Traitement chirurgical des colites aiguës graves

publicité
Mini-revue
Traitement chirurgical
des colites aiguës graves
Jean-Luc Faucheron
Unité de Chirurgie colorectale, Département de Chirurgie digestive et de l’Urgence,
Hôpital Albert Michallon, BP 217, 38043 Grenoble cedex 9
<[email protected]>
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017.
Lorsque le traitement médical maximal d’une colite aiguë grave
compliquant une maladie de Crohn ou une rectocolite hémorragique échoue, il faut envisager le traitement chirurgical. Une excellente coopération entre gastro-entérologues et chirurgiens digestifs,
suivant ensemble l’évolution de l’état digestif et général du patient,
permet d’intervenir avant le stade de péritonite voire de choc. Le
chirurgien peut alors proposer une colectomie subtotale sans rétablissement de la continuité digestive par voie cœlioscopique, dont
les bénéfices sont nombreux : diminution des douleurs postopératoires, intérêt esthétique, diminution du taux de complications
pariétales, récupération plus rapide d’un transit et probable abaissement du niveau d’immunodépression induite par le geste. L’intervention se termine toujours par la réalisation d’une iléostomie en
fosse iliaque droite et d’une sigmoïdostomie en fosse iliaque
gauche. Ces stomies seront conservées environ 4 mois et le délai
est mis à profit pour améliorer l’état nutritionnel du patient, corriger
l’anémie, l’asthénie, l’anorexie, supprimer la corticothérapie souvent en cours et enfin gérer le segment rectocolique exclus qui est
toujours le siège de la maladie, par des lavements notamment. Le
rétablissement de la continuité digestive chez un patient en bonne
forme clinique pourra ainsi être proposé à nouveau par la voie
cœlioscopique, avec conservation ou suppression du rectum selon
la maladie causale.
Mots clés : colite aiguë, maladie de Crohn, rectocolite hémorragique, colectomie,
coloproctectomie, anastomose iléo-anale, cœlioscopie
doi: 10.1684/hpg.2007.0048
L
a colite aiguë grave peut venir compliquer une rectocolite hémorragique (RCH) ou une maladie de Crohn (MC). La gestion est alors
au mieux assurée par une équipe médico-chirurgicale soudée, de
manière à ce que chaque décision soit prise en commun et largement
expliquée au patient : l’inefficacité d’un traitement médicamenteux maximaliste conduisant à l’intervention chirurgicale est ainsi considérée
comme une étape de prise en charge beaucoup plus que comme un échec
de la proposition médicale. La bonne entente entre médecins et chirurgiens est d’ailleurs souvent bien perçue par le patient qui continuera ainsi
à garder confiance dans le corps médical. C’est un élément capital
lorsqu’il s’agit d’une maladie chronique. De plus, le chirurgien ayant vu le
patient au moment de l’institution du traitement médical « extrême » est
préparé à proposer au patient l’intervention chirurgicale : le conflit qui a
pu autrefois exister entre gastroentérologues et chirurgiens digestifs sur la
Hépato-Gastro, vol. 14, numéro spécial, février 2007
55
Mini-revue
prise en charge des colites aiguës graves et qui n’avait
que des conséquences néfastes pour le patient a ainsi
totalement disparu.
Le traitement chirurgical de la colite aiguë grave,
menaçant très souvent le pronostic vital, comporte
toujours la création d’une stomie, qui restera en place
pour au moins 4 mois.
Étiologie de la colite aiguë grave
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017.
Il s’agit très souvent d’une poussée aiguë de maladie
inflammatoire chronique de l’intestin. Nous n’envisagerons pas ici les colites aiguës graves d’autre origine.
L’atteinte colique en cas de maladie de Crohn est
diversement appréciée dans la littérature, d’autant que
dans les séries de la littérature, l’atteinte de la valvule
iléocæcale est comptabilisée avec l’atteinte colique
vraie. Dans une étude rétrospective de 228 patients
consécutifs opérés pour maladie de Crohn abdominale
prouvée histologiquement, Platell et al. ont dénombré
près de 30 % d’atteinte colique pure (22 % de pancolite et 8 % d’atteinte colique segmentaire) et 26 %
d’atteinte mixte grêlocolique (11 % de localisation
iléale et cæcale, 1 % de localisation jéjunale et colique
et 14 % d’atteinte iléale et colique) [1]. Une étude de la
Mayo Clinic a permis de préciser qu’en cas de localisation colique pure touchant 49 patients, le côlon droit
était atteint dans 12 cas, le côlon gauche dans 31 cas
et que seuls 6 patients présentaient une atteinte bifocale ou diffuse [2].
Le plus souvent quand même, la colite aiguë grave
correspond à une poussée sévère de RCH, volontiers
déjà connue, résistant à la corticothérapie et aux
immunosuppresseurs comme la ciclosporine.
Indication chirurgicale
en cas de colite aiguë grave
Il n’y pas de définition précise de la colite aiguë grave.
La plupart des auteurs s’accordent à retenir ce diagnostic sur une définition clinique et biologique [3] et sur
des critères endoscopiques [4]. Lorsque la poussée de
colite est jugée sévère selon les critères de Truelove, un
traitement médical de première ligne est institué : le
patient est mis à jeun, perfusé et traité par une corticothérapie intraveineuse à la dose quotidienne de
1 mg/kg pour 5 à 7 jours. En l’absence d’amélioration
clinique, il reste à proposer au patient soit l’intensification du traitement médical, soit le traitement chirurgical. Le patient est informé de toutes ces étapes et la
décision finalement retenue lui est expliquée.
En l’absence d’un tableau dit péritonéal (défense diffuse voire contracture généralisée), de troubles hémodynamiques inquiétants et de critères endoscopiques
56
menaçants, se discute un traitement par infliximab à la
dose de 5 mg/kg voire 10 mg/kg en injection intraveineuse. Le délai d’action est assez court (48 heures)
et l’efficacité est jugée non seulement cliniquement
mais aussi endoscopiquement [5]. Ce traitement de
deuxième ligne peut permettre de passer un cap aigu et
d’éviter ainsi l’intervention en urgence dans près d’un
tiers des cas [6].
Dans certains cas, malgré ce traitement de deuxième
ligne et parfois avant même son institution, il faut
recourir à la chirurgie. Il s’agit alors souvent de formes
compliquées : péritonite par perforation en péritoine
libre, perforation bouchée dans un organe voisin,
mégacôlon toxique ou encore persistance de rectorragies nécessitant plusieurs transfusions.
Technique opératoire
Lorsque le pronostic vital est engagé à court terme, il
faut envisager une opération de sauvetage. Elle est plus
sûrement menée par une laparotomie médiane.
L’exploration doit être systématique mais rapide, permettant de confirmer la complication comme une perforation colique, l’extension de la colite et l’existence
ou non d’une atteinte de l’intestin grêle. Le foie doit être
examiné à la recherche d’une stéatose ou d’une très
rare cholangite sclérosante infraclinique [7].
En cas de colite aiguë grave résistant au traitement
médical, la seule intervention à pratiquer est une colectomie subtotale sans rétablissement de la continuité.
Cette opération est menée de droite à gauche, en
sectionnant le mésocôlon à proximité du côlon car il n’y
a bien sûr aucun curage ganglionnaire à réaliser. Il faut
débuter par une incision du péritoine des gouttières
pariétocoliques droite puis gauche, continuer par un
décollement des fascias de Toldt droit puis gauche et
poursuivre par un abaissement des angles coliques
droit puis gauche. Les uretères sont repérés à titre
systématique. Le grand épiploon, qui naît de la grande
courbure gastrique et passe en pont sur le côlon transverse en s’y accolant, est respecté : il est libéré du bord
antérieur du côlon transverse et récliné vers l’estomac.
Le cadre colique peut dès lors être extériorisé de
l’abdomen (figure 1). Le temps suivant est celui de la
colectomie proprement dite. Les artères et veines sont
sectionnées dans la partie moyenne des différents
mésocôlons après une hémostase par ligature au fil
lentement résorbable, par électrocoagulation, par harmonic scalpel ou par thermofusion au ligasure. Les
différents vaisseaux sectionnés sont successivement les
vaisseaux iléo-cæco-colo-appendiculaires, coliques
supérieurs droits, colica média dans le côlon transverse, coliques supérieurs gauches et sigmoïdiens.
L’utilisation de pinces automatiques permet un agrafage et une section de l’iléon distal et du bas sigmoïde.
Hépato-Gastro, vol. 14, numéro spécial, février 2007
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017.
Figure 1. Le cadre colique, une fois libéré de ses attaches péritonéales, peut être extériorisé de l’abdomen. La colectomie par section
du mésocôlon va débuter.
L’inoculation du champ opératoire est ainsi réduite au
minimum. L’iléon est apporté en iléostomie terminale
dans la fosse iliaque droite. Le bas sigmoïde est placé
en sigmoïdostomie dans la fosse iliaque gauche, en
essayant d’en laisser le moins possible. Certains
auteurs placent la sigmoïdostomie dans le bas de la
cicatrice médiane et d’autres abandonnent même le
moignon colique dans l’abdomen.
Les avantages de la colectomie subtotale sont nombreux : c’est une intervention rapide, relativement simple et sûre, réalisable par un chirurgien généraliste, qui
permet de sevrer progressivement le patient de toute
corticothérapie. Pour nous, le bas sigmoïde ne doit pas
être laissé fermé dans l’abdomen car le risque de
désunion est très important en raison d’une paroi
friable, hémorragique et épaisse, d’une pullulation
intraluminale et d’une imprégnation cortisonique fréquente chez un patient dénutri et anémique. Les conséquences d’une ouverture du moignon rectal dans la
cavité péritonéale seraient désastreuses. L’avantage
d’apporter le segment colique en sigmoïdostomie est
de permettre le contrôle de l’évolution muqueuse et
surtout la réalisation d’irrigations antérogrades ou
rétrogrades du segment exclus si la maladie persiste
sur cette courte portion.
Lorsque le pronostic vital n’est pas engagé à court
terme, certains auteurs, dont nous sommes, proposent
de réaliser la colectomie subtotale par voie cœlioscopique. Bell et Seymour ont publié sur une série de 18
patients opérés pour colite aiguë grave par voie
cœlioscopique : la morbidité a touché un tiers des
patients, mais aucun d’entre eux n’a été réopéré en
urgence [8]. Lorsqu’elle est possible, la colectomie
subtotale par voie cœlioscopique associe un avantage
esthétique, une durée de séjour plus courte, un taux de
complication pariétale probablement inférieur et une
réduction du risque d’occlusion sur bride quasi certaine. Marcello et l’équipe de la Cleveland Clinic ont
comparé les résultats d’une colectomie subtotale réalisée par laparoscopie chez 19 patients ayant une colite
aiguë grave à une série appariée de 29 patients traités
par laparotomie pour la même condition [9]. L’intervention par laparoscopie a été significativement plus
longue que par laparotomie (210 versus 120 minutes).
Les avantages dans le groupe laparoscopie ont été un
retour plus rapide du transit (1 versus 2 jours), une
durée de séjour plus courte (4 versus 6 jours), une
cicatrice plus petite, tandis que le taux de complication
était similaire, aux alentours de 20 %. Il faut remarquer
que dans cette publication, le diagnostic de colite aiguë
grave était vaguement précisé et qu’il n’y avait notamment ni fièvre, ni hyperleucocytose, ni tachycardie.
Suites opératoires
Les suites de la colectomie subtotale sont le plus souvent
assurées d’abord en réanimation, puis en service de
chirurgie. La posologie de la corticothérapie va être
progressivement diminuée jusqu’à l’arrêt complet. Lorsque le malade est imprégné de corticoïdes, l’arrêt ne
sera envisagé qu’après un test au Synacthène® ou après
le passage à l’hydrocortisone. Le traitement de l’anémie
et de l’infection éventuelle, l’hyper-alimentation parentérale, le soutien psychologique et la kinésithérapie vont
contribuer à l’amélioration de l’état général. Le rectosigmoïde déconnecté du flux fécal va cicatriser assez
rapidement la plupart du temps, parfois après quelques
irrigations au sérum tiède. Dans les rares cas de persistance de la maladie inflammatoire dans le rectum exclus
(rectorragies, écoulements glaireux voire purulents), un
corticoïde est ajouté au sérum des irrigations. Le patient
est enfin à haut risque thromboembolique et une prophylaxie par héparines de bas poids moléculaire est
obligatoirement instituée. Aucun geste chirurgical ne
sera programmé avant 4 à 6 mois. L’examen anatomopathologique de la pièce opératoire permettra le plus
souvent de confirmer qu’il s’agit d’une maladie de
Crohn ou d’une rectocolite hémorragique.
La conduite ultérieure à tenir dépend largement du
résultat histologique et de l’état du rectum résiduel : s’il
s’agit d’une maladie de Crohn à rectum sain ou peu
atteint, le rétablissement par anastomose iléorectale
(souvent protégée par une iléostomie pour quelques
semaines) peut être programmé. Si le rectum reste très
pathologique, il faut savoir surseoir à tout geste chirurgical. En cas de rectocolite hémorragique, le rétablissement sera une anastomose iléorectale si le rectum a
récupéré un aspect subnormal. Dans le cas contraire, il
faudra envisager le sacrifice du rectum pathologique
résiduel et faire une anastomose iléo-anale avec réservoir en J.
Hépato-Gastro, vol. 14, numéro spécial, février 2007
57
Mini-revue
Conclusion
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017.
La chirurgie de la colite aiguë grave repose sur la
colectomie subtotale sans rétablissement de la continuité digestive en urgence. Elle est au mieux prévue par
l’équipe médicochirurgicale dès que le diagnostic de
gravité clinique et endoscopique est établi. Elle est
réservée au management des complications ou à
l’échec du traitement médical bien conduit. Enfin, les
progrès et l’expérience autorisent d’envisager cette
opération par voie cœlioscopique.
Références
1. Platell C, Mackay J, Woods R. A multivariate analysis of risk factors
associated with recurrence following surgery for Crohn’s disease. Colorectal Disease 2001 ; 3 : 100-6.
58
2. Prabhakar LP, Laramee C, Nelson H, Dozois RR. Avoiding a stoma :
role for segmental or abdominal colectomy in Crohn’s colitis. Dis Colon
Rectum 1997 ; 40 : 71-8.
3. Truelove SC, Witts LS. Cortisone in ulcerative colitis. Final report on a
therapeutic trial. Br Med J 1955 ; 1 : 1041-8.
4. Bouhnik Y. Prise en charge médicale des MICI : les consensus et les
controverses. Gastroenterol Clin Biol 2003 ; 27 : 1S87-1S91.
5. D’haens G, van Deventer S, van Hogezand R, Chalmers D, Kothe C,
Baert F, et al. Endoscopic and histological healing with infliximab antitumor necrosis factor antibodies in Crohn’s disease : a European multicenter trial. Gastroenterology 1999 ; 116 : 1029-34.
6. Hanauer SB, Feagan BG, Lichtenstein GR, Mayer LF, Schreiber S,
Colombel JF, et al. Maintenance infliximab for Crohn’s disease : the
ACCENT I randomised trial. Lancet 2002 ; 359 : 1541-9.
7. Scalone O, Bonaventure C, Pasquier D, Faucheron J-L. Faut-il réaliser
une biopsie hépatique per- opératoire systématique chez tous les malades
opérés pour rectocolite hémorragique? Gastroenterol Clin Biol 2003 ;
27 : 94-9.
8. Bell RL, Seymour NE. Laparoscopic treatment of fulminant ulcerative
colitis. Surg Endosc 2003 ; 16 : 1778-82.
9. Marcello PW, Milsom JW, Wong SK, Brady K, Goormastic M,
Fazio VW. Laparoscopic total colectomy for acute colitis. A case control
study. Dis Colon Rectum 2001 ; 44 : 1441-5.
Hépato-Gastro, vol. 14, numéro spécial, février 2007
Téléchargement