ENQUÊTE SUBAZUR La lettre de valorisation de l’ORS PACA - SE4S (UMR 912 Inserm-IRDUniversité Aix-Marseille) N°21 2009 RegardSanté est la lettre de valorisation des travaux de recherche communs de l’ORS PACA et de SE4S (UMR 912 Inserm-IRD-Université Aix-Marseille) C O N T E X T E & P E R S P E C T I V E S L’accès à des traitements efficaces pour la dépendance aux opiacés, tels que la méthadone ou la buprénorphine, a permis de réduire considérablement les pratiques à risque de transmission du Virus de l’Immunodéficience Humaine (VIH), et en conséquence le nombre de nouvelles infections parmi les usagers de drogue dans notre pays (Emmanuelli et Desenclos 2005). Ces traitements de substitution permettent également d’améliorer l’état de santé global et l’insertion sociale des usagers de drogue qui en bénéficient (Lawrinson, Ali et al. 2008). En dépit de l’efficacité incontestable de ces traitements de substitution, certains des patients traités persistent Pourquoi certains patients traités pour leur dépendance aux opiacés par la buprénorphine ne respectent-ils pas la prescription du médecin ? La dépendance aux opiacés n’est pas un phénomène nouveau et les premiers traitements dits de substitution aux opiacés ont vu le jour dans les années 1960 aux Etats-Unis. A partir des années 1980, du fait du rôle de l’injection et des rapports sexuels non protégés dans la transmission du virus, la prise en charge des usagers de drogues est devenue l’une des préoccupations majeures de la lutte contre l’épidémie de VIH/Sida. Aujourd’hui, près de 100.000 personnes en France reçoivent un traitement pour la dépendance aux opiacés (héroïne, morphine, codéine, …). Deux médicaments sont accessibles, la buprénorphine (Subutex®) qui peut être prescrite par les médecins de ville et la méthadone dont le traitement doit être nécessairement initié en centre spécialisé de soins aux toxicomanes (CSST). En termes d’efficacité, les études ont montré que ces traitements étaient quasiment équivalents (Mattick, Kimber et al. 2004). Du fait de la plus grande accessibilité de la buprénorphine, avec plus de 80.000 personnes traitées, ce médicament présenté sous forme de comprimés est apparu sur le marché noir (Davis and Johnson 2008) et fait l’objet de mauvaises utilisations : certains patients utilisent le traitement non pas par voie orale, tel que le médecin l’a prescrit, mais par injection intraveineuse ou par sniffing (absorption intra-nasale). Peu de recherches ont tenté de comprendre les raisons de ces mauvaises utilisations dans des populations de patients traités par buprénorphine. L’enquête Subazur, menée dans le Sud-Est de la France, nous a donné l’opportunité d’estimer la proportion de patients traités qui s’injectent ou sniffent ce médicament, ainsi que les déterminants associés à ces pratiques. dans des pratiques à risque de transmission du VIH et de l’hépatite C. Surtout, une partie des patients traités par buprénorphine persiste à en « détourner » l’usage en s’injectant ce médicament par voie intraveineuse ou en l’absorbant par voie intranasale (« sniffing »). Si ces mauvaises utilisations de la buprénorphine sont évidemment préoccupantes, elles ne doivent conduire ni à remettre en cause l’intérêt de santé publique de ce traitement, ni à stigmatiser les usagers qui s’y OBJECTIFS L’enquête Subazur avait pour objectif principal de décrire les caractéristiques démographiques et psychosociales des patients traités par buprénorphine. De plus, nous avons étudié la manière dont les patients consommaient leur buprénorphine (par voie orale, par injection ou par sniffing) et leur niveau de satisfaction vis-à-vis du traitement reçu. Par exemple, nous avons observé si les patients pensaient que le traitement prescrit était adapté pour soigner leur dépendance. Cette enquête nous a aussi permis de recueillir d’autres éléments d’informations sur leur état de santé en général. adonnent. Ces « détournements » peuvent en effet être plutôt un signe d’inadéquation des dosages prescrits de buprénorphine et de difficultés dans la prise en charge appropriée des usagers de drogue. Ils conduisent à insister sur la qualité du dialogue entre le patient usager de drogues et son médecin prescripteur. La lettre de valorisation de l’ORS PACA - SE4S (UMR 912 Inserm-IRD-Université Aix-Marseille) Caractéristiques socio-démographiques des patients traités par Buprénorphine (Enquête Subazur/n=111 ) Sniffeurs et injecteurs de buprénorphine : deux profils différents Parmi les 111 patients recevant un traitement par buprénorphine, 68% sont des hommes avec un âge moyen de 38 ans, 40% ont déclaré être infectés par le virus de l’hépatite C et 17% par le VIH. Les Tableaux 1 & 2 présentent les caractéristiques des patients au moment de leur inclusion dans l’enquête (M0). Au total, quand on prend en compte les déclarations des patients lors des deux vagues de l’enquête (M0 et M6) , on constate que la moitié d’entre eux (n=56) reconnaissent avoir utilisé la buprénorphine de façon détournée. Cependant, seuls 12 de ces 56 patients ont à la fois utilisé le médicament par voie intraveineuse et intranasale, et respectivement 23 et 21 patients l’ont utilisé uniquement par injection et uniquement par sniffing. Les tableaux 3 et 4 détaillent les résultats des analyses multivariées conduites afin d’identifier les facteurs associés d’une part à l’injection, d’autre part au sniffing de buprénorphine. Les sniffeurs de buprénorphine apparaissent insatisfaits de leur traitement Parmi l’autre tiers (33/111) des patients qui ont pratiqué le sniffing de buprénorphine, les facteurs associés sont (Tableau 4) : le fait de ne pas vivre en couple, d’avoir été élevé sans parents ou dans une famille monoparentale, d’être un injecteur récent et d’avoir des antécédents de sniffing d’autres produits, comme la cocaïne, avant la mise sous traitement. De plus, ceux qui sniffent la buprénorphine se déclarent plus souvent que les autres patients « insatisfaits du traitement qui leur est prescrit ». Les résultats de cette enquête ont été publiés dans deux journaux scientifiques spécialisés du domaine (Roux, Villes et al. 2008; Roux, Villes et al. 2008). D’une part, les patients susceptibles d’injecter leur traitement par buprénorphine perçoivent les dosages qui leur sont prescrits comme inadéquats et présentent un profil de dépendance aux drogues plus sévère. En France, les dosages recommandés pour le traitement N (%) Ayant un enfant 57 (54) Vivant en couple 48 (45) Niveau Bac 26 (27) Ayant un emploi 53 (49) Ayant un logement stable 97 (91) Propriétaire ou locataire de leur logement 12 (13) Bon état de santé général 84 (79) Tableau 1. Pratiques addictives déclarées par les patients traités par buprénorphine (Enquête Subazur- M0 - n=111 ) N (%) Injection de Buprénorphine Dépendance à l’héroïne Des dosages inadaptés chez les injecteurs de buprénorphine Chez le tiers des patients (36/111) qui se sont injectés la buprénorphine en cours de traitement, les facteurs associés sont (Tableau 3) : une histoire de toxicomanie plus ancienne, des antécédents d’overdose ou des tentatives de suicide. De plus, les patients qui perçoivent les dosages de buprénorphine qui leur sont prescrits comme « inadaptés » à leur dépendance ont plus de risques de s’injecter la buprénorphine que le médecin leur a prescrite. Caractéristiques socio-démographiques à M0 1 35 (32) 2 85 (77) Dépendance à la cocaïne2 Dépendance à l’alcool 14 (13) 2 Dépendance à l’alcool (CAGE) 9 (8) 3 27 (24) Episode antérieur d’overdose 26 (24) Idées suicidaires ou tentatives de suicide 44 (40) Dépendance à plusieurs drogues 21 (19) 4 Depuis le début du traitement par BUP Avant le début du traitement par BUP 3 Dans l’année précédant la visite 4 Plus de 2 produits non prescrits 1 2 Tableau 2. par buprénorphine sont plus faibles que dans la plupart des autres pays où ce médicament est accessible. Comme l’avait déjà suggéré une recherche antérieure (Vidal-Trecan, Varescon et al. 2003), des dosages perçus comme insuffisants peuvent expliquer le recours à la buprénorphine par voie intraveineuse qui procure un effet plus intense et plus immédiat du produit que par voie sublinguale. De plus, la sévérité de la dépendance des patients pratiquant l’injection de buprénorphine pourrait indiquer la nécessité d’un changement de traitement vers la méthadone qui pourrait s’avérer plus efficace. Dispenser des soins adaptés pour la dépendance aux drogues et les comorbidités psychiatriques en médecine de ville est un enjeu majeur pour lutter contre l’épidémie d’hépatite C, dont la prévalence atteint près de 60% dans la population des usagers de drogue. Comme la persistance de la consommation d’héroïne au cours du traitement par la méthadone, l’injection de buprénorphine devrait plutôt être considérée comme une conséquence de soins inadéquats plutôt que comme un simple « mésusage » qui serait de la responsabilité seule des patients. Une évaluation régulière de l’efficacité du traitement, afin de modifier les dosages prescrits ou de proposer un traitement La lettre de valorisation de l’ORS PACA - SE4S (UMR 912 Inserm-IRD-Université Aix-Marseille) Facteurs associés à l’injection de buprénorphine parmi les patients traités (Enquête Subazur, N=186 patients/visites) Nb. de visites (%) OR [95% CI] p-value 18 [13;24] 1.05 [1.01-1.10] 0.01 Non 154 (86) 1 Oui 26 (14) 2.7 [1.1-7.0] Non 109 (59) 1 Oui 77 (41) 2.6 [1.2-5.7] Durée médiane depuis la première injection (années) Perception des dosages comme inadéquats 0.04 Idées suicidaires ou tentatives de suicide# # 0.02 au cours de la vie Tableau 3. par méthadone, pourrait permettre d’éviter cette mauvaise utilisation de la buprénorphine et d‘assurer une meilleure observance. D’autre part, les facteurs associés au sniffing de buprénorphine sont différents de ceux retrouvés chez les injecteurs. Plus qu’un problème de dosage de la buprénorphine en tant que tel, c’est le traitement lui-même qui est perçu comme inapproprié par les patients qui en détournent l’usage par voie intra-nasale. Ces derniers ont des antécédents de pratique de sniffing de drogues plus importants et ceci pourrait être l’expression d’un besoin d’adapter la prise en charge médicale à ce type de pratique. De la même manière que l’injection de buprénorphine, le sniffing doit avant tout être abordé par le médecin comme un risque pour son patient de transmission du virus de l’hépatite C et, dans une moindre mesure, d’inhaler des particules toxiques. Améliorer la relation du médecin prescripteur avec le patient usager de drogue Les résultats de l’enquête Subazur ont contribué à montrer que les deux pratiques différentes de détournement de la buprénorphine n’ont pas les mêmes déterminants et qu’il est donc nécessaire d’adapter la prise en charge aux spécificités de chacune d’entre elles. Dans les deux cas, l’enquête montre cependant que tant l’injection que le sniffing peut être la réponse du patient à des soins inadaptés. Il s’agit donc bien de promouvoir un partage d’expériences, entre la connaissance du médecin et le vécu du patient, qui permettrait d’améliorer la qualité de la relation médecin-patient et d’adapter au mieux le traitement prescrit. En particulier, l’adaptation posologique de ce type de traitement est une étape délicate dans la prise en charge qui dépend de nombreux paramètres que le médecin n’est pas toujours en mesure d’identifier. Le niveau de dosage initialement prescrit ne garantit pas l’efficacité du traitement par la buprénorphine et il est donc essentiel que la pratique clinique puisse modifier le traitement en fonction des difficultés exprimées par les patients. De manière plus globale, ces pratiques de mauvaises utilisations des traitements de la dépendance aux opiacés renforcent la nécessité que les médecins de ville puissent à terme prescrire d’autres traitements de substitution aux opiacés que la seule buprénorphine. A ce sujet, notre unité de recherche a été désignée pour coordonner l’étude ANRS-Méthaville dont l’objectif est d’évaluer l’initiation d’un traitement par méthadone en médecine de ville. Cette initiative va dans le sens d’un élargissement de l’accès aux traitements et d’une meilleure coordination entre les professionnels de santé pour une dispensation de soins adaptés à la diversité des profils de patients dépendants aux opiacés. Facteurs associés au sniffing de buprénorphine parmi les patients traités (Enquête Subazur, N=186 patients/visites) Nb. de visites (%) OR [95% CI] Oui 84 (47) 1 Non 96 (53) 3.6 [1.3-9.6] p-value Avoir une relation stable 0.01 Antécédents de sniffing d’autres produits Non 98 (53) 1 Oui 87 (47) 7.7 [2.7-21.9] Oui 160 (88) 1 Non 21 (12) 3.4 [1.2-10.0] <10-3 Satisfaction vis-à-vis du traitement 0.02 Enfance avec aucun ou un seul parent Non 94 (51) 1 Oui 92 (49) 3.2 [1.2-8.4] Tableau 4. La lettre de valorisation de l’ORS PACA - SE4S (UMR 912 Inserm-IRD-Université Aix-Marseille) 0.02 ENQUÊTE SUBAZUR La lettre de valorisation de l’ORS PACA - SE4S (UMR 912 Inserm-IRDUniversité Aix-Marseille) N°21 2009 RegardSanté est la lettre de valorisation des travaux de recherche communs de l’ORS PACA et de SE4S (UMR 912 Inserm-IRD-Université Aix-Marseille) Remerciements Cette recherche a bénéficié de l’aide conjointe de la Mission Interministérielle de la Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie (MILDT) et de l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM) dans le cadre de leur appel commun à projets de 2002. Des remerciements sont tout Repères méthodologiques L’enquête Subazur a consisté en une étude longitudinale avec deux points de suivi auprès de patients traités par buprénorphine dans les départements des Bouches du Rhône et du Vaucluse. L’étude a porté sur des patients traités par buprénorphine depuis au moins 3 mois, recrutés de manière aléatoire, entre octobre et décembre 2004, dans les files actives de médecins de ville, à partir des listes de prescription des caisses d’assurance maladie. Un premier entretien téléphonique a eu lieu au moment du recrutement du patient par le médecin (M0), puis un second entretien 6 mois plus tard. Au total 32 médecins ont permis le recrutement de 111 personnes dépendantes aux opiacés traitées par buprénorphine. Le second entretien téléphonique 6 mois après le premier (M6) a été réalisé auprès de 75 patients, les 36 patients restants n’ayant pas pu être recontactés. Au total, l’analyse multivariée des données a donc porté sur 186 observations (75 patients vu deux fois et 36 seulement à l’inclusion). Le questionnaire administré au premier entretien (M0) a permis le recueil de données sur l’histoire du patient relative à ses problèmes de dépendance aux drogues ainsi que sur son parcours thérapeutique. Aux deux entretiens (M0 et M6), les questionnaires ont porté sur les consommations récentes de drogues et l’expérience du patient avec son traitement par buprénorphine. Pour l’analyse multivariée des données, des modèles de régression logistique basés sur la méthode dite “Generalised Estimating Equations” (GEE) ont été utilisés. Cette méthode permet de prendre en compte les corrélations liées au fait d’interviewer les mêmes individus à plusieurs moments du temps. particulièrement adressés aux médecins qui ont été engagés dans cette enquête, et au réseau de médecins généralistes et toxicomanies « Rétox 84 » à Avignon. Nous tenons également à remercier tous les patients ayant accepté de participer à cette enquête ainsi que l’ensemble des membres du comité de pilotage de l’enquête Subazur : M.BOZON, E.DI LEO, Pr S.HERSON, E.COSSE, A.DELMOTTE, M.DRICOT, Pr S.MATHERON, V.FLEURY, J-Y.FERRARINI, F.OLIVET, C.HERZLICH, B.RWEGERA, D.COSTAGLIOLA, Dr D.BRY, S.GUGLIELMI, H.ROSSERT. RegardSanté est la lettre de valorisation des travaux publiés dans des revues scientifiques, menés en commun dans le cadre du partenariat de recherche entre SE4S « Sciences Economiques & Sociales, Systèmes de Santé, Sociétés » (UMR 912 Inserm-IRD-Université Aix-Marseille) dirigée par le Pr J.P. Moatti et l’Observatoire régional de la santé Provence-Alpes-Côte d’Azur (ORS PACA) dirigé par le Dr Y. Obadia. RegardSanté N°21 - Novembre 2009 Editeur : ORSPACA - SE4S (UMR 912 Inserm-IRD-Université Aix-Marseille) 23 rue Stanislas Torrents 13006 Marseille Directeur de la publication : Dr Y. OBADIA Maquette : C. JUIN - Dépôt légal : JUIN 2003 N° d’ISSN : 1639-7622 Tirage : 2000 exemplaires Imprimeur : Espace Imprimerie - Marseille Pour en savoir plus Davis, W. R. and B. D. Johnson (2008). « Prescription opioid use, misuse, and diversion among street drug users in New York City. » Drug Alcohol Depend 92 (1-3) : 267-76. Emmanuelli, J. and J. C. Desenclos (2005). « Harm reduction interventions, behaviours and associated health outcomes in France, 1996-2003. » Addiction 100(11) : 1690-700. Lawrinson, P., R. Ali, et al. (2008). « Key findings from the WHO collaborative study on substitution therapy for opioid dependence and HIV/AIDS. » Addiction 103(9) : 1484-92. Mattick, R. P., J. Kimber, et al. (2004). « Buprenorphine maintenance versus placebo or methadone maintenance for opioid dependence. » Cochrane Database Syst Rev(3) : CD002207. Roux, P., V. Villes, et al. (2008). « Buprenorphine in primary care : Risk factors for treatment injection and implications for clinical management. » Drug Alcohol Depend 97(1-2) : 105-13. Roux, P., V. Villes, et al. (2008). « Buprenorphine sniffing as a response to inadequate care in substituted patients : results from the Subazur survey in south-eastern France. » Addict Behav 33(12) : 1625-9. Vidal-Trecan, G., I. Varescon, et al. (2003). « Intravenous use of prescribed sublingual buprenorphine tablets by drug users receiving maintenance therapy in France. » Drug Alcohol Depend 69(2) : 175-81. Observatoire Régional de la Santé Provence-Alpes-Côte d’Azur 23, rue Stanislas Torrents.13006 Marseille.France Tél.:(+33)04 91 59 89 00 / Fax :(+33)04 91 59 89 24 Courriel : [email protected] / Site Internet : www.se4s-orspaca.org La lettre de valorisation de l’ORS PACA - SE4S (UMR 912 Inserm-IRD-Université Aix-Marseille)