20`
eme Congr`
es Franc¸ais de M´
ecanique Besanc¸on, 29 aoˆ
ut au 2 septembre 2011
Mouvements rapides chez les plantes :
mesures m´
ecaniques et hydrodynamiques `
a l’´
echelle cellulaire
M. COLOMBANI, Y. FORTERRE
.Laboratoire IUSTI (CNRS UMR 6595), 5 rue Enrico Fermi, 13453 Marseille cedex 13
R´
esum´
e :
Les plantes offrent un exemple de syst`
eme vivant capable de produire des mouvements m´
ecaniques en l’ab-
sence de muscle. Parmi ces mouvements, la fermeture rapide du pi`
ege de la plante carnivore Dion´
ee fait figure
de paradigme. Nous avions mis en ´
evidence le rˆ
ole de l’´
elasticit´
e et de la g´
eom´
etrie dans le m´
ecanisme macro-
scopique de fermeture (instabilit´
e de flambage). Nous ´
etudions maintenant l’origine interne de ce mouvement
grˆ
ace `
a un dispositif micro-fluidique qui permet de mesurer in vivo et en temps r´
eel des param`
etres m´
ecaniques
`
a l’´
echelle cellulaire (pression, ´
elasticit´
e, perm´
eabilit´
e).
Abstract :
From a biomechanical perspective, plants offer a fascinating example of living systems capable of producing
non-muscular movements. Of these spectacular examples, the rapid closure of the carnivorous plant Venus
flytrap has long been a paradigm for study. In a recent study, we have shown that this motion involves a snap-
buckling instability due to the shell-like geometry of the leaves of the trap. Here we study the origin of this
motion at the cell level using a micro-fluidic device enabling in vivo and in real time mechanical measurements
in a single cell (pressure, elasticity, permeability).
Mots clefs : Biom´
ecanique v´
eg´
etale, poro-´
elasticit´
e, pression osmotique.
1 Introduction
Le r`
egne v´
eg´
etal est, `
a l’´
echelle humaine, un monde d’apparence statique. Pourtant, certaines plantes ont
d´
evelopp´
e au cours de l’´
evolution la capacit´
e de produire des mouvements extrˆ
emement rapides, qui sont as-
soci´
es `
a des fonctions importantes comme la reproduction (chez certaines orchid´
ees ou dans les mouvements
explosifs de fruits), la d´
efense contre des pr´
edateurs (repliement du Mimosa Pudica) ou la nutrition (pi`
ege des
plantes carnivores). L’existence de tels mouvements, dans des organismes d´
epourvus de muscles, a depuis Dar-
win fascin´
e les scientifiques et entraˆ
ın´
e de nombreuses sp´
eculations. Les m´
ecanismes physiques sous jacents
sont cependant encore mal compris et peu test´
es exp´
erimentalement. Outre l’int´
erˆ
et biologique et agronomique
de mieux comprendre la r´
eponse des v´
eg´
etaux `
a des stress ext´
erieurs, l’´
etude de ces mouvements est une source
d’inspiration prometteuse pour la r´
ealisation de syst`
emes artificiels en microfluidique et robotique, dans une
approche biomim´
etique [1].
Parmi ces mouvements, l’un des plus spectaculaires est sans doute celui de la plante carnivore Dion´
ee (Dionaea
muscipula, Venus flytrap en Anglais), d´
ecrite par Darwin comme “one of the most wonderful plant in the
world” (Figure. 1). Cette plante capture des insectes en refermant un pi`
ege constitu´
e de deux feuilles en un
dixi`
eme de seconde, ce qui en fait l’un des mouvements macroscopiques les plus rapides du r`
egne v´
eg´
etal
(Figure. 1.1).
Une ´
etude r´
ecente a mis en ´
evidence l’importance de la g´
eom´
etrie et de l’´
elasticit´
e`
a l’´
echelle macroscopique
dans le m´
ecanisme de fermeture de la Dion´
ee (instabilit´
e de flambage discontinue) (Figure 1.2, [2]). En re-
vanche, le moteur interne qui permet de franchir le seuil d’instabilit´
e reste inconnu. Plus g´
en´
eralement, les
m´
ecanismes physiques `
a l’´
echelle cellulaire qui permettent de g´
en´
erer des mouvements rapides restent obs-
curs. Les nombreuses hypoth`
eses propos´
ees dans la litt´
erature se basent toutes sur une propri´
et´
e essentielle
1
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1 cm
t=0.04 s)
t (s)
κm (mm-1)
(I) (II) (III)
t
x
y
lent
rapide
a)
b)
c)
12
FIGURE 1 – 1) Pi`
ege de la plante Dion´
ee (Dionaea muscipula) dans l’´
etat ouvert et ferm´
e. L’image au microscope
´
electronique montre un poil sensitif dont le contact g´
en`
ere un potentiel d’action ´
electrique. 2) Dynamique typique de
fermeture : courbure moyenne (a) et g´
eom´
etrie (b) ; (c) m´
ecanisme d’instabilit´
e de flambage d’une coque mince (d’apr`
es
[2]).
des cellules v´
eg´
etales : l’existence d’une pression d’eau interne importante, dont l’origine est osmotique, et
qui jouerait le rˆ
ole de moteur dans ces organismes sans muscle. On peut classer ces nombreuses hypoth`
eses
en deux grandes cat´
egories. La premi`
ere suppose que le potentiel d’action entraˆ
ıne une variation rapide de
pression dans certaines cellules en r´
eponse `
a un ´
echange rapide de solut´
e`
a travers la membrane cellulaire (va-
riations de pression osmotique) [3, 4]. Selon les auteurs, il s’agit soit d’une diminution soit d’une augmentation
de pression, et la zone motrice est ´
egalement source de d´
ebat. La deuxi`
eme hypoth`
ese propose que ce sont les
propri´
et´
es m´
ecaniques de la paroi des cellules, et non la pression interne, qui seraient rapidement modifi´
ees.
Par exemple, selon Williams et Bennett [5], l’abaissement du seuil de d´
eformation plastique de la paroi en-
traˆ
ınerait une croissance rapide des cellules de la face externe du pi`
ege sous l’effet de la pression interne et
donc une courbure. Ces diff´
erents m´
ecanismes ont ´
et´
e critiqu´
es entre autres par Hodick et Sievers [6].
Notre objectif dans cette ´
etude est de mesurer en temps r´
eel et in vivo les propri´
et´
es m´
ecaniques et hydrauliques
des cellules de Dion´
ee (´
elasticit´
e de la paroi cellulaire, perm´
eabilit´
e de la membrane, pression osmotique), afin
de tester les m´
ecanismes possibles de mouvement `
a l’´
echelle cellulaire. Pour cela, nous utiliserons une micro-
sonde de pression, qui permet d’appliquer un flux d’eau dans une seule cellule tout en mesurant la pression `
a
l’int´
erieur [7].
2 Dispositif exp´
erimental
2.1 La sonde de pression cellulaire
Le principe de fonctionnement de la mesure de pression est l’introduction dans les cellules d’un micro-
capillaire ´
etir´
e (pointe d’environ 1-5 microns pour des cellules de l’ordre de 50-200 µm) rempli d’une huile sili-
cone et reli´
e`
a un transducteur de pression par l’interm´
ediaire d’un chambre microfluidique ´
etanche [7] (figure
2a,c). En raison de la grande pression dans les cellules v´
eg´
etales (typiquement plusieurs bars), un m´
enisque
eau/huile se forme dans la pointe du capillaire d`
es qu’elle p´
en`
etre la cellule. Le volume dans la cellule peut ˆ
etre
r´
egul´
e grˆ
ace `
a un piston mobile situ´
e dans la chambre microfluidique. Le m´
enisque est visualis´
e`
a l’aide d’un
microscope. Lorsque le m´
enisque est fixe, la pression mesur´
ee par le transducteur dans la chambre est ´
egale `
a
la pression dans la cellule (la pression de Laplace associ´
ee `
a la courbure du m´
enisque est n´
egligeable devant
les pressions mises en jeu).
La chambre micro-fluidique utilis´
ee est construite en Plexiglass et perc´
ee de 3 canaux de 0.5 mm de diam`
etre.
L’un des canaux sert `
a relier la chambre au transducteur de pression, qui est connect´
e`
a un ordinateur via une
carte ampli analogique/num´
erique. Les deux autres canaux contiennent un barreau m´
etallique qui joue le rˆ
ole
de piston. Ces pistons sont actionn´
es par des vis microm´
etriques, soit manuellement soit par un moteur reli´
e`
a
2
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a)
b)
c)
huile silicone
moteur
vis micrométrique
transducteur
de pression
joints
ménisque
cellule
barreau métallique
capillaire
microscopeampli + carte + ordi
FIGURE 2 – a) Vue sch´
ematique de la sonde de pression, b) Immobilisation d’une feuille, vue sch´
ematique (gauche) et
r´
eelle (droite), c) dispositif global de mesure de pression
un joystick. L’ensemble de la sonde est rempli `
a l’aide d’une huile silicone de faible viscosit´
e et rendu ´
etanche
par des joints HPLC haute-pression.
Pour amener le micro-capillaire de fac¸on pr´
ecise et sans vibrations au niveau des cellules, on place la sonde
de pression sur un micro-manipulateur m´
ecanique (Leica), tandis que la plante est plac´
ee sur une platine
microm´
etrique 3 axes. La pointe du capillaire et la plante sont observ´
ees `
a l’aide d’un st´
er´
eo-microscope
(Leica MZ16) muni d’une cam´
era haute r´
esolution (Bassler). Le dispositif complet est plac´
e sur une table
anti-vibration sur coussin d’air (figure 2.c).
2.2 Caract´
erisation des cellules
Pour caract´
eriser la morphologie et la taille des cellules de Dion´
ee, nous avons r´
ealis´
e des coupes minces de
la feuille dans les deux directions privil´
egi´
ees xet y(figure 3). L’observation au microscope montre que le
tissu est principalement compos´
e de deux grands types de cellules. D’une part les cellules des deux ´
epidermes
interne et externe, qui sont petites et avec une paroi ´
epaisse. D’autre part des cellules volumineuses `
a parois
minces qui remplissent essentiellement tout le tissu (cellules dites parenchymeuses). Ces cellules ont une forme
cylindrique de diam`
etre 35 `
a 65 microns dans la direction yet 100 `
a 200 microns dans la direction x(volume
moyen Vcell =3.105µm3et surface moyenne Scell =3.104µm2). Nous avons effectu´
e toutes nos mesures dans
les cellules parenchymeuses.
2.3 Immobilisation des plantes
Pour mesurer l’´
evolution des propri´
et´
es des cellules en temps r´
eel pendant le d´
eclenchement du pi`
ege, il est
n´
ecessaire d’immobiliser la plante et empˆ
echer le moindre mouvement des feuilles. Pour cela, nous utilisons
de la pˆ
ate dentaire `
a faible viscosit´
e (Kerr 28418) qui devient en quelques secondes une pˆ
ate caoutchouteuse
tr`
es solide, immobilisant totalement la plante. En outre, cette pˆ
ate permet ´
egalement d’engluer une pique qui
permet de maintenir la feuille dans sa globalit´
e et donc d’´
eviter la flexion de la tige quand on pique la feuille
(figure 2.b).
3 R´
esultats
Une fois la pression stabilis´
ee, il est possible avec notre dispositif de mesurer les propri´
et´
es ´
elastiques et
de transport d’eau des cellules ´
etudi´
ees. En effet, le piston de la sonde permet d’injecter dans la cellule des
incr´
ements de volume liquide et de mesurer ensuite la relaxation de pression induite (figure 4). En pratique, on
d´
eplace le plus rapidement possible le piston d’une certaine distance et on mesure sur la cam´
era le d´
eplacement
du m´
enisque (la connaissance de la section interne du capillaire permet de d´
eduire l’incr´
ement de volume V)
(figure 4.2). Pour retrouver l’´
equilibre des potentiels chimiques de part et d’autre de la membrane cellulaire
3
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y
x
face interne
face externe
face interne
face externe
FIGURE 3 – Sections minces d’une feuille de Dion´
ee dans les directions x (gauche) et y (droite) visualis´
ees au microscope
(grossissement ×10). On distingue dans la partie centrale les cellules volumineuses du parenchyme dans lesquelles sont
effectu´
ees les mesures. La barre d’´
echelle repr´
esente 100 microns.
semi-perm´
eable, la cellule va relaxer en cr´
eant un flux d’eau (sortant). Le m´
enisque est alors maintenu `
a une
position fixe `
a l’aide du piston et la relaxation de pression cellulaire est donn´
ee par le transducteur.
La figure 4.1 montre le signal de pression en fonction du temps mesur´
e lors d’une exp´
erience de relaxation
dans laquelle on r´
ealise d’abord un incr´
ement positif de volume suivi d’un incr´
ement n´
egatif. La mesure de la
r´
eponse ‘instantan´
ee’ en pression Pen fonction du volume inject´
eVpermet de mesurer le module ´
elastique
de la cellule ε=Vcell
P
V, qui est reli´
e au module d’Young de la paroi par la relation dimensionnelle Eε(R/h),
o`
uhest l’´
epaisseur de la paroi et Rsa taille typique. En pratique, la mont´
ee en pression n’est pas instantan´
ee
en raison de la vitesse finie de d´
eplacement du piston. Ce saut de pression initial est suivi d’une d´
ecroissance
de la pression en une dizaine de secondes. Le mˆ
eme comportement en invers´
e s’observe pour un incr´
ement
de volume n´
egatif, ce qui confirme que l’on mesure bien des propri´
et´
es de transport de l’eau `
a travers la
cellule et non une fuite ´
eventuelle (la pression remonte). De cette d´
ecroissance, on peut remonter au temps
caract´
eristique Tcell de transport d’eau `
a travers la cellule, et donc `
a la perm´
eabilit´
e de la membrane cellulaire Lp
par la relation : Lp=Vcell /(εScell Tcell ). Enfin, on remarque qu’apr`
es l’incr´
ement de volume positif, la pression
finale est un peu plus ´
elev´
ee que la pression initiale, qui n’est recouvr´
ee qu’apr`
es un cycle positif/n´
egatif en
volume (figure 4.1). Cela provient du fait que lors de la relaxation, la cellule perd de l’eau et donc se concentre
l´
eg`
erement en solut´
e. Ainsi, le potentiel osmotique πaugmente et la pression d’´
equilibre finale est plus ´
elev´
ee.
Cet effet de dilution, qui s’annule lors du cycle n´
egatif, permet de remonter au volume Vcell de la cellule ´
etudi´
ee
via l’´
ecart de pression δP [10]. .
Le tableau de la figure 5 rassemble les grandeurs ´
elastiques et hydrodynamiques mesur´
ees `
a l’aide de cette
technique dans plusieurs cellules (n=10).
4 Discussion
4.1 Interpr´
etation `
a l’´
echelle cellulaire
Le premier commentaire sur ces mesures concerne la pression dans les cellules. On constate que la pression
varie fortement entre 1 et 7 bars (pression atmosph´
erique d´
efinie `
a 0 Bar). `
A propos des mesures de volume, on
remarque que la mesure indirecte dans chaque cellule via la sonde de pression est coh´
erente avec les mesures
moyennes estim´
ees de taille de cellules `
a partir des coupes au microscope. Ce r´
esultat est tr`
es encourageant et
montre qu’il est possible d’acc´
eder directement au volume de chaque cellule piqu´
ee, bien qu’elle ne soit pas
visible sous la binoculaire. Concernant les grandeurs ´
elastiques et de transport, elles sont compatibles avec les
donn´
ees issues de la litt´
erature sur les tissus v´
eg´
etaux fortement turgescents [7]. Le point important concerne
le temps typique de transport d’eau `
a travers les cellules (Tcell ). Ce temps est tr`
es dispers´
e (comme les autres
mesures !) mais syst´
ematiquement sup´
erieur `
a la seconde (Tmoy
cell =2.8 s). Nous discutons ci-dessous ce r´
esultat
en lien avec les m´
ecanismes de fermeture propos´
es pour la Dion´
ee.
4
20`
eme Congr`
es Franc¸ais de M´
ecanique Besanc¸on, 29 aoˆ
ut au 2 septembre 2011
a)
b)
c)
2)
1)
FIGURE 4 – Experience typique de relaxation (1) et positions du m´
enisque correspondantes (2)
FIGURE 5 – Bilan des mesures r´
ealis´
ees.
4.2 De la cellule au tissu
Les feuilles ´
etant constitu´
ees de quelques couches de cellules v´
eg´
etales (une dizaine seulement pour la Dion´
ee),
nous allons consid´
erer un mod`
ele simple unidimensionnel dans lequel l’eau est transport´
ee dans le tissu `
a
travers une chaine de cellules de proche en proche 1(figure 6). Par conservation du volume et approximation
des milieux continus, on obtient une ´
equation typique de diffusion, avec un temps caract´
eristique τtissu de
diffusion de l’eau `
a travers une longueur Lde tissu donn´
e par [8] :
τtissu L2
D
L2
εLpR
τcell L
R2
.(1)
Avec τcell 3 s, nous pouvons estimer le temps total de transport actif d’eau `
a travers l’´
epaisseur de la feuille :
τporo τcell (L/R)22 min. avec L0.5 mm l’´
epaisseur typique de la feuille et R70 µm la taille de la
cellule dans la direction y. Ainsi, il semble peu probable qu’un transport ‘actif’ d’eau d’origine osmotique `
a
travers la feuille soit responsable de la fermeture, comme cela a ´
et´
e propos´
e pr´
ec´
edemment [3, 4].
1. ll existe des mod`
eles plus complexes qui prennent en compte ´
egalement la contribution extra-cellulaire du transport (`
a travers le
r´
eseau de paroi uniquement) [8, 9].
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