Interview du Pr François HAAB, sept. 2015

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Interview du Pr François HAAB, sept. 2015
Urologue, éminent spécialiste de l’incontinence, Secrétaire Général de la Société
Interdisciplinaire Francophone d’Urodynamique et de Pelvipérinéologie (SIFUD) depuis
2005. Membre des comités "traitement médical de l’incontinence urinaire" et
"recommandations cliniques". 1ère et 2ème consultation internationale de l’Organisation
Mondiale de la Sante (OMS) sur l’Incontinence Urinaire, membre du conseil scientifique
de l’ANAMACaP.
par M. Roland MUNTZ, Président de l’ANAMACaP
M. R. MUNTZ : Dans la prise en charge du cancer de prostate, le risque d’incontinence urinaire
occupe une place importante. Depuis de nombreuses années vous vous êtes attaché à ce
problème. Pouvez-vous nous rappeler votre parcours et vos travaux sur cette question ?
Pr F. HAAB : J’ai commencé à travailler sur la problématique de l’incontinence urinaire après chirurgie
du cancer de la prostate dès la fin de mon internat en évaluant à l’époque les résultats de la
prostatectomie par voie retropubienne ou périnéale. J’ai alors découvert en interrogeant les patients à
quel point cette incontinence ne pouvait être considérée comme un simple problème de qualité de vie
mais plutôt comme un véritable handicap. Depuis 25 ans j’ai donc essayé de tout mettre en œuvre à la
fois pour faire reconnaître notamment par les pouvoirs publics cette pathologie avec un rapport effectué
à la demande du ministre de la santé en 2007, développer l’information auprès du public, mettre en
place des études d’évaluation des facteurs de risque, et bien sûr développer de nouvelles stratégies de
prise en charge.
M. R. MUNTZ : Selon vous, minimise-t-on le risque d’incontinence après traitement du cancer de
la prostate ?
Pr F. HAAB : Je répondrai à la fois oui et non à cette question bien que je ne sois pas normand !
La question doit en fait se poser à plusieurs moments de la prise en charge de la maladie. Bien sûr la
circonstance à laquelle on pense en premier lieu est lors de la discussion sur l’indication de
prostatectomie totale. Il est clair que tout urologue aborde ce risque d’incontinence lors de l’information
préopératoire. Et pourtant lorsque je prends en charge un patient pour traiter son incontinence post
opératoire, très souvent il me dit « si j’avais su je n’aurai pas fait cette opération, je n’ai pas été
suffisamment informé ». Il existe donc un décalage manifeste entre l’information que « pense » avoir
délivré le chirurgien et l’information « reçue » par le patient
M. R. MUNTZ : D’ou provient ce décalage selon vous ?
Pr F. HAAB : Je me suis souvent posé cette question. Plusieurs réponses selon moi : lors de l’annonce
du choix thérapeutique, une des premières si ce n’est la première préoccupation du patient c’est la
« survie ». Les informations concernant les éventuelles séquelles ne sont peut être pas clairement
audibles à cet instant précis. La deuxième raison c’est la compréhension des statistiques. Lorsque
votre chirurgien vous dit vous avez environ 5% de chance d’avoir une incontinence, soit le patient est
d’un naturel résolument optimiste et se dit cela n’est pas pour moi, soit il existe un défaut d’analyse du
chiffre qui est une donnée statistique et non une donnée individuelle : certains patients n’auront aucun
problème, d’autre auront un retentissement majeur.
Enfin je pense que personne, ni le patient ni parfois le médecin ne réalise effectivement ce que c’est de
vivre avec une incontinence quasi permanente. Pour s’en rendre compte il faudrait accepter de passer
ne serait ce qu’une semaine avec une couche humide pour en avoir une idée… En revanche je n’ose
imaginer qu’en 2015 un chirurgien puisse dire au malade, compte tenu de mon expérience je n’ai
jamais ce problème. Et pourtant, j’ai parfois du implanter des sphincters artificiels à des patients à qui
leur urologue avait dit en post opératoire « vous êtes mon premier patient comme cela ». Visiblement
certains ont soit la mémoire courte et sélective, soit ils ont beaucoup de premières fois
M. R. MUNTZ : L’incontinence après prostatectomie est-elle liée à une maladresse du
chirurgien ?
Pr F. HAAB : Cette question est essentielle car elle à l’origine du malentendu. Je répondrai clairement
NON à cette question. Plusieurs éléments sont importants à savoir. Il n’existe à ce jour aucune
technique qui supplante clairement les autres en matière de réduction du risque d’incontinence. Le
risque d’incontinence est pratiquement imprévisible en préopératoire, aucun facteur de risque n’ayant
pu être identifié. Le risque d’incontinence est quasiment imprévisible en per opératoire. En effet,
l’intervention de prostatectomie s’est parfois déroulée de manière idéale et l’incontinence sera totale
mais l’inverse est aussi vrai l’intervention a parfois été très difficile et la continence est parfaite dès
l’ablation de la sonde. L’incontinence urinaire doit selon moi être vue plus comme une « séquelle »
possible de l’opération que comme une « complication ». Cette nuance importante permettra de
maintenir un dialogue serein entre le chirurgien et le patient si le problème doit survenir et éviter les
situations trop souvent observées ou soit le chirurgien minimise le problème « ca va passer, soyez
patient », ou soit le patient veut traduire en justice son chirurgien avec la phrase rituelle « il m’a raté ».
M. R. MUNTZ : Y a t-il d’autres circonstances que la prostatectomie où cette question de
l’incontinence doit être abordée ?
Pr F. HAAB : Bien sûr. En fait à chaque modification thérapeutique ce risque doit être pris en compte.
Disant cela, je pense notamment aux indications de radiothérapie adjuvante post opératoires.
Aujourd’hui une majorité de patients chez qui nous devons implanter un sphincter artificiel ont eu une
prostatectomie suivie d’une radiothérapie. L’indication de radiothérapie post opératoire doit être posée
en connaissance de cause. Selon les données que j’ai pu accumuler au cours de ces dernières années
et non encore publiées, je recommanderai dorénavant avant de valider définitivement l’indication de
radiothérapie adjuvante une évaluation fonctionnelle précise comportant bien sur la fonction
sphinctérienne et la continence acquise mais aussi recherchant une sténose anastomotique à bas bruit
par une débitmétrie, mesure de résidu et fibroscopie vésicale si nécessaire. En effet la radiothérapie
risque de décompenser une sténose latente dont le traitement risquera lors de conduire à une
incontinence souvent très sévère.
M. R. MUNTZ : Les traitements médicamenteux peuvent t ils avoir un impact en matière
d’incontinence ?
Pr F. HAAB : Même si les données manquent je réponds clairement oui à cette question. Très
fréquemment les patients me disent que dans les semaines qui suivent la mise en place d’une
hormonothérapie androgéno suppressive ils constatent une aggravation de leur incontinence. Le
mécanisme est probablement plurifactoriel. D’une part la privation de testostérone entraîne une
atrophie musculaire généralisée et donc un retentissement sur le muscle sphinctérien lui même.
D’autre part, il est aujourd’hui démontré qu’il existe un rôle important des androgènes au niveau de la
moelle épinière sur les neurones qui pilotent l’appareil sphinctérien
M. R. MUNTZ : Sur le plan thérapeutique de cette incontinence quelles ont été les principales
avancées ces dernières années ?
Pr F. HAAB : La prise en charge de l’incontinence après prostatectomie progresse à la fois en
possibilités disponibles mais aussi avec une simplification des techniques.
En ce qui concerne la simplification des techniques, nous présenterons au prochain congrès français
d’urologie notre expérience en matière de prise en charge ambulatoire des patients pour la pose d’un
sphincter artificiel. Dorénavant, sauf contre indication médical, rien ne doit s’opposer à ce que la pose
de l’implant se déroule sur une simple demie journée d’hospitalisation, avec un retour à domicile
immédiat et une activation du dispositif en consultation quelques semaines plus tard. Ce mode de prise
en charge est devenu pour nous le standard avec une très grande satisfaction des patients et une
réduction du risque d’infection nosocomiale. L’objectif est donc avant tout médical et non pas
économique comme certains voudraient le laisser croire.
M. R. MUNTZ : A coté du sphincter artificiel y a t-il d’autres techniques disponibles ?
Pr F. HAAB : Bien sûr. La rééducation périnéale a une place essentielle en post opératoire pour
accélérer la récupération de continence.
Depuis quelques années deux techniques nouvelles sont apparues pour proposer des solutions de
traitement notamment pour les patients souffrant d’incontinence moyenne à modérée. Il s’agit des
ballons de compression de l’urèthre et des bandelettes sous uréthrales que j’ai eu la chance d’évaluer
depuis maintenant près de 9 ans avec plus de 500 patients opérés. Comme souvent, le plus important
est, outre la technique elle même, la sélection des patients. On ne propose pas une bandelette pour
une incontinence sévère dépassant 300 grammes de pertes d’urine par 24 heures.
M. R. MUNTZ : En matière de recherche y a t-il de nouvelles avancées ?
Pr F. HAAB : Après le grand espoir de la thérapie cellulaire il y a quelques années les travaux de
recherche fondamentale doivent se poursuivre. Les études initiales qui ont été réalisées dans ce
domaine n’ont malheureusement pas permis de développer plus avant cette technique pour l’instant. A
coté de cela je pense que de nombreux efforts doivent être faits pour améliorer les parcours de soins et
ne plus voir des patients vivre avec une incontinence parfois 5 ans ou 10 ans après une prostatectomie
Enfin, de nouvelles solutions médicamenteuses devraient être envisageables d’ici quelques années.
M. R. MUNTZ : Pour terminer une question plus personnelle, vous avez quitté la fonction de chef
d’un service d’urologie de référence, c’est une situation peu courante. Quelle orientation
donnez-vous dorénavant à votre carrière ?
Pr F. HAAB : Effectivement, j’ai rejoint l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris en 1995 à mon retour
des USA. Après 20 années passées à l’APHP, dont 6 à diriger un service d’urologie, j’ai décidé de
partir dans une nouvelle aventure. Nous avons décidé avec quatre autres collègues urologues de créer
un grand centre d’urologie dans Paris. En fait il s’agit plus d’un centre de pathologie des voies génito
urinaires de l’homme et de la femme que d’un centre d’urologie en tant que tel. Ce projet consiste à
simplifier les parcours de soins des patients en réunissant sur un même lieu l’ensemble des spécialités
médicales et paramédicaux importants dans la prise en charge des pathologies urogénitales de
l’homme et de la femme : incontinence bien sur, mais aussi oncologie, maladies lithiasiques –coliques
néphrétiques-, adénome de prostate, sexualité en andrologie. C’est un projet ambitieux, qui cherche
avant tout à proposer à nos patients des solutions globales de prise en charge alliant le soin, mais
aussi l’accompagnement et la prévention. Enfin, j’exerce également à titre personnel au sein du groupe
Hospitalier Croix Saint Simon Diaconesses.
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