terrain par Sandra Mignot Un îlot pour séropos dans l’océan Indien L’association réunionnaise Rive océan Indien s’investit depuis dix ans dans la coopération régionale, notamment par la formation de médecins référents et le soutien aux associations de personnes vivant avec le VIH. Une initiative exemplaire 3 dans une zone du globe où la prévalence du VIH est encore faible. Chronique d’une vigilance qui s’organise. © Jan Jansen « Nous sommes porteurs d’un virus, mais il n’y a aucune honte, s’exclame Jacques Rollin, chargé de coopération régionale à l’association Rive océan Indien (Rive OI). Si vous créez une maison de vie et que vous l’assumez, il n’y a aucune raison pour que les voisins soient gênés. » Dans la salle de documentation du Centre d’information et de dépistage (CIDV) de Tamatave, sur la côte Est de Madagascar, Jacques est venu rencontrer les représentants de Fitiavana, une association de personnes vivant avec le VIH. Il est accompagné de Catherine Gaud, entre autres présidente de Rive OI et chef du service d’immunologie clinique du centre hospitalier départemental Félix Guyon de Saint-Denis (la Réunion). Fitiavana cherche un local pour héberger les patients venant réaliser un bilan de santé ou se faire soi- Transversal n° 32 septembre-octobre terrain CONTACT 8 ARPS 11 bis, rue Saint-Jacques 97400 Saint-Denis – la Réunion tél. : 02 62 21 88 77 [email protected] www.arps-info.com Pils 24, rue Deschartres Port Louis – île Maurice tél. : +230 210 70 75 [email protected] Rive OI 11, rue du Four-à-Chaux 97400 Saint-Denis – la Réunion tél. : 02 62 94 12 27 [email protected] gner en ville. La discussion s’enlise sur le choix du lieu : « La périphérie de la ville serait-elle plus discrète ? L’endroit ne devrait-il pas être avant tout facilement accessible ? Il y a bien ce petit immeuble où sont logées d’autres associations, mais ne risquent-elles pas de nous rejeter ? » Jacques Rollin complète ses conseils en avisant ses interlocuteurs des dépenses à prévoir ou du contenu du dossier à rédiger. « Nous n’avons pas l’habitude du montage de projet, note Anna Ratongarivo, vice-présidente de Fitiavana et conseillère au CIDV. Heureusement que Rive est là pour nous aider. » D’autant que cette dernière soutient financièrement l’initiative des Malgaches et qu’elle sait auprès de quels bailleurs de fonds présenter le dossier : Rive OI est l’opératrice d’un projet d’appui aux associations de la zone océan Indien 1 financé par la coopération française. Émanation de Rive. Fitiavana a directement été inspirée par les actions de Rive OI, qui fait figure de grande sœur. Ses représentants ont découvert le fonctionnement de l’association réunionnaise lors d’une visite en avril 2005 : les locaux comprennent un étage entièrement réservé à l’hébergement de patients en transit, généralement originaires des Seychelles, des Comores, de Madagascar ou de l’île Maurice, venus chercher à Saint-Denis les soins indisponibles dans leur pays. Rive OI est en fait l’émanation de Rive (Réunion immunodéprimés vivre et écouter), une association de personnes vivant avec le VIH fondée en 1993. « Dès 1996, nous avons commencé à travailler avec les pays de la zone et à faire venir des patients qui ne pouvaient pas être soignés chez eux, explique Catherine Gaud, qui a participé à la création de Rive. Lorsque nos activités se sont intensifiées, nous avons dû 1 Pays membres de la Commission océan Indien : Comores, France pour la Réunion, Madagascar, île Maurice et Seychelles. Une prévalence régionale encore faible Dans les pays de la Commission de l’océan Indien, la prévalence du VIH demeure relativement modérée : entre 0,15 % aux Comores pour le plus faible taux et 1 % à Madagascar pour le plus élevé. L’épidémie se transmet majoritairement par voie hétérosexuelle, avec cependant une augmentation marquée des contaminations liées à l’usage de drogue par voie intraveineuse à l’île Maurice et aux Seychelles (où la prévalence oscille autour de 0,5 %). Quant à l’île de la Réunion, il s’agit du seul département d’outre-mer à présenter une séroprévalence inférieure à la moyenne nationale française, avec moins différencier les deux structures par souci de clarté, notamment à l’égard des bailleurs de fonds. » Rive OI a donc été créée en octobre 2003 dans cette optique régionale. Des patients en situation de péril vital sont régulièrement reçus à Saint-Denis. Ils étaient 14 en 2005. Leur nombre, qui a beaucoup augmenté depuis, devrait bientôt baisser compte tenu de l’accès croissant aux ARV dans les pays de la zone et de la formation de médecins référents. fite de son passage à Madagascar pour donner avec lui une consultation avancée, une façon d’approfondir les connaissances du « jeune diplômé » malgache. « Nous avons demandé à cinq patients de venir parce que nous avons des difficultés à les traiter », précise le Dr Randria. Pendant ce temps, à l’office, l’infirmière en chef prend livraison de médicaments offerts par Rive OI. Car l’association a également mis sur pied un fonds thérapeutique régional, financé par la coopération française et, récemment, par la Banque africaine de développement, permettant de fournir les médicaments qui font défaut dans les pharmacies hospitalières malgaches. « Il y a des ARV mais peu de corticoïdes ou d’antalgiques », explique Jacques Rollin. Manquent également nombre de molécules pour le traitement des infections opportunistes ainsi que les trithérapies les plus récentes. « Nous avons signé le protocole Access, qui assure l’acquisition de ces traitements à des prix négociés », se félicite-t-il. Engagement politique. Cette belle dynamique est en partie due au fait que Catherine Gaud est également vice-présidente du conseil régional de la Réunion, une position qui lui confère toute l’attention des dirigeants de la zone et qui lui permet de se lancer dans des plaidoyers politiques. Elle a notamment décidé de s’engager pour que les patients de la zone bénéficient eux aussi des traitements de deuxième, voire de troisième ligne. « Les médecins référents sont suffisamment bien formés pour que cela soit possible, explique Jacques Rollin. Le problème est que les organisations internationales poussent les dirigeants des pays en développement à n’acheter que les traitements de première ligne, moins chers, mais souvent plus lourds en effets secondaires. » Transversal n° 32 septembre-octobre terrain Aide à la formation et aux traitements. Car l’idée de former les praticiens dans chaque pays plutôt que de faire se déplacer les malades s’est vite imposée. Catherine Gaud et ses collègues du centre Félix Guyon ont mis sur pied une formation théorique de base, dispensée régulièrement depuis 1994 dans les pays de la zone. En deux sessions de trois jours, tous les aspects de l’infection sont abordés, une psychologue et une assistante sociale participant à la formation. Surtout, depuis 2002, Rive OI organise chaque année un diplôme universitaire de prise en charge de l’infection par le VIH et des hépatites B et C, en partenariat avec l’université de Bordeaux-II et le centre Félix Guyon. Le programme se déroule généralement à Saint-Denis sauf pour l’édition 2006 qui a eu lieu à l’île Maurice. Il doit être assimilé en deux semaines par une quinzaine de médecins triés sur le volet et présélectionnés par le ministère de la Santé de chaque pays. L’objectif est de constituer un véritable réseau de médecins référents dans toute la zone, ayant reçus la même formation et étant les seuls habilités à prescrire des ARV. Une quarantaine de praticiens sont déjà opérationnels. Comme le Dr Mamy Randria, du service des maladies infectieuses de l’hôpital Befelatanana à Tananarive. Catherine Gaud pro- de 500 séropositifs par million d’habitants. Une situation régionale qui donne encore à espérer que l’épidémie sera contenue si les actions de prévention et de prise en charge déjà lancées sont soutenues. La prévention de la transmission materno-fœtale existe désormais dans les établissements sanitaires de tous les pays de la zone, ainsi que les ARV de première ligne. Aux Seychelles et à Maurice, les soins sont gratuits. Mais les moyens d’investigation clinique restent limités : charge virale, génotypage et traitement des infections opportunistes ne sont disponibles ni à Madagascar, ni aux Seychelles, ni aux Comores. 9 terrain par Sandra Mignot Le voyage à Madagascar sera complété par l’inauguration d’un service hospitalier rénové sous la coordination de Rive OI, grâce au financement d’une fondation privée. Et Catherine Gaud de préciser : « Nous avons l’intention de restaurer un service des maladies infectieuses ou de médecine interne par an dans chaque région. Le prochain sera celui de Tuléar [Madagascar]. » Ambiance privilégiée au centre hospitalier. Retour à SaintDenis, dans les locaux de Rive, où Sylvia et Hanta, deux médecins malgaches, sont hébergées. Depuis que les ARV sont disponibles dans leur pays et que des médecins référents y sont formés, les patients étrangers pris en charge par Rive sont désormais moins nombreux dans la maison de vie. Ce qui permet aux candidats au diplôme universitaire qui effectuent leur stage clinique d’immersion obligatoire de s’y installer. Chaque matin, le bus les mène au centre hospitalier Félix Guyon. « Après les deux semaines théoriques validées récemment, nous apprenons maintenant un “savoir-être” face aux malades ou encore comment formu- ler une annonce difficile, comme celle des résultats », explique Sylvia, gynécologue obstétricienne à Tananarive. Médecins et infirmières nouvellement arrivés sont toujours frappés par l’ambiance qui règne dans le service d’immunologie de Saint-Denis. « Il est vrai qu’on se tutoie, médecins comme patients, explique Béatrice Payet, infirmière du service. On s’appelle par nos prénoms, on se fait la bise le matin. C’est un climat particulièrement convivial. » Le petit nombre de patients par soignant, la présence de secrétaires médicales pour gérer les questions administratives, l’appui de diététiciennes et de psychologues font également la différence. « Ce qui m’a frappé c’est la façon dont on accueille les patients, l’atmosphère qui règne dans le service, se souvient Tameebye Ponnoosamy, une infirmière mauricienne en stage d’observation en 2004, pendant que son mari, Renganaden Ponnoosamy, effectuait son stage clinique. Pour une infirmière, c’est une belle motivation d’observer le travail réalisé à la Réunion. On voit comment les patients peuvent être traités. Au retour, on essaye de mettre en pratique ce qu’on a vu, même si les moyens sont différents. » PILS, une initiative mauricienne Transversal n° 32 septembre-octobre terrain À l’île Maurice, une association jumelle de Rive a été créée par un ancien patient du service d’immunologie de Saint-Denis. Avec, en toile de fond, une épidémie galopante parmi les usagers de drogue. 10 « C’est lors de mon hospitalisation à la Réunion que m’est venue l’idée d’une association mauricienne de lutte contre le sida, explique Nicolas Ritter, fondateur de Pils (Prévention information lutte contre le sida). J’ai découvert le fonctionnement de Rive et je me suis dit qu’il nous fallait la même chose. » Le jeune franco-mauricien a passé près d’un an à Saint-Denis de la Réunion, juste après que sa séropositivité a été diagnostiquée. À l’époque, en 1995, aucun médecin mauricien n’était formé à la prise en charge de l’infection par le VIH, et Nicolas craignait de devoir s’installer définitivement sur l’île française afin de bénéficier d’un traitement. À la Réunion, il trouve donc une nouvelle activité professionnelle, s’investit dans les actions de Rive et devient membre de son conseil d’administration. Il se forme également comme écoutant sur la ligne Sida Info Réunion. Première action. Et lorsque l’amélioration de son état de santé et l’arrivée des trithérapies lui permettent enfin d’envisager un retour à Maurice, le jeune homme se lance tout naturellement dans la création d’une association jumelle. « Voir le travail d’une association de personnes vivant avec le VIH a été une expérience extraordinaire, qui m’a permis d’avancer très vite », poursuit Nicolas. À Port Louis, il structure donc rapidement Pils, avec des statuts calqués sur ceux de Rive. Quelques proches appuient son initiative et constituent le bureau. À l’époque, le virus est encore très largement tabou sur l’île. Le nombre de séropositifs est faible. Une quinzaine de nouveaux cas sont diagnostiqués chaque année. Et aucune prévention n’est instaurée. « Mon premier objectif a donc été de “secouer le cocotier”, caricature-t-il. Il fallait communiquer et alerter les autorités. » La première action de Pils sera la mise en place d’un numéro vert, Info Sida, toujours en service. « Les gens m’appelaient Dr Ritter. Je ne suis pas médecin, mais j’ai rencontré des malades et des situations dramatiques, comme cette femme enceinte de 7 mois qui pesait 40 kilos. Alors, avec l’association, j’ai littéralement emmené les patients à Saint-Denis où Rive et sa présidente Pils aux côtés de tous. Au fil des ans, l’action de l’association s’est développée avec des activités de prévention, de formation et de prise en charge psychosociale, notamment grâce au soutien de Sidaction. Ses neuf salariés et quelque 200 bénévoles interviennent dans les quartiers, les entreprises, en prison, auprès des prostitué(e)s, des toxicomanes et des salariés. Tout comme Rive, Pils est présente à l’hôpital pour épauler les personnes venant d’apprendre leur séropositivité. « C’est Dhiren Moher, l’actuel président de l’association, qui s’en occupe », explique Nicolas, qui est à présent le chargé de communication de l’association. Cette dernière a même convaincu les autorités religieuses de se lancer dans la bataille en leur proposant de participer au Conseil national de la lutte contre le sida. « C’est important, car les Mauriciens sont très religieux, qu’ils soient chrétiens, hindous ou musulmans, note Audrey D’Hotman de Villiers, la directrice de Pils. Ils nous aident à diffuser un message de respect et d’amour qui permet de lutter contre le rejet des malades. » La RdR en première ligne. Mais le cheval de bataille originel de Pils reste la réduction des risques (RdR). Car derrière le paradis touristique, le visage caché de Maurice est celui du quatrième pays consommateur d’opiacés au monde ! Situation qui concerne 2 % de la population. « Dès mon premier discours, ma grosse colère a été le déni du risque parmi les usagers de drogue, se souvient Nicolas Ritter. Depuis dix ans, je parle d’échange de seringues. Il y a jusqu’à 50 % de consommateurs dans certains quartiers. Le gouvernement ne veut pas parler de catastrophe sanitaire, mais pour moi, c’en est une ! » Le temps a malheureusement donné raison au militant. Aujourd’hui, alors que la file active des patients séropositifs double chaque année, près de 90 % des nouvelles contaminations concernent des usagers de drogue par voie intraveineuse : en 2005, 700 à 800 nouvelles infections ont été diagnostiquées – mais on estime qu’un millier de nouvelles contaminations ne sont pas dépistées. Et, malgré de récents engagements du gouvernement, aucun programme d’échange de seringues ou de substitution n’existe sur l’île. L’association est pourtant devenue une interlocutrice privilégiée des pouvoirs publics dans l’élaboration de sa politique de lutte contre le VIH et les discriminations. « Ils savent que si quelque chose ne va pas, nous serons les premiers à manifester, note Nicolas. Nous avons par exemple été consultés sur le problème des pensions allouées aux personnes séropositives. » Cette allocation systématique de 2 000 roupies (environ 51 euros) est en effet à l’origine d’incidents dans les hôpitaux où des toxicomanes ont menacé les médecins afin d’obtenir un certificat médical et la précieuse pension. Pils prône une attribution plus restrictive de cette dernière, sous conditions de ressources ou d’état de santé du patient. Le système devrait être modifié prochainement. Enfin, Pils est désormais partie prenante de la coopération régionale et participe au programme Airis (Appui à l’initiative régionale de prévention des IST et du sida). Dans ce cadre, sa mission sera notamment de renforcer les associations de personnes vivant avec le VIH. Un beau passage de relais en somme. L’Association réunionnaise de prévention du sida (ARPS) participe également à la coopération régionale. Créée en 1988, elle a apporté son aide à partir de 2005 en formant des animateurs de prévention de l’association malgache Sisal, au cours d’un séminaire de quatre jours axé essentiellement sur la prostitution. Elle s’intéresse désormais aussi aux Seychelles et à l’île Maurice. Lionel Leduc, un des bénévoles de l’ARPS chargés du projet, résume à sa manière : « Nous faisons de la prévention depuis 18 ans, ce serait dommage de ne pas partager cette expérience avec les pays de la zone. D’autant que nous avons également beaucoup à apprendre d’eux. » Transversal n° 32 septembre-octobre terrain La coopération fait des émules © Jan Jansen Catherine Gaud les prenaient en charge. » À leur retour, Pils finançait les traitements. Ce système a perduré jusqu’à ce que l’association ne puisse plus supporter la dépense. « Il était clair que l’État ne pouvait que finir par prendre en charge les traitements dans la mesure où les soins et les médicaments sont ici gratuits », précise Nicolas. Cette prise en charge étatique est effective depuis 2002. 11