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La Lettre du Pharmacologue - Volume 15 - n
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3 - mars 2001
DOSSIER
a buprénorphine appartient à la curiosité pharmaco-
toxicologique que constituent les opioïdes agonistes
partiels et agonistes-antagonistes. C’est un agoniste
partiel
µ
(mu) et un antagoniste
κ
(kappa). Tous les opioïdes
de cette nature qui ont pu être étudiés jusqu’à présent (d’autres
exemples sont la pentazocine ou la dézocine) ont en commun
d’avoir une activité analgésique maximale qui n’atteint, dans
le meilleur des cas, qu’environ 80 % de l’activité analgésique
maximale de la morphine. Ils ont aussi un potentiel addictif
moindre.
La buprénorphine a surtout deux caractéristiques qui justifient
l’intérêt qui lui est porté, en particulier par le National Insti-
tute of Drug Abuse (NIDA), depuis le tout début des années 80.
! La première de ces caractéristiques est une longue durée de
fixation sur les récepteurs, expliquant une durée d’action elle-
même relativement longue. Cette propriété est très intéressante
dans le cadre des traitements de substitution tels qu'ils ont été
définis et évalués depuis trente ans, car elle donne la possibilité
de couvrir le nycthémère avec une seule prise quotidienne. La
méthadone possède aussi cette caractéristique, ce qui expliqua
son choix. Mais certains patients métabolisant très rapidement
la méthadone doivent être traités avec des doses très impor-
tantes, entraînant souvent une somnolence excessive, ce qui
amène à préconiser alors deux prises quotidiennes. Cette obli-
gation peut être gênante pour la prise en charge de ces patients
(et explique que l’utilisation du lévométhadol [LAAM] puisse
être intéressante dans de tels cas). La longue durée d’action
des médicaments utilisés pour la substitution est une qualité
qui paraît essentielle aux experts, permettant non seulement de
contrôler plus aisément la prise du médicament, mais aussi
d’éviter la problématique de cette prise et des confrontations
trop fréquentes du patient avec de nombreuses occasions de
dérives d’utilisation. Il ne faut pas oublier que l’apport des
traitements de substitution paraît depuis le début incontestable
sur le terrain, mais qu’il n’a pas été démontré de la manière la
plus rigoureuse possible pour diverses raisons, en particulier
* Université Paris 7, hôpital Fernand-Widal, 75010 Paris.
La buprénorphine haut dosage (HD) (1re partie)
Coordinateur : P. Marquet, Limoges
Éditorial "La buprénorphine haut dosage (HD) dans tous ses états :
face aux promesses et aux services rendus,les incertitudes - G.Lagier
"Pharmacologie de la buprénorphine haut dosage (HD) - P. Marquet
"Buprénorphine haut dosage (HD) chez les héroïmanes :drogue ou traitement ?
M.Auriacombe,P.Franques,E. Mangon,J.P.Daulouède, J.Tignol
"Étude comparative des nouveau-nés de mères substituées par méthadone
ou buprénorphine haut dosage (HD) pendant la grossesse - Groupe d’études grossesse et addictions -
Analyse effectuée par S.Aubisson,F.Cneude,C.Lejeune, L.Simmat-Durand
"Étude pharmacologique et toxicologique des syndromes de sevrage
chez le nouveau-né de mère substituée par la buprénorphine haut dosage (HD)
pendant la grossesse - P. Marquet,P.Lavignasse,G.Merle, J.M.Gaulier
La buprénorphine haut dosage (HD) dans tous ses états :
face aux promesses et aux services rendus, les incertitudes
"
G. Lagier*
L
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historiques, éthiques et de faisabilité. C’est le cas de la métha-
done, et aussi celui de la buprénorphine HD (haut dosage) dont,
par exemple, l'intérêt a été évalué dans des études cliniques où
la réalité et la conformité de la prise du médicament quoti-
dienne étaient assurées de manière rigoureuse, alors que c'est
loin d'être toujours le cas en utilisation courante. L’efficacité
des traitements de substitution semble, de plus, toujours forte-
ment liée à la qualité de la prise en charge médico-psycho-
sociale des patients.
! Quelles que soient les difficultés d’appréciation générées
par certaines observations, la seconde caractéristique démon-
trée de la buprénorphine est une capacité dépressive respira-
toire généralement bien moindre que celle des autres opioïdes
agonistes complets et forts tels que l’héroïne, la morphine, la
méthadone et le LAAM, et même que celle des agonistes com-
plets faibles, tel le dextropropoxyphène. Cette qualité est évi-
dente dans le cadre d’une utilisation comme antalgique, où la
posologie quotidienne préconisée de la buprénorphine est de
1,2 mg. Elle l’est beaucoup moins avec la buprénorphine HD
utilisée à forte posologie comme traitement de substitution,
même si la marge semble incomparable avec celle des ago-
nistes complets et forts comme la méthadone ou le LAAM, avec
lesquels une augmentation de posologie de l’ordre de 20 %
seulement est susceptible d’entraîner une dépression respira-
toire mortelle. Cependant, la marge de sécurité de la bupré-
norphine HD, pour intéressante qu’elle soit, n’est pas un
acquis définitif, et de nombreux signalements montrent qu’une
dépression respiratoire importante, voire létale, est possible,
notamment en cas d’association à d’autres dépresseurs respi-
ratoires potentiels comme les benzodiazépines, les uns et les
autres surtout utilisés à doses suprathérapeutiques ou par voie
intraveineuse.
La relation causale entre mort par dépression respiratoire et
utilisation de buprénorphine est difficile à établir dans la plu-
part des cas et la volonté de collaboration affichée des insti-
tuts de médecine légale avec les centres d’évaluation et d’in-
formation sur la pharmacodépendance, dans le cadre du
programme DRAMES (Décès en Relation avec l’Abus de Médi-
caments Et de Substances) semble notamment de nature à per-
mettre de mieux appréhender les risques létaux possibles de la
buprénorphine et les facteurs favorisants. D’autres progrès sont
également attendus, en particulier dans les modalités de sur-
veillance des traitements (dosages) et l’appréciation de la sécu-
rité d’emploi de ce médicament chez la femme enceinte, mais
il convient d’ores et déjà d’être conscient des limites de la
buprénorphine HD en matière de sécurité et de bien avertir les
usagers de ses dangers.
L’utilisation détournée de la buprénorphine HD par voie intra-
veineuse (i.v.) est couramment constatée, alors même que les
caractéristiques de base du produit sont relativement peu
“attractives” et que, comme avec d’autres opioïdes agonistes
partiels et agonistes-antagonistes, il n’existe pas d’effet ren-
forçateur (augmentation de l’attrait pour le produit lorsque les
doses augmentent) dans les études effectuées chez l’animal.
Cette utilisation par voie intraveineuse constitue un problème
de santé publique qui ne peut être ignoré et qu’il conviendrait
de réduire autant que possible par l’information sur les risques
de dépression respiratoire et un meilleur encadrement des
patients utilisant la buprénorphine HD. Comme cela va,
semble-t-il, être le cas aux États-Unis bientôt, la mise à dispo-
sition des États membres de l’Union européenne d’un médica-
ment de substitution associant de la buprénorphine et de la
naloxone (antagoniste opioïde à courte durée d’action qui n’est
vraiment actif que par voie i.v.) est attendue dans un avenir
maintenant relativement proche. Cette association serait la
bienvenue, car elle élargirait la gamme des médicaments de
substitution ayant une indication officielle qui permettent
de garder parfaitement clair le cadre du traitement de substi-
tution aux yeux des patients, des médecins, des pharmaciens
et de l’opinion publique. Au terme des études effectuées,
cette association serait de nature à réduire encore, pour autant
qu’on sache, l’attrait de la buprénorphine HD par voie i.v.
et les risques inhérents à cette voie : dépression respiratoire,
abcès et infections diverses. Le rapport de dose buprénor-
phine/naloxone (4/1) sur lequel on s’oriente maintenant devrait,
en principe, éviter la survenue d’un syndrome de sevrage
significatif en cas d’utilisation intraveineuse abusive de ce
médicament.
La commercialisation d’une telle association est attendue en
France depuis le début de l’utilisation de la buprénorphine HD,
sans que l'on ait pour autant retardé sa mise à disposition,
compte tenu de la nécessité d'utiliser un produit plus facilement
maniable que la méthadone dans un contexte de médecine de
ville et de réseaux en cours de constitution. Cette association
constituera probablement un progrès, et apparaît comme une
évolution logique et souhaitable dans ce cadre relativement
libéral par rapport à la méthadone et au LAAM. La buprénor-
phine HD devra trouver une place, éventuellement revue, dans
ce contexte. Rien ne doit, en effet, faire oublier les exigences
de tout traitement de substitution, en particulier la nécessité
d'un cadre réglementaire rigoureux et parfaitement adapté aux
caractéristiques et aux risques des produits, une bonne com-
préhension de la problématique des traitements de substitution,
de leurs limites et de leurs dangers, ainsi que des précautions
à prendre et des vrais besoins des patients, par l’ensemble des
acteurs concernés.
Ce n’est qu’à ces conditions que les différents médicaments de
substitution, ceux actuellement réservés à cet usage et ceux qui
le seront vraisemblablement bientôt, pourront continuer à
représenter un apport capital dans la prise en charge des
patients dépendant des opiacés. #
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