Entretien - John Libbey Eurotext

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HEPATO
GASTRO
et Oncologie
digestive
. D ossier Thématique
Incontinence
anale
Incontinence anale :
Entretien
avec l’expert
la clinique avant tout !
Pr François Mion
Hospices civils de Lyon,
Exploration fonctionnelle digestive,
Université Claude Bernard Lyon 1,
Pavillon H, Hôpital Edouard Herriot,
69437 Lyon cedex 03
Anal incontinence: be clinical !
doi: 10.1684/hpg.2010.0455
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017.
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n
Quels sont les éléments clefs que vous
cherchez à l’interrogatoire d’un patient
ayant une incontinence anale ?
L’interrogatoire doit s’attacher à identifier plusieurs points
précis, pour orienter le diagnostic étiologique et la prise en
charge thérapeutique.
La recherche des antécédents médicaux (diabète, sclérodermie, sclérose en plaques, maladie inflammatoire chronique de l’intestin, syndrome de l’intestin irritable, irradiation pelvienne…), obstétricaux (nombre et caractéristiques
des accouchements par voie basse ou césarienne, notion
d’accouchement traumatique avec épisiotomie ou déchirure périnéale, réparation périnéale…) et chirurgicaux
(notamment proctologiques : hémorroïdectomie, sphinctérotomie, dilatation anale, fistulotomie…) est un préalable.
Ensuite, la nature du transit intestinal doit être caractérisée : contexte de constipation ou de dyschésie qui peut
orienter vers une incontinence anale (IA) par regorgement,
ou au contraire notion de diarrhée chronique.
Il faut également essayer de définir s’il s’agit d’une incontinence active (besoins défécatoires urgents, délai de retenue
court) ou passive (fuites inconscientes, suintement anal ou
soiling).
Enfin, l’évaluation objective de la sévérité des symptômes
est également importante : elle peut s’appuyer sur des
questionnaires standardisés comme le score de Jorge et
Wexner [1] – comprenant la nécessité du port de garnitures ou de protections – ou sur l’utilisation d’un calendrier
des selles et doit apprécier le retentissement des symptômes sur la vie sociale et professionnelle (qualité de vie).
Ainsi, une incontinence isolée pour les gaz peut être vécue
comme très invalidante pour certaines catégories professionnelles.
“
Une incontinence isolée pour les gaz
peut être vécue comme très invalidante
pour certaines catégories professionnelles
”
n
Quels sont les éléments clés que vous
cherchez lors de l’examen clinique
d’un patient incontinent ?
L’examen clinique doit comprendre un examen complet,
statique et dynamique du périnée. L’inspection de la
marge anale et du périnée permet d’identifier :
– des lésions cutanées périanales (secondaires à un suintement par exemple) ;
– une perte ou asymétrie des plis radiés ;
– des cicatrices périnéales ;
– une béance anale.
L’inspection périnéale « dynamique », lors d’efforts de
poussée abdominale et de contraction anale, peut montrer
des troubles de la statique périnéale – y compris le prolapsus rectal – et un défaut de contraction anale volontaire.
Le toucher anal et rectal, réalisé au repos et lors des efforts
mentionnés ci-dessus, évalue : le tonus anal de repos ; la
qualité de la contraction anale volontaire ; la relaxation
sphinctérienne lors des efforts de poussée ; la présence
d’une tumeur anale ou rectale ; un rectum plein de matières (jusqu’au fécalome).
n
Faut-il systématiquement réaliser
des examens complémentaires
en cas d’incontinence anale,
avant décision thérapeutique ?
Les examens complémentaires seront demandés en
fonction des données de l’interrogatoire et de l’examen
clinique, ainsi qu’en fonction de la prise en charge thérapeutique envisagée [2].
Ainsi, pour une IA peu invalidante, d’origine postobstétricale probable, et pour laquelle on envisage simplement dans un premier temps des recommandations diététiques, afin de diminuer l’apport en fibres, associées à des
prescription médicamenteuses pour ralentir le transit ou
modifier la consistance des selles, il n’est pas indispensable
de demander des examens complémentaires.
HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive
vol. 17 no 4, juillet-août 2010
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Incontinence
anale
Les examens complémentaires sont utiles lorsque l’interrogatoire et l’examen clinique ne permettent pas une
orientation étiologique et relative à la prise en charge.
n
Qu’est-ce que vous cherchez plus
spécifiquement lorsque vous demandez
une manométrie anorectale dans le cadre
d’une incontinence anale ?
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La manométrie anorectale doit permettre de quantifier le
tonus anal de repos, la qualité de la contraction anale
volontaire et la longueur fonctionnelle du canal anal.
Ces données sont bien corrélées avec celles d’un examen
clinique attentif et compétent, mais peuvent servir de
repère médico-légal, notamment avant une intervention
chirurgicale. L’exploration de la sensibilité rectale, de la
première sensation de besoin défécatoire, du volume
maximal tolérable et de la compliance rectale donne des
informations sur la fonction du réservoir rectal. Enfin, les
résultats de cet examen doivent servir de base pour orienter la rééducation anorectale [3], même si ce traitement
peut être guidé, par défaut, par l’examen clinique.
“
Les données de la manométrie
anorectale sont bien corrélées
avec celles d’un examen clinique attentif
et compétent, mais peuvent servir de repère
médico-légal, notamment avant une
intervention chirurgicale
n
”
Quel est l’intérêt de demander
une échographie endoanale
chez un incontinent anal ?
L’échographie endoanale permet de détecter des lésions
du sphincter anal, d’origine obstétricale, chirurgicale ou
traumatique [4]. Elle distingue des lésions du sphincter
interne, externe ou combinées, et précise l’étendue
radiaire et en hauteur de la rupture. Elle peut aussi évaluer
la qualité morphologique d’une réparation sphinctérienne, en cas de persistance des symptômes. Si toutes
les lésions sphinctériennes vues en échographie ne doivent
pas être systématiquement opérées, cet examen a cependant permis de montrer la prévalence élevée des lésions
sphinctériennes après accouchement ou chirurgie proctologique, et de limiter l’intérêt de l’électromyogramme
(EMG) du sphincter anal : l’imagerie est probablement
plus précise et moins douloureuse que l’EMG pour mettre
en évidence une lésion anatomique du sphincter.
“
Toutes les lésions sphinctériennes vues
en échographie ne doivent pas être
systématiquement opérées
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”
En pratique, l’échographie est surtout utile : avant une
décision chirurgicale, ou avant un deuxième accouchement lorsque le premier a été traumatique. L’existence
d’une rupture sphinctérienne nette en échographie est
en effet un paramètre important à prendre en compte
pour conseiller la patiente et son obstétricien sur les modalités du deuxième accouchement : dans un quart des cas
environ, des signes d’IA peuvent apparaître dans les suites
du deuxième accouchement [5].
n
Quand faut-il demander une imagerie
du périnée ? Et, alors, comment orienter
son choix entre imagerie traditionnelle
et IRM dynamique ?
L’imagerie périnéale doit être envisagée lorsque l’interrogatoire ou l’examen clinique évoque un trouble de la
statique périnéale, notamment si un traitement chirurgical
est envisagé. Les troubles combinés de la statique pelvienne sont une bonne indication, lorsqu’une indication
chirurgicale est en discussion. Lorsqu’on suspecte un prolapsus extériorisé du rectum, la défécographie est parfois
utile : les conditions de l’examen clinique ne permettent
pas toujours de mettre en évidence son extériorisation.
Le choix de l’exploration pourra se faire entre : la défécographie traditionnelle – de façon optimale, il s’agit d’une
cysto-colpo-défécographie ou viscérogramme pelvien –,
l’IRM dynamique (déféco-IRM), ou l’échographie dynamique périnéale – en utilisant des sondes biplans. En général, c’est l’expertise locale et la disponibilité des opérateurs
(échographie, viscérogramme pelvien) ou des machines
(déféco-IRM) qui déterminera la prise en charge diagnostique. En résumé, on peut dire que le viscérogramme pelvien constitue l’examen de référence pour l’exploration
des troubles de la statique pelvienne, mais qu’il demande
un investissement certain de la part des patients et des
praticiens. En ce qui concerne la déféco-IRM, les principaux
obstacles sont le coût de l’IRM et surtout les conditions de
réalisation de l’examen, en décubitus dorsal [6].
“
Le viscérogramme pelvien constitue
l’examen de référence
pour l’exploration des troubles
de la statique pelvienne
n
”
Quelles sont les indications
de la stimulation électrique transcutanée
nerveuse?
La stimulation électrique transcutanée nerveuse (TENS
Transcutaneous Electrical Nerve Stimulation) concerne
essentiellement la stimulation du nerf tibial postérieur.
Cette technique non invasive, peu onéreuse, a été initialement développée pour le traitement de l’incontinence
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urinaire par instabilité vésicale, selon deux méthodes : la
stimulation percutanée ou transcutanée. Concernant sa
place dans le traitement de l’IA, il s’agit encore d’un traitement expérimental, comme en atteste le démarrage tout
récent d’un programme hospitalier de recherche clinique
visant à valider ce traitement dans cette indication. Pour
l’instant, seules quelques études réalisées en ouvert, sur
des petits effectifs, ont suggéré l’efficacité du TENS pour
le traitement de l’IA idiopathique [7] ou dans le cadre de
maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (Mici)
inactives. L’avantage théorique de cette technique est sa
simplicité de mise en œuvre et son faible coût. À terme, elle
pourrait représenter une étape test avant d’envisager la
neuromodulation des racines sacrées.
Entretien avec l’expert
Quelles sont les indications actuelles
de la neuromodulation sacrée ?
Comme pour le TENS, l’utilisation de la neuromodulation
des racines sacrées (NMS) pour le traitement de l’IA dérive
de travaux réalisés au préalable pour le traitement de
l’incontinence urinaire par instabilité vésicale. Les travaux
sont nombreux dans la littérature qui démontrent l’efficacité de cette chirurgie mini-invasive et fonctionnelle, même
si les études contrôlées sont plus rares. Le sphincter anal
doit être intact, même si des résultats récents montrent
qu’un défect isolé découvert en échographie endoanale
ne constitue pas une contre-indication [8]. Dans l’ensemble, les résultats sont positifs pour environ 60 % des
patients, avec une amélioration des symptômes et de la
qualité de vie. La Haute Autorité de santé vient de donner
un avis favorable à son remboursement dans le cadre de
l’IA : les indications doivent être posées par des équipes
Incontinence
anale
pluridisciplinaires, spécialisées dans la prise en charge de
l’incontinence anale. Une évaluation psychologique peut
être nécessaire, notamment lorsqu’il existe un doute sur
la capacité des patients à comprendre les principes de la
méthode ou sur le risque de « rejet » psychologique du
matériel implanté.
“
La Haute Autorité de Santé vient
de donner un avis favorable
au remboursement de la neuromodulation
des racines sacrées pour le traitement
de l’incontinence anale
Références
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HEPATO
GASTRO
et Oncologie
digestive
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n
1. Jorge JM, Wexner SD. Etiology and management of fecal incontinence. Dis
Colon Rectum 1993 ; 36 : 77-97.
2. Rao SS. A balancing view: Fecal incontinence: test or treat empirically—
which strategy is best? Am J Gastroenterol 2006 ; 101 : 2683-4.
3. Bharucha AE. Pro: Anorectal testing is useful in fecal incontinence. Am
J Gastroenterol 2006 ; 101 : 2679-81.
4. Abramowitz L, Sobhani I, Ganansia R, Vuagnat A, Benifla JL, Darai E, et al.
Are sphincter defects the cause of anal incontinence after vaginal delivery?
Results of a prospective study. Dis Colon Rectum 2000 ; 43 : 590-8.
5. Mahony R, Behan M, O’Connell PR, O’Herlihy C. Effect of second vaginal
delivery on anal function in patients at risk of occult anal sphincter injury after
first forceps delivery. Dis Colon Rectum 2008 ; 51 : 1361-6.
6. Hetzer FH, Andreisek G, Tsagari C, Sahrbacher U, Weishaupt D. MR defecography in patients with fecal incontinence: imaging findings and their effect
on surgical management. Radiology 2006 ; 240 : 449-57.
7. Queralto M, Portier G, Cabarrot PH, Bonnaud G, Chotard JP, Nadrigny M,
et al. Preliminary results of peripheral transcutaneous neuromodulation in the
treatment of idiopathic fecal incontinence. Int J Colorectal Dis 2006 ; 21 :
670-2.
8. Conaghan P, Farouk R. Sacral nerve stimulation can be successful in
patients with ultrasound evidence of external anal sphincter disruption. Dis
Colon Rectum 2005 ; 48 : 1610-4.
HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive
vol. 17 no 4, juillet-août 2010
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