La Lettre du Pharmacologue - Volume 15 - n
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3 - mars 2001
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DOSSIER
historiques, éthiques et de faisabilité. C’est le cas de la métha-
done, et aussi celui de la buprénorphine HD (haut dosage) dont,
par exemple, l'intérêt a été évalué dans des études cliniques où
la réalité et la conformité de la prise du médicament quoti-
dienne étaient assurées de manière rigoureuse, alors que c'est
loin d'être toujours le cas en utilisation courante. L’efficacité
des traitements de substitution semble, de plus, toujours forte-
ment liée à la qualité de la prise en charge médico-psycho-
sociale des patients.
! Quelles que soient les difficultés d’appréciation générées
par certaines observations, la seconde caractéristique démon-
trée de la buprénorphine est une capacité dépressive respira-
toire généralement bien moindre que celle des autres opioïdes
agonistes complets et forts tels que l’héroïne, la morphine, la
méthadone et le LAAM, et même que celle des agonistes com-
plets faibles, tel le dextropropoxyphène. Cette qualité est évi-
dente dans le cadre d’une utilisation comme antalgique, où la
posologie quotidienne préconisée de la buprénorphine est de
1,2 mg. Elle l’est beaucoup moins avec la buprénorphine HD
utilisée à forte posologie comme traitement de substitution,
même si la marge semble incomparable avec celle des ago-
nistes complets et forts comme la méthadone ou le LAAM, avec
lesquels une augmentation de posologie de l’ordre de 20 %
seulement est susceptible d’entraîner une dépression respira-
toire mortelle. Cependant, la marge de sécurité de la bupré-
norphine HD, pour intéressante qu’elle soit, n’est pas un
acquis définitif, et de nombreux signalements montrent qu’une
dépression respiratoire importante, voire létale, est possible,
notamment en cas d’association à d’autres dépresseurs respi-
ratoires potentiels comme les benzodiazépines, les uns et les
autres surtout utilisés à doses suprathérapeutiques ou par voie
intraveineuse.
La relation causale entre mort par dépression respiratoire et
utilisation de buprénorphine est difficile à établir dans la plu-
part des cas et la volonté de collaboration affichée des insti-
tuts de médecine légale avec les centres d’évaluation et d’in-
formation sur la pharmacodépendance, dans le cadre du
programme DRAMES (Décès en Relation avec l’Abus de Médi-
caments Et de Substances) semble notamment de nature à per-
mettre de mieux appréhender les risques létaux possibles de la
buprénorphine et les facteurs favorisants. D’autres progrès sont
également attendus, en particulier dans les modalités de sur-
veillance des traitements (dosages) et l’appréciation de la sécu-
rité d’emploi de ce médicament chez la femme enceinte, mais
il convient d’ores et déjà d’être conscient des limites de la
buprénorphine HD en matière de sécurité et de bien avertir les
usagers de ses dangers.
L’utilisation détournée de la buprénorphine HD par voie intra-
veineuse (i.v.) est couramment constatée, alors même que les
caractéristiques de base du produit sont relativement peu
“attractives” et que, comme avec d’autres opioïdes agonistes
partiels et agonistes-antagonistes, il n’existe pas d’effet ren-
forçateur (augmentation de l’attrait pour le produit lorsque les
doses augmentent) dans les études effectuées chez l’animal.
Cette utilisation par voie intraveineuse constitue un problème
de santé publique qui ne peut être ignoré et qu’il conviendrait
de réduire autant que possible par l’information sur les risques
de dépression respiratoire et un meilleur encadrement des
patients utilisant la buprénorphine HD. Comme cela va,
semble-t-il, être le cas aux États-Unis bientôt, la mise à dispo-
sition des États membres de l’Union européenne d’un médica-
ment de substitution associant de la buprénorphine et de la
naloxone (antagoniste opioïde à courte durée d’action qui n’est
vraiment actif que par voie i.v.) est attendue dans un avenir
maintenant relativement proche. Cette association serait la
bienvenue, car elle élargirait la gamme des médicaments de
substitution ayant une indication officielle qui permettent
de garder parfaitement clair le cadre du traitement de substi-
tution aux yeux des patients, des médecins, des pharmaciens
et de l’opinion publique. Au terme des études effectuées,
cette association serait de nature à réduire encore, pour autant
qu’on sache, l’attrait de la buprénorphine HD par voie i.v.
et les risques inhérents à cette voie : dépression respiratoire,
abcès et infections diverses. Le rapport de dose buprénor-
phine/naloxone (4/1) sur lequel on s’oriente maintenant devrait,
en principe, éviter la survenue d’un syndrome de sevrage
significatif en cas d’utilisation intraveineuse abusive de ce
médicament.
La commercialisation d’une telle association est attendue en
France depuis le début de l’utilisation de la buprénorphine HD,
sans que l'on ait pour autant retardé sa mise à disposition,
compte tenu de la nécessité d'utiliser un produit plus facilement
maniable que la méthadone dans un contexte de médecine de
ville et de réseaux en cours de constitution. Cette association
constituera probablement un progrès, et apparaît comme une
évolution logique et souhaitable dans ce cadre relativement
libéral par rapport à la méthadone et au LAAM. La buprénor-
phine HD devra trouver une place, éventuellement revue, dans
ce contexte. Rien ne doit, en effet, faire oublier les exigences
de tout traitement de substitution, en particulier la nécessité
d'un cadre réglementaire rigoureux et parfaitement adapté aux
caractéristiques et aux risques des produits, une bonne com-
préhension de la problématique des traitements de substitution,
de leurs limites et de leurs dangers, ainsi que des précautions
à prendre et des vrais besoins des patients, par l’ensemble des
acteurs concernés.
Ce n’est qu’à ces conditions que les différents médicaments de
substitution, ceux actuellement réservés à cet usage et ceux qui
le seront vraisemblablement bientôt, pourront continuer à
représenter un apport capital dans la prise en charge des
patients dépendant des opiacés. #