Plaidoyer de Jacques Rollin, chargé de coopération régionale de RIVE Océan Indien, à l’occasion de la
séance d’ouverture du 6ème colloque VIH/Océan Indien le 2 novembre 2007 à Moroni, aux Comores.
Très chers amis,
Alors que vous me faites l’honneur de représenter ici l’ensemble de mes amis vivant avec le VIH de la zone
océan Indien je voudrais vous dire en premier lieu combien je porte encore, graau fond de ma mémoire
et de mon coeur, le souvenir très fort de la cérémonie de clôture du 5e Colloque VIH Océan Indien de La
Réunion.
A tour de rôle, mes très chers amis des Seychelles, de Madagascar puis de Maurice ont parlé à cœur ouvert
de leur séropositivité, ont exprimé leurs douleurs, leurs joies mais aussi leurs attentes, leurs espoirs.
La journée précédant cette cérémonie avait été très riche en échanges et en émotion. Pour cette ultime
séance de clôture, nous étions là, conscients de notre responsabilité, puisant dans l’énergie et l’amour de
ce petit groupe d’amis, ce courage, car il en faut, pour témoigner sans que l’émotion, très vive, nous
submerge.
Entre Nicolas et moi, tout contre nous, Mary Ann, notre soeur mauricienne, se mit alors à parler d’elle, au
nom de tous ses compagnons de souffrance, les usagers de drogues. Une énorme leçon de courage et
d’amour ! résonne alors encore en moi, et en nous tous aussi j’en suis persuadé, entonné de sa voix grave
et puissante, à capela comme elle savait si bien le faire, ce « Nobody knows » qu’elle interprétait à
merveille.
Les anges, quelle a depuis rejoints, n’en reviennent pas, eux aussi haut, que d’une aussi petite et frêle
silhouette, puisse émaner une voix aussi puissante.
Que d’étapes franchies en six années depuis le premier colloque !
Des médecins référents de plus en plus nombreux et compétents, des protocoles thérapeutiques qui peu à
peu se mettent en place et s’adaptent, des traitements antirétroviraux disponibles, des appareils de
mesure des CD4 dans toutes les îles, des CDAG de plus en plus nombreux, des structures hospitalières
réhabilitées, des formations des personnels soignants financées par des projets régionaux réalistes et
ambitieux (URSIDA, AIRIS).
Mais que d’attentes et d’espoirs encore à venir !
Patient de La Réunion, disposant d’une excellente prise en charge globale (médicale, thérapeutique et
psychologique) m’est-il permis de penser qu’il en soit un jour de même pour mes amis de la zone ?
N’est-il pas temps que les services hospitaliers soient dotés de pharmacies dignes de ce nom qui soient en
mesure de gérer les commandes et les stocks d’antirétroviraux ?
N’est-il pas temps de faire confiance aux médecins référents quant aux prescriptions et au choix des
combinaisons de molécules ?
N’est-il pas temps que les patients ne soient pas mis encore face à des ruptures de stocks dont ils n’ont
assurément pas à faire les frais ?
N’est-il pas enfin temps que les états se dotent, et je pense particulièrement à Maurice, d’appareils de
mesure pour les charges virales ?
Je voudrais vous rappeler combien il est apaisant et singulièrement déstressant de savoir, de comprendre,
que l’on peut vivre si bien quand on a l’assurance d’être très bien pris en charge !
Permettez-moi ici m’adresser particulièrement à mes amis patients des Comores : je les connais bien, ils
ont à 90% d’entre eux commencé par une étape à RIVE et au CHD de La Réunion à une période les
Comores ne disposaient ni de structures, ni de médecins référents, ni de traitements. Leur histoire est
commune à celle de nos amis seychellois, mauriciens puis malgaches qui les ont précédés et ont suivi, pour
les mêmes raisons depuis 1995, le même cheminement. Ils bénéficient maintenant aux Comores d’une
excellente prise en charge médicale et thérapeutique.
Il leur reste une étape, et pas la moindre, celle du témoignage.
Témoigner en tant que personne vivant avec le VIH, c’est dédramatiser et participer de la meilleure façon
possible à la lutte contre la discrimination qui fait que l’on tait son état. Or, ce qui est caché est honteux ou
rend ce que l’on cache, honteux.
Témoigner, sans tomber dans le simple effet d’annonce, c’est permettre à nos amis, à nos frères à nos
sœurs, dont certains avouent encore préférer la mort physique à la mort sociale, de chasser le poids mortel
de la honte qui les étouffe, c’est permettre à leurs parents, leurs familles, leurs amis de les considérer
autrement. Les séropositifs détiennent cette arme, leur responsabilité est énorme.
Dire « je suis séropositif » ne requiert aucune force particulière de caractère, si ce n’est celle puisée dans
l’amour de sa famille et l’amitié de ses proches.
Modestement, permettez-moi, pour conclure, de rappeler ici (je m’adresse plus particulièrement aux
responsables politiques, aux administrateurs de projets, aux responsables des organismes internationaux et
cela à un mois de la journée mondiale de la lutte contre le SIDA dont le thème cette année est le rôle joué
par le leadership) à quel point vos responsabilités sont écrasantes. C’est en effet en fonction de vos
décisions que va dépendre le sort des personnes vivant avec le VIH, notre sort donc, nos vies et la qualité
de celles-ci. N’oubliez jamais que vous tenez une partie considérable de notre destin entre vos mains.
Emakalima ya mouisso yahangu, Nga M’ya dhoumaniyo owanama wandru waché, no wandrou wawoumé
wa komori, walona le boungou lahe sida. ili niwambiye hukay Ngariwandzawo héroho na ngaridjo
huwassayidia hezemvou za hatrou zontsipiya.
Marahaba.
Traduction :
"Les derniers mots iront à mes frères et soeurs séropositifs comoriens que je connais tous, que nous
aimons et soutenons de tout notre cœur et de toute notre force !"
Jacques Rollin
Chargé de coopération régionale de RIVE Océan Indien
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