D O S S I E R La buprénorphine haut dosage (HD) (1 re partie) Coordinateur : P. Marquet, Limoges Éditorial " La buprénorphine haut dosage (HD) dans tous ses états : face aux promesses et aux services rendus, les incertitudes - G. Lagier " Pharmacologie de la buprénorphine haut dosage (HD) - P. Marquet " Buprénorphine haut dosage (HD) chez les héroïmanes : drogue ou traitement ? M. Auriacombe, P. Franques, E. Mangon, J.P. Daulouède, J. Tignol " Étude comparative des nouveau-nés de mères substituées par méthadone ou buprénorphine haut dosage (HD) pendant la grossesse - Groupe d’études grossesse et addictions Analyse effectuée par S. Aubisson, F. Cneude, C. Lejeune, L. Simmat-Durand " Étude pharmacologique et toxicologique des syndromes de sevrage chez le nouveau-né de mère substituée par la buprénorphine haut dosage (HD) pendant la grossesse - P. Marquet, P. Lavignasse, G. Merle, J.M. Gaulier La buprénorphine haut dosage (HD) dans tous ses états : face aux promesses et aux services rendus, les incertitudes " G. Lagier* L a buprénorphine appartient à la curiosité pharmacotoxicologique que constituent les opioïdes agonistes partiels et agonistes-antagonistes. C’est un agoniste partiel µ (mu) et un antagoniste κ (kappa). Tous les opioïdes de cette nature qui ont pu être étudiés jusqu’à présent (d’autres exemples sont la pentazocine ou la dézocine) ont en commun d’avoir une activité analgésique maximale qui n’atteint, dans le meilleur des cas, qu’environ 80 % de l’activité analgésique maximale de la morphine. Ils ont aussi un potentiel addictif moindre. La buprénorphine a surtout deux caractéristiques qui justifient l’intérêt qui lui est porté, en particulier par le National Institute of Drug Abuse (NIDA), depuis le tout début des années 80. ! La première de ces caractéristiques est une longue durée de fixation sur les récepteurs, expliquant une durée d’action elle- * Université Paris 7, hôpital Fernand-Widal, 75010 Paris. 38 même relativement longue. Cette propriété est très intéressante dans le cadre des traitements de substitution tels qu'ils ont été définis et évalués depuis trente ans, car elle donne la possibilité de couvrir le nycthémère avec une seule prise quotidienne. La méthadone possède aussi cette caractéristique, ce qui expliqua son choix. Mais certains patients métabolisant très rapidement la méthadone doivent être traités avec des doses très importantes, entraînant souvent une somnolence excessive, ce qui amène à préconiser alors deux prises quotidiennes. Cette obligation peut être gênante pour la prise en charge de ces patients (et explique que l’utilisation du lévométhadol [LAAM] puisse être intéressante dans de tels cas). La longue durée d’action des médicaments utilisés pour la substitution est une qualité qui paraît essentielle aux experts, permettant non seulement de contrôler plus aisément la prise du médicament, mais aussi d’éviter la problématique de cette prise et des confrontations trop fréquentes du patient avec de nombreuses occasions de dérives d’utilisation. Il ne faut pas oublier que l’apport des traitements de substitution paraît depuis le début incontestable sur le terrain, mais qu’il n’a pas été démontré de la manière la plus rigoureuse possible pour diverses raisons, en particulier La Lettre du Pharmacologue - Volume 15 - no 3 - mars 2001 D historiques, éthiques et de faisabilité. C’est le cas de la méthadone, et aussi celui de la buprénorphine HD (haut dosage) dont, par exemple, l'intérêt a été évalué dans des études cliniques où la réalité et la conformité de la prise du médicament quotidienne étaient assurées de manière rigoureuse, alors que c'est loin d'être toujours le cas en utilisation courante. L’efficacité des traitements de substitution semble, de plus, toujours fortement liée à la qualité de la prise en charge médico-psychosociale des patients. Quelles que soient les difficultés d’appréciation générées par certaines observations, la seconde caractéristique démontrée de la buprénorphine est une capacité dépressive respiratoire généralement bien moindre que celle des autres opioïdes agonistes complets et forts tels que l’héroïne, la morphine, la méthadone et le LAAM, et même que celle des agonistes complets faibles, tel le dextropropoxyphène. Cette qualité est évidente dans le cadre d’une utilisation comme antalgique, où la posologie quotidienne préconisée de la buprénorphine est de 1,2 mg. Elle l’est beaucoup moins avec la buprénorphine HD utilisée à forte posologie comme traitement de substitution, même si la marge semble incomparable avec celle des agonistes complets et forts comme la méthadone ou le LAAM, avec lesquels une augmentation de posologie de l’ordre de 20 % seulement est susceptible d’entraîner une dépression respiratoire mortelle. Cependant, la marge de sécurité de la buprénorphine HD, pour intéressante qu’elle soit, n’est pas un acquis définitif, et de nombreux signalements montrent qu’une dépression respiratoire importante, voire létale, est possible, notamment en cas d’association à d’autres dépresseurs respiratoires potentiels comme les benzodiazépines, les uns et les autres surtout utilisés à doses suprathérapeutiques ou par voie intraveineuse. ! La relation causale entre mort par dépression respiratoire et utilisation de buprénorphine est difficile à établir dans la plupart des cas et la volonté de collaboration affichée des instituts de médecine légale avec les centres d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance, dans le cadre du programme DRAMES (Décès en Relation avec l’Abus de Médicaments Et de Substances) semble notamment de nature à permettre de mieux appréhender les risques létaux possibles de la buprénorphine et les facteurs favorisants. D’autres progrès sont également attendus, en particulier dans les modalités de surveillance des traitements (dosages) et l’appréciation de la sécurité d’emploi de ce médicament chez la femme enceinte, mais il convient d’ores et déjà d’être conscient des limites de la buprénorphine HD en matière de sécurité et de bien avertir les usagers de ses dangers. L’utilisation détournée de la buprénorphine HD par voie intraveineuse (i.v.) est couramment constatée, alors même que les caractéristiques de base du produit sont relativement peu La Lettre du Pharmacologue - Volume 15 - no 3 - mars 2001 O S S I E R “attractives” et que, comme avec d’autres opioïdes agonistes partiels et agonistes-antagonistes, il n’existe pas d’effet renforçateur (augmentation de l’attrait pour le produit lorsque les doses augmentent) dans les études effectuées chez l’animal. Cette utilisation par voie intraveineuse constitue un problème de santé publique qui ne peut être ignoré et qu’il conviendrait de réduire autant que possible par l’information sur les risques de dépression respiratoire et un meilleur encadrement des patients utilisant la buprénorphine HD. Comme cela va, semble-t-il, être le cas aux États-Unis bientôt, la mise à disposition des États membres de l’Union européenne d’un médicament de substitution associant de la buprénorphine et de la naloxone (antagoniste opioïde à courte durée d’action qui n’est vraiment actif que par voie i.v.) est attendue dans un avenir maintenant relativement proche. Cette association serait la bienvenue, car elle élargirait la gamme des médicaments de substitution ayant une indication officielle qui permettent de garder parfaitement clair le cadre du traitement de substitution aux yeux des patients, des médecins, des pharmaciens et de l’opinion publique. Au terme des études effectuées, cette association serait de nature à réduire encore, pour autant qu’on sache, l’attrait de la buprénorphine HD par voie i.v. et les risques inhérents à cette voie : dépression respiratoire, abcès et infections diverses. Le rapport de dose buprénorphine/naloxone (4/1) sur lequel on s’oriente maintenant devrait, en principe, éviter la survenue d’un syndrome de sevrage significatif en cas d’utilisation intraveineuse abusive de ce médicament. La commercialisation d’une telle association est attendue en France depuis le début de l’utilisation de la buprénorphine HD, sans que l'on ait pour autant retardé sa mise à disposition, compte tenu de la nécessité d'utiliser un produit plus facilement maniable que la méthadone dans un contexte de médecine de ville et de réseaux en cours de constitution. Cette association constituera probablement un progrès, et apparaît comme une évolution logique et souhaitable dans ce cadre relativement libéral par rapport à la méthadone et au LAAM. La buprénorphine HD devra trouver une place, éventuellement revue, dans ce contexte. Rien ne doit, en effet, faire oublier les exigences de tout traitement de substitution, en particulier la nécessité d'un cadre réglementaire rigoureux et parfaitement adapté aux caractéristiques et aux risques des produits, une bonne compréhension de la problématique des traitements de substitution, de leurs limites et de leurs dangers, ainsi que des précautions à prendre et des vrais besoins des patients, par l’ensemble des acteurs concernés. Ce n’est qu’à ces conditions que les différents médicaments de substitution, ceux actuellement réservés à cet usage et ceux qui le seront vraisemblablement bientôt, pourront continuer à représenter un apport capital dans la prise en charge des patients dépendant des opiacés. # 39