Article de synthèse Prise en charge des patients après arrêt cardiorespiratoire Docteur Gaetan Simoens Service des Soins Intensifs L ’arrêt cardiorespiratoire est un problème de santé publique majeur dans nos sociétés. Parmi les patients hospitalisés, rares sont ceux qui survivent sans séquelles neurologiques majeures . En Europe, sur 100000 patients réanimés pour mort subite, seuls 20 % des patients survivent, dont plus de la moitié avec de graves troubles neurologiques dont l’état végétatif permanent ! Pour les patients découverts en asystolie, on approche les 100% de mortalité ! Statistiques nord américaines Mortalité ≈ 65 – 95 % L a raison essentielle en est l’anoxie cérébrale d’installation brutale avant qu’une réanimation permette de restaurer une circulation efficace. On considère en effet qu’après 3 à 5 minutes d’arrêt circulatoire, le cerveau souffre de dégâts irréversibles. RMC-2014 1 1 Article de synthèse L a fin du 20° siècle a vu l’amélioration spectaculaire des techniques de réanimation cardiopulmonaire mais le corolaire en a été l’augmentation progressive des comas permanents auxquels les intensivistes ont dû faire face dans leurs unités respectives. L’explication du pronostic aux familles incrédules au vue de la normalisation des fonctions cardiorespiratoires est une de leurs tâches les plus pénibles. C’est donc naturellement que parallèlement à la réanimation cardiopulmonaire s’est développé le concept de réanimation neurologique. La question essentielle était de savoir comment on pouvait protéger le cerveau des dégâts de l’anoxie. La littérature regorge de « case reports » de patients découverts en mort clinique qui sont en hypothermie et dont une réanimation même très prolongée parvient à restaurer ad integrum les fonctions supérieures. Il est d’ailleurs classique de dire qu’un mort froid n’est jamais mort tant qu’il n’est pas mort et chaud ! Larrey, chirurgien des campagnes napoléoniennes , disait déjà : RMC-2014 1 2 Article de synthèse L ’hypothermie comme traitement neurologique protecteur après arrêt cardiaque semblait une voie logique et prometteuse. Il a fallu attendre les années 90 pour voir des études animales montrer un net bénéfice de l’hypothermie modérée ( 32 à 34 ° C) en termes de pronostic neurologique après arrêt cardiaque provoqué. Les mécanismes protecteurs d’action sur le cerveau de l’hypothermie sont les suivants : 1. 2. 3. 4. 5. 6. Diminution du métabolisme cérébral de base. Diminution de la production des acides aminés neuroexcitateurs (dopamine, glutamate). Diminution de la production de radicaux libres oxygénés toxiques. Stabilisation membranaire avec baisse de l’entrée de Ca++ intracellulaire. Baisse de la production des médiateurs proinflammatoires. Diminution de la perméabilité vasculaire et de l’œdème. C’est en 2002 que deux études cliniques multicentriques randomisées prospectives (une européenne 1 et une australienne 2) ont démontré l’intérêt d’une hypothermie modérée durant 12 à 24 heures après arrêt cardiaque . La survie à 6 mois est significativement améliorée chez les patients réanimés dont le rythme initial est une fibrillation ventriculaire. Moins d’un an plus tard, les sociétés savantes internationales intégraient l’hypothermie modérée (32 à 34°C) dans les guidelines thérapeutiques dans cette indication. Elles suggéraient que ce traitement pouvait être également bénéfique pour les patients en arrêt cardiaque récupéré présentant un autre rythme initial comme l’asystolie ou la dissociation électromécanique bien qu’aucune preuve scientifique n’étayait cette hypothèse. A partir de ce moment, la plupart des services de soins intensifs ont mis en route un protocole de prise en charge et l’hypothermie faisait son entrée fracassante dans les unités. Notre service a élaboré également un protocole pratique tenant compte des recommandations de la littérature. Celui-ci se trouve intégralement dans le SIM pour guider les médecins de garde dans leur démarche thérapeutique. RMC-2014 1 3 Article de synthèse Sans rentrer dans les détails, les principes de base sont les suivants : A l’arrivée à l’hôpital, le patient en arrêt cardiaque réanimé et récupéré qui ne manifeste pas de signe d’éveil doit être refroidi le plus rapidement possible par des perfusions froides ( 4°C ) en flush si la situation hémodynamique le permet. Cela peut se faire aux urgences, en salle de coronarographie et/ou aux soins intensifs. Le but est d’obtenir rapidement une température corporelle entre 32 et 34°C. Aux Soins Intensifs, le patient recevra une sédation lourde doublée souvent d’une curarisation, en perfusion continue et l’hypothermie thérapeutique sera maintenue par un matelas réfrigérant doté d’un thermostat. Ce traitement sera maintenu 24 heures, après quoi un réchauffement passif sera entamé jusqu’à normalisation de la température corporelle . A ce moment, la sédation sera arrêtée et place sera faite à l’évaluation neurologique clinique et paraclinique. Il est très important d’éviter ensuite les épisodes d’hyperthermie. Pendant toute la période initiale où le patient est refroidi, un monitorage invasif sera réalisé par un système de type PICCO ou Swan-Ganz, en plus du monitorage classique par voies centrale et artérielle. En effet, des troubles hémodynamiques graves peuvent survenir durant cette période et aggraver la perfusion des organes, notamment du cerveau, compromettant ainsi les chances de récupération. Ces troubles sont de trois ordres : 1. 2. 3. La cause initiale de l’arrêt cardiaque (cardiopathie ischémique, etc...). L’hypothermie même modérée peut causer une instabilité hémodynamique : bas débit cardiaque, hypovolémie par polyurie, hypotension artérielle, troubles du rythme, états septiques. Le syndrome post-réanimation ou syndrome d’ischémie – reperfusion qui peut être très redoutable. Celui-ci est une vraie maladie systémique faisant appel à des mécanismes physiopathologiques inflammatoires comme dans le sepsis. Il associe un bas débit cardiaque avec sidération myocardique, une vasoplégie avec syndrome de fuite capillaire et régulièrement une défaillance multiorganique d’intensité variable. Il est rare qu’un de ces patients échappe à la mise en route de traitement par amines vasoactives et/ ou d’un remplissage vasculaire agressif. Ce syndrome régresse dans la plupart des cas endéans les 72 heures. RMC-2014 1 4 Article de synthèse R écemment, une grande étude parue dans le New Eng J Med (3) a montré que le maintien d’une température corporelle à 33° n’avait pas plus d’avantage que le maintien à 36° chez les survivants inconscients après arrêt cardiaque extrahospitalier, mettant ainsi un peu à mal les concepts intégrés depuis une décennie. Des études ultérieures devront être réalisées pour mieux cibler la température idéale, sa durée d’utilisation et les groupes de patients à traiter. Il y a encore de trop nombreuses questions sans réponse. EN CONCLUSION A ux soins intensifs, notre prise en charge des patients admis après arrêt cardiaque a considérablement changé depuis 10 ans, intégrant l’hypothermie modérée comme pierre angulaire dans le traitement protecteur cérébral. Cependant, les avantages de celui-ci ne touchent qu’une partie des patients réanimés. Un grand nombre de patients sont réanimés bien trop tard par rapport à la syncope initiale pour espérer un avantage d’un quelconque traitement sur la récupération neurologique. Les statistiques en termes de décès et de coma végétatif restent effroyables. La prévention reste, à mon sens, comme dans la plupart des domaines médicaux, la piste la plus à creuser mais elle sort du propos actuel. La multiplication des sites pourvus de défibrillateurs le montre bien et l’éducation au massage cardiaque et aux premiers soins de réanimation s’intègre doucement dans la vie de la population. RMC-2014 1 5