). Récemment,
une étude de la Mayo Clinic a confirmé nos résultats en montrant
que dix ans après l’anastomose iléo-anale, cette dernière a per-
mis d’éviter l’iléostomie chez plus de la moitié des patients (11).
CONCLUSION
La colite aiguë grave sur MICI est une affection rare mais dont
la gravité potentielle souligne l’importance d’une étroite colla-
boration entre médecins et chirurgiens. En effet, dès le diagnos-
tic posé, le plus souvent désormais grâce à l’endoscopie, il ne
faut pas retarder la réalisation en urgence d’une colectomie sub-
totale en cas de forme compliquée, mais aussi en cas d’échec
d’un traitement médical intensif initial.
Mots-clés. Rectocolite hémorragique - Maladie de Crohn -
Colite aiguë grave - Colectomie.
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