Pourquoi la refondation est-elle indispensable

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Supplément de la Gazette
n°88 – décembre 2009
réf. : 88/09
L’environnement institutionnel
Les relations entre associations et
pouvoirs publics : quelles évolutions ?
Le secteur de la lutte contre les exclusions a été construit par les associations dans un espace laissé
vacant par les pouvoirs publics. Aujourd’hui, les acteurs observent un renforcement de l’intervention des
pouvoirs publics dans le secteur. Cela passe par la mise en œuvre de la Loi organique relative aux lois
de finances (LOLF), le recours au marché public par les collectivités territoriales, le droit européen de la
concurrence, une certaine volonté de reprendre la main sur le pilotage du secteur, la question du droit
d’initiative et du repérage des besoins, la question d’une action sociale fonctionnant sur des objectifs
prédéfinis, sans oublier bien sûr le « service public » de l’hébergement et de l’accès au logement que
propose Benoist Apparu.
Tous ces chantiers suscitent des interrogations auprès des associations, … Cela signifie-t-il que les
associations vont perdre l’initiative et être reléguées au rang de prestataire ?
Subvention et commande publique, quelles différences ? _____
Clarifier les concepts
Convention de subvention, marché public, délégation
de service public, appel d’offres, appels à projets, …
Il est avant tout nécessaire de clarifier quelques
concepts.
Le recours au marché public modifie les relations
« traditionnelles » entre associations et pouvoirs
publics : d’un mode partenarial de reconnaissance de
l’intérêt général d’un projet par son financement, on
bascule vers un mode de prestataire construit de
manière unilatérale dans lequel l’association ne peut
intervenir, notamment sur ce qu’elle sait faire le
mieux : identifier les besoins des publics.
La convention de subvention repose sur le principe
suivant : l’association est à l’initiative d’un projet
qu’elle soumet à la puissance publique (Etat,
collectivités locales) afin que celle-ci contribue à son
financement après reconnaissance de son caractère
d’intérêt général. Concrètement cela signifie qu’elle
identifie le besoin et élabore la conception, la
définition même du projet et sa mise en œuvre.
La commande publique est un mode de
contractualisation, plus communément appelé
« Appel d’offres » et qui repose sur le principe
suivant : la puissance publique est à l’initiative du
projet qui doit permettre de répondre à un besoin
qu’elle identifie elle-même. La commande publique
repose par ailleurs sur une obligation de publicité et
de mise en concurrence des acteurs censés apporter
une réponse au besoin.
Au sein de la commande publique on distingue à
nouveau deux modes de contractualisation : la
délégation de service public (DSP) et le marché
public. La distinction essentielle entre la convention
de délégation de service public et le marché public
réside dans le mode de rémunération du cocontractant de la personne publique.
 La délégation de service public est caractérisée
par une rémunération assurée de façon substantielle
par des recettes d'exploitation du service, c'est-à-dire
par une participation financière des usagers. Quelle
application possible pour notre secteur ?
 Le marché public est caractérisé par le fait que la
collectivité finance à 100 % la prestation fournie par
l’association qui a obtenu le marché. Un marché
public est donc un contrat répondant à aux besoins
d’une collectivité publique.
pent leurs moyens et créent des groupements. La
mise en concurrence par le recours au marché public
est un des moyens utilisés pour concentrer le secteur
et réduire le nombre d’interlocuteurs. Un des effets
probables est la disparition d’un certain nombre de
structures locales qui ne disposeront pas de la
technicité nécessaire.
En résumé : trois logiques différentes
1 - Logique « partenariale », fondée sur la
satisfaction de l’intérêt général : subvention.
2 - Logique « gestionnaire », gestion d’un service
public : délégation d'un service public (DSP).
3 - Logique « prestataire » : marché public.
Les associations doivent se regrouper et mutualiser,
favoriser des démarches de coopération pour décider
elles-mêmes de leur propre évolution.
L’appel à projet : il représente une procédure en
quelque sorte intermédiaire. Il prévoit une « mise en
concurrence1 » ou une « publicité préalable » mais
qui ne relève ni du code des marchés publics, ni du
code général des collectivités territoriales. Elle se
conclut par la signature d’une convention.
L’application de critères quantitatifs de performance
contenus dans les appels d’offre semble contradictoire avec les méthodes, les objectifs et les
contraintes de l’intervention sociale. Le travail social
doit être envisagé dans la durée faisant place à
l’écoute et à l’humain et requiert donc davantage
l'élaboration de critères qualitatifs de performance.
Pour se conformer aux exigences de rendement en
termes de volume, de temps, de rationalité, les
associations courent le risque d’être conduites à
effectuer une sorte de tri entre les bénéficiaires au
détriment des situations les plus difficiles et des
personnes les plus défavorisées.
Dans l’appel à projet, le besoin est repéré par la
collectivité publique, mais cette dernière n’est pas en
mesure de formuler la réponse qu’elle souhaite
donner, ce qui laisse une marge aux associations
pour faire valoir leur droit d’initiative. Ceci-dit, le
recours à l’appel à projet par les collectivités
territoriales revêt des modalités très diverses d’un
territoire à l’autre. La loi portant réforme de l'hôpital et
relatif aux patients, à la santé et aux territoires,
donne une base légale à cette procédure. Elle prévoit
en effet que tout projet de création, de transformation
et d'extension d'établissements ou de services
sociaux et médico-sociaux fait l’objet d’un appel à
projets selon un cahier des charges établi par la
puissance publique. Un décret doit préciser ces
notions.
Enfin, notons que les deux logiques « subvention » et
« commande publique » renvoient à la question de
l’initiative associative, d’un côté, et publique, de
l’autre. Le régime de la subvention est inhérent au
repérage de nouveaux besoins, telle que s’est
construite l’action sociale et associative depuis des
décennies. Pour rester dans un mode partenarial
avec les pouvoirs publics, les associations de lutte
contre l’exclusion doivent rester à l’écoute des
publics et de tout besoin non satisfait. Elles doivent
être innovantes en permanence et conserver ce
rôle de fer de lance en matière d’expérimentation
sociale ! L’innovation sera le principal garant d’une
initiative associative préservée.
Les associations, partenaires
ou prestataires ?
La convention de subvention repose ainsi sur le
principe de l’initiative associative. Il s’agit donc d’une
logique de contractualisation « ascendante » et
« partenariale » entre les pouvoirs publics et les
associations. Ainsi, pour le secteur de la lutte contre
les exclusions, ce sont les acteurs associatifs, au
contact des publics, qui identifient les besoins et
proposent à la puissance publique des réponses en
termes de prise en charge et d’accompagnement des
personnes, ces réponses faisant l’objet d’une
participation financière de la collectivité publique.
Des outils pour les adhérents
de la FNARS
La FNARS travaille actuellement à l’élaboration d’un
projet de document en deux parties.
 L’un explicitant de façon pédagogique les notions
de subvention et de commande publique, leur
contenu juridique, les incidences, formulant une
argumentation face aux interlocuteurs politiques qui
souhaitent passer en marché public (les raisons, les
autres alternatives, …) et formulant des conseils pratiques pour engager un dialogue constructif avec les
pouvoirs publics sur ce sujet dans une logique de
construction d’une politique publique cohérente sur
les territoires (évaluation des besoins, réponses
cohérentes sur les territoires, …).
 L’autre donnant des conseils pratiques pour
répondre aux marchés publics (procédures détaillées, références détaillées au code des marchés
publics, …).
Ces documents seront disponibles courant janvier
2010.
Par contre, relever du code des marchés publics
signifie que cette logique s’inverse. Les associations
sont considérées par les pouvoirs publics comme des
prestataires. La collectivité publique a un contrôle
total sur la commande. C’est elle qui élabore le
cahier des charges de manière unilatérale et les
associations ne peuvent alors exercer leur droit
d’initiative et de repérage des besoins. Les associations proposent dès lors une offre de services en
réponse à ce cahier des charges dans une logique
de prestataire de service.
Comment les associations peuvent continuer à être un
partenaire des pouvoirs publics dans une démarche de
co-construction face à une logique de la puissance
publique qui est : « Je passe commande de… » ?
Les associations subissent parfois de fortes
pressions des autorités locales pour qu’elles regrouSupplément de la Gazette - décembre 2009
1
Dans le cadre de l’appel à projets, la notion de « mise en concurrence » ne s’entend pas au sens du « marché concurrentiel».
2
De nouveaux modèles de conventions « euro-compatibles »
entre associations et pouvoirs publics ____________________
- adaptabilité, c'est-à-dire que le service doit être
adapté aux besoins.
Sous l’influence du droit communautaire sur les aides
d’Etat, le Haut commissariat aux solidarités actives a
élaboré un projet de « Convention pluriannuelle de
partenariat avec une association d’intérêt général ».
Ce projet, élaboré en interministériel, a été soumis
aux associations dans le cadre des travaux préparatoires de la conférence de la vie associative du 17
décembre 2009.
Cette convention tente de concilier l’initiative
associative et une logique descendante imposée par
le « paquet Monti Kroes » construite pour les grands
services publics de réseau.
Elle vise à rendre légales les subventions au regard
du droit européen sur les aides d’Etat. Mais, elle peut
constituer également une alternative à la
commande publique vis à vis des collectivités
territoriales qui parfois prennent prétexte de l’Europe
pour déconventionner et avoir recours aux procédures prévues par le Code des marchés publics.
C’est le cas notamment pour les mesures de type
d’Accompagnement social lié au logement (ASLL),
les mesures d’accompagnement des bénéficiaires du
Revenu de solidarité active (rSa), les cofinancements
pour les Structures d’insertion par l’activité économique (SIAE).
Ce projet de convention permet de rendre compatible
la subvention avec le droit européen sur les aides
d’Etat, subvention qui doit respecter les obligations
du « paquet Monti Kroes ». En vertu de ce règlement,
une association peut bénéficier d’un financement des
pouvoirs publics si les activités ainsi financées
s’inscrivent dans le cadre d’une obligation de
service public (OSP). Celle-ci doit respecter les
principes suivants :
- la nature précise et la durée des obligations de
service public,
- les règles de détermination préalable, objective et
transparente de la compensation, c'est-à-dire du
financement accordé et des modalités de contrôle et
de révision,
- la mise en place de systèmes de contrôle
permettant de vérifier qu’il n’y a pas de surcompensation et de modalités de remboursements le cas
échéant.
Notez qu’elle ne concerne pas les activités habilitées
CHRS qui relèvent du système de tarification, mais
cette convention pourra être utilisée par les
établissements pour toutes les activités annexes qui
n’entrent pas dans le champs de la loi 2002-2.
Le modèle type qui se compose d’un dossier CERFA
et d’un modèle de convention intégrant le vocabulaire
européen est en cours de finalisation. Début janvier
2010, les documents seront disponibles pour les
associations.
En droit français, l’obligation de service public repose
sur les principes suivants :
- universalité, ce qui signifie que tous les territoires
sont couverts par le service au regard des besoins et
que tous les publics potentiellement concernés
peuvent en bénéficier (non discrimination) ;
- continuité, ce qui signifie que le service rendu ne
doit pas faire l’objet d’interruption brutale dans une
logique du coup par coup ;
Dans la mesure où les collectivités territoriales n’ont
pas été associées à l’élaboration de cette convention,
les associations devront elles-mêmes les inciter à y
recourir.
Quel service public de l’hébergement et de l’accès au
logement ?_________________________________________
Les mesures annoncées par Benoist Apparu sur le
chantier de la refondation s’inscrivent dans le cadre
d’un service public de l’hébergement et de l’accès au
logement.
loi du 2 janvier 2002. Ainsi, pour ces activités, les
associations ne seront ni prestataires dans le cadre
d’un marché public, ni délégataires de service public
(DSP).
Que recouvre exactement
ce « service public »
de l’hébergement ?
La DSP par exemple prévoit une rémunération du
service liée à l’exploitation du service, c’est-à-dire
d’une participation significative des usagers. Ce
modèle n’est pas applicable dans le cadre de
l’urgence, de l’hébergement d’insertion ou de l’accès
au logement.
Si on aborde la question en termes juridiques, il faut
tout d’abord indiquer que cette notion de service
public ne conduit pas à inscrire les associations dans
la logique de la commande publique (au sens code
des marchés publics), pour les activités relevant de la
Les activités issues de la loi 2002-2 relèveront d’une
procédure d’appel à projet telle que le prévoit la Loi
Hôpital patient santé territoire (HPST).
3
Supplément de la Gazette - décembre 2009
La notion de « service public » doit être considérée
davantage comme un outil de pilotage et une
coordination du secteur. Dans le cadre de ce
« service public », cela signifie que les associations
exercent une « mission de service public » et que les
activités financées par les pouvoirs publics doivent
donc respecter les obligations d’universalité, de
continuité et d’adaptabilité du service. Ces 3
principes sont gages de la qualité des services et des
prestations à mettre en œuvre dans l’intérêt des
personnes en situation d’exclusion.
Jusqu’à quel niveau de précision les cahiers des
charges devront-ils aller dans la formulation du
service attendu par les pouvoirs publics ? En
conséquence, quelle latitude sera ainsi laissée
aux associations dans la construction de la
réponse à apporter et dans leur capacité
d’initiative ? C’est cette marge de manœuvre plus
ou moins importante laissée aux associations qui
permettra de différencier l’appel à projet d’une
commande publique.
Une expérimentation a été réalisée dans des régions
pilotes (Pays de Loire, Bourgogne et Centre) et
coordonnée par la Caisse nationale de solidarité pour
l’autonomie (CNSA). Elle devrait permettre d’alimenter les travaux préparatoires au décret en question et
notamment les différentes étapes de la procédure
(objectifs, déroulements, acteurs, …), son articulation
avec les étapes en amont et notamment les schémas
de type Plan départemental d’action pour le logement
des personnes défavorisées (PALPD) et Plan départemental accueil hébergement insertion (PDAHI),
ainsi que le contenu d’un cahier des charges type.
La procédure d’appel à projet
(loi HPST)
L’initiative associative est au cœur du débat actuel
sur les relations qui évoluent entre associations et
pouvoirs publics. Même sil ne s’agit pas de passer à
un statut de prestataire, on peut craindre une remise
en cause de l’initiative associative par les procédures
de type appel à projet et l’interprétation française des
règles européennes.
Les activités des associations relevant de la loi du 2
janvier 2002 passeront désormais par la procédure
d’appel à projet relevant de la loi HPST qui s’appuie sur
un cahier des charges, pour toute création, extension,
transformation d’établissements ou services sociaux ou
médico-sociaux. Cette procédure prévoit des modalités
de publicité préalable afin de garantir une concurrence
« sincère, loyale et équitable » entre les associations.
Un décret doit préciser le contenu de ce cahier des
charges1. Cette procédure sera-t-elle plus contraignante
que les anciens comités régionaux d'organisation
sociale et médico-sociale (CROSMS), pour l’initiative
associative ?
La FNARS sera particulièrement vigilante sur le
contenu de ce cahier des charges, notamment afin
qu’il n’enferme pas les associations en réduisant leur
droit d’initiative.
Par ailleurs, l’appel à projet et les réponses
apportées par les associations devront en théorie
être conformes au contenu du référentiel national
prestations / coûts en cours d’élaboration pour les
activités financées par l’Etat.
Conclusion _________________________________________
Les évolutions actuelles qui ne signifient pas la mort
du secteur associatif dans la lutte contre l’exclusion.
Mais, nous devons rester vigilants afin que les
associations restent des partenaires de l’action
publique et conservent leur rôle de co-constructeur
de l’action sociale en France.
Samuel le Floch
[email protected]
1
Art. 124 « Art.L. 313-1-1.-I. - Les projets, y compris expérimentaux, de création, de transformation et d'extension d'établissements ou de
services sociaux et médico-sociaux relevant de l'article L. 312-1 ainsi que les projets de lieux de vie et d'accueil sont autorisés par les autorités
compétentes en vertu de l'article L. 313-3. Lorsque les projets font appel partiellement ou intégralement à des financements publics, ces
autorités délivrent l'autorisation après avis d'une commission de sélection d'appel à projet social ou médico-social qui associe des représentants
des usagers. L'avis de cette dernière n'est toutefois pas requis en cas d'extension inférieure à un seuil. Une partie des appels à projets doit être
réservée à la présentation de projets expérimentaux ou innovants répondant à un cahier des charges allégé.
Si des établissements ou services créés sans recours à des financements publics présentent des projets de transformation ou d'extension
faisant appel à de tels financements, la procédure prévue à l'alinéa précédent s'applique. Les conditions d'application du présent article sont
définies par décret en Conseil d'Etat, à l'exception du seuil mentionné au deuxième alinéa, qui l'est par décret. « Le décret en Conseil d'Etat
susvisé définit notamment les règles de publicité, les modalités de l'appel à projet et le contenu de son cahier des charges, ainsi que les
modalités d'examen et de sélection des projets présentés, afin de garantir une mise en concurrence sincère, loyale et équitable et la qualité de
l'accueil et de l'accompagnement ».
Cette action est soutenue par :
Direction générale de l'action sociale
Délégation générale à l'emploi et à la
formation professionnelle
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