Traitement chirurgical des colites aiguës graves

Mini-revue
Traitement chirurgical
des colites aiguës graves
Jean-Luc Faucheron
Unité de Chirurgie colorectale, Département de Chirurgie digestive et de l’Urgence,
Hôpital Albert Michallon, BP 217, 38043 Grenoble cedex 9
Lorsque le traitement médical maximal d’une colite aiguë grave
compliquant une maladie de Crohn ou une rectocolite hémorragi-
que échoue, il faut envisager le traitement chirurgical. Une excel-
lente coopération entre gastro-entérologues et chirurgiens digestifs,
suivant ensemble l’évolution de l’état digestif et général du patient,
permet d’intervenir avant le stade de péritonite voire de choc. Le
chirurgien peut alors proposer une colectomie subtotale sans réta-
blissement de la continuité digestive par voie cœlioscopique, dont
les bénéfices sont nombreux : diminution des douleurs postopéra-
toires, intérêt esthétique, diminution du taux de complications
pariétales, récupération plus rapide d’un transit et probable abais-
sement du niveau d’immunodépression induite par le geste. L’inter-
vention se termine toujours par la réalisation d’une iléostomie en
fosse iliaque droite et d’une sigmoïdostomie en fosse iliaque
gauche. Ces stomies seront conservées environ 4 mois et le délai
est mis à profit pour améliorer l’état nutritionnel du patient, corriger
l’anémie, l’asthénie, l’anorexie, supprimer la corticothérapie sou-
vent en cours et enfin gérer le segment rectocolique exclus qui est
toujours le siège de la maladie, par des lavements notamment. Le
rétablissement de la continuité digestive chez un patient en bonne
forme clinique pourra ainsi être proposé à nouveau par la voie
cœlioscopique, avec conservation ou suppression du rectum selon
la maladie causale.
Mots clés : colite aiguë, maladie de Crohn, rectocolite hémorragique, colectomie,
coloproctectomie, anastomose iléo-anale, cœlioscopie
La colite aiguë grave peut venir compliquer une rectocolite hémor-
ragique (RCH) ou une maladie de Crohn (MC). La gestion est alors
au mieux assurée par une équipe médico-chirurgicale soudée, de
manière à ce que chaque décision soit prise en commun et largement
expliquée au patient : l’inefficacité d’un traitement médicamenteux maxi-
maliste conduisant à l’intervention chirurgicale est ainsi considérée
comme une étape de prise en charge beaucoup plus que comme un échec
de la proposition médicale. La bonne entente entre médecins et chirur-
giens est d’ailleurs souvent bien perçue par le patient qui continuera ainsi
à garder confiance dans le corps médical. C’est un élément capital
lorsqu’il s’agit d’une maladie chronique. De plus, le chirurgien ayant vu le
patient au moment de l’institution du traitement médical « extrême » est
préparé à proposer au patient l’intervention chirurgicale : le conflit qui a
pu autrefois exister entre gastroentérologues et chirurgiens digestifs sur la
Hépato-Gastro, vol. 14, numéro spécial, février 2007 55
doi: 10.1684/hpg.2007.0048
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prise en charge des colites aiguës graves et qui n’avait
que des conséquences néfastes pour le patient a ainsi
totalement disparu.
Le traitement chirurgical de la colite aiguë grave,
menaçant très souvent le pronostic vital, comporte
toujours la création d’une stomie, qui restera en place
pour au moins 4 mois.
Étiologie de la colite aiguë grave
Il s’agit très souvent d’une poussée aiguë de maladie
inflammatoire chronique de l’intestin. Nous n’envisage-
rons pas ici les colites aiguës graves d’autre origine.
L’atteinte colique en cas de maladie de Crohn est
diversement appréciée dans la littérature, d’autant que
dans les séries de la littérature, l’atteinte de la valvule
iléocæcale est comptabilisée avec l’atteinte colique
vraie. Dans une étude rétrospective de 228 patients
consécutifs opérés pour maladie de Crohn abdominale
prouvée histologiquement, Platell et al. ont dénombré
près de 30 % d’atteinte colique pure (22 % de panco-
lite et 8 % d’atteinte colique segmentaire) et 26 %
d’atteinte mixte grêlocolique (11 % de localisation
iléale et cæcale, 1 % de localisation jéjunale et colique
et 14 % d’atteinte iléale et colique) [1]. Une étude de la
Mayo Clinic a permis de préciser qu’en cas de locali-
sation colique pure touchant 49 patients, le côlon droit
était atteint dans 12 cas, le côlon gauche dans 31 cas
et que seuls 6 patients présentaient une atteinte bifo-
cale ou diffuse [2].
Le plus souvent quand même, la colite aiguë grave
correspond à une poussée sévère de RCH, volontiers
déjà connue, résistant à la corticothérapie et aux
immunosuppresseurs comme la ciclosporine.
Indication chirurgicale
en cas de colite aiguë grave
Il n’y pas de définition précise de la colite aiguë grave.
La plupart des auteurs s’accordent à retenir ce diagnos-
tic sur une définition clinique et biologique [3] et sur
des critères endoscopiques [4]. Lorsque la poussée de
colite est jugée sévère selon les critères de Truelove, un
traitement médical de première ligne est institué : le
patient est mis à jeun, perfusé et traité par une cortico-
thérapie intraveineuse à la dose quotidienne de
1 mg/kg pour5à7jours. En l’absence d’amélioration
clinique, il reste à proposer au patient soit l’intensifica-
tion du traitement médical, soit le traitement chirurgi-
cal. Le patient est informé de toutes ces étapes et la
décision finalement retenue lui est expliquée.
En l’absence d’un tableau dit péritonéal (défense dif-
fuse voire contracture généralisée), de troubles hémo-
dynamiques inquiétants et de critères endoscopiques
menaçants, se discute un traitement par infliximab à la
dose de 5 mg/kg voire 10 mg/kg en injection intra-
veineuse. Le délai d’action est assez court (48 heures)
et l’efficacité est jugée non seulement cliniquement
mais aussi endoscopiquement [5]. Ce traitement de
deuxième ligne peut permettre de passer un cap aigu et
d’éviter ainsi l’intervention en urgence dans près d’un
tiers des cas [6].
Dans certains cas, malgré ce traitement de deuxième
ligne et parfois avant même son institution, il faut
recourir à la chirurgie. Il s’agit alors souvent de formes
compliquées : péritonite par perforation en péritoine
libre, perforation bouchée dans un organe voisin,
mégacôlon toxique ou encore persistance de rectorra-
gies nécessitant plusieurs transfusions.
Technique opératoire
Lorsque le pronostic vital est engagé à court terme, il
faut envisager une opération de sauvetage. Elle est plus
sûrement menée par une laparotomie médiane.
L’exploration doit être systématique mais rapide, per-
mettant de confirmer la complication comme une per-
foration colique, l’extension de la colite et l’existence
ou non d’une atteinte de l’intestin grêle. Le foie doit être
examiné à la recherche d’une stéatose ou d’une très
rare cholangite sclérosante infraclinique [7].
En cas de colite aiguë grave résistant au traitement
médical, la seule intervention à pratiquer est une colec-
tomie subtotale sans rétablissement de la continuité.
Cette opération est menée de droite à gauche, en
sectionnant le mésocôlon à proximité du côlon car il n’y
a bien sûr aucun curage ganglionnaire à réaliser. Il faut
débuter par une incision du péritoine des gouttières
pariétocoliques droite puis gauche, continuer par un
décollement des fascias de Toldt droit puis gauche et
poursuivre par un abaissement des angles coliques
droit puis gauche. Les uretères sont repérés à titre
systématique. Le grand épiploon, qui naît de la grande
courbure gastrique et passe en pont sur le côlon trans-
verse en s’y accolant, est respecté : il est libéré du bord
antérieur du côlon transverse et récliné vers l’estomac.
Le cadre colique peut dès lors être extériorisé de
l’abdomen (figure 1). Le temps suivant est celui de la
colectomie proprement dite. Les artères et veines sont
sectionnées dans la partie moyenne des différents
mésocôlons après une hémostase par ligature au fil
lentement résorbable, par électrocoagulation, par har-
monic scalpel ou par thermofusion au ligasure. Les
différents vaisseaux sectionnés sont successivement les
vaisseaux iléo-cæco-colo-appendiculaires, coliques
supérieurs droits, colica média dans le côlon trans-
verse, coliques supérieurs gauches et sigmoïdiens.
L’utilisation de pinces automatiques permet un agra-
fage et une section de l’iléon distal et du bas sigmoïde.
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L’inoculation du champ opératoire est ainsi réduite au
minimum. L’iléon est apporté en iléostomie terminale
dans la fosse iliaque droite. Le bas sigmoïde est placé
en sigmoïdostomie dans la fosse iliaque gauche, en
essayant d’en laisser le moins possible. Certains
auteurs placent la sigmoïdostomie dans le bas de la
cicatrice médiane et d’autres abandonnent même le
moignon colique dans l’abdomen.
Les avantages de la colectomie subtotale sont nom-
breux : c’est une intervention rapide, relativement sim-
ple et sûre, réalisable par un chirurgien généraliste, qui
permet de sevrer progressivement le patient de toute
corticothérapie. Pour nous, le bas sigmoïde ne doit pas
être laissé fermé dans l’abdomen car le risque de
désunion est très important en raison d’une paroi
friable, hémorragique et épaisse, d’une pullulation
intraluminale et d’une imprégnation cortisonique fré-
quente chez un patient dénutri et anémique. Les consé-
quences d’une ouverture du moignon rectal dans la
cavité péritonéale seraient désastreuses. L’avantage
d’apporter le segment colique en sigmoïdostomie est
de permettre le contrôle de l’évolution muqueuse et
surtout la réalisation d’irrigations antérogrades ou
rétrogrades du segment exclus si la maladie persiste
sur cette courte portion.
Lorsque le pronostic vital n’est pas engagé à court
terme, certains auteurs, dont nous sommes, proposent
de réaliser la colectomie subtotale par voie cœliosco-
pique. Bell et Seymour ont publié sur une série de 18
patients opérés pour colite aiguë grave par voie
cœlioscopique : la morbidité a touché un tiers des
patients, mais aucun d’entre eux n’a été réopéré en
urgence [8]. Lorsqu’elle est possible, la colectomie
subtotale par voie cœlioscopique associe un avantage
esthétique, une durée de séjour plus courte, un taux de
complication pariétale probablement inférieur et une
réduction du risque d’occlusion sur bride quasi cer-
taine. Marcello et l’équipe de la Cleveland Clinic ont
comparé les résultats d’une colectomie subtotale réali-
sée par laparoscopie chez 19 patients ayant une colite
aiguë grave à une série appariée de 29 patients traités
par laparotomie pour la même condition [9]. L’inter-
vention par laparoscopie a été significativement plus
longue que par laparotomie (210 versus 120 minutes).
Les avantages dans le groupe laparoscopie ont été un
retour plus rapide du transit (1 versus 2 jours), une
durée de séjour plus courte (4 versus 6 jours), une
cicatrice plus petite, tandis que le taux de complication
était similaire, aux alentours de 20 %. Il faut remarquer
que dans cette publication, le diagnostic de colite aiguë
grave était vaguement précisé et qu’il n’y avait notam-
ment ni fièvre, ni hyperleucocytose, ni tachycardie.
Suites opératoires
Les suites de la colectomie subtotale sont le plus souvent
assurées d’abord en réanimation, puis en service de
chirurgie. La posologie de la corticothérapie va être
progressivement diminuée jusqu’à l’arrêt complet. Lors-
que le malade est imprégné de corticoïdes, l’arrêt ne
sera envisagé qu’après un test au Synacthène
®
ou après
le passage à l’hydrocortisone. Le traitement de l’anémie
et de l’infection éventuelle, l’hyper-alimentation parenté-
rale, le soutien psychologique et la kinésithérapie vont
contribuer à l’amélioration de l’état général. Le rectosig-
moïde déconnecté du flux fécal va cicatriser assez
rapidement la plupart du temps, parfois après quelques
irrigations au sérum tiède. Dans les rares cas de persis-
tance de la maladie inflammatoire dans le rectum exclus
(rectorragies, écoulements glaireux voire purulents), un
corticoïde est ajouté au sérum des irrigations. Le patient
est enfin à haut risque thromboembolique et une prophy-
laxie par héparines de bas poids moléculaire est
obligatoirement instituée. Aucun geste chirurgical ne
sera programmé avant4à6mois. L’examen anatomo-
pathologique de la pièce opératoire permettra le plus
souvent de confirmer qu’il s’agit d’une maladie de
Crohn ou d’une rectocolite hémorragique.
La conduite ultérieure à tenir dépend largement du
résultat histologique et de l’état du rectum résiduel : s’il
s’agit d’une maladie de Crohn à rectum sain ou peu
atteint, le rétablissement par anastomose iléorectale
(souvent protégée par une iléostomie pour quelques
semaines) peut être programmé. Si le rectum reste très
pathologique, il faut savoir surseoir à tout geste chirur-
gical. En cas de rectocolite hémorragique, le rétablis-
sement sera une anastomose iléorectale si le rectum a
récupéré un aspect subnormal. Dans le cas contraire, il
faudra envisager le sacrifice du rectum pathologique
résiduel et faire une anastomose iléo-anale avec réser-
voir en J.
Figure 1.Le cadre colique, une fois libéré de ses attaches périto-
néales, peut être extériorisé de l’abdomen. La colectomie par section
du mésocôlon va débuter.
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Conclusion
La chirurgie de la colite aiguë grave repose sur la
colectomie subtotale sans rétablissement de la conti-
nuité digestive en urgence. Elle est au mieux prévue par
l’équipe médicochirurgicale dès que le diagnostic de
gravité clinique et endoscopique est établi. Elle est
réservée au management des complications ou à
l’échec du traitement médical bien conduit. Enfin, les
progrès et l’expérience autorisent d’envisager cette
opération par voie cœlioscopique.
Références
1
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