HYPOTHERMIE THERAPEUTIQUE EN ANESTHESIE - REANIMATION E . BANKOLE Département d’Anesthésie-Réanimation CHU de REIMS INTRODUCTION L’hypothermie est définie par une température corporelle inférieure à 35 °C Elle est considérée comme modérée entre 32 et 35 °C, et sévère en dessous 32 °C. L’hypothermie thérapeutique est définie par une diminution contrôlée de la température corporelle, dans un but thérapeutique ; ce qui exclut dans cette présentation les hypothermies accidentelles HISTORIQUE (1) Hippocrate suggérait déjà d’immerger les patients présentant une hémorragie aiguë dans la neige et la glace . Larrey, chirurgien militaire avait observé au décours des grandes batailles napoléoniennes que les soldats blessés se tenant loin du feu de camp survivaient plus longtemps que ceux placés près du foyer. Temple Fay, en 1937 refroidit une patiente cancéreuse à 32 °C pendant 24 heures, afin de la soulager des douleurs induites par des métastases multiples. L’HT était à l’époque réalisée par immersion dans une baignoire pleine de glace, après sédation orale par barbituriques. La patiente était ensuite réchauffée progressivement et semblait présenter des signes cliniques d’amélioration. Ce résultat ne sera malheureusement pas confirmé par le même auteur dans une série consécutive de 123 patients. HISTORIQUE (2) En 1950, l’HT devient le « standard » en termes de neuroprotection au cours de la chirurgie cardiaque . Dans les années 1960, l’observation d’effets secondaires sévères dans diverses séries cliniques utilisant une hypothermie plus profonde (30 °C), associée aux progrès de la réanimation, fera oublier cette thérapeutique jusqu’à une période récente. Recherche expérimentale années 1990 Avancée clinique en 2002 avec 2 études dans le NEJM débouchant sur des recommandations en 2003. THERMOREGULATION Dans des conditions physiologiques normales, la température centrale du mammifère est régulée de façon stricte autour d’un point de référence, situé chez l’homme à 37 °C. D’autres mécanismes d’échange thermique tels que convection (échange thermique direct entre une surface et l’air), conduction (échange thermique direct entre deux surfaces) radiation (échange thermique entre deux surfaces par radiation électromagnétique, sans contact direct) ne sont habituellement pas mis en jeu chez un sujet sain autonome,mais sont déterminants chez un sujet inconscient allongé sur le sol, et a fortiori chez un patient sédaté Comme la conductivité thermique de l’eau est supérieure à celle de l’air, la peau mouillée conduit mieux la chaleur et facilite ainsi le refroidissement des patients. A. Représentation schématique de l’inhomogénéité des températures corporelles, à l’état de veille, en deux compartiments, central (noyau) et périphérique. B. Hypothermie de redistribution : la vasodilatation induite par l’anesthésie générale favorise un transfert de chaleur vers le compartiment périphérique, au détriment du compartiment central qui se refroidit, sans changement du contenu de chaleur 25/11/2009 Schéma de l’organisation du système thermorégulateur au niveau hypothalamique Représentation schématique des seuils . de déclenchement des réponses thermorégulatrices . EFFETS BENEFIQUES DE L’HYPOTHERMIE Polderman KH. Application of therapeutic hypothermia in the ICU Søreide E, Sunde K. Therapeutic hypothermia after out-ofhospital cardiac arrest 25/11/2009 EFFETS SECONDAIRES POTENTIELS Effets électrocardiographiques Tachycardie sinusale réflexe puis bradycardie; onde J d’Osborne, ou en « bosse de chameau », observée chez 80 % des sujets à partir de 32–33 °C Cette onde J correspond à un retard de conduction intraventriculaire, liée à des modifications de flux ioniques (en particulier du calcium) induits par l’hypothermie au niveau des myocytes. Les arythmies surviennent essentiellement en dessous de 32 °C, avec initialement une fibrillation auriculaire, puis en dessous de 28 °C des troubles du rythme ventriculaire. Ces troubles du rythme sont peu fréquents lors d’une HT . ONDE J D’OSBORNE 28°C 31°C Effets hémodynamique et coronarien Risque de vasoconstriction coronaire lors de l’induction de l’hypothermie chez les patients porteurs de cardiopathie ischémique Le risque coronaire majeur lors des phases de refroidissement, puis de réchauffement, au cours desquelles la survenue de frissons entraîne une augmentation brutale de la demande en oxygène. Curarisation indispensable. diminution de la consommation myocardique en oxygène et donc du débit cardiaque d’environ 25 %, associée à une augmentation des résistances vasculaires et de la pression veineuse centrale, Hypotension artérielle proportionnelle au degré d’hypothermie. Effets sur la Coagulation Entre 33 et 37 °C les troubles de l’hémostase sont essentiellement liés à des défauts de l’agrégabilité plaquettaire. En dessous de 33 °C, des troubles de la fonction plaquettaire , ainsi que des déficits complexes en facteurs de la coagulation peuvent apparaître. Tendance thrombopénique Risque hémorragique extra crânien important chez le polytraumatisé Effets immunitaires et risque d’infection nosocomiale Diminution de l’immunité cellulaire et humorale Leucopénie PAVM Infections du site opératoire PERTUBATIONS RENALES ET HYDROELECTROLYTIQUES Tubulopathie rénale réversible à l’origine d’une polyurie avec troubles hydroélectrolytiques ( hypernatrémie, hypokaliémie, hypophosphorémie) PERTUBATIONS ENDOCRINIENNES Insulinorésistance systématique avec hyperglycémie pouvant être délétère chez le cérébrolésé Syndrome de basse T3 PERTUBATIONS DIGESTIVES PERTUBATIONS PHARMACOLOGIQUES • Intolérance de l’alimentation entérale • Pancréatite biologique fréquente; rarement des pancréatites cliniques avec nécroses Modifications des propriétés pharmacocinétiques et pharmacodynamiques de la plupart des médicaments utilisés en AnesthésieRéanimation Risque de surdosage accru du fait d’une diminution de l’index thérapeutique INDICATIONS POTENTIELLES DE L’HT INDICATIONS COURANTES DE L’HT Arrêt cardio-circulatoire Chirurgie de l´aorte thoracique avec clampage Traumatisme crânien sévère avec HIC Accident vasculaire cérébral ischémique 25/11/2009 ETUDES CLINIQUES HT ET ARRÊT CARDIOCIRCULATOIRE Les lésions cérébrales survenant après un arrêt cardiocirculatoire (ACC) sont liées : à l’hypoxie durant la phase d’arrêt, aux radicaux libres et autres médiateurs produits pendant la phase de reperfusion . L’agression cérébrale persiste de nombreuses heures après la reprise d’une activité circulatoire spontanée, en l’absence de tout déficit d’oxygénation Ischémie-reperfusion Xanthine oxydase Peroxydation lipidique Lésions cellulaires endothéliales Voie de NOs Voie du TX ↓NO ↓PGI2 * ↑ Endothéline ↑TxA2 Activation du Cpt Production de radicaux libres * Protéases Adhésion/migration des PNN Cytokines Expression des moléc. d’adhésion *C3a, C5a * *IL-1,*IL-6, IL-8,*TNFα * ICAM-1, ICAM-2, ELAM Chimiotactisme des PNN PNN activés exprimant les intégrines CD11/CD18 ↑LTB4 ↑PAF Vasoconstriction Agrégation plq * * Démontré expt et/ou clint dans l’ACR D’après GRACE. Br J Surg 1994; 81: 637-47 LA MALADIE DE POST-RESSUSCITATION (NEGOVSKY 1983) Défaut de Lésions de perfusion ré-oxygénation Défaillance Perturbations multi-viscérale rhéologiques Etude européenne, Multicentrique, 5 pays 275 patients Mars 1996 - Juillet 2000 Randomisés en 2 groupes: Normothermie vs Hypothermie ACR devant témoin Premier rythme: FV ou TV Délai PEC 5-15 min et RCS < 60 min. Hypothermie modérée 32-34°C, pendant 24h, monitorage vésical Hypothermie induite par matelas air pulsé ± packs de glace Objectif principal: Devenir neurologique à 6 mois Objectifs secondaires: Mortalité à 6 mois, complications 1ère semaine Pronostic neurologique et survie meilleurs dans le groupe hypothermie NEJM, 2002; vol 346, No 8: 557-563 Etude australienne monocentrique 77 patients Sept 1996 – Juin 1999 Randomisés en 2 groupes: Normo vs Hypothermie Premier rythme: FV Hypothermie à 33°C pendant 12h débutée en préhospitalier Hypothermie induite par packs de glace Monitorage tympanique et vésicale Meilleur pronostic neurologique dans le groupe hypothermie mais pas de différence en terme de mortalité. p = 0.046 49% 51% 26% 68% p = 0.145 POINTS COMMUNS DES DEUX ÉTUDES: Hypothermie modérée (32-34°C) Taux de survie sans séquelle majeure de 40 à 50% chez des patients ayant présentés une FV rapidement réanimés. Refroidissement externe (« cooling » ou packs de glace) Sédation et curarisation systématiques Peu d’effets secondaires (tendance à + d’évènements hémorragiques et infectieux) PAS DE DIFFÉRENCE SIGNIFICATIVE EN TERME DE COMPLICATIONS QUELQUES LIMITES SUR LES DEUX ÉTUDES: Pas de traitement en aveugle (2 études) Hypersélection des patients (2 études) Randomisation médiocre (jours pairs/impairs dans étude australienne) Effets secondaires à considérer RECOMMANDATIONS INTERNATIONALES 2003 • Emploi systématique d’une hypothermie modérée (32-34°C), pendant 12 à 24 heures chez tout adulte comateux au décours d’une ressuscitation réalisée pour un arrêt cardiorespiratoire extrahospitalier consécutif à une fibrillation ventriculaire. • L’hypothermie peut être bénéfique en cas d’autres rythmes ou pour un ACR intrahospitalier. HT ET TRAUMATISME CRÂNIEN Après un traumatisme crânien sévère, il existe une perte de l’autorégulation avec des zones cérébrales hyperperfusées et d’autres hypoperfusées. Risque d’ischémies cérébrales dans les jours suivant le traumatisme. Objectif de l’HT: diminuer la consommation énergétique et les lésions d’ischémie– reperfusion contrôler les niveaux de pression intracrânienne souvent élevés chez ces patients Effet anti-convulsivant L’effet protecteur cérébral d’une hypothermie modérée (32–34°8C) a été démontré par de très nombreuses études. Méta-analyse récente ( Mc Intyre et al.,) Résultats de 12 études cliniques randomisées sur l’utilisation de l’HT, pendant une durée supérieure à 12 heures, au décours d’un traumatisme crânien sévère, Conclusion: bénéfice de l’HT dans cette indication : Réduction de 19 % du risque de décès (IC 95 % 0,69–0,96) Réduction de 22% du risque d’une évolution neurologique défavorable (IC 95 % 0,63–0,98) Les facteurs pronostiques identifiés étaient: Une température cible de 32–33 °C, Une durée de maintien en hypothermie supérieure à 24–48 heures, Un réchauffement en moins de 24 heures (donnée discordante par rapport aux données antérieurement considérées comme acquises). Dans les différentes études, la durée de l’HT dans le traitement de l’HIC est supérieure à 24heures ( entre 2 et 6 jours) ; elle dépend de la sévérité de l’atteinte cérébrale; Le réchauffement doit être progressif pour ne pas entraîner une hyperthermie, Il a été montré qu’une température supérieure à 37°c altérait l’autorégulation cérébrale et provoquait une hyperhémie cérébrale HYPOTHERMIE INDUITE AU DÉCOURS D’UN ACCIDENT VASCULAIRE CÉRÉBRAL ISCHÉMIQUE Comme dans l’arrêt cardiocirculatoire, l’agression cérébrale se poursuit bien au-delà de la phase d’ischémie,par le biais des médiateurs produits durant la reperfusion,ce qui laisse une place théorique pour l’HT dans cette indication. Plusieurs études ont rapporté des résultats favorables de l’hypothermie par rapport à des contrôles historiques. Dans tous les cas, l’hypothermie était justifiée pour contrôler l’HIC liée à l’œdème ischémique. In rodent models, hypothermia applied for several hours after cerebral ischemia improves neuron survival . In clinical stroke, hypothermia may be a more effective strategy of neuroprotection if applied for a long duration after the ischemic event. The evidence from animal models of ischemia indicates that hypothermia affects a wide range of the processes involved in ischemic brain damage, which suggests a great therapeutic potential for hypothermic therapy to alleviate the injuries even after ischemic insult. APPLICATION CLINIQUE Application rapide voire immédiate après l´incident Application d´une hypothermie modérée de 32- 34°c Durée entre 12 et 24 heures en cas d’arrêt cardiaque et 48h en Neurotraumatologie Mesures associées: ( sédation, curarisation, Nursing…) Monitorage continu de la température rectale Comment refroidir ? Refroidissement externe Technique courante: Packing de glace sur les gros axes vasculaires ( Cou, plis inguinaux , régions axillaires) Couvertures refroidissantes externes asservies à la température du patient: (Criticool®, Articsun®) Refroidissement interne Techniques se rapprochant de la CEC Perfusion de solutions froides par voie veineuse (Cathéters centraux similaires en diamètre à des cathéters d’hémofiltration avec un circuit externe accesoire refroidissant ): maintien aisé de l’objectif de température Contre-indications ? Pas de contre indication formelle à l’HT. Peu d’effets secondaires de l’HT Les effets secondaires décrits ne modifiaient pas le développement des patients ainsi que leur durée moyenne de séjour SURVEILLANCE ET RECHERCHE DE COMPLICATIONS Adapter la ventilation sur la gazométrie Complications liées aux méthodes de refroidissement Complications cardiovasculaires Coagulopathie Complications infectieuses et immunodepression Perturbations rénales et hydroélectrolytiques Perturbations endocriniennes Perturbations abdominales et digestives Modifications pharmacologiques LE RECHAUFFEMENT PHASE AUSSI CRITIQUE Le réchauffement à l’arrêt de l’hypothermie doit être lent, spontané ou contrôlé 0.25°C à 0.5°C par heure, soit au minimum en 8 heures Eviter un réchauffement de la température centrale au delà de 37.5°C. HT PROFONDE ET ANESTHESIE Indiquée dans la Chirurgie de la Crosse Aortique Arrêt circulatoire / CEC Maintien de la température cérébrale à 18°C Glace sur le crâne du patient Barbituriques ( Pentothal ) avant le début Arrêt de tout médicament durant cette phase Effets secondaires importants surajoutés à ceux de la CEC Risque neurologique: < 3% si durée < 15min <5% si durée >45min >30% si durée >60min CONCLUSION L’ hypothermie thérapeutique fait partie de la prise en charge de la réanimation de l’arrêt cardio respiratoire. Méthode simple d’emploi Peu d’ effets secondaires Thérapeutique prometteuse chez les cérébrolésés. Le réchauffement est une phase critique qui nécessite une attention toute particulière.