RIMHE, Revue Interdisciplinaire sur le Management et l’Humanisme
n°5 - janvier/février 2013 - VARIA 79
La prise de décision : l’apport de l’économie expérimentale en stratégie
Marie PFIFFELMANN et Patrick ROGER
Les décisions managériales quotidiennes ont une influence variable sur le
fonctionnement présent et la pérennité future de l’organisation. Ces décisions peuvent
être stratégiques, tactiques ou opérationnelles. Quelle que soit leur importance
pour l’organisation, le processus de prise de décision est complexe. La question
de savoir comment les membres d’un système organisé forment au quotidien leurs
décisions est cruciale. En effet, ouvrir la boîte de Pandore de la prise de décision et
comprendre ses rouages est le terrain de prédilection des chercheurs en management.
Les travaux de psychologues et économistes du courant comportemental comme
Amos Tversky et Daniel Kahneman, prix Nobel d’Economie en 2002, apportent
un éclairage nouveau sur ces questions. Comme Herbert Simon (1947) l’avait fait
bien plus tôt, Kahneman et Tversky (1979) avancent l’idée que les décideurs ne
sont pas des agents parfaitement rationnels. Ils utilisent des heuristiques, conduisant
à des biais de comportement tel que l’optimisme ou le conservatisme. De ce fait,
lors de leur prise de décision, les individus ne se comportent pas objectivement en
cherchant quelle alternative leur procurerait le niveau de richesse finale espéré le
plus élevé. En effet, la dimension subjective du processus de décision est aujourd’hui
largement reconnue. Afin de mettre en évidence la façon dont les décideurs prennent
réellement leurs décisions, Kahneman et Tversky utilisent la méthodologie
de l’économie expérimentale. Cette dernière est une méthode d’investigation
initiée dans les années 1930 par le psychologue américain Thurstone. Elle prit de
l’ampleur grâce aux travaux de Vernon Smith et de Kahneman et Tversky. Cette
méthode consiste à analyser les comportements individuels et collectifs grâce à des
expériences de laboratoire. Concrètement l’expérimentation consiste à créer une
situation économique simplifiée dont l’environnement est entièrement contrôlé par
l’expérimentateur. L’idée est de confronter un grand nombre de sujets à une situation
économique ou managériale sous forme de jeu. Les choix effectués par les sujets sont
par la suite recensés et analysés statistiquement. En tant que méthode scientifique,
l’économie expérimentale repose sur un certain nombre de règles et procédures
(Broihanne et al, 2004, p.210). L’expérimentateur construit un protocole composé
de plusieurs éléments : 1) les instructions (règles du jeu) données aux sujets, 2) la
rémunération des sujets 3) la décontextualisation de l’expérience. Afin de garantir
l’implication des participants dans l’expérimentation, la rémunération des sujets doit
dépendre positivement de leur performance dans le jeu. Le dernier point (3) est très
important et fait l’objet de nombreux débats mais la règle générale veut que les
expérimentations soient réalisées hors de tout contexte. L’objectif est d’éviter que
les participants aient des attitudes particulières s’ils sont face à des situations qui leur
sont familières. Lors de leurs expérimentations en laboratoire, Kahneman et Tverky
ont ainsi confronté de nombreux sujets à un ensemble d’alternatives afin d’extrapoler
des choix qu’ils opèrent leur comportement face aux gains, aux pertes ou encore
aux probabilités. L’objectif de Kahneman et Tversky est de comprendre, grâce
aux résultats de ces expériences, comment les décideurs évaluent subjectivement
les alternatives qui s’offrent à eux. Notons néanmoins que le processus de décision
ne se limite pas à une simple opération d’évaluation des différentes alternatives
proposées. Simon (1955, 1960) distingue en effet trois phases dans le processus
de décision : L’identification des problèmes ; la modélisation et enfin le choix.
Les deux premières phases peuvent être regroupées dans une seule étape dite de