Association de patients reconnue d’utilité publique Secrétariat : 12 rue Partarrieu – 33124 AUROS - France Siège : 17 bis, Avenue Poincaré - 57400 SARREBOURG - France Permanence téléphonique du lundi au vendredi de 9h00 à 13h00 : 05.56.65.13.25 - [email protected] - www.anamacap.fr Interview du Pr François HAAB, sept. 2015 Urologue, éminent spécialiste de l’incontinence, Secrétaire Général de la Société Interdisciplinaire Francophone d’Urodynamique et de Pelvipérinéologie (SIFUD) depuis 2005. Membre des comités "traitement médical de l’incontinence urinaire" et "recommandations cliniques". 1ère et 2ème consultation internationale de l’Organisation Mondiale de la Sante (OMS) sur l’Incontinence Urinaire, membre du conseil scientifique de l’ANAMACaP. par M. Roland MUNTZ, Président de l’ANAMACaP M. R. MUNTZ : Dans la prise en charge du cancer de prostate, le risque d’incontinence urinaire occupe une place importante. Depuis de nombreuses années vous vous êtes attaché à ce problème. Pouvez-vous nous rappeler votre parcours et vos travaux sur cette question ? Pr F. HAAB : J’ai commencé à travailler sur la problématique de l’incontinence urinaire après chirurgie du cancer de la prostate dès la fin de mon internat en évaluant à l’époque les résultats de la prostatectomie par voie retropubienne ou périnéale. J’ai alors découvert en interrogeant les patients à quel point cette incontinence ne pouvait être considérée comme un simple problème de qualité de vie mais plutôt comme un véritable handicap. Depuis 25 ans j’ai donc essayé de tout mettre en œuvre à la fois pour faire reconnaître notamment par les pouvoirs publics cette pathologie avec un rapport effectué à la demande du ministre de la santé en 2007, développer l’information auprès du public, mettre en place des études d’évaluation des facteurs de risque, et bien sûr développer de nouvelles stratégies de prise en charge. M. R. MUNTZ : Selon vous, minimise-t-on le risque d’incontinence après traitement du cancer de la prostate ? Pr F. HAAB : Je répondrai à la fois oui et non à cette question bien que je ne sois pas normand ! La question doit en fait se poser à plusieurs moments de la prise en charge de la maladie. Bien sûr la circonstance à laquelle on pense en premier lieu est lors de la discussion sur l’indication de prostatectomie totale. Il est clair que tout urologue aborde ce risque d’incontinence lors de l’information préopératoire. Et pourtant lorsque je prends en charge un patient pour traiter son incontinence post opératoire, très souvent il me dit « si j’avais su je n’aurai pas fait cette opération, je n’ai pas été suffisamment informé ». Il existe donc un décalage manifeste entre l’information que « pense » avoir délivré le chirurgien et l’information « reçue » par le patient M. R. MUNTZ : D’ou provient ce décalage selon vous ? Pr F. HAAB : Je me suis souvent posé cette question. Plusieurs réponses selon moi : lors de l’annonce du choix thérapeutique, une des premières si ce n’est la première préoccupation du patient c’est la « survie ». Les informations concernant les éventuelles séquelles ne sont peut être pas clairement audibles à cet instant précis. La deuxième raison c’est la compréhension des statistiques. Lorsque votre chirurgien vous dit vous avez environ 5% de chance d’avoir une incontinence, soit le patient est d’un naturel résolument optimiste et se dit cela n’est pas pour moi, soit il existe un défaut d’analyse du chiffre qui est une donnée statistique et non une donnée individuelle : certains patients n’auront aucun problème, d’autre auront un retentissement majeur. Enfin je pense que personne, ni le patient ni parfois le médecin ne réalise effectivement ce que c’est de vivre avec une incontinence quasi permanente. Pour s’en rendre compte il faudrait accepter de passer ne serait ce qu’une semaine avec une couche humide pour en avoir une idée… En revanche je n’ose imaginer qu’en 2015 un chirurgien puisse dire au malade, compte tenu de mon expérience je n’ai jamais ce problème. Et pourtant, j’ai parfois du implanter des sphincters artificiels à des patients à qui leur urologue avait dit en post opératoire « vous êtes mon premier patient comme cela ». Visiblement certains ont soit la mémoire courte et sélective, soit ils ont beaucoup de premières fois M. R. MUNTZ : L’incontinence après prostatectomie est-elle liée à une maladresse du chirurgien ? Pr F. HAAB : Cette question est essentielle car elle à l’origine du malentendu. Je répondrai clairement NON à cette question. Plusieurs éléments sont importants à savoir. Il n’existe à ce jour aucune technique qui supplante clairement les autres en matière de réduction du risque d’incontinence. Le risque d’incontinence est pratiquement imprévisible en préopératoire, aucun facteur de risque n’ayant pu être identifié. Le risque d’incontinence est quasiment imprévisible en per opératoire. En effet, l’intervention de prostatectomie s’est parfois déroulée de manière idéale et l’incontinence sera totale mais l’inverse est aussi vrai l’intervention a parfois été très difficile et la continence est parfaite dès l’ablation de la sonde. L’incontinence urinaire doit selon moi être vue plus comme une « séquelle » possible de l’opération que comme une « complication ». Cette nuance importante permettra de maintenir un dialogue serein entre le chirurgien et le patient si le problème doit survenir et éviter les situations trop souvent observées ou soit le chirurgien minimise le problème « ca va passer, soyez patient », ou soit le patient veut traduire en justice son chirurgien avec la phrase rituelle « il m’a raté ». M. R. MUNTZ : Y a t-il d’autres circonstances que la prostatectomie où cette question de l’incontinence doit être abordée ? Pr F. HAAB : Bien sûr. En fait à chaque modification thérapeutique ce risque doit être pris en compte. Disant cela, je pense notamment aux indications de radiothérapie adjuvante post opératoires. Aujourd’hui une majorité de patients chez qui nous devons implanter un sphincter artificiel ont eu une prostatectomie suivie d’une radiothérapie. L’indication de radiothérapie post opératoire doit être posée en connaissance de cause. Selon les données que j’ai pu accumuler au cours de ces dernières années et non encore publiées, je recommanderai dorénavant avant de valider définitivement l’indication de radiothérapie adjuvante une évaluation fonctionnelle précise comportant bien sur la fonction sphinctérienne et la continence acquise mais aussi recherchant une sténose anastomotique à bas bruit par une débitmétrie, mesure de résidu et fibroscopie vésicale si nécessaire. En effet la radiothérapie risque de décompenser une sténose latente dont le traitement risquera lors de conduire à une incontinence souvent très sévère. M. R. MUNTZ : Les traitements médicamenteux peuvent t ils avoir un impact en matière d’incontinence ? Pr F. HAAB : Même si les données manquent je réponds clairement oui à cette question. Très fréquemment les patients me disent que dans les semaines qui suivent la mise en place d’une hormonothérapie androgéno suppressive ils constatent une aggravation de leur incontinence. Le mécanisme est probablement plurifactoriel. D’une part la privation de testostérone entraîne une atrophie musculaire généralisée et donc un retentissement sur le muscle sphinctérien lui même. D’autre part, il est aujourd’hui démontré qu’il existe un rôle important des androgènes au niveau de la moelle épinière sur les neurones qui pilotent l’appareil sphinctérien M. R. MUNTZ : Sur le plan thérapeutique de cette incontinence quelles ont été les principales avancées ces dernières années ? Pr F. HAAB : La prise en charge de l’incontinence après prostatectomie progresse à la fois en possibilités disponibles mais aussi avec une simplification des techniques. En ce qui concerne la simplification des techniques, nous présenterons au prochain congrès français d’urologie notre expérience en matière de prise en charge ambulatoire des patients pour la pose d’un sphincter artificiel. Dorénavant, sauf contre indication médical, rien ne doit s’opposer à ce que la pose de l’implant se déroule sur une simple demie journée d’hospitalisation, avec un retour à domicile immédiat et une activation du dispositif en consultation quelques semaines plus tard. Ce mode de prise en charge est devenu pour nous le standard avec une très grande satisfaction des patients et une réduction du risque d’infection nosocomiale. L’objectif est donc avant tout médical et non pas économique comme certains voudraient le laisser croire. M. R. MUNTZ : A coté du sphincter artificiel y a t-il d’autres techniques disponibles ? Pr F. HAAB : Bien sûr. La rééducation périnéale a une place essentielle en post opératoire pour accélérer la récupération de continence. Depuis quelques années deux techniques nouvelles sont apparues pour proposer des solutions de traitement notamment pour les patients souffrant d’incontinence moyenne à modérée. Il s’agit des ballons de compression de l’urèthre et des bandelettes sous uréthrales que j’ai eu la chance d’évaluer depuis maintenant près de 9 ans avec plus de 500 patients opérés. Comme souvent, le plus important est, outre la technique elle même, la sélection des patients. On ne propose pas une bandelette pour une incontinence sévère dépassant 300 grammes de pertes d’urine par 24 heures. M. R. MUNTZ : En matière de recherche y a t-il de nouvelles avancées ? Pr F. HAAB : Après le grand espoir de la thérapie cellulaire il y a quelques années les travaux de recherche fondamentale doivent se poursuivre. Les études initiales qui ont été réalisées dans ce domaine n’ont malheureusement pas permis de développer plus avant cette technique pour l’instant. A coté de cela je pense que de nombreux efforts doivent être faits pour améliorer les parcours de soins et ne plus voir des patients vivre avec une incontinence parfois 5 ans ou 10 ans après une prostatectomie Enfin, de nouvelles solutions médicamenteuses devraient être envisageables d’ici quelques années. M. R. MUNTZ : Pour terminer une question plus personnelle, vous avez quitté la fonction de chef d’un service d’urologie de référence, c’est une situation peu courante. Quelle orientation donnez-vous dorénavant à votre carrière ? Pr F. HAAB : Effectivement, j’ai rejoint l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris en 1995 à mon retour des USA. Après 20 années passées à l’APHP, dont 6 à diriger un service d’urologie, j’ai décidé de partir dans une nouvelle aventure. Nous avons décidé avec quatre autres collègues urologues de créer un grand centre d’urologie dans Paris. En fait il s’agit plus d’un centre de pathologie des voies génito urinaires de l’homme et de la femme que d’un centre d’urologie en tant que tel. Ce projet consiste à simplifier les parcours de soins des patients en réunissant sur un même lieu l’ensemble des spécialités médicales et paramédicaux importants dans la prise en charge des pathologies urogénitales de l’homme et de la femme : incontinence bien sur, mais aussi oncologie, maladies lithiasiques –coliques néphrétiques-, adénome de prostate, sexualité en andrologie. C’est un projet ambitieux, qui cherche avant tout à proposer à nos patients des solutions globales de prise en charge alliant le soin, mais aussi l’accompagnement et la prévention. Enfin, j’exerce également à titre personnel au sein du groupe Hospitalier Croix Saint Simon Diaconesses.